Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 29 novembre 2006

mercredi 29 novembre 2006

De quelques quiproquos

Dans la foulée mon billet d'hier, Gascogne et d'autres lecteurs narraient quelques répliques involontairement amusantes, qui font beaucoup rire les juristes mais pas les justiciables.

Les voici, et, afin de réparer cet injuste partage du rire, avec quelques explications. J'en rajouterai une de mon cru qui m'a collé un formidable fou rire.

Un justiciable à qui il expliquait qu'il était incompétent a essayé de le rassurer du mieux qu'il pouvait "Mais non, ne dites pas ça, je suis sûr que non...".

La première chose que doit faire un juge quand on lui présente une affaire (on dit qu'on le "saisit") est de vérifier qu'il est bien le juge qui a le pouvoir de trancher cette affaire. Ce pouvoir s'appelle la compétence. C'est un principe fondamental, puisque c'est la principale limite au pouvoir des juges. La compétence est double : territoriale d'abord ; un juge n'est compétent que sur un territoire géographique délimité, qu'on appelle un ressort (un juge de Bordeaux ne peut juger une affaire qui a eu lieu à Marseille entre marseillais). Matérielle ensuite : le juge des affaires familiales de Marseille, qui est bien compétent territorialement, ne peut juger cette affaire qui relève du juge répressif. Gascogne, qui est juge d'instruction, se disait incompétent soit parce que les faits n'ont pas eu lieu dans son ressort, soit parce qu'ils ne constituent manifestement pas une infraction. Le justiciable a cru qu'il s'agissait d'une confession d'un magistrat en plein doute sur ses qualités professionnelles et a voulu gentiment le consoler.

Un autre auquel il demandait quelles étaient ses charges m'a répondu : "ben, ma femme...".

Une charge désigne les dépenses mensuelles auxquelles on est tenu de faire face sans pouvoir y échapper : loyer, électricité, eau, remboursement de crédit, pension alimentaire, etc. Un juge doit connaître les ressources et les charges d'un justiciable dans plusieurs circonstances : pour fixer le montant d'une amende, d'une pension alimentaire en les comparant aux ressources et charges de l'autre parent, ou d'une consignation lors du dépôt d'une plainte ou d'un placement sous contrôle judiciaire, ce qu'on appelle abusivement la "caution" dans les séries américaines. Ici, notre justiciable a cru qu'on lui demandait ce qui lui pesait dans sa vie...

Enfin, un juge aux affaires matrimoniales demandant au divorçant :
- Quel est votre régime matrimonial ?
- Euh...Deux fois par semaine, M'sieur l'juge...

Le régime matrimonial désigne les règles qui s'appliquent aux patrimoine des époux à la suite de leur mariage. Il y a la communauté réduite aux acquêts, qui est le plus courant puisqu'il s'applique à défaut de contrat signé devant un notaire préalablement au mariage, qui signifie que tous les biens acquis par les époux du jour du mariage à sa dissolution leur appartiennent à chacun par moitié, peu importe qui les a payé, sauf ce qu'ils reçoivent par héritage ou donation ; la communauté universelle, où tous leurs biens leur appartiennent par moitié, la séparation de bien, où aucun patrimoine commun (qu'on appelle communauté) n'existe, et enfin la participation aux acquêts, qui est une séparation de bien pendant le mariage, et se dissout comme une communauté réduite aux acquêts. C'est le régime des avocats et des notaires, qui seuls peuvent le comprendre.

Je ne pense pas avoir besoin d'expliquer quel sens avait donné le justiciable à cette question.

J'ajoute mon anecdote, entendue dans un greffe de juge aux affaires familiales.

Un époux se présente, après que son divorce a été prononcé. Il souhaite savoir ce qu'il faut faire ensuite.
Question de la greffière : « Vous avez reçu la grosse ? »
Réponse : « Non, ma femme et moi ne nous voyons plus depuis un an. »

Quand un jugement est rendu, il en est fait un exemplaire original qui est revêtu de la formule exécutoire et qui est adressé aux parties. C'est une formule[1] qui ordonne à la force publique d'exécuter ce jugement, et qui permet notamment à un huissier de pratiquer des saisies, et à l'avocat de faire mentionner le divorce en marge de l'acte de mariage. On appelle ce jugement une grosse, car du temps où la justice était manuscrite, il était rédigé en grosses lettres aisément lisibles, tandis que la copie conservée dans le registre du tribunal était écrite en petites lettres pour gagner de la place. On l'appelait la minute, du latin minus, petit. Ainsi, aujourd'hui encore, quand nous recevons une copie certifiée conforme, elle porte la mention "Extrait des minutes du tribunal de grande instance de Paris".

La greffière voulait donc savoir s'il avait reçu l'original du jugement qui seul permet de mentionner la dissolution du mariage sur les registres de l'état civil. Visiblement, l'épouse de ce monsieur souffrait d'embonpoint...

Vous voyez, rien que pour ça, je suis attaché à notre langage abscons.

Notes

[1] « En conséquence, la République Française, mande et ordonne à tous Huissiers de Justice sur ce requis de mettre la dite décision à exécution, aux Procureurs Généraux et aux Procureurs de la République près les Tribunaux de Grande Instance d'y tenir la main, à tous Commandants et Officiers de la Force Publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis. En foi de quoi, la présente décision a été signée par le Président et le Greffier.»

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