Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 7 novembre 2006

mardi 7 novembre 2006

Les avocats en grève

Non, ce n'est pas là, l'explication de mon silence de ces derniers jours, qui est plutôt à rechercher du côté de ce billet.

Mon confrère Z'advocate reprend sur son blog (mis à jour encore plus épisodiquement que le mien...) l'historique de la grogne qui gagne le barreau.

Je soutiens ce mouvement, mais sans participation, et vais vous expliquer pourquoi.

Je soutiens, car les indemnités versées au titre de l'aide juridictionnelle sont misérables, et mettent l'avocat face au dilemme de bien défendre à fonds perdus ou de bâcler son travail pour se consacrer aux dossiers solvables. La Chancellerie sait bien que nous opterons toujours pour la première solution, d'où sa faible volonté d'augmenter le montant de ces indemnités.

Là où cela devient insultant, c'est qu'après la grande manifestation de décembre 2000, la Chancellerie s'était engagée à augmenter le montant de l'Unité de Valeur[1] de 5% par an sur 3 ans. Les promesses de l'Etat n'engagent que ceux qui y croient, et rien n'a été fait.

Il faut savoir que dans certains barreaux, comme celui de Bobigny, l'aide juridictionnelle représente l'essentiel des revenus de certains cabinets. Cette stagnation aboutit en fait à une perte de chiffre d'affaire pour des cabinets sur la corde raide. Il ne s'agit pas de payer les traites de la Jaguar, mais du loyer du cabinet.

Aujourd'hui, alors que la grogne monte, que les organisations professionnelles protestent depuis 6 ans et multiplient les interpellations solennelles, la Chancellerie vient d'accorder royalement une augmentation de 6%, soit grosso modo l'inflation sur la période 2000-2006.

Et après ça, nos élus viendront geindre sur l'absence de culture du dialogue social en France.

Donc, nos organisations professionnelles, barreau de Pontoise en tête (en 2000, la grogne était partie de Bobigny et de Lille, si je ne m'abuse), suivi par les organisations nationales (Conseil National du Barreau et Conférence des Bâtonniers) ont donc averti le Garde des Sceaux que si l'Etat ne tenait pas sa parole, les avocats entreprendraient une action collective.

Et voilà qui est fait : la Conférence des Bâtonniers appelle à une grève des activité juridictionnelle les 9 novembre[2] et 16 novembre prochains[3], certains Barreaux comme Créteil ayant déjà commencé une grève des commissions d'office.

Le 18 décembre 2006[4], une manifestation aura lieu à Paris.

Evidemment, ce mouvement a tout mon soutien. J'ai la chance de ne pas dépendre de l'AJ pour vivre, tous mes confrères n'ont pas ce privilège.

Mais je ne ferai pas la grève des activités juridictionnelles, et avec tout le respect que j'éprouve pour mes confrères voisins du Barreau de Créteil, je désapprouve leur grève des commissions d'office.

Le terme grève est d'ailleurs impropre. Nous ne sommes pas salariés de l'Etat, même quand nous travaillons à l'aide juridictionnelle. Refuser de prêter notre concours à la justice est incompatible avec notre devoir d'auxiliaire de justice, mais surtout et pire que tout, elle nuit à nos clients.

Les magistrats soutiennent ce mouvement, dans leur quasi-unanimité. Mais la grève des 9 et 16 novembre, qui se traduira par des demandes de renvoi systématiques, qui seront probablement acceptés, aggraveront l'engorgement des tribunaux qui mettront des mois à résorber le retard pris. Cela retardera l'obtention d'une décision parfois longtemps attendue par nos clients.

Et il existe des contentieux qui ne souffrent pas d'attendre et qui seront jugés en notre absence.

Quelle que soit la légitimité de ce combat, qui ici est indéniable, je ne puis passer par perte et profit, comme dommage collatéral, la salle d'audience du JLD de Créteil d'il y a quelques jours, vide de tout avocat alors qu'une dizaine d'étrangers, certains parlant à peine le Français, allaient voir leur maintien en centre de rétention renouvelé pour quinze jours. Il s'agit de la liberté de personnes : cette cause vaut plus que toutes les disputes sur la revalorisation de l'UV. La loi impose des délais très stricts qui ne permettent aucun renvoi, aucun retard dans la prise de décision. Bien sûr, nous savons tous que ces audiences, particulièrement à Créteil, sont parfois purement symboliques, et que maintien en rétention n'est pas toujours synonyme de privation de liberté (les avocats de Créteil comprendront cette phrase sybilline...). Il n'empêche : le refus d'assister aboutira nécessairement, malgré la meilleure volonté du juge, à ce que l'audience ait lieu, sans avocat. Pour ma part, je m'y refuse, quitte à passer pour un jaune.

Vous l'aurez compris, je ne risque pas d'être élu bâtonnier cette année .

Mais d'un côté nous avons un intérêt professionnel, qui rejaillit certes sur le service public de la justice auquel nous concourrons. De l'autre, nous avons l'intérêt de nos client, et parfois sa liberté, que nous avons juré de défendre. Il n'y a pas photo.

Alors, les 9 et 16 novembre, je plaiderai. Je prie mes confrères de me pardonner. J'espère toutefois que ce billet contribuera à l'information de l'opinion publique, et je pense qu'il le fera plus efficacement que si je restais coi ces deux jours là.

D'ailleurs, chers lecteurs, si vous avez des idées de formes que pourrait prendre une protestation des avocats pour être à la fois visible, voire spectaculaire (nous vivons dans une société médiatique...), sans pour autant faire obstacle à l'exercice de notre ministère, idéalement en pourrissant la vie du Garde des Sceaux, j'ai toute foi dans votre imagination. Vos suggestions sont attendues en commentaire, je les glisserai dans la boîte à idées du bâtonnier.

Notes

[1] L'indemnité est calculée par la multiplication de l'unité de valeur fixée annuellement par la loi de finance à un coefficient associé à chaque type de procédure. Histoire de rendre ça encore plus simple, une légère variation est appliquée en fonction de la taille du barreau. L'UV est d'aujourd'hui d'un peu moins de 20,84 euros HT.

[2] Date à laquelle la revalorisation de l'Aide Juridictionnelle sera examinée en commission à l'assemblée

[3] Date du vote du budget de la Justice

[4] Date anniversaire de la signature du protocole avec la Chancellerie prévoyant 15% d'augmentation sur trois ans

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