Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

vendredi 2 juin 2006

vendredi 2 juin 2006

L'honneur d'un avocat est-il imprescriptible ?

Plusieurs lecteurs me signalent Une dépêche AFP traitant d'un cas peu banal, que je suis de loin depuis le début.

Le Barreau d'Avignon vient de refuser l'inscription au tableau d'un impétrant dicteur en droit et ayant réussi l'examen du CAPA[1], au motif probable (non cité dans la dépêche) que celui-ci ne présenterait pas toutes les garanties de moralité. Et pour cause, il a été condamné par une cour d'assises pour un braquage au cours duquel un policier a été blessé.

Il faut savoir que ce quasi-confrère a déjà demandé son inscription au Barreau de Nîmes, que le Conseil de l'ordre lui avait refusé.

La cour d'appel de Nîmes siégant en chambres réunies avait estimé le 21 septembre 2004 devoir accepter cette inscription au motif qu'au jour de sa demande, l'impétrant avait donné des gages de réinsertion sociale plus que suffisants et qu'il remplissait les conditions d'honneur et de probité exigées pour exercer la profession d'avocat.

Cet arrêt a a été cassé le 21 mars 2006 par la cour de cassation. dans son arrêt, la haute cour rappelle que l'article 11, 4° de la loi du 31 décembre 1971 organisant ma noble et belle profession dispose que :

Nul ne peut accéder à la profession d'avocat s'il ne remplit les conditions suivantes :(...) 4° : N'avoir pas été l'auteur de faits ayant donné lieu à condamnation pénale pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ;(...)

et reproche à la cour de ne pas avoir recherché si les faits ayant donné lieu à cette condamnation pénale n'étaient pas contraires à l'honneur ou à la probité, privant ainsi sa décision de base légale.

Sans se décourager, mon éphémère confrère a déposé une nouvelle demande au Barreau d'Avignon, qui est dans le ressort de la cour d'appel de Nîmes, espérant peut être bénéficier une nouvelle fois de la mansuétude gardoise au cas où le Vaucluse s'avérerait peu hospitalier. Comme dirait Guy Drut : peine perdue.

Il est de plus douteux que la cour de Nîmes, qui vient de se faire taper sur les doigts, ose se dresser à nouveau contre la juridiction suprême.

Que penser de cette décision ?

Juridiquement, elle est fondée : l'article 11 de la loi de 1971 est très clair, et s'agissant de conditions d'accès à une profession, on ne peut lui appliquer le régime des sanctions pénales et disciplinaires qui prévoit le droit à l'oubli pénal. La cassation était prévisible.

Moralement, maintenant. Ce confrère ne manque pas de soulever l'ancienneté de la condamnation (25 ans), son caractère léger (5 ans avec sursis si j'en crois l'arrêt de la cour de cassation), qui m'étonne d'ailleurs, s'agissant d'un braquage où un policier a été blessé. Les juridictions marseillaises ne sont pas réputées pour leur tendresse, comme celles du sud est de manière générale. L'argument ne manque pas de poids. Il y a somme toute contradiction à favoriser la réinsertion des condamnés, à leur permettre de faire des études en prison et leur opposer leur condamnation pour leur refuser l'exercie d'une profession.

Il demeure.

La profession d'avocat n'est pas une profession comme les autres. Elle ne donne aucun passe droit à ses membres, seulement des obligations supplémentaires. Les quelques droits que nous donnent la loi (principalement l'accès à des informations confidentielles et à des personnes au secret, et la protection de la confidentialité de nos cabinets et communications) n'ont pour seul objet que l'exercice des droits de la défense. Cet exercice pour être efficace doit être serein et reposer sur une absolue confiance entre l'avocat et les divers intervenants judiciaires : magistrats, greffiers, policiers.

Voilà où le bât blesse. Cet avocat peut être appelé un jour pour une garde à vue dans un commissariat ou une gendarmerie. Dans des petits ressorts, tous les avocats finissent par être connus (et comme j'envie ces relations humaines qui se tissent et qui sont quasi inexistantes à Paris), et tous les policiers finiront par savoir que Maître Machin a un jour blessé un collègue au cours d'un braquage. Tous les magistrats sauront qu'un jour il est entré armé dans un bureau de poste et a fait usage de son arme. D'emblée, la relation avocat-magistrat, ou avocat-policier me semble faussée. Et ce même s'il se contente d'intervenir au civil. Comment un magistrat ne serait-il pas effleuré par la pensée, en l'entendant pester contre la mauvaise foi d'une compagnie d'assurance qui tarde à couvrir un sinistre, que c'est gonflé de la part d'un ancien braqueur.

Et indirectement, c'est à tous les avocats qu'il porterait préjudice. Si Maître Machin est un ancien braqueur, qui nous dit que tel ou tel autre n'a pas non plus été condamné ?

La profession doit être impitoyable sur la probité de ses membres. De ce point de vue, je suis un ayatollah. Certains, peu nombreux, mais ils existent, n'en sont sans doute pas ou plus dignes. Leur exisence n'est pas un motif d'accepter n'importe qui, c'est au contraire à eux de partir.

Malgré toute la sympathie humaine que j'ai pour lui, et le respect que j'ai à son égard pour avoir réussi à se sortir d'un bien mauvais chemin, je ne pense pas que la profession d'avocat soit pour lui. Le droit ouvre bien des portes : il enseigne déjà, par exemple. Mais certains actes ont des conséquences définitives.

Notes

[1] Certificat d'Aptitude à la Profession d'Avocat

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.

Calendrier

« juin 2006 »
lun.mar.mer.jeu.ven.sam.dim.
1234
567891011
12131415161718
19202122232425
2627282930

Contact