Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 7 décembre 2006

jeudi 7 décembre 2006

Soyez le juge des enfants, le délibéré.

Après en avoir délibéré, le juge des enfants a admonesté les deux délinquants, sans ordonner le de liberté surveillée.

Aucune mesure d'indemnisation de la victime ne pouvait être prononcée, celle-ci n'ayant pas formulé de demande. Le juge ne peut statuer que sur ce qu'on lui demande. Les dégâts au scooter étaient vraiment minimes, dus à une petite chute, et tout scooter parisien qui se respecte se couche sur l'asphalte au moins une fois par semestre, on peut donc supposer que la machine avait déjà des cicatrices.

Parmi les nombreux commentaires, celui de Dadouche résume parfaitement la démarche du juge. Et pour cause me direz vous, mais reprendre son commentaire ici me dispense d'expliciter plus avant le sens de la décision du juge, c'est un corrigé parfait.

Nos deux compères sont coupables d'une tentative de vol en réunion, un commencement d'exécution caractérisé par le déplacement du scooter n'ayant été interrompu que par une circonstance indépendante de leur volonté, en l'espèce l'intervention de la police.

Je connais Clitandre, puisque c'est moi qui ai ordonné la mesure d'assistance éducative il y a six mois. Il est aujourd'hui assez renfrogné, mais je note un changement : lors de l'audience d'assistance éducative, il m'avait dit en substance qu'il n'avait pas de problème et qu'il faisait bien ce qu'il voulait. Au moins, là, il réagit quand l'éducateur évoque son père. Ca montre que le travail éducatif entrepris a provoqué un début de quelque chose. Les faits ont été commis juste avant que l'éducateur commence à intervenir et je n'ai pas reçu depuis de nouvelle procédure le concernant. Son apprentissage se déroule plutôt bien, on a trouvé un point d'accroche. Il y a six mois, il posait des gros problème d'absentéisme, aujourd'hui il se lève tous les matins pour aller travailler, même s'il est parfois en retard. Je l'ai aussi déjà vu pour un recel, mais, même s'il s'agit aussi d'un atteinte aux biens, les faits d'aujourd'hui me paraissent avoir une tonalité différente.

Orante m'inquiète un peu plus. Pourtant, l'éducateur qui a suivi la mesure de liberté surveillée préjudicielle me décrit un jeune beaucoup moins sûr de lui qu'aujourd'hui. Son sourire malicieux se fige un peu quand sa mère me dit qu'elle a honte d'être là et se met à pleurer.

Finalement, ce qui me pose le plus de problème, c'est qu'ils ne reconnaissent pas les faits.

Pour bien marquer la différence avec l'assistance éducative, je porte ma robe et au moment d'annoncer ma décision je les fais se lever. Ils se tortillent un peu d'un air gêné, mais les épaules s'affaissent un peu. Je leur demande quelle peine ils pensent que le code pénal prévoit pour les faits dont je les déclare coupables. Orante me dit d'un ton un peu rigolard que ça doit être quelque chose comme 6 mois de prison. Il rigole moins quand je lui dis que la peine maximale prévue est de 5 ans d'emprisonnement. Sa mère étouffe un sanglot et là il ne rigole pas du tout. Je leur explique que je prononce une mesure d'admonestation et je leur "décode" ce terme pour eux un peu ésotérique : c'est une en gros une réprimande, un savon que leur passe l'institution judiciaire pour leur signifier officiellement qu'ils ont violé la loi. >Orante tique un peu quand je lui explique que le propriétaire du scooter en a besoin pour se déplacer et que j'évoque la possibilité que quelqu'un vienne lui prendre sa console de jeux qu'il a l'air de chérir particulièrement. Clitandre regarde le bout de ses baskets. Je leur rappelle que la justice a désormais une trace de leur comportement, en leur montrant le casier judiciaire de Clitandre, qui porte mention de sa précédente condamnation. Je prononce par ailleurs une mesure de liberté surveillée d'un an pour Orante, qui nécessite me semble-t-il un suivi éducatif. Pour Clitandre, j'explique la différence de traitement sur ce point par le suivi dont il bénéficie déjà en assistance éducative et la tournure positive qu'a pris la situation grâce à son apprentissage. Et je lui rappelle que je compte bien ne pas le revoir avant 6 mois, pour la prochaine audience d'assistance éducative. Le tout avec mon ton "mère fouettarde".

Le temps de prononcé de la décision a occupé la moitié du temps d'audience. Peut-être que je les reverrai, peut être pas (comme la grande majorité des mineurs jugés en chambre du conseil). On va voir.

Ce qui m'a frappé dans ce commentaire, moi qui étais à cette audience, c'est que outre que la solution est quasiment la bonne (ce qui tend à montrer que les juges des enfants ont une certaine homogénéité dans leurs décisions, c'est rassurant), ça s'est effectivement passé comme cela dans le cabinet du juge, à deux détails près toutefois : d'abord, le juge n'avait pas mis sa robe, ce qui était une erreur à mon sens, cette admonestation donnée par un adulte en tenue civile (d'un goût douteux, accessoirement), dans un petit bureau encombré, manquait de charge symbolique et de solennité, ce que la robe du magistrat aurait un peu compensé : il s'agit de faire de l'éducatif, et les symboles, ça compte. Ensuite, le juge n'a pas prononcé de liberté surveillée.

Pourquoi ? Il n'a pas pris la peine de l'expliquer aux parties. Pour Orante, c'était en effet manifestement inutile comme faisant doublon avec le suivi par l'aide sociale à l'enfance. Quant à Clitandre, sans doute savait-il que dans son ressort, il y avait trop de libertés surveillées en cours et qu'en rajouter encore les rendraient inefficaces ; ou Clitandre ne lui a pas paru nécessiter une telle mesure... J'opine hélas plutôt pour la première hypothèse.

Le but de ce billet n'est pas de récompenser ceux qui ont prononcé la même peine que le juge, mais de vous confronter à la difficulté du rôle de juge des enfants : des prévenus qui sont plus des têtes à claque que de dangereux barbares, et la nécessité de rendre une décision que la loi permet, alors que beaucoup de commentateurs ont fait preuve d'une imagination certaine pour proposer leurs propres mesures éducatives, certaines supposant une certaine dose de violence physique que la loi interdit absolument.

Le cas d'Orante et Clitandre est assez typique de ce qui passe devant les juges des enfants. Personne n'a proposé de les envoyer en prison pour cela. Il y en a même qui les auraient relaxé, abusés par la plaidoirie de Maître Argatiphontidas, juridiquement inexacte (il y avait bien tentative). D'autres ont refusé de se prononcer, effrayés par la difficulté de la tâche, quand bien même il ne s'agit ici que d'un jeu de rôle. Les juges, eux, n'ont pas cette échappatoire : ils sont obligés de juger.

C'est là l'objet de ces petits jeux : vous mettre tant que faire se peut en situation. La réalité n'est pas aussi simple que le voudraient ces temps de campagne électorale, propices à la simplification abusive. J'espère vous avoir fourni des éléments de réflexion.

L'audience est levée.

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