Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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juillet 2004

mardi 20 juillet 2004

Vacances judiciaires, vacance de la justice

Je suis en colère aujourd'hui.

J’ai assisté ces jours ci à deux audiences de vacation, comprendre dirigées par un magistrat qui n’est pas le président habituel de la chambre. Deux affaires distinctes, deux présidents distincts : un homme, une femme, un jeune, un vieux, et la même méthode de direction d’audience qui donne envie de commettre un outrage à magistrat.

Quelle méthode ? L’engueulade complète et systématique. Tout le dossier n’est lu que dans un sens contraire à l’intérêt du prévenu, qui est condamné d’avance et méprisé en sa personne.

Les questions ne sont posées que pour l’enfoncer, et s’il a le malheur de vouloir y répondre, il se fait couper la parole en se faisant traiter de menteur (2e président) ou de voyou (1er président).

Les procès verbaux de la police contiennent nécessairement la Vérité car « les policiers sont assermentés »(sic). La bonne blague ! Nous autres avocats prêtons également serment : je voudrais que le tribunal en tirât la conclusion que tout ce que nous disons est vrai ! On en est loin.

Soumis à ce dur traitement, le prévenu perd son calme tôt ou tard (hélas, pas les avocats présents, sommes nous blasés à ce point ?), ce qui est utilisé contre lui par un procureur tout surpris de voir le président faire son travail à sa place.

Un président a même annoncé à un prévenu « Vous allez voir comment le tribunal traite les voyous de votre espèce, vous allez voir, ha ça oui »… avant de rajouter aussitôt, voyant que l’avocat se levait pour protester, « même si vous êtes toujours présumé innocent, bien entendu, tant mieux pour vous ».

L’avocat n’est pas non plus laissé en paix. Le tribunal, en juillet, est en guerre contre tout le monde, il a des comptes à régler avec le Barreau.

Tel avocat qui dépose des conclusions en nullité se fait tancer par le président qui lui reproche de ne pas les avoir déposé la veille au greffe. Alors qu’il n’est même pas tenu de déposer des conclusions écrites, et que l’usage a toujours été de les déposer en début d’audience, ce qu’il a fait.

Tel autre se voit mettre en cause par le tribunal (" si l'avocat de la défense avait fait son travail...") parce qu’il n’a pas conseillé à son client, qui prétend que la rixe qui l’amène devant le tribunal est due au vol de son portable par la victime, d’aller porter plainte au commissariat ce qui aurait apporté la preuve de la réalité du vol.

On croit rêver. Je sais fort bien ce qu’aurait dit le président si tel avait été fait : « Mais cette plainte ne contient que vos déclarations, ça ne prouve rien, vous êtes un voyou et un menteur ! ».

La suite le prouve : l’avocat qui connaît quand même son travail quoi qu’en pense le tribunal produit une attestation de l’opérateur qui reconnaît qu’on lui a demandé de suspendre la ligne le jour des faits. Réponse du président : « Mais cette attestation ne précise pas l’heure à laquelle cela a été fait, ça ne prouve rien ».

L’avocat proteste que son client était à l’hôpital à la suite de la rixe, où il a été placé en garde à vue, que dès lors il est absurde de supposer qu'il aurait suspendu sa ligne quand il était encore en possession de son téléphone et qu’il lui était impossible de le faire lors de la garde à vue, qu’on peut donc en déduire raisonnablement que cet appel a nécessairement eu lieu au cours de l’heure passé à l’hôpital, rien n’y fait. La preuve est écartée : le vol préalable du téléphone n’est pas prouvé, donc c’est lui qui a provoqué la rixe et a menti ensuite pour inventer un prétexte. Coupable, lourdement condamné.

Enfin, et c’est là le pire, les juges en question ne sont pas des pénalistes.

Comment sinon expliquer qu’un juge réussisse à rejeter une nullité de procédure tirée de la notification tardive des droits du gardé à vue effectuée près de huit heures après le début de celle-ci ? Les policiers prétendaient que son état d’ébriété était tel qu’il ne comprenait pas ce qu’on lui disait. Mais ils ont fait un prélèvement sanguin (avec le consentement du gardé à vue supposément ivre mort, mais pas assez pour ne pouvoir consentir à un tel examen, cherhcez l'erreur) qui a révélé 0,74 grammes d’alcool par litre de sang et négatif aux stupéfiants : il y a peu, il aurait pu conduire légalement dans cet état ! C'est une preuve objective, scientifique ! Pas grave. La police a dit que, donc c’est vrai, procédure valable (annulée par la suite par la cour d'appel ai-je appris depuis).

Comment expliquer que cette autre procédure soit validée alors qu’il n’y a pas du tout de notification, et que le tribunal ose prétendre que le prévenu est resté de son plein gré vingt trois heures et cinquante minutes d’affilée au commissariat ?

Vivement septembre et que nos juges habituels reviennent.

Je conclurai cette note en adressant à ces piètres juges le même mot de la fin qu’a eu un de ces présidents à un jeune homme de 19 ans, sans casier judiciaire, à qui il venait de coller un an de prison dont quatre mois ferme pour sa première bagarre : « Allez, ouste ! »

mardi 6 juillet 2004

Elections américaines (2)

Rappelons tout d’abord quelques points simples : Les Etats Unis forment une fédérations d’Etats, d’où le nom Etats-Unis.

50 Etats forment actuellement cette fédération, alors qu’au début, ils n’étaient que treize (c’est pourquoi le drapeau américain a treize bandes rouges et blanches, et cinquante étoiles blanches dans la carré bleu).

Une Fédération — on en parle beaucoup au sein de l’Union européenne ces temps ci— est un Etat composé lui même de plusieurs Etats autonomes (les Etats fédérés) qui ont abandonné certaines compétences à l’Etat fédéral (principalement la défense extérieure et la diplomatie ainsi que la lutte contre la criminalité qui dépasse les frontières d’un seul Etat), Etat auquel ils ont le droit de participer et la garantie d’être représentés. La France est un Etat unitaire. L’Allemagne et la Suisse sont des Etats fédéraux (nonobstant le terme de confédération helvétique, ces Suisses ne savent décidément pas parler français).

Un Etat fédéral se caractérise par une Constitution, une confédération par un traité. C’est pourquoi le projet de « Constitution » européenne est impropre : cette Constitution est en réalité un Traité, et l’Union Européenne deviendrait une confédération et non une fédération.

Les Etats Unis sont donc une fédération. La Capitale fédérale est la ville de Washington, située le district de Columbia (qui n'est pas considéré comme un Etat du fait de sa dépendance directe de l'Etat fédéral : le représentants du DC au Sénat ne votent donc pas. On parle de Washington D.C. pour la distinguer de l’Etat de Washington, au nord ouest des Etats Unis (capitale Olympia, principale ville Seattle, spécialités : la pomme, les avions de ligne et les multinationales de l’informatique voulant être maître du monde).

Chaque Etat fédéré a ses propres lois, son chef de l’Etat (il a le titre de gouverneur), son parlement, ses juges.

L’Etat fédéral se superpose à l’ensemble de ses Etats et a ses propres institutions : un exécutif, un parlement bicaméral (c’est à dire composé de deux chambres, comme en France) et un judiciaire : la Cour Suprême, composée de neuf juges nommés à vie qui juge des litiges portant sur l’application de la Constitution.

La Fédération est donc dirigée par un Président, le Président des Etats-Unis. On ne dit pas Président de la République des Etats-Unis. Il est élu selon les modalités que nous verrons plus loin en même temps qu’un vice-président. Le Vice Président a pour fonction de suppléer le président qui viendrait à décéder en exercice (ainsi Lyndon Johnson a succédé à John Kennedy en 1963), révoqué ou démissionnaire (Gerald Ford a ainsi succédé à Richard Nixon en 1974). L’actuel président des Etats Unis est George W Bush (qui l’ignore ?) et le vice président Richard Cheney. A noter : George Bush senior était le vice président de Ronald Reagan de 1980 à 1988.

La fédération a un pouvoir législatif : le Congrès, qui désigne les deux chambres du parlement fédéral : Le Sénat, présidé par le Vice Président des Etats Unis sans droit de vote, représente les Etats sur un strict pied d’égalité à raison de deux sénateurs par Etat (il y a donc 100 sénateurs), élus pour 6 ans et la Chambre des représentants (House of representatives), au nombre de 435, qui sont élus pour 2 ans et représentent l’ensemble des citoyens des Etats Unis en fonction du poids démographique. Son président (Speaker) est élu en son sein.

Ainsi, la Californie, Etat le plus peuplé (34 millions d’habitants) a autant de sénateurs que le Vermont, l’Etat le moins peuplé (203 000 habitants), mais a 53 représentants, le Vermont se contentant de Bernie Sanders comme unique Représentant.

Le système électoral doit prendre cette réalité en compte.

Elire le président au suffrage universel direct revient à donner un poids considérable aux Etats les plus peuplés que sont la Californie, la Floride, le Texas, l’Illinois et l’Etat de new York (dont la capitale comme tout le monde le sait est Albany et non New York), au détriment d’Etats comme le Vermont, l’Alaska, l’Iowa, l’Idaho, qui n’auraient plus la moindre importance. Ce serait contraire au principe d’égalité des Etats fédérés.

Elire le président par vote des Etats sur un pied d’égalité aurait l’effet opposé, et ignorerait l’importance des Etats sus-mentionnés.

La question n’est pas neutre. Aujourd’hui, le premier système donnerait un considérable avantage aux Démocrates tandis que le second assurerait durablement la présidence aux Républicains, qui ont une forteresse inexpugnable dans le Sud et le middle west.

La solution de compromis trouvée par les rédacteurs de la Constitution en 1787 est celle du Collège électoral.

Chaque Etat désigne un nombre de grands électeurs égal à sa représentation au Congrès, soit son nombre de Représentants + 2.

Ainsi, chaque Etat a au minimum trois grands électeurs, jusqu’à 55 pour la Californie, suivie par le Texas, 34 grands électeurs, la Floride, 27, New York, 31 et l’Illinois, 27.

Il y a en tout 538 grands électeurs

Pour que cette représentation pondérée joue à plein, une désignation proportionnelle a été écartée, au profit de la règle « the winner takes all » , admirablement mis en musique par ABBA, mais je m’égare. Le candidat arrivé en tête dans un Etat remporte tous les grands électeurs. Les grands électeurs sont désignés au mois de novembre de l’année de fin de mandat du président en exercice et se réunissent chacun dans leur capitale d’Etat pour exprimer leur vote en décembre. En cas d’égalité, avantage au poids démographique : c’est la Chambre des Représentants qui élit le président. Le nouveau président prend ses fonction au mois de janvier de l’année suivante, en même temps que le vice président.

Ainsi, dire, comme je l’ai encore entendu ce matin à la radio, que Kerry est donné gagnant parce qu’il est en tête de 5 points dans les sondages ne veut absolument rien dire avec une si faible avance. La question est : dans quels Etat est-il en avance ?

Certains Etat sont traditionnellement acquis à un parti. La Californie ira à Kerry, le Texas à Bush.

Au passage, quelqu'un de plus pointu que moi en vie politique US pourrait il m'expliquer ce paradoxe qui veut qu'un Etat qui vote sans cesse pour un Présdident démocrate élise si souvent un gouverneur républicain ?

La campagne va se jouer à couteaux tirés dans les « battleground states », les Etats ou l’écart entre candidats est si faible que tout peut s’y jouer. L'Ohio et ses 20 grands électeurs (légèrement à Kerry) et le Michigan qui en a 17 éveillent des appétits. Mise à jour : tout semble indiquer que les élections se joueront en Floride, 27 grands électeurs, l'Ohio, 20 et la Pennsylvanie, 21 : celui qui aura deux de ces trois Etats sera élu Président des Etats Unis.

A ce jour, d’après le site electoral vote, Bush est sûr d’avoir 154 grands électeurs, et Kerry 168 (ce sont les Etats ou l’écart entre les candidats est supérieur à 10 points, écart irrattrapable en pratique). Il en faut 270 pour être élu. Vous voyez que rien n’est joué, d’autant plus que quand un Etat passe d’un candidat à l’autre, l’écart creusé est du double du nombre de grands électeurs, puisqu’il sont soustraits à l’un ET additionnés à l’autre.

Quand on sait que pour 129 d’entre eux, tout se joue dans un écart inférieur à 5% avec une marge d’erreur admise de 3%, n’enterrez pas trop vite l’éléphant.

On se dirige en tout cas, sauf événement imprévu d’ici novembre, à une nouvelle élection dans un mouchoir de poche.

Au sommaire de la prochaine note : les critiques habituellement faites à ce système et leur réponse, et l’explication juridique de la crise de Floride lors des élections de 2000 (ou : Bush a-t-il vraiment volé les élections de 2000 ? Comme vous le verrez, la réponse est non).

lundi 5 juillet 2004

Elections américaines (1)

Un événement aux répercussions mondiales va avoir lieu à la rentrée. Il s’agit de l’élection du 44e président des Etats-Unis, ou de la ré-élection du 43e, c’est selon.

La Constitution américaine n’est pas d’une approche facile, et l’imbroglio des élections en Floride en 2000 n’a pas aidé à en comprendre le fonctionnement.

Il s’agit d’une question juridique, puisque c’est du droit constitutionnel, et son impact sur le monde me semble justifier que j’y consacre quelques billets pour tenter d'éclairer la question.

Cela me donnera l’occasion de balayer quelques clichés que l’on ressasse régulièrement sur le système électoral américain, qui avait amené en 2000 à des commentaires très suffisants de la part d’éditorialistes et hommes politiques français, jusqu’à ce qu’un certain jour d’avril 2002, ce soit le monde entier qui se gausse de la France et de son merveilleux système électoral qui a privé la moitié des Français de représentation au second tour, et les a tous privé d’une vraie liberté de choix, aboutissant à la ré-élection avec un score digne de république bananière d’un président à la probité contestée.

Tenez, un premier cliché à balayer d’entrée de jeu : les États Unis ne seraient pas une vraie démocratie car les élections présidentielles n’ont que deux candidats, tandis que la France avait 16 candidats au premier tour, ce qui laisse un plus large éventail d’opinions.

C’est archi faux et explique en partie les difficulté du dépouillement de Floride (j’y reviendrai). En effet, il y avait 16 candidats aux élections présidentielles : Harry Browne, Patrick J. Buchanan, George W. Bush, Earl F. Dodge, Al Gore, John S. Hagelin, James E. Harris, Jr., Denny Lane, David McReynolds, Monica Moorehead, Ralph Nader, Howard Phillips, L. Neil Smith, Randall Venson et Louie G. Youngkeit.

Les partis républicains (Republican National Comitee – RNC - habituellement appelé the GOP, the Grand Old Party et symbolisé par un éléphant) et le parti démocrate (Democratic National Comitee, DNC, symbolisé par un âne) dominent la scène politique des Etats Unis. Mais c’est là le seul fait des électeurs.

Autre cliché : Les partis démocrates et républicains sont tous deux de droite et s’accaparent le pouvoir, leur mainmise prouve que toute autre idée (sous entendu de gauche) n’a pas droit de cité.

C’est on ne peut plus faux.

Certes, les communistes américains ont peu de chance d’arriver un jour au pouvoir (leur candidate, Monica Moorehead, a obtenu en 2000 en tout et pour tout 4.795 voix, et elle n’en a obtenu aucune dans 46 Etats). Pour ma part, je pense que c'est plutôt un signe de démocratie saine. De même, l'extrême droite a des scores microscopiques : 0,42%. Ca fait rêver.

La division droite gauche qui a cours en France n’a aucun sens aux États Unis. Rappelons sa naissance : lorsque les États Généraux se sont proclamés assemblée générale constituante, les tenants d’une monarchie constitutionnelle se sont regroupés sur la droite de l’assemblée, pour former un bloc contre les réformateurs voulant abolir la monarchie et proclamer la République, qui firent bloc sur la gauche de l’assemblée.

Aux États Unis, la division ne se fait pas entre les monarchistes et les républicains. Elle se fait entre les tenants d’un État Fédéral fort, et ceux tenants de l’indépendance des États fédérés.

Ainsi, à sa naissance en 1856, le parti républicain était marqué à gauche au sens européen. Il s’est constitué autour de la lutte contre l’esclavage (Lincoln était Républicain, c’est même le premier président républicain), et la revendication de terres gratuites à l’ouest pour les colons (une réforme agraire en somme), et s’est illustré dans la cause de l’égalité féminine : il est le premier à avoir exigé le droit de vote des femmes et a fait élire au Congrès la première femme en 1917.

Et avant 1856 ? Le bipartisme s’était déjà installé entre les Démocrates (fondés par Thomas Jefferson en 1792) et les Whigs, ou Parti fédéraliste. Les whigs n’ont pas survécu à la querelle sur l’esclavage et à la guerre de Sécession.

Il est donc possible pour un parti de déboulonner l’un des deux grands.

J’inaugure donc par ces prolégomènes une visite aux Etats-Unis, avec analyse du sytème électoral (les primaires et caucus, les conventions nationales, le système des grands électeurs) jusqu’à l’élection elle même.

Pour ceux que le thème n’intéresse pas, j’intercalerai quelques billets plus habituels, rassurez vous.

Ceux qui n’ont que « i nou fon chié lé states » à dire sont invités à aller cliquer ailleurs voir si j’y suis.

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