Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 15 novembre 2006

mercredi 15 novembre 2006

Corrigeons Le Monde...

Le Monde publie un bref article sur l'arrêt rendu hier par la cour de cassation. Si le factuel est correct, dès que la journaliste s'aventure sur le terrain juridique, on assiste à une succession d'approximations, due à une méconnaissance de la matière juridique hâtivement dissimulée derrière un vocabulaire technique inadapté. Heureusement, je veille.

(…) En France, des évêques s'étaient dits blessés que soit ainsi utilisé "un évènement fondateur de la foi chrétienne". En leur nom, l'association Croyances et libertés avait alors saisi en référé le tribunal de grande instance de Paris et demandé le retrait de l'affiche.

En France, nul ne plaide par procureur. L'association Croyances et Libertés ne représente qu'elle-même et ne peut agir au nom des évêques ou de quelques uns. Cette association agissait ainsi en son nom propre.

Le 10 mars, les magistrats lui donnaient raison et prononçaient une interdiction d'affichage de cette campagne constituant "un acte d'intrusion agressive et gratuite dans le tréfonds des croyances intimes". (…)

Il s'agissait d'une ordonnance de référé, rendue par le président du tribunal de grande instance statuant seul.

Susciter la controverse permet à une marque dont les investissements publicitaires sont limités de bénéficier de retombées médiatiques avantageuses. L'agence Air s'appuyait également sur le triomphe du livre de Dan Brown, le Da Vinci Code, et poussait plus loin la féminisation de La Cène : Jésus et onze de ses disciples devenaient des femmes et l'homme dénudé représentait le double masculin de Marie-Madeleine. Toutefois, Marithé et François Girbaud ne pensaient pas que l'interdiction de l'affichage serait prononcée. La société décida de faire appel. La cour d'appel confirma le jugement. La cour de cassation vient de le casser considérant que cette interdiction allait à l'encontre du principe de la liberté d'expression.

Non, non et non. L'interdiction de l'affichage reposait sur l'injure supposée faite à certaines personnes (les catholiques). La cour casse en soulignant que parodier un événement religieux fût-il fondateur n'est pas une injure, qui suppose une attaque directe et non un froissement des susceptibilités. En encore plus clair, ce que Le Monde aurait pu utilement dire est que la Cour de cassation confirme que le blasphème n'est pas illicite en France.

La cour de cassation ressuscite la liberté d'expression

Alléluia ! La cour de cassation a montré une fois de plus qu'elle était une lectrice attentive de mon blogue et après la rebelle cour d'appel de Montpellier, a retoqué une autre cour d'appel qui avait cru bon de confirmer un tribunal qui avait rendu une décision que je désapprouvais. Et quand en plus, il s'agit du tribunal de grande instance de Paris, d'une décision rendue par son président en personne, confirmée par la cour d'appel de la même ville, comprenez que mon ego en est tout émoustillé.

  • Pour faire bref :

la cour de cassation vient pas plus tard qu'hier de casser la décision qui avait crucifié la campagne de publicité Marithé François Girbaud ayant comme support une photo reconstituant clairement la Cène, où les modèles, tous féminins sauf un, portaient des vêtements de cette marque.

Cette décision est une excellente nouvelle pour la liberté d'expression quand elle touche à la religion, et Dieu sait (s'Il existe) que c'est un sujet sensible en ces temps de caricatures et de menaces sur des enseignants.

D'autant que la cassation est cinglante : c'est pour une violation de la loi, il n'y a pas plus grave dans la hiérarchie des cassations.

  • Pour faire plus long :

Le chemin de croix a commencé ici.

La Passion s'est achevé là.

La résurrection a eu lieu hier (la liberté d'expression ressuscitée a eu la présence d'esprit, une fois sortie du sépulcre, d'apparaître à une de mes taupes), et je m'en fais l'apôtre pour aller annoncer la Bonne Nouvelle.

Voici ce que dit la cour de cassation, avec mes commentaires. Je graisse les passages importants.

Je saute le rappel des faits, mes deux billets y pourvoient amplement.

L'arrêt portait sur trois moyens (c'est à dire trois arguments juridiques soutenant l'illégalité de la décision attaquée). Les deux premiers, sans liens directs avec la liberté d'expression mais portant sur des points de procédure civile, sont rejetés. Je me porte directement au troisième moyen.

Mais sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi de la société GIP et sur le moyen unique du pourvoi de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen :

Tous les étudiants en droit savent que quand un arrêt commence l'examen d'un moyen par le mot "MAIS", c'est que la cour de cassation va casser : l'oreille du juriste se dresse, et son goût du droit est émoustillé. Ici, l'allusion à plusieurs moyens est due au fait que les deux demandeurs à la cassation, la société italienne GIP, propriétaire de la marque de vêtements, et la Ligue des Droits de l'Homme, ont organisé différemment leurs recours, mais soulevait des arguments similaires auxquels la cour répond en même temps.

Vu les articles 29, alinéa 2 , 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l’article 809 du nouveau code de procédure civile, ainsi que 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

Ceci est le visa. La cour indique les textes qu'elle va appliquer. La loi du 29 juillet 1881, que mes lecteurs connaissent bien, est la loi sur la liberté de la presse, qui comme son nom l'indique contient toutes les limitations à la liberté de la presse. Le législateur est facétieux. L'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme garantit la liberté d'expression. La cassation, d'ores et déjà annoncée, va donc être faite au nom des grands principes. Le goût du droit du juriste est à présent en pleine excitation, et désormais il y a plus que son oreille qui se dresse.

La cour va d'abord rappeler comment la cour d'appel a motivé sa décision. C'est donc la cour d'appel qui parle pour la partie que j'ai mis en italique :

Attendu que pour interdire d’afficher la photographie litigieuse en tous lieux publics et sur tous supports et faire injonction de l’interrompre, la cour d’appel a énoncé que cette affiche, dont la recherche esthétique n’était pas contestée, reproduisait à l’évidence la Cène de Jésus-Christ..., que cet événement fondateur du christianisme, lors duquel Jésus-Christ institua le sacrement de l’Eucharistie, faisait incontestablement partie des éléments essentiels de la foi catholique ; que dès lors l’installation de l’affiche litigieuse sous la forme d’une bâche géante sur le passage d’un très grand nombre de personnes, constituait l’utilisation dévoyée, à grande échelle, d’un des principaux symboles de la religion catholique, à des fins publicitaires et commerciales en sorte que l’association Croyances et libertés était bien fondée à soutenir qu’il était fait gravement injure, au sens des articles 29, alinéa 2, et 33, alinéa 3, de la loi susvisée aux sentiments religieux et à la foi des catholiques et que cette représentation outrageante d’un thème sacré détourné par une publicité commerciale leur causait ainsi un trouble manifestement illicite qu’il importait de faire cesser par la mesure sollicitée ; que ladite composition n’avait d’évidence pour objet que de choquer celui qui la découvrait afin de retenir son attention sur la représentation saugrenue de la Cène ainsi travestie, en y ajoutant ostensiblement une attitude équivoque de certains personnages, et ce, au profit de la marque commerciale inscrite au-dessus de ce tableau délibérément provoquant ; que le caractère artistique et l’esthétisme recherchés dans ce visuel publicitaire n’empêchait pas celui-ci de constituer, même si l’institution de l’Eucharistie n’y était pas traitée, un dévoiement caractérisé d’un acte fondateur de la religion chrétienne avec un élément de nudité racoleur, au mépris du caractère sacré de l’instant saisi ....

Fin de la reprise de ce qu'a dit la cour d'appel. La cour de cassation reprend la parole et prononce l'excommunication de cette décision :

Qu’en retenant ainsi l’existence d’un trouble manifestement illicite, quand la seule parodie de la forme donnée à la représentation de la Cène qui n’avait pas pour objectif d’outrager les fidèles de confession catholique, ni de les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience, ne constitue pas l’injure, attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Ca a l'air poli comme ça mais en réalité, c'est cinglant. La cour d'appel, dit la cour de cassation, a violé la loi en qualifiant d'injure ce qui ne l'était pas. En effet, rappelle la cour, l'injure est une attaque personnelle et directe dirigée contre une groupe de personne en raison de leur appartenance religieuse. Afficher en grand : « les pastafariens sont des idiots » est une injure. Mais PAS la reprise parodique d'un symbole religieux ou d'un moment fondateur de la religion dès lors qu'il n'avait pas pour objectif d'outrager les catholiques, ce qui était le cas ici puisque l'objectif de cette représentation parodique était de faire connaître la collection printemps 2005 de la marque MFG.

Et attendu que la Cour de cassation est en mesure de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;

La cour de cassation qui casse une décision est en principe tenue de renvoyer l'affaire devant une autre cour d'appel pour qu'elle satue à nouveau. Mais dans certains cas, ce renvoi n'est pas nécessaire. C'est le cas ici puisque la simple annulation de la décision revient juridiquement exactement au même que si le tribunal avait débouté l'association "Croyance et Liberté" en mars 2005. Reste le fait que cette publicité a dû être enlevée, et que la collection printemps 2005 est maintenant passée, mais ce préjudice découlant d'une action en justice qui n'était pas abusive mais seulement mal fondée n'est pas indemnisable. C'est donc une cassation sans renvoi, l'affaire est close, cette décision est le Jugement Dernier.

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a déclaré recevable l’intervention volontaire de la Ligue des droit de l’homme et du citoyen ainsi que rejeté l’exception de nullité de la procédure présentée par la société GIP, l'arrêt rendu le 8 avril 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Vu l’article 627, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile ; DIT n’y avoir lieu à renvoi ; Déboute l’association Croyances et libertés de sa demande ; Condamne l’association Croyances et libertés aux dépens ; Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes (…)

Ouille. Donc les frais d'avocat restent à la charge de la société GIP. C'est un peu dur pour deux procédures où il s'est avéré qu'elle avait raison. La cour de cassation marque ici à mon avis une désapprobation sur le principe du détournement de l'imagerie religieuse. Vous voulez faire de la pub par de la provocation, c'est votre droit, et je le protège. Mais ne venez pas vous plaindre d'avoir des procès : considérez que ça fait partie du budget publicitaire.

Bah, après tout, avoir trois billets sur mon blogue sur cette campagne de pub, c'est un buzz qui n'a pas de prix, non ?

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