Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 21 septembre 2006

jeudi 21 septembre 2006

Le pompier pyromane

Ainsi, notre bouillonnant ministre de l'intérieur, après s'en être pris aux étrangers et aux associations qui les défendent, tourne désormais un oeil mauvais vers notre jeunesse délinquante, et l'autre encore plus mauvais vers les magistrats du tribunal de grande instance de Bobigny. Ce strabisme ne l'empêche pas d'y voir clair : les magistrats dudit tribunal sont "démissionnaires", et au premier chef, le président du tribunal pour enfants, en charge entre autres de l'enfance délinquante (il est aussi en charge de l'enfance victime, qui est parfois la même, soit dit en passant).

Je ne m'attarderai pas sur l'aspect très opportuniste et provoqué de cette controverse. Jules de Diner's room pointe du doigt certains éléments troublant et son réquisitoire est puissant.

Je souhaite simplement souligner en quoi les affirmations du préfet de Bobigny, que je salue courtoisement puisque c'est mon adversaire le plus fréquent ces temps-ci après le procureur de la république, révèlent son ignorance de la loi, et en quoi les propos du ministre, au-delà de la simple tartufferie politique qui ne mériterait pas mon ire, relèvent de l'inconscience pure et simple.

Dans sa note, le préfet émet plusieurs doléances. Outre l'insuffisance des effectifs de police et leur trop grande mobilité (mais qui est le ministère en charge de la répartition des effectifs de police, déjà ?) la justice est pointée du doigt.

Ainsi, lors des événements de l'automne 2005, se plaint le préfet, 85 mineurs avaient été déférés et un seul écroué. Et c'est là une tradition locale : sur l'année 2005, sur 1651 mineurs déférés, seuls 132 ont connu l'hospitalité de la République, ce qui explique sans nul doute, selon le haut fonctionnaire, l'augmentation de 70% des vols avec violence dans le département (toute remise en cause de la police étant naturellement hors de question). Scandale. Laxisme. Blues des hommes en bleu.

Un homme est particulièrement visé : le président du tribunal pour enfant de Bobigny, qui figurez vous est blogueur, accusé de dogmatisme. Rendez-vous compte. Un juge des enfants qui aime les enfants, alors que tout ce qu'on lui demande c'est de les mettre en prison.

Et c'est là que le bât blesse, Monsieur le préfet. Le droit pénal des mineurs, c'est pas votre truc, je sais. Vous c'est plutôt le droit administratif et le droit des étrangers. Vous sévissez plus Boulevard de l'Hautil à Cergy qu'avenue Paul Vaillant Couturier à Bobigny, même si c'est pas loin de votre bureau. Mais quand même, avant d'écrire au Chef, renseignez vous un peu. On sait jamais, une fuite dans la presse est si vite arrivée.

Alors, en novembre 2005, un seul mineur a été écroué, et 132 sur l'année. Mais dans quels cas peut-on écrouer un mineur déféré ? Vous êtes vous posé la question, avant de mettre ça sur le compte du dogmatisme du président du TPE ?

C'est pourtant pas bien compliqué, c'est dans une ordonnance du 2 février 1945, signée par un dangereux gauchiste dogmatique.

Pour un mineur de 13 ans, ce n'est pas possible.
Pour un mineur de 16 ans, ce n'est que s'il a commis un crime.
S'il a entre 16 et 18 ans, c'est possible, mais seulement au titre de la détention provisoire après mise en examen. Mais on ne recourt pas à l'instruction pour des feux de poubelle ou de voiture.

Bref, même si le président du TPE de Bobigny était le dernier des fachos, il lui aurait été bien impossible de mettre en prison les mineurs incendiaires qu'on lui amenait. Le mieux que prévoit la loi, c'est une « comparution à délai rapproché », de quelques semaines puisque des enquêtes préalables doivent être effectuées sur la situation personnelle du mineur, mais il n'y a pas encore de comparution immédiate pour mineurs.

Et là, chers lecteurs, je me tourne vers vous : vous allez rire.

Car qui est justement en train de défendre au Sénat un projet de loi qu'il a concocté et signé, et qui prévoit dans son article 38 la suppression de la comparution à délai rapproché pour y substituer (c'est l'article 38) une nouvelle procédure de « présentation immédiate devant le juge des enfants aux fins de jugement » ? Rhôôô, mais c'est le préfet en chef ! N'est ce pas cocasse comme coïncidence ? Ce serait encore plus drôle si ce texte venait pour être adopté définitivement par le Sénat, mmh... genre aujourd'hui ?

Bref, de la bonne grosse ficelle, bien démagogique pour saucissonner l'électeur en le caressant dans le sens du poil, en disant que tout ça, c'est la faute des juges qui sont des mous, alors qu'il faudrait un homme à poigne à la tête du pays.

Parce que parler de démission de la part des magistrats de Bobigny, c'est de la vraie bêtise. Ils sont confrontés au plus fort taux de délinquance de France, et au plus grand empilement de misère de tout l'hexagone. Toutes les nationalités du monde sont représentées dans leur ressort. Et ils y font face, avec peu de moyen et un palais inadapté, qui ressemble à une usine à gaz. Démissionnaires ? Non : des missionnaires.

Mais ce n'est pas pour ça que c'est d'une profonde bêtise. Que le ministre de l'intérieur saute encore à la gorge des magistrats, si ça l'amuse.

Mais figurez-vous que dans le neuf-trois, le ministre de l'intérieur est très écouté. Chez les sauvageons de novembre, chez les plus violents des délinquants, ceux qui s'estiment en guerre avec la réublique, Sarko, c'est le chef de la bande. Il vient les défier chez eux, les keufs, c'est ses hommes. Bref, c'est l'ennemi. Qu'il parle de racaille ou de kärcher, et la tension monte.

Et là, qu'est ce qu'il vient de lâcher, à la télé ? Que les juges de bobigny ne mettent pas en prison. Qu'ils sont démissionnaires, qu'ils s'en foutent quoi, tu ressors libre à chaque fois.

Le préfet de Seine Saint Denis a totalement raison sur un point dans sa note : le premier facteur de délinquance chez les jeunes, surtout les mineurs, c'est le sentiment d'impunité. Pas l'impunité réelle : il n'y a qu'à voir comme ils sont tout surpris quand ils sont amenés menottés dans le service du juge des enfants. Pas fiers, ça non. Le sentiment d'impunité, la conviction, même erronée, que s'ils sortent pour « foutre la merde », il ne seront pas punis.

Et voilà ce que le ministre vient de leur offrir sur un plateau : la conviction que l'impunité, dans leur département, est un fait avéré, de la bouche même du chef ennemi.

Nicolas Sarkozy, sur ce coup, se conduit en pompier pyromane. C'est de l'inconscience ; si c'est calculé, c'est criminel ; et pour un candidat aux plus hautes fonction, pire qu'un crime, c'est une faute.

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