Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 8 décembre 2006

vendredi 8 décembre 2006

Et pendant ce temps, le législateur...

J'avais abordé dans un précédent billet les projets de loi sur la réforme de la justice. Mon pessimisme naturel m'avait alors poussé à dire

Je vais la présenter plutôt succinctement, pour une raison simple : elle ne verra pas le jour. (…) le calendrier parlementaire est de toutes façons tellement rempli qu'il est impossible de faire passer deux lois ordinaires supplémentaires, sans compter une loi organique, d'ici le 19 juin 2007[1], date à laquelle la 12e législature prendra fin. Je ne pense pas que l'urgence soit déclarée pour éviter deux lectures avant une commission mixte paritaire. Comme il est de coutume que tous les textes non adoptés soient balancés à la poubelle pour faire table rase du passé, ce projet de loi est donc un hochet médiatique. Il suscite donc chez moi un intérêt proportionnel.

Las, mon pessimisme était trop optimiste. Le projet de loi est bien en discussion, puisqu'il a été inséré aux forceps dans l'agenda parlementaire. A la décharge des députés, la charge de travail, le manque de sommeil qui en découle et la précipitation imposée parle gouvernement peuvent expliquer certaines idées, disons... curieuses. Mais quand même.

Rappelons que le projet de loi se veut directement inspiré par l'affaire d'Outreau. Je cite l'exposé des motifs de la loi, deuxième et troisième paragraphes :

Les dramatiques dysfonctionnements de l’institution judiciaire lors de l’affaire Outreau ont mis en évidence l’impérieuse nécessité d’améliorer de façon substantielle le déroulement de notre procédure pénale.

S’il n’est pas envisageable de procéder dès maintenant à une réforme de notre procédure d’une aussi grande ampleur que celle préconisée par le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, des modifications très significatives et qui font l’objet d’un consensus peuvent toutefois être réalisées sans tarder, afin de supprimer les causes les plus flagrantes de ces dysfonctionnements.

Fort bien. Pas de réforme en profondeur qui nécessite temps, réflexion et concertation, mais il s'agit de remédier tout de suite aux défauts de la procédure révélés par cette affaire, notamment un certain déséquilibre au détriment des personnes poursuivies, dues peut être aux dix lois répressives qu'a votées cette même assemblée ?

Alors, quels sont les causes les plus flagrantes de ces dysfonctionnement sur lequel la commission des lois qui vient d'achever l'examen du texte a découvert un consensus ?

  • La modification du serment des magistrats.

A ce jour, les auditeurs de justice[2] prenant leurs fonction de magistrat prêtent le serment suivant :

Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat.

Comme on le voit tout de suite, l'affaire d'Outreau commence avec ce serment manifestement mal rédigé. Ha ! Si le juge d'instruction de Boulogne Sur Mer avait plutôt prêté ce serment :

Je jure de me comporter en tout comme un digne et loyal magistrat, impartial, libre, intègre, diligent, respectueux de la loi, des droits de toutes les parties, du secret professionnel et du devoir de réserve.

Bon, passons sur le fait que les droits des parties, le secret professionnel et le devoir de réserve résultant de la loi, il y a redondance à les citer en plus du respect de la loi. Ces subtilités ne peuvent qu'échapper au législateur : qu'est ce qu'il y connaît, à la loi ?

Car la commission des lois a trouvé encore mieux.

  • L'échevinage en matière correctionnelle.

Désormais, les tribunaux correctionnels, composés en principe de trois juges professionnels, principe qui connaît moult exceptions, tant un nombre important de délits peut être jugé par un juge unique, seront composés d'un juge président le tribunal et de deux citoyens tirés au sort sur les listes des jurés.

On croit rêver, et la suite le confirme, quand on voit avec quelle conviction le député Alain Marsaud (pourtant ancien magistrat) défend son amendement :

M. Alain Marsaud a reconnu que son amendement constituait d’abord un appel pour lancer la réflexion et que son adoption nécessiterait de nombreuses coordinations dans le code de procédure pénale. Par ailleurs, il a indiqué qu’une jurisprudence constitutionnelle, au demeurant discutable, posait le principe d’une présence majoritaire de magistrats professionnels dans la composition des tribunaux correctionnels, condition à laquelle ne satisfait pas l’amendement.

En clair : je dis ça mais c'est histoire de causer, de toutes façons, c'est contraire à la constitution.

Le président de la commission ne cache pas son enthousiasme :

Le président Philippe Houillon a rappelé que l’adoption de l’amendement entraînerait des conséquences considérables qu’il fallait avoir à l’esprit avant de se lancer imprudemment dans cette voie.

Et que croyez-vous qu'il arriva ?

La Commission a adopté l’amendement.

Rappelons que l'affaire d'Outreau n'a jamais relevé de la juridiction correctionnelle, qui juge les délits (infractions passibles de peines de prison pouvant aller jusqu'à 10 ans ou d'amendes supérieures à 1500 euros), mais de la juridiction criminelle, la cour d'assises ; et que la présence de neuf citoyens jurés n'a pas empêché sept des accusés innocentés d'être condamnés par la cour d'assises de Saint Omer. On est donc très loin des réformes consensuelles et urgentes induites par cette affaire.

Vous me direz, le fait d'adopter des lois inutiles n'a jamais effrayé l'assemblée, même en cas d'agenda surchargé.

Cela semble même stimuler l'imagination des députés, puisque certains d'entre eux ont eu le temps de déposer cette proposition de loi (qui, elle, n'a strictement aucune chance d'être adoptée), prévoyant le droit pour tout parlementaire de se constituer partie civile pour les délits d'outrage à l'hymne national et au drapeau national pendant une manifestation, et incidemment de percevoir à titre personnel les dommages-intérêts, il n'y a pas de petit profit, et créant une nouvelle infraction, qui est le plus bel attentat à la liberté d'expression depuis la proposition scélérate déposée par Eric Raoult visant à interdire la banalisation du blasphème religieux par voie de caricature, infraction intitulée "Atteinte à la dignité de la France" et ainsi rédigée :

Constitue une atteinte à la dignité de la France toute insulte, toute manifestation de haine publiée, mise en ligne sur Internet, télévisée ou radiodiffusée, proférée à l’encontre du pays, de ses personnages historiques, des dépositaires de l’autorité publique ou de ses institutions.

Constitue une atteinte à la dignité de la France le détournement du drapeau national.

L’atteinte à la dignité de la France est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

Ainsi, dire "Le Maréchal Pétain était une ordure" pourrait valoir trois années d'emprisonnement...

Evidemment, comme le commente Paxatagore,

On peut s'interroger, en strict droit pénal, sur la conformité de cette nouvelle infraction à la convention européenne des droits de l'Homme.

Se poser la question, c'est y répondre, à mon sens.

Ainsi, voilà les leçons que nos députés tirent de l'affaire d'Outreau : - Réécrire le serment des magistrats ; - des tribunaux correctionnels participatifs, c'est à la mode. Les magistrats peuvent se tromper, le peuple, lui, jamais ; - protéger la dignité de la France, contre ceux qui osent en dire du mal.

Au-delà du rire qui est impératif comme arme contre le désespoir à lire cela, le fil conducteur est hélas évident.

Réécrire un serment, instaurer des jurés correctionnels, créer des nouvelles infractions car on n'en a jamais assez, ça ne coûte rien (un juré est payé bien moins cher qu'un magistrat). Ca permet de parader en disant : "regardez, je réforme !" en évitant par dessus tout la Réforme Interdite : doter la justice du budget dont elle a besoin pour remplir correctement sa mission. Les candidats à l'élection otn d'ailleurs bien appris leur leçon. Interrogés sur la question, tous répondent invariablement le même couplet : « Ce n'est pas qu'une question de moyens. Il faut réformer, simplifier, moderniser, ...»

Ce ,'est pas qu'une question de moyens, je veux bien l'admettre. Mais s'agissant de réformer, je crois que là on verse dans l'excès. Pour ne pas dire le ridicule.

Notes

[1] En fait, c'est le 22 février que les travaux vont cesser, les députés repartant dès lors en campagne dans leur circonscription.

[2] Titre des élèves magistrats

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