Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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janvier 2007

mercredi 31 janvier 2007

La récusation des jurés

Beaucoup de lecteurs m'ont interrogé, que ce soit à la suite de mon vademecum du juré d'assises, ou lors de billets précédents, sur cette curiosité procédurale qu'est la récusation des jurés. Tout le monde ou presque a vu un jour un feuilleton, téléfilm ou film montrant aux Etats-Unis la longue et minutieuse constitution d'un jury, où les jurés potentiels sont interrogés par les deux parties puis agréés ou non.

En France, il en va différemment, et la récusation est un terrible casse-tête, et disons le tout de gob, le royaume inexpugnable de l'arbitraire et du délit de sale gueule.

Nous recevons donc très peu de temps avant le procès (au plus tard l'avant-veille) la liste des 62 jurés (40+12). Elle n'est pas alphabétique mais par ordre de tirage, et mentionne le nom, les prénoms, la date et le lieu de naissance du juré ainsi que sa profession telle qu'il l'a déclarée. C'est tout.

Nous la parcourons attentivement afin de repérer les jurés qui apparemment risqueraient d'avoir un préjugé défavorable à notre client. Mais chaque fois, je ne peux m'empêcher de penser à ce que racontait Robert Badinter (était-ce dans l'Exécution ? Je n'ai pas retrouvé le passage) lors du procès de Bontems.

Il devait défendre Roger Bontems, aux côtés de Claude Buffet. Ceux-ci, détenus à la Centrale de Clairvaux, s'étaient mutinés et avaient pris en otage un gardien et une infirmière. Buffet les avait tous deux tués dans des conditions sordides, Bontems n'étant que présent, et accusé de complicité.

Dans la liste des jurés se trouvait une infirmière. Il prit le parti de la récuser si elle était tirée au sort, craignant une identification à la victime poussant à la sévérité.

Le jour de l'audience, elle fut tirée au sort, et conformément à sa résolution, la récusa.

Lors d'une suspension d'audience, elle vint le voir pour lui demander pourquoi il l'avait récusé, et lui révéla qu'elle faisait partie du comité départemental de la ligue des droits de l'homme et militait activement contre la peine de mort.

Rappelons que Roger Bontems fut condamné à mort et guillotiné.

Nous établissons donc une liste des jurés où une hésitation existe.

Le jour de l'audience, nous profitons du laps de temps entre l'ouverture des portes et la formation du jury pour examiner discrètement les jurés sans donner l'impression de les dévisager. Les grandes assises à Paris, où les avocats sont assis perpendiculairement à l'axe de la salle, permettent de se livrer à cet exercice sans trop de difficulté, les troisièmes assises encore mieux, la salle étant plus petite ; les petites assises, par contre, nous font tourner le dos au public, et l'exercice est plus délicat. Nous nous accoudons nonchalamment au box des accusés pour cela.

Nous ne savons pas qui est qui, les seul détails nous permettant d'identifier éventuellement un juré est le sexe et l'âge (une fois un juré avait 82 ans, il était facile à repérer). Là, nous établissons mentalement une deuxième liste des jurés douteux, basée uniquement sur les apparences. Les alcooliques sont faciles à identifier avec la couperose sur les joues et le nez, ou les manifestement dépressifs (je me souviens d'une jurée vêtue tout de noir, avec des lunettes de soleil alors que nous étions en janvier, se déplaçant au ralenti sous l'effet de calmants ; l'avocat général ne m'a pas laissé le temps d'ouvrir la bouche qu'il l'avait déjà récusée). Après ça, c'est une question de goût. Pour ma part, fort de la jurisprudence Badinter, je ne retiens que ceux posant le plus manifestement un problème.

Puis, le tirage au sort commence. Là, ça va très vite.

"Juré numéro X, Monsieur Y (ou Madame Z) !"

Les têtes se tournent vers la salle, vers celui qui se lève. Il prend son manteau, s'excuse auprès de ceux qui le sépare de la travée centrale, s'y engage, passe au niveau des avocats et de l'avocat général. C'est là que la récusation a lieu, habituellement.

C'est un simple "Récusé !" qui scelle le sort du juré. Le président met les formes : "Monsieur (ou Madame), vous êtes récusé. Nous vous remercions d'être venu, vous êtes libéré pour la durée de cette affaire. Merci de revenir jeudi à 9 heures précises. Vous pouvez rester dans la salle ou rentrer chez vous si vous le souhaitez."

Il y a bien des histoires qui circulent, tel cet avocat qui expliquaient qu'il récusait toujours le premier juré tiré au sort d'un ton féroce, avant de sourire aimablement à tous les suivants, afin qu'ils se sentissent "ses invités".

Les présidents d'assises avec qui nous discutons nous disent tous de toutes façons que tel juré que l'on croit faible et influençable peut se révéler un Démosthène dans la salle des délibérations, tandis que tel autre colosse à la bedaine rebondie a une voix toute fluette et ose à peine s'exprimer.

Dans ces conditions, pour ma part, je respecte le hasard, sauf pour quelques cas ou vraiment il est évident qu'on a affaire à un juré qui serait partial, mais dans ce cas, le ministère public a tôt fait d'intervenir lui aussi. Je ferais peut être une exception si un juré figurant sur ma première liste établie au cabinet figure aussi parmi les jurés dont le comportement me paraît bizarre, mais ça ne m'est jamais arrivé.

Je n'ai jamais constaté qu'un avocat général cherchait avec ses quatre récusations à former un jury plus favorable à l'accusation. Avec quelle science le ferait-il d'ailleurs ? Le ministère d'avocat est déjà assez lourd à porter pour qu'en plus nous jouassions les aruspices. Je n'accorde aucune foi à l'idée reçue qui veut qu'en cas de viol, un jury féminin soit plus enclin à la répression. Les femmes ne se font aucun cadeau entre elles, et j'ai déjà vu des jurés majoritairement féminin, qui plus est avec des cours majoritairement féminines, acquitter au bénéfice du doute.

De fait, je ne pense pas que l'âge, le sexe ou même la profession, qui est l'indice le plus révélateur à mon sens que nous ayons, soient des critères suffisants pour estimer la valeur d'un juré. Leur expérience, leur vécu sont bien plus importants, et ça, nous n'avons aucun moyen de le savoir. Ce chef d'entreprise au look versaillais tendance Villiers vous paraît avoir tendance à penser que la victime du viol qui va être jugé a sans doute un peu cherché les ennuis en se rendant un samedi soir chez son copain en sachant que que les parents de celui-ci étaient absents ? Pas de bol, sa fille a été violée dans les mêmes circonstances il y a quelques années.

Donc, dans le doute, je ne récuse pas. Ainsi, si le jury est mauvais pour mon client, je peux blâmer le sort, mais pas moi. Et les règles de vote sur la culpabilité tempèrent la sévérité de tel ou tel juré. De plus, la solennité de l'audience et la méticulosité avec laquelle faits et personnalité de l'accusé sont abordés fait bien plus pour museler les enragés que l'intuition irrationnelle qui reposerait sur tel ou tel délit de faciès.

Il ne faut pas attribuer des vertus thaumaturgiques au droit de récusation. C'est tout le contraire : c'est la consécration légale d'une superstition irrationnelle qui veut que le destin existe et qu'il faut pouvoir le conjurer. Sa justification est aussi de pur ordre pratique : plutôt que de laisser des débats s'engager sur l'opportunité d'écarter tel ou tel juré, débats qui seraient vexants pour le juré et remettraient en cause son impartialité ("Monsieur le président, le juré numéro 17 a de toute évidence fumé un joint avant de venir !"), la loi permet aux deux parties d'écarter un certain nombre de jurés, discrétionnairement et sans discussion possible. Cela coupe l'herbe sous le pied de la défense qui voudrait former un pourvoi contestant l'impartialité du jury en raison de sa composition : après tout, la défense pouvait récuser, qu'elle ne vienne pas se plaindre après coup.

De même, quel avocat ne s'est jamais dit, au cours des débats, où l'on peut observer à loisir le comportement des jurés, "Mais pourquoi diable n'ai je pas récusé ce juré ?".

Ce droit est aussi une malédiction.

vendredi 26 janvier 2007

Réflexions sur ce début de campagne

A présent que les principaux candidats se sont déclarés, la campagne présidentielle a débuté, quand bien même la campagne électorale au sens strict du code électoral ne dure que les 15 jours précédant le scrutin.

C'est une banalité de dire que cette campagne se jouera également sur internet, et notamment sur les blogs étiquetés « influents », c'est à dire en fait les plus fréquentés. Dictature de l'audimat, quand tu nous tiens...

Avec mes confrères de Lieu-Commun, avec qui cette réflexion est née, j'estime pouvoir tirer un premier constat de ce début de campagne, et c'est peu dire qu'il est calamiteux, mais prévisiblement calamiteux.

L'internet en général, et les blogues plus spécifiquement, qui ont vocation et la capacité d'être un espace de discussion et de débat, sont manifestement en train d'être parasités par des colporteurs de ragots et ce que j'appellerai des « colleurs d'affiche », c'est à dire des personnes écumant blogues et forums pour copier-coller des argumentaires tout faits, sans aucun respect ni pour le rédacteur du billet, ni pour les autres commentateurs qui, eux, tentent d'engager une discussion, fût-ce parfois en termes un peu vifs. Cette dérive me déplaît profondément. Parce que d'une part elle montre le pire de ce que peut être l'internet alors que je ne désespère pas qu'il ressorte de cette campagne le meilleur, et d'autre part parce qu'elle génère ce que je qualifierais de la pollution numérique.

Du coup, je m'interroge. Et rien ne me plaît davantage que de m'interroger à haute voix en sollicitant les opinions de mes lecteurs, j'entends par là ceux qui attendent d'avoir lu le billet et éventuellement les commentaires précédents pour exprimer leur propre opinion.

Face à ce phénomène, que faire ? Car il est hors de question de laisser faire au prétexte un brin démagogique que l'internet c'est la liberté, et que la liberté implique de tout supporter. La liberté n'est pas le chaos, ni le règne de celui qui crie le plus fort, ou en l'occurrence qui copie-colle le plus vite, ou alors les robots spammeurs sont les rois des blogueurs.

Je ne veux pas modérer a priori les commentaires. Cela m'imposerait de les valider un par un, et essoufflerait considérablement les discussions parfois très intéressantes qui peuvent émerger en commentaires.

Par contre, je pense pratiquer intensément la suppression a posteriori. Je prendrai pour cela le temps nécessaire, mais ce temps sera malheureusement pris au détriment de la rédaction des billets, mon emploi du temps n'étant pas extensible à l'infini.

Et je vais donc devoir dans les semaines qui viennent, du moins dans les billets où j'aborderai le thème de cette campagne, faire preuve d'une sévérité proche de l'intransigeance. Ainsi, je supprimerai systématiquement les commentaires qui ne sont manifestement que des copier-coller des « colleurs d'affiches », ce qui sera établi par le fait que le même commentaire à la virgule près peut être visible sur un autre blogue, voire a déjà été posté (auquel cas, les deux commentaires seront supprimés).

Afin d'appliquer une certaine transparence, je n'effacerai pas purement et simplement ces commentaires, mais laisserai juste entre crochets une brève mention expliquant les causes de cette suppression. Je précise que cette suppression n'est pas définitive. Les textes des commentaires concernés sont conservés, et la suppression est tout à fait réversible si leur auteur se manifeste auprès de moi pour m'expliquer en quoi mon courroux n'était pas justifié. J'en profite pour préciser que toute explication discourtoise ou irrespectueuse sera réputée justifier la suppression du dit commentaire.

Voici les mesures que je prends à titre provisoire, et les quelques balises que je pose, mais suis intéressé par votre propre opinion sur le sujet. Dois-je réserver au nouveau site de Lieu-Commun l'intégralité de mes billets parlant politique ? Dois-je m'imposer désormais d'ignorer les attaques ponctuelles qui vont immanquablement continuer à sortir, y compris celles où je peux apporter des précisions juridiques pour les combattre (comme l'affaire de la SCI) ou au contraire expliquer en quoi elles sont éventuellement fondées, comme je l'ai fait pour l'annonce de la loi sur les femmes battues ? Je vous propose que nous essayons ensemble de fixer les règles applicables pour les mois à venir.

Toujours est-il qu'il est un point que je refuse, c'est de boycotter le thème de cette campagne présidentielle et de faire comme si elle n'existait pas. Cette élection, et les élections générales qui la suivront, sont un moment trop important pour notre république pour nous en désintéresser. Toute campagne dans une démocratie moderne a une forte tendance à se porter plus sur les attaques personnelles et les coups bas que sur les grands débats d'idées. Voyez par exemple comment cela se passe aux Etats-Unis, et c'est malheureusement un mal inévitable.

Il faut prendre la démocratie telle qu'elle est, en essayant de la changer dans la mesure de nos modestes moyens, plutôt que de la condamner sous prétexte qu'elle ne serait pas parfaite.

mercredi 24 janvier 2007

Lieu-commun 2.0

Je l'avais annoncé, 2007 sera une année de changements. Après mon nom de domaine http://maitre-eolas.fr, c'est Lieu-commun qui fait sa mue de printemps.

Lieu-commun

Lieu-Commun, pour ceux qui ne connaissent pas, est la réunion informelle de blogueurs de divers horizons politiques et professionnels et d'âges variés (je pense que notre doyen pourrait être le père de notre benjamin), mus par un intérêt commun envers la chose publique et une estime réciproque, nonobstant la diversité de nos points de vue. Notre petit groupe s'est récemment agrandi à 19 : il est temps d'approfondir.

Juristes, économistes, professeurs, étudiants, avocats, magistrats, fonctionnaires, communiquants, salariés, travailleurs indépendants, socialistes, libéraux, catholiques, protestants, agnostiques, nous avons même des Suisses et un noniste (en sommeil, mais il n'est pas le seul de sa catégorie...), c'est vous dire l'hétérogénéité du groupe qui, nous l'espérons, donne une richesse de points de vue.

Vous trouverez la liste des Lieu-Communs (j'insiste sur le tiret) sur le site, rubrique "partenaires", de même qu'un lien vers leurs blogs respectifs et une brève présentation.

Outre l'agrégateur des derniers billets de mes collègues de Lieu Commun, qui désormais s'affichera beaucoup plus rapidement, et qui occupe la colonne de droite, un espace est prévu pour des billets rédigés à plusieurs mains (je n'ose dire participatifs), ou sortant des domaines habituels de nos blogues respectifs. Le blogue où vous êtes pourra ainsi garder un ton plus juridique et judiciaire, les débats plus politiques étant les bienvenus dans ce forum collectif.

Un podcast que nous espérons régulier fera aussi son apparition, qui réunira certains d'entre nous sur le modèle de l'émission l'Esprit Public brillamment présentée par Philippe Meyer sur France Culture : deux ou trois thèmes d'actualité sont débattus par les divers intervenants, puis chacun conclut par une brève où il mentionne un fait malheureusement passé inaperçu qui mériterait plus d'attention, cite une lecture qu'il ou un blogue digne d'intérêt.

Je rends hommage à Jules, de Diner's Room, à l'origine de cette initiative, qui est également maître d'oeuvre de cette mutation.

mardi 23 janvier 2007

Faut-il revoter la loi du 4 avril 2006 ?

Des lecteurs m'ont signalé, sans arrière pensée de leur part, je n'en doute pas, que Ségolène Royal a à nouveau déclaré que l'une des premières réformes qu'elle mettrait en chantier, fût-elle élu à la présidence de la République ET dotée d'une majorité conforme aux élections générales de juin prochain, serait une réforme visant à protéger les femmes victimes de violences et prévoyant notamment l'éloignement immédiat du conjoint violent du domicile conjugal, laissant celui-ci à la disposition de la victime.

Je me souviens que cette proposition avait déjà été formulée il y a quelques temps, et j'avais mis cette annonce sur le compte d'une mauvaise préparation. Errare humanum est.

Mais perseverare diabolicum. Elle a itéré ces propos lors de l'émission Dimanche +, sur le canal éponyme, diffusé le jour éponyme. Merveille de l'internet, ces propos peuvent être ouïs sur Dailymotion.

Là, je tique.

En effet, une loi n°2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a été adoptée par le parlement et est entrée en vigueur le 6 avril dernier. L'article 12 de cette loi a modifié un mécanisme instauré par l'article 35 de la loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales qui me semble, sauf à ce que j'aie mal compris, correspondre à la réforme annoncée par la candidate socialiste.

Ce mécanisme est le suivant :

Hypothèse de travail : une infraction est commise par le conjoint, le partenaire d'un PaCS ou un simple concubin de la victime. La loi ne restreint pas son champ d'application aux seules violences. Les faits étant portés à la connaissance de la police, celle-ci interpelle l'auteur présumé et le place en garde à vue selon la procédure de droit commun. Le procureur est immédiatement informé de la mesure.

Le procureur peut, dès le stade de la garde à vue et avant même de prendre une décision sur l'exercice ou non de poursuites pénales, ordonner (la loi dit demander, mais on ne dit jamais non à un procureur quand on est en garde à vue) que l'auteur réside hors du domicile commun et s'abstienne d'y paraître ainsi que dans les abords immédiats. Cette mesure (que j'appellerai désormais "interdiction de paraître", breviatis causa) suspend la prescription de l'action publique (c'est à dire le délai dans lequel le procureur peut déclencher les poursuites, qui est de trois ans à compter des faits). Il peut y ajouter une obligation de traitement, utile dans le cas où les violences sont dues à un état alcoolique ou toxique chronique, ou à une tendance à la violence. Cette loi pose problème d'ailleurs car elle s'inscrit dans le cadre des mesures alternatives aux poursuites. Or les mesures qui existaient jusqu'à présent étaient par nature limitée dans le temps : il s'agissait d'un simple rappel à la loi instantané, d'une invitation à régulariser la situation illicite, d'indemniser la victime de suivre une formation, ou de procéder à une médiation si la victime est d'accord. Là, il s'agit d'une mesure d'interdiction, restrictive de liberté (une portion du territoire national lui est interdite) et illimitée dans le temps tant que le procureur n'aura pas pris de décision de poursuite ou de classement. La loi ne prévoit aucun délai maximum dans lequel le procureur devra classer le dossier, et la prescription est suspendue. Potentiellement, si le parquet est peu diligent et oublie le dossier, cette interdiction peut donc durer toute la vie de l'auteur présumé des faits, sans qu'il soit jamais jugé, bref, sans qu'on soit certain qu'il est bien l'auteur des faits. Mise à jour : on me signale que le délai de six mois prévu par un autre alinéa du même article du Code de procédure pénale s'applique aussi à cette mesure, qui ne peut donc dépasser cette durée. Source : article 41-1, 6° du Code de procédure pénale.

Le procureur peut également, au titre de la composition pénale, imposer une telle interdiction à l'auteur des faits. La composition pénale, elle, éteint l'action publique (c'est à dire ne permet plus au procureur d'exercer des poursuites) quand les obligations sont respectées et que la composition est validée par le président du tribunal.

Enfin, la même interdiction peut être imposée au titre du contrôle judiciaire par un juge d'instruction ou un juge des libertés et de la détention (mesure provisoire pouvant être rapportée à tout moment, et durant jusqu'à ce que l'affaire soit jugée ou bénéficie d'un non lieu), ou par un tribunal à titre de mise à l'épreuve assortissant une condamnation avec sursis, pour une durée de trois ans maximum.

Illustrons cet exposé de droit pur par des exemples.

1 : Lionel est en garde à vue pour avoir frappé Marie-Georges. Après avoir vécu ensemble de 1997 à 2002, ils se sont séparés et leurs relations sont depuis tumultueuses. Lionel est en garde à vue. Le procureur, estimant les faits peu graves, fait notifier à Lionel l'interdiction de paraître à proximité du domicile de Marie-Georges, place du Colonel Fabien dans le 19e. Six mois plus tard, aucune autre plainte n'ayant eu lieu, et le cas échéant après avoir pris contact avec les policiers ayant traité l'affaire pour s'assurer que le calme régnait à nouveau, il classe le dossier sans suite. En cas de nouvel incident, il a trois ans pour ressortir le dossier et engager des poursuites pour ces faits.

2 : Dominique est en garde à vue pour avoir frappé Michèle qu'il accuse de l'avoir fait cocu avec Nicolas. Le procureur décide de recourir à une médiation pénale, Michèle ayant donné son accord car elle souhaite une réconciliation "dans l'intérêt de toute la famille". Les deux sont convoqués par un délégué du procureur, qui impose une résidence séparée à Monsieur hors de leur résidence commune, rue de Varenne dans le 7e, une obligation de soin pour calmer ses accès de colère incontrôlables dès qu'on lui parle de ce Nicolas, et une mesure de réparation à l'égard de Michèle. Les deux parties étant d'accord, la composition est soumise au président du tribunal pour validation, et les poursuites sont éteintes, tant que les obligations sont respectées. Au bout de trois ans, de facto, la mesure d'interdiction de paraître est caduque du fait de la prescription de l'action publique.

3 : José est en garde à vue pour avoir agressé Clémentine armé d'une faucille et d'un marteau. Clémentine affirme qu'elle vit un véritable harcèlement par José qui veut lui faire faire des trucs à plusieurs. Les faits sont graves (il y a agression avec une arme), José a un casier judiciaire pour des destructions de biens en réunion, et a déjà fait de la prison. José nie les faits, et les armes n'ont pas été retrouvées, il ne peut le faire passer en comparution immédiate. Il décide de requérir l'ouverture d'une instruction. José est déféré au Palais, et présenté au juge d'instruction, qui le met en examen, et le place sous contrôle judiciaire avec l'interdiction de paraître. Autre hypothèse : le juge saisit le juge des libertés et de la détention pour un placement en détention provisoire, mais le JLD décide de le placer simplement sous contrôle judiciaire avec interdiction de paraître.

4 : Jacques est poursuivi pour avoir frappé Bernadette à coup de pièces jaunes. Le procureur cite Jacques devant le tribunal correctionnel. Comme il ne peut faire juger Jacques avant la fin du mois de mai, il le fait déférer, le cite par procès verbal et saisit le JLD aux fins de placement sous contrôle judiciaire (cf. exemple n°3). Fin mai, le tribunal condamne Jacques à une peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, et prononce l'interdiction de paraître pour une durée de trois ans.

Pour en revenir à notre récidiviste de la réforme, on peut la blâmer de ne pas mettre ses fiches à jour. Mais au-delà de cette candidate, encore une fois, nous avons une illustration de la manie névrotique en politique française des effets d'annonce.

Ce dispositif a été mis en place une première fois par une loi du 12 décembre 2005. Moins de quatre mois plus tard, le 4 avril 2006, une nouvelle loi venait le modifier. Et huit mois plus tard, une candidate à l'élection présidentielle, parlementaire de surcroît, membre de la commission des lois de surcroît², annonce comme priorité une fois élue de faire voter à nouveau un dispositif similaire. Il est vrai qu'elle était absente de chacune des séances de discussion des deux lois concernées, mais l'ignorance de l'existence de ces deux réformes de moins d'un an est-elle une excuse ?

La lutte contre les violences conjugales mériterait un peu mieux que ce triste cirque.

vendredi 19 janvier 2007

Prix Busiris pour Alberto Gonzales

Et quel prix Busiris, mes aïeux ! Il efface à lui tout seul les précédents récipiendaires ! C'est à l'unanimité au premier tour de scrutin que le prix est attribué à Alberto Gonzales, U.S. Attorney General, c'est à dire ministre de la justice des Etats-Unis, par acclamations, et avec mention "Admiration hystérique du jury proche de la pâmoison".

(Alberto Gonzales, photo U.S. Department Of Justice)

Monsieur Gonzales était entendu hier par une commission sénatoriale piquée par la curiosité sur de bien cocasses pratiques qu'aurait eu l'Administration[1] en place, notamment sur une controverse relative l'Habeas Corpus de certains prisonniers.

L'Habeas Corpus est une vieille loi anglaise, qui a été fixée par écrit en 1649, mais remonte aussi loin que le XIIe siècle, qui pose des garanties à toute personne emprisonnée de pouvoir contester son emprisonnement devant une cour supérieure à celle qui l'a ordonné, en dernier ressort devant le roi. Habeas corpus sont les premiers mots de l'ordre donné par le juge au geôlier de lui amener le prisonnier pour qu'il l'entende (habeas corpus ad subjiciendum et recipiendum : "Aie la personne du prisonnier avec toi en te présentant à la cour pour qu'il soit entendu"). Aujourd'hui, cela s'entend du droit de toute personne incarcérée de porter devant un juge la contestation de son incarcération.

La Constitution américaine le cite expressément, et pas dans le Bill Of Rights, la déclaration des droits, composée des amendements 1 à 10, adoptés en 1791 peu de temps après la Constitution, mais dans le corps même de la Constitution :

Article 1, section 9, alinéa 2 : Le privilège de l'ordonnance d'habeas corpus ne pourra être suspendu, sauf dans les cas de rébellion ou d'invasion, où la sécurité publique pourrait l'exiger.

On pourrait donc croire qu'il est bien protégé. De fait, il n'a été suspendu que deux fois : Par Lincoln durant la guerre de Sécession, et par Grant en 1870 (Tiens ? Deux Républicains...) dans le cadre de la lutte contre le Ku Klux Klan.

En tout cas, il n'est pas à l'abri de l'imagination de Monsieur Gonzales, qui a osé tenir ces propos devant la commission sénatoriale (traduction de votre serviteur), en réponse à une question du sénateur Arlen Specter (Républicain, Pennsylvanie) :

Il n'y a pas de garantie expresse d'Habeas [corpus] dans la Constitution ; il y a une interdiction de le suspendre.

On imagine la surprise de l'honorable Congressman.

Attendez une minute : la Constitution dit que l'on ne peut pas le suspendre sauf en cas de rébellion ou d'invasion. Cela ne signifie-t-il pas que vous avez le droit d'Habeas Corpus à moins qu'il ne se produise une rébellion ou une invasion ?

Réponse de l'Attorney General :

La Constitution ne dit pas que tout individu aux Etats-Unis ou tout citoyen se voit accorder ou garantir le droit d'Habeas Corpus. Elle ne dit pas cela. Elle dit simplement que ce droit ne peut pas être suspendu sauf en cas de rébellion ou d'invasion.

Admirons la réserve de la réplique du Sénateur Specter :

J'ai l'impression que vous violez votre interdiction d'outrager l'intelligence.

Je vous rappelle les critères du Prix Busiris : une affirmation juridiquement aberrante, si possible contradictoire, teintée de mauvaise foi et mue par l'opportunité politique plus que par le respect du droit.

Je crois que là, nous avons un cas d'école ; j'ai presque envie de rebaptiser le prix Busiris prix Gonzales.

Monsieur l'Attorney General, je vous présente mes félicitations. Sortir ça à un oral de première année serait déjà inexcusable.

Mais devant une commission sénatoriale, en plus, vous y mettez le panache.

Notes

[1] Dénomination du gouvernement des Etats-Unis.

Big Brother Awards 2006 : the Eolas touch

Chaque année, l'association Privacy International organise les Big Brother Awards, une distribution de prix "aux institutions, sociétés ou personnes s’étant distinguées par leur mépris du droit fondamental à la vie privée ou par leur promotion de la surveillance et du contrôle des individus".

image d'un BB award

La remise des prix 2006 a lieu demain soir à l’espace Confluences - Maison des arts urbains, 190, Bd Charonne, Paris 20ème - M° : Alexandre Dumas. Elle sera retransmise en directe sur Téléplaisance.org, visible via internet ou sur la plupart des bouquets numériques.

Je signale cette manifestation car les organisateurs m'ont demandé cette année de participer au jury, ce que j'ai accepté bien volontiers.

Je ne serai pas présent à la cérémonie, mais ai rédigé le texte de la remise d'un des prix.

La liste des nominés dans chaque catégorie (Etat et élus ; Entreprise ; Ensemble de son oeuvre ; Localités ; Novlang) est ici. Comme on ne peut pas donner tout le temps des mauvais points, il sera aussi attribué un prix Voltaire rendant hommage à un engagement exemplaire contre ces atteintes à la sphère intime.

Je reprendrai lundi la liste des lauréats, qui ont bien mérité leur prix. Qu'ils reçoivent par anticipation mes félicitations.

Mise à jour : La liste des heureux gagnants.

Petit vademecum à l'usage des jurés d'assises (3)

Nous en arrivons maintenant au jugement proprement dit.

Une fois l'accusé interrogé sur son identité et le jury constitué, les avocats des parties civiles se lèveront et déclareront se constituer partie civile au nom de leurs clients respectifs. Si la défense soulève une irrecevabilité de constitution de partie civile, elle est réglée immédiatement par la cour seule (les trois magistrats). Puis les débats commenceront.

Ils vont commencer par une longue lecture par le greffier, celui de l'ordonnance de mise en accusation. Il s'agit de l'acte, rédigé par le juge d'instruction, qui fait la synthèse de ce qu'il a pu établir au cours de l'instruction et qui, selon lui, fait résulter contre l'accusé des charges suffisantes d'avoir commis le crime pour lequel il est jugé. Cette lecture peut être fastidieuse si le greffier le lit avec la même conviction qu'une liste des courses, et pourtant elle est très importante.

D'où mon premier conseil, qui est valable pour toute l'audience : prenez des notes. Ca vous évitera la narcose due à la monotonie, et quand vous serez dans la salle des délibérés, vous n'aurez pas le droit de consulter le dossier. La cour vous fournira du papier en quantité illimitée, alors lâchez-vous. Une page par événement, que vous numéroterez et daterez avec l'heure, avec en haut de la première page, écrit en gros, l'intitulé « Accusé », « Dr Machin, expert », « Victime »... Ca vous aidera à vous y retrouver. Si un passage vous semble important, marquez un astérisque dans la marge pour le retrouver par la suite.

Une fois cette lecture terminée, l'audience se déroulera en deux temps. L'ordre n'est pas immuable, il aura été fixé par le président en accord avec l'avocat général et les avocats des parties. Car il se passe des choses dans votre dos. Les avocats, l'avocat général et le président se concertent. Il est d'usage que tous se retrouvent dans le bureau du président avant l'audience pour se présenter, se saluer et se mettre d'accord sur le déroulement de l'audience, les témoins de dernière minute, etc.

Les deux temps sont : les faits, et la personnalité.

Les faits :

L'accusé sera interrogé sur ce qu'il a fait, ou prétend avoir fait ; la partie civile, si elle est encore de ce monde, racontera sa version, puis les éventuels témoins, qui ont attendu en dehors de la salle d'audience dans une pièce à cet effet, viendront à leur tour raconter ce qu'ils ont vu. Les policiers ou gendarmes ayant procédé à l'enquête sont également convoqués, du moins l'officier de police judiciaire qui dirigeait l'enquête, et les éventuels experts ayant procédé à des expertises sur les faits (l'expert balistique pour l'arme, l'expert biologiste sur l'ADN, j'ai même vu une fois un expert acoustique pour démontrer que l'un des témoins ne pouvait pas ne pas avoir entendu un coup de feu...).

Chaque déposition suit le même schéma : le président pose les questions qu'il souhaite, demande aux jurés s'ils ont des questions à poser, généralement en leur demandant de la lui transmettre par écrit pour éviter toute déclaration malheureuse contraire au devoir d'impartialité, puis demande à l'avocat des parties civiles, puis à l'avocat général, puis à l'avocat de la défense s'ils ont des questions à poser. L'étiquette impose de ne pas s'adresser directement à la personne à la barre, car nous sommes censés demander au président de poser la question. Le code de procédure pénale prévoyait autrefois que les questions devaient être posées ainsi. Ce n'est plus le cas mais la pratique reste et cela évite un ton trop virulent avec un expert hésitant ou un témoin récalcitrant. Ca donne ceci :

« Monsieur le président, pourriez vous demander au témoin s'il a vu l'accusé l'arme à la main ? », le président disant au témoin : « Veuillez répondre, je vous prie. » Ca, c'est la vieille école. Plus simplement, ça peut aussi donner :

« Monsieur l'expert pourrait-il nous dire si la blessure révèle à quelle distance le coup a été tiré ? »

Toutes les personnes entendues sont censées s'adresser directement au président, et seront rappelées à l'ordre si elles se tournent vers une des parties. La disposition de certaines salles, comme les petites assises de Paris ou la 3e section, font que les avocats sont derrière la personne à la barre, et s'adresser directement à elle revient à tourner le dos à la cour, ce qui est grossier, et gêne l'acoustique. De même, elles ne doivent jamais s'adresser directement à l'accusé. Les débats doivent se dérouler dans la dignité. Les explosions sont rares, mais quand elles se produisent, elles sont violentes.

La personnalité :

La encore, témoins et experts vont se succéder. Les témoins seront les proches de l'accusé ou de la victime : les parents, s'ils sont vivants et connus, les amis, mais aussi les assistants sociaux, les éducateurs, tout ceux qui auront des éléments à apporter pour connaître l'accusé, d'après le président, le parquet ou un des avocats.

Les experts seront au nombre de deux : l'enquêteur de personnalité, psychologue de formation, qui expliquera ses valeurs, ses motivations dans la vie, les expériences passées ayant influé sa personnalité ; et l'expert médico-psychologique, psychiatre de formation, qui de son côté recherchera si une pathologie mentale a influé son comportement, et quels sont les traits psychiques marquants de sa personnalité (personnalité narcissique, paranoiaque, voire perverse). D'autres experts peuvent être cités, notamment si une contre expertise a été demandée.

Je vous assure qu'à la fin de cette partie, vous n'aurez jamais connu quelqu'un aussi bien, pas même vous-même. C'est une mise à nu terrible : vous saurez tout de lui. A quel âge a-t-il eu son premier rapport sexuel (même s'il est jugé pour meurtre et non pour viol), ses complexes, ses obsessions, ses blessures secrètes.

Une fois tout le monde entendu, le président donnera lecture de pièces du dossier qu'il estime utile de porter à la connaissance du jury, et demandera aux parties, ministère public inclus, quelles pièces non citées il souhaite entendre lire aux jurés. C'est un moment important, car une fois les débats clos, le dossier ne sera plus touché, et ne suivra pas la cour dans la salle des délibérés.

La cloture des débats.

Le président déclarera enfin les débats clos. Après une courte suspension d'audience pour permettre au jury de se rafraîchir (il y en aura eu d'autres, notamment pour déjeuner), la parole sera donné aux avocats des parties civiles, puis à l'avocat général pour ses réquisitions, et après une nouvelle suspension d'audience, à l'avocat de la défense pour sa plaidoirie.

La partie civile souhaitera démontrer la culpabilité de l'accusé, et porter la parole de la victime. Elle ne suggérera pas de peine, tout au plus indiquera espérer de la sévérité ou au contraire de l'indulgence. Et tentera par avance de démonter les arguments les plus probables de la défense.

L'avocat général parle au nom de la société qui poursuit l'accusé. Sa parole est libre. Il peut très bien requérir un acquittement si les débats l'ont convaincu de l'innocence, ou tout simplement l'ont fait douter de la culpabilité. Le plus souvent, il démontrera la culpabilité et évaluera la dangerosité de l'accusé, la conclusion de ce raisonnement étant une proposition de peine. C'est une simple proposition, qui ne vous liera pas. Vous pouvez aller au-delà, la seule limite étant le maximum prévu par la loi, et le minimum, qui est d'un an, ou de deux si la réclusion criminelle à perpétuité est encourue.

L'avocat de la défense prendra enfin à son tour la parole. Ecoutez-le attentivement. C'est peut être moi. Selon le dossier, il tentera soit de démontrer l'innocence, ou à tout le moins que la culpabilité n'est pas prouvée, ou si elle l'est vous rappellera tout ce qui a été apporté aux débats qui milite en faveur de l'indulgence, de l'espoir de réinsertion, de l'opportunité d'une peine légère.

Ne commettez pas l'erreur de la plupart des jurés : prenez des notes pendant ces plaidoiries et réquisitions. Vous en aurez aussi besoin lors du délibéré. Notez les arguments-lefs, les points forts, les moments où vous vous dîtes : "Là, il a raison, c'est important" ou au contraire "Ca ne tient pas parce que...". Les autres auront besoin de ces éléments pour se décider.

Les parties civiles et le parquet peuvent demander au président de répliquer, mais l'avocat de la défense aura toujours la parole en dernier.

Le silence vient de retomber sur le prétoire. le président va se tourner vers l'accusé pour lui dire ces célèbres mots : "Accusé, levez-vous". Il lui demandera s'il a quelque chose à ajouter. C'est un moment de terreur pour l'avocat de la défense car ce sont ces mots que vous allez emporter dans la salle des délibérés.

Puis le président déclarera les débats clos. Il ordonnera que le dossier de la procédure soit déposé entre les mains du greffier, et ne gardera avec lui que l'ordonnance de mise en accusation. Cela a pour but d'assurer l'oralité des débats devant la cour d'assises.

Le président donnera ensuite lecture des questions qui vont être posées au jury. Ce sont sur ces questions et elles seules que vous délibérerez. Les parties peuvent demander par voie de conclusions que telle ou telle question soit posée, ou qu'elle soit formulée différemment. La cour statue seule (les trois juges uniquement) sur ces conclusions. Elles commencent toutes par : "L'accusé est-il coupable d'avoir...". Vous n'avez pas idée du casse tête juridique que peut être la rédaction de ces questions, et la loi prévoit que vous soyez tenu à l'écart. Sachez qu'on en fait des thèses et que la jurisprudence de la cour de cassation est volumineuse. Avant l'appel criminel (qui remonte à 2001 seulement), la formulation des questions était le principal socle d'un pourvoi en cassation. Des têtes dépendait que telle ou telle formulation. Si les faits peuvent faire l'objet de plusieurs qualifications, des questions subsidiaires sont posées.

Exemple de question : A est accusé d'avoir tué B. Le fait qu'il ait acheté l'arme du crime la veille laisse supposer une préméditation. Afin de faire passer le meurtre pour un crime crapuleux, il aurait également volé le portefeuille de la victime qui contenait mille euros, portefeuille qu ia été retrouvé chez A.

Première question : L'accusé est-il coupable d'avoir volontairement oté la vie à B ?

Deuxième question : S'il a été répondu oui à la première question, a-t-il agi avec préméditation ?

Troisième question : L'accusé est-il coupable d'avoir frauduleusement soustrait le portefeuille de B ?

S'il est répondu oui à la première question, A est déclaré coupable de meurtre et encourt trente ans de réclusion. S'il est répondu oui aussi à la 2e question, il est déclaré coupable d'assassinat et encourt la perpétuité. S'il est répondu oui à la troisième, il encourt trois ans d'emprisonnement, ce qui est un détail s'il y a déjà eu un ou deux oui.

On peut aussi ajouter des questions sur les causes d'irresponsabilités, ce qui change la formulation :
Exemple pour la légitime défense.

Première question : L'accusé a-t-il oté la vie à B. ?

Deuxième question : L'accusé bénéficie-t-il pour ce fait de la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article 122-5 du code pénal selon lequel n'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte. ?

une fois que tout le monde est d'accord avec les questions ou a émis ses réserves, le président prend une dernière fois la parole. C'est pour moi un des moments les plus forts de l'audience. Il va dire qu'avant que la cour ne se retire, la loi lui fait l'obligation de lire cette instruction, qui est affichée en gros caractère sur les murs de la salle des délibérations.

C'est pour moi un des plus beaux textes qu'ait produit la langue française : c'est la définition même du travail du juge. Admirez la précision des termes employés, la beauté de la langue. Quand on lit le J.O. aujourd'hui, on a honte pour les parlementaires.

La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une intime conviction ?"

Si l'accusé est prisonnier, il ordonnera à l'escorte de le retirer de la salle d'audience. S'il est libre, il lui enjoindra de ne pas quitter le palais de justice pendant le délibéré. Le service d'ordre y veillera. En effet, les décisions de cour d'assises sont immédiatement exécutoires et l'accusé libre condamné sera immédiatement arrêté et conduit en prison. Il invitera le chef du service d'ordre à garder les issues de la salle des délibérations dans laquelle nul ne pourra pénétrer, pour quelque cause que ce soit, sans l'autorisation du président.

"L'audience est suspendue" conclura-t-il, avant de se lever avec la cour et le juré et d'aller dans la salle des délibérés. Les jurés supplémentaires iront au secret dans la salle des témoins à présent vide, au cas où un des jurés devait être remplacé. Cela n'arrive jamais, et les pauvres ont eu droit à tous les débats, attendront des heures isolés sans qu'à la fin quiconque leur ait demandé leur avis. Voilà pourquoi je vous disais de prier de ne pas être juré supplémentaires.

Les délibérations.

Vous allez vous retirer, les neuf jurés et les trois juges, dans la salle des délibérations. Vous la connaîtrez déjà : c'est là que vous serez réunis lors des suspensions d'audience. C'est même là que vous laisserez vos manteaux. Généralement, un petit buffet est installé : café, boissons, sandwiches, car les délibérations prennent du temps.

La loi ne prescrit aucune organisation particulière : c'est le président qui décide du déroulement. Généralement, chacun est invité à donner ses impressions et à poser les questions qu'ils souhaitent au président. Exceptionnellement, si la consultation du dossier se révélait nécessaire, le président ordonnerait que le dossier soit amené dans la salle des délibérations, et ferait entrer les avocats et l'avocat général. Il ouvrirait le dossier devant eux, consulterait la pièce en question, et le dossier serait rapporté au greffe, tandis que les avocats et l'avocat général quitteraient la salle. Il leur est interdit de prendre la parole, ils ne sont là que pour constater quelles pièces sont consultées. En pratique, c'est rarissime.

Une fois que chacun s'est exprimé, le président fait procéder au vote. Chaque juré prend un bulletin marqué du cachet de la cour, où est écrit "En mon âme et conscience, ma réponse est : ...". Il écrit dessus "oui" ou "non", et remet le bulletin plié dans une urne. Une fois les douze bulletins déposés, le président décompte les voix sous la surveillance de tous. Chacun peut vérifier les bulletins. Pour toute décision défavorable à l'accusé (y compris qui refuse une cause d'irresponsabilité), il faut une majorité de huit voix au moins.

Pourquoi huit ? Car si les trois magistrats votent dans un sens défavorable, il faudra en plus la majorité absolue du jury (5 voix sur neuf). Si les trois magistrats votaient au contraire en faveur de l'accusé, pour contrebalancer leur vote, il faudrait que tout le jury sauf un juré vote dans un sens contraire (huit voix sur neuf), donc qu'il y ait une quasi unanimité de leur part. C'est une pondération des votes.

Chaque vote n'a lieu qu'une fois, sauf si des réponses sont contradictoires, auquel cas il faut revoter. Après chaque vote, les bulletins sont immédiatement brûlés (dans certaines cours d'assises modernes, les architectes n'ayant pas prévu de cheminée, les bulletins sont passés à la broyeuse ; il faudra que je soumette ça un jour à la cour de cassation).

Si une culpabilité a été voté, les délibérations ont lieu sur la peine. Une nouvelle discussion a lieu, et chacun peut proposer la peine qui lui semble adéquate. La peine s'adopte de la même façon ("en mon âme et conscience, ma réponse est : X années") à la majorité absolue, donc 7 voix au moins ,sauf si c'est le maximum qui est proposé, auquel cas il faut huit voix au moins.

Si au bout de deux tours de scrutin, aucune majorité ne se dégage, la peine proposée la plus haute est écartée, et on revote. Et à chaque tour de scrutin, la peine la plus haute est écartée, jusqu'à ce qu'une majorité absolue se dégage.

Si la peine prononcée est de cinq ans ou moins, la cour peut voter sur le point d'accorder ou non un sursis. Elle peut également voter des peines complémentaires prévues par la loi, mais c'est rare en cours d'assises. De même, la cour peut voter pour savoir si la peine aura l'exécution provisoire, ce qui implique l'arrestation immédiate de l'accusé libre.

Une fois que toutes les questions auront été traitées et la peine votés (une seule peine est votée quel que soit le nombre de chefs d'accusation, qui couvre l'ensemble des faits retenus), le président fait informer le greffier de ce que le verdict va être rendu.

Et pendant ce temps, il se passe quoi, dehors ?

Dès que vous serez entrés en délibérations, le greffier prendra le numéro de portable des avocats, qui pourront vaquer librement.

L'avocat général ira attendra dans son bureau, qui a un téléphone interne. Tout le monde sait que la délibération durera longtemps (je mettrais une moyenne à deux ou trois heures). L'accusé reste sous garde policière. Les avocats vont se précipiter sue leur téléphone portable afin de répondre aux messages de la journée, donner des consignes et engueuler les collaborateurs. Ils sont là pour ça : pour que leur patron se passe les nerfs sur eux. Pas vrai, chers jeunes confrères ? Puis ils iront se réfugier, si l'heure leur permet, dans un café voisin, sinon ils feront les cent pas dans les couloirs déserts. Pour ma part, je ressens toujours le besoin de m'isoler au moins une heure, le temps de maîtriser l'angoisse, de pouvoir analyser à froid les impressions que j'ai eues, car ma première impression est toujours pessimiste, et la deuxième trop optimiste.

Décrire ce qu'on ressent pendant le délibéré est difficile. C'est puissant, en tout cas : un mélange de peur, d'excitation, des phases d'abattement (j'ai été nul, j'ai oublié de dire ça...) et d'euphorie (le deuxième juré a hoché la tête quand j'ai dit ça, je pense que je l'ai convaincu...). L'adrénaline est là, en tout cas : j'ai les mains qui tremblent, la respiration courte, et je ne peux pas rester en place. C'est une sorte de transe. Et quelle que soit mon angoisse, j'adore ces moments. Les dés sont jetés, il n'y a plus qu'à attendre, le poids de la responsabilité a disparu provisoirement, on est léger, aérien, on a le cerveau qui fonctionne à cent à l'heure, les sentiments se succèdent dans un maelström. On se sent vivant.

Quand je retrouve un état normal, je peux enfin discuter un peu avec mon client, sa famille, avec le greffier aussi, dont les impressions sont précieuses. Avec le service d'ordre aussi. Et même l'avocat général, qui revient quand il pense que le jury a bientôt terminé. Tout le monde est en attente, c'est comme un entracte, ça facilite considérablement le dialogue. Après tout, on a vécu ensemble intensément ces derniers jours, et on est sur le point de se quitter, mais la chute est encore inconnue. C'est une fraternité qui apparaît. C'est généralement dans ces moments là que les familles des victimes et des accusés se parlent, parfois pour la première fois, en tout cas sur un ton apaisé. C'est une atmosphère vraiment extraordinaire.

Puis le moment arrive. Si on est ailleurs, nos mobiles sonnent "Maitre Eolas ? Monsieur Scribe, greffier de la cour d'assises. La cour a fini de délibérer, nous vous attendons". Branle bas de combat, on file vers la salle en enfilant sa robe. Le coeur bat à cent à l'heure, les mains tremblent, c'est reparti.

Quand tout le monde est là, le greffier va informer le président, les mines sont graves.

Le verdict.

La cour fait son entrée, chacun reprend sa place. Les avocats scrutent les jurés qui semblent être devenus des sphynx (ils sont épuisé, il faut dire).

Le président fait entrer l'accusé, et donne lecture des réponses aux questions. A ce stade, seuls les avocats savent ce qu'il en est, car cela donne :

"A la question 'l'accusé est-il coupable d'avoir volontairement oté la vie à X ?', il a été répondu "oui" à la majorité de huit voix au moins..."

Traduction : l'accusé est coupable de meurtre.

Puis le président doit donner lecture des articles punissant ces faits. En pratique, il énumère les numéros et demande à l'avocat de la défense : "Maître, ces articles peuvent-ils être considérés comme lus ?", ce à quoi nous répondons toujours oui, pressés que nous sommes de savoir. La même question est posée à l'avocat général et aux parties civiles, qui sont toujours d'accord aussi.

Et il reprend : "En conséquence, la cour condamne (nom de l'accusé) à la peine de ... années de réclusion criminelle (si la peine est supérieure à dix années, sinon, ce sont des années d'emprisonnement)". A ce moment là, quelqu'un se met toujours à pleurer. Que ce soit la victime si la peine est légère ou la mère de l'accusé si elle est lourde. Parfois les deux pleurent, ce qui est contrariant pour la cour, je suppose.

Si l'accusé est détenu, sa condamnation emporte maintien en détention ; s'il est libre, sa condamnation à de la prison ferme entraîne mandat de dépôt et il est immédiatement interpellé par les policiers ou gendarmes présents.

Bien sûr, il y a une variante.

"A la question 'l'accusé est-il coupable d'avoir volontairement ôté la vie à X ?', il a été répondu non par cinq voix au moins. En conséquence, la cour prononce l'acquittement de (nom de l'accusé)."

Bien évidemment, dans ce cas, la cour n'aura pas voté sur la peine. L'accusé est le cas échéant immédiatement remis en liberté.

Aussitôt l'arrêt rendu, le président libérera le jury en le remerciant, et déclarera que l'audience sur l'action publique est levée. Il ajoutera que l'audience sur l'action civile aura lieu dans quelques minutes.

Et après ?

Pour les jurés, c'est terminé. Ils peuvent rentrer chez eux, sous réserve d'être présent au prochain tirage au sort. Mais la cour n'en a pas fini. Il reste la question des dommages-intérêts, qui peuvent dans certains cas être dus même en cas d'acquittement (acquittement pour démence, existence d'une autre source de responsabilité que la faute pénale...). Vous pouvez rester, même s'il est tard, car cela fait partie du dénouement. Et c'est TRES rapide. Et vous verrez, le prétoire est désert.

Cinq minutes plus tard environ, la cour revient, seule, c'est à dire sans le jury. Elle déclare l'audience civile ouverte. L'avocat de la partie civile dépose des conclusions qu'il avait préparé préalablement demandant le prononcé de telle condamnation à titre de dommages-intérêts, outre une somme au titre de l'article 375 du CPP, c'est à dire le paiement des frais d'avocat. L'usage veut que l'on plaide brièvement, tout le monde étant épuisé ; et on est entre juristes : cette audience ressemble beaucoup aux audiences ordinaires. Les demandes sont écrites, on sait de quoi on parle, le vocabulaire est technique. La parole est donnée à l'avocat général, qui dira "je m'en rapporte", comprendre : ... à la sagesse de la cour. Le parquet n'estime généralement pas avoir à intervenir dans les affaires d'ordre privé entre les parties. L'usage veut également que l'avocat de la défense s'en rapporte. Il peut éventuellement contester telle ou telle évaluation lui semblant démesurée, mais l'heure n'est plus aux grandes plaidoiries et la cour a sa jurisprudence.

La cour se retirera pour délibérer et reviendra cinq minutes plus tard avec un arrêt sur intérêt civil qui sera prononcé sur le champ.

le président se tournera alors vers l'avocat général. "Monsieur l'avocat général, avez vous d'autres réquisitions ?". Non répondra l'avocat général.

"L'audience de la cour d'assises est levée. Elle reprendra demain matin à neuf heures", sauf si l'affaire est la dernière de la session, auquel cas le président déclarera close la session.

L'affaire est terminée. Les parties ont dix jours pour faire appel si elles le souhaitent. Si l'appel ne porte que sur les intérêts civils, il sera jugé par la chambre des appels correctionnels.

La cour d'assises d'appel.

Depuis le 1er janvier 2001, il est possible de faire appel d'une décision d'assises. La cour d'assises d'appel est désignée par la cour de cassation. La procédure est identique, à quelques différences près :

Le jury est composé de douze jurés au lieu de neuf. Il y a donc quinze personnes qui jugent.

La majorité doit être de dix voix au moins pour une décision défavorable à l'accusé, et non pas huit.



Il faut à présent ôter sa robe, ranger son dossier étalé sur toute la table consacrée aux avocats, pendant que le chef du service d'ordre attend pour fermer à clef la porte de la salle d'audience. On retrouve la famille de son client, quand il en a une, pour discuter de la décision, des suites éventuelles : faut-il faire appel ? Quand sortira-t-il ? Ou au contraire célébrer l'acquittement. Il fait souvent nuit. Des verdicts tombent parfois très tard (deux, trois heures du matin). Cela contribue à cette atmosphère unique de la cour d'assises, quand on traverse le palais désert et silencieux. D'autres affaires nous attendent, mais là, il est l'heure d'aller dormir.

jeudi 18 janvier 2007

Le club Europe 1

Juste un petit mot pour vous informer que je suis présent à l'émission d'Europe 1, diffusée en ce moment même (dieu bénisse le wifi), "le Club Europe 1".

Jules de Diner's room fait du live blogging, c'est à dire a fait un billet actualisé en permanence. Je vous en parlerai plus avant bientôt, Europe 1 ayant souhaité un effet de surprise et ayant voulu qu'on nous n'en parlions pas avant. Je vous renvoie chez mon comparse en attendant.

mercredi 17 janvier 2007

L'affaire de la SCI La Sapinière

Quelques lecteurs, bien intentionnés je n'en doute pas, qui n'avaient jamais commenté sur ce blogue ont réussi à vaincre leur timidité pour parler en commentaire du soi-disant scandale de la SCI La Sapinière.

Autant j'aime à pointer du doigt les énormités que peut proférer tout candidat à la magistrature suprême de notre pays, et m'amuse à lire les justifications variées, imaginatives et contradictoires qu'on peut invoquer à la rescousse, autant les baudruches m'agacent. Et là, c'en est une belle, à mon avis.

Ainsi, Ségolène Royal et François Hollande, qui vivent maritalement et ont eu des enfants ensemble, ont créé une société civile immobilière, la SCI La Sapinière, dont ils sont tous deux gérants. Cela n'a rien d'un secret honteux, puisque les SCI sont désormais toutes inscrite au répertoire D du registre du commerce et des sociétés tenu par le greffe du tribunal de commerce de Paris, sous le numéro 377 552 955, registre qui est librement consultable par quiconque.

Une société civile immobilière est une société dont l'objet est l'acquisition et l'administration d'un ou plusieurs biens immobiliers. Il est fréquent que des particuliers désireux de devenir propriétaires créent une SCI, soit entre époux ou concubins, soit entre parents et enfants : la complication née de la nécessité de gérer une société est compensée par la facilité de transmission du bien, notamment d'un point de vue successoral.

Bref, c'est parfaitement légal.

La rumeur qui est ainsi colportée laisse entendre que cette SCI aurait été constituée pour échapper à l'ISF. En l'état, cela me paraît plus que douteux.

Je ne vais pas me lancer dans un cours sur la fiscalité des SCI, ce n'est pas ma partie, mais quand même, il va falloir soulever le capot, car la calomnie repose souvent sur l'ignorance du sujet de celui à qui elle s'adresse.

Une SCI peut être constituée pour payer moins d'impôts, mais pas pour échapper à l'impôt (hélas...). On est en France, ne l'oublions pas : une telle fuite fiscale n'aurait pas échappé à nos dispendieux mais vigilants députés.

En gros, à la création de la SCI, des options doivent être exercées : soumission à la TVA ou non, soumission à l'impôt sur les sociétés (IS) ou sur l'impôt sur le revenu (IRPP). Ces choix dépendent de l'opération envisagée dans son ensemble. Si on envisage revendre le bien assez rapidement, il vaut mieux opter pour l'IRPP, car les plus-values sont moins taxées. Si on veut le louer pour toucher des loyers, il vaut mieux opter pour l'IS, pour éviter que les loyers ne s'ajoutent au revenu imposable des associés une fois que les échéances de l'emprunt immobilier ayant servi à acquérir le bien remboursent plus de capital que d'intérêts (effet dit "de ciseaux"). Je schématise, bien sûr. Allez voir un notaire ou un avocat fiscaliste si vous voulez monter une SCI, ce sont des charges déductibles bien employées, croyez moi.

Il existe un cas et un seul où les biens immobiliers détenus par la SCI seront exonérés de l'ISF : c'est le cas de la SCI qui détient un local professionnel qu'elle loue à l'exploitant de ce local, si le détenteur des parts est également exploitant de ce local. Par exemple, A est associé d'une SCI propriétaire d'un hôtel qu'elle loue à la société anonyme qui gère cet hôtel, dont A est également associé et tire au moins 50% de ses revenus (qui a dit que le droit fiscal était simple ?). En effet, les biens professionnels sont exclus de l'assiette de l'ISF, et le Code Général des Impôts assimile aux biens professionnels les SCI qui possèdent des locaux professionnels. Si ce n'est pas le cas, la SCI est prise en compte pour le calcul de l'ISF. Le droit fiscal envisage même l'hypothèse d'une SCI possédant des biens professionnels ou non, et des biens à usage professionnels et non professionnels (comme un immeuble qui a une boutique en rez de chaussée et des appartements d'habitation au-dessus).

L'Etat s'y retrouve toujours, puisque ces biens échappant à l'ISF sont soumis à la taxe professionnelle, entre autres.

Bref, l'attaque en question ne me paraît, en première analyse, reposer sur rien de concret et relever d'une opération de basse calomnie. Si des fiscalistes de l'UMP peuvent éclairer ma lanterne sur ce qui m'aurait échappé (ma connaissance du droit fiscal remonte à la faculté, même si j'étais fort bien noté) ; mais en attendant, qu'il me soit permis de penser que réaliser un montage permettant de diminuer sa charge fiscale, même quand on est de gauche, est plus un signe de bonne gestion que de tartufferie politique, sauf à reprocher également à Ségolène Royale de ne pas majorer intentionnellement ses revenus pour payer plus d'impôt sur le revenu...

PS, in cauda venenum : ces propos sur le droit fiscal ne s'appliquent pas à la fiscalité de Second Life...

mardi 16 janvier 2007

Petit vademecum à l'usage des jurés d'assises (2)

Nous voici donc le jour de la convocation.

Particularité de la cour d'assises, qui vous aidera à comprendre son fonctionnement, il s'agit d'une juridiction temporaire. Elle siège par sessions, en principe quinze jours par trimestre. En cas de charge de travail, des sessions extraordinaires peuvent être convoquées, mais toutes font quinze jours, sauf si une affaire exceptionnelle nécessite plus de temps (le procès Papon a ainsi duré six mois, d'octobre 1997 à avril 1998, le procès d'Angers, quatre mois, de mars à juin 2005. A Paris, trois cours siègent toute l'année dans trois salles différentes. En dehors de ces sessions, la cour n'existe pas, et c'est la chambre de l'instruction qui est compétente pour statuer sur les mesures provisoires comme une demande de mise en liberté de l'accusé.

Le président de la cour a également un rôle hors session, qui est de la préparer, tout simplement, mais c'est un travail d'Hercule. On parle de "mise en état", expression employée pour désigner la phase préalable à l'audience où l'affaire est mise en état d'être jugée.

Sachez en tout cas qu'il aura reçu l'accusé quelques semaines avant l'audience (en tout cas pas moins de 5 jours). Le fond de l'affaire n'est pas abordé lors de cet interrogatoire. Le président aura vérifié son identité complète, s'assurera que l'accusé à bien connaissance de l'ordonnance de mise en accusation qui va en faire la vedette du procès à venir, l'invitera à choisir un avocat s'il n'en a pas, ou en désignera un d'office le cas échéant. A titre exceptionnel, le président peut autoriser l'accusé à prendre pour conseil un parent ou ami : c'est l'article 275 du Code de procédure pénale. C'est rarissime, et si ledit conseil n'est pas familier avec la procédure d'assises, c'est une folie.

Mais revenons au jour d'ouverture de la session. Les 52 jurés (40 titulaires + 12 suppléants) sont tous convoqués pour la première séance de la session : elle est consacrée à la révision de la liste des jurés. Dans la salle d'audience, les jurés sont invités à se présenter à l'huissier d'audience, qui vérifie leur identité et note leur présence sur une liste, puis attendent dans la salle.

La cour, au sens strict, c'est à dire le président (toujours en robe rouge) et ses deux assesseurs (en robe noire), entre. Le public se lève, le service d'ordre salue.

Selon le grade du magistrat président la cour, il portera soit la simple robe rouge s'il est conseiller à la cour d'appel :

soit s'il a le titre de président de chambre, la robe à revers bordés d’hermine, qui est la réunion en un seul costume de la robe de clerc (que nous portons nous aussi) avec le manteau royal, qui rappelle que c'est le souverain qui juge en personne ici, incarné dans le jury populaire.

Les assesseurs porteront la robe noire s'ils sont juges du tribunal de grande instance, et rouge s'ils sont conseillers à la cour d'appel.

(Image : cour d'appel de Paris)

Le parquet porte la même robe : noire si l'avocat général est en fait un substitut général ou un procureur du tribunal de grande instance, rouge s'il est magistrat à la cour d'appel, et à revers d'hermine s'il a le titre d'avocat général. A titre d'illustration, je remercie Philippe Bilger de m'avoir autorisé à reproduire ici la couverture de son livre "Un avocat général s'est échappé" (Seuil, 2003), où il est revêtu de son costume d'audience.

image

La cour s'assiéra face au public, l'avocat général[1] ayant une tribune à lui, sur le côté, face au box des accusés. Une urne sera posée sur la table de la cour, devant le président.

Après un petit mot d'accueil et de remerciement d'être présent, le président demandera au greffier de procéder à l'appel des jurés présents par ordre de tirage au sort. La cour statuera sur le cas des absents, en pouvant prononcer jusqu'à 3750 euros d'amende. De même, si la cour constate que des jurés sont incapables ou incompatibles, ou décédés, ils sont retirés de la liste. Il en va de même des conjoints, parents ou alliés jusqu'au degré d'oncle et neveu d'un juré figurant avant lui dans la liste, mais pour cette liste de session seulement.

Si le nombre des jurés présents et aptes n'atteint pas 23, un tirage complémentaire est fait dans la liste des suppléants, non par tirage au sort mais dans l'ordre de leur inscription.

Une fois les opérations terminées, elles sont constatées par un arrêt rendu par la cour. La liste de session est constituée.

Aussitôt, la cour appellera la première affaire devant être jugée. On n'en a pas fini des tirages au sort, mais celui-ci se répétera au début de chaque affaire.

L'accusé est introduit dans la salle. Rien ne s'oppose à ce que son avocat ait assisté à la révision de la liste de session, révision qui est publique, auquel cas il sera également présent.

Le président demande à l'accusé ses nom, prénoms, date et lieu de naissance.

Le greffier procès à l'appel des jurés non excusés. Pour la première fois, pas de problème, tout le monde est présent dans la salle, par définition. A chaque "présent", une carte portant leur nom est déposée dans l'urne par le président.

Une fois l'appel terminé, la cour décidera par un arrêt rendu sur le siège de tirer au sort un ou plusieurs jurés supplémentaires (généralement, deux). Priez pour ne pas être de ceux là.

Puis le tirage au sort du jury aura lieu.

Le président plongera sa main dans l'urne et en tirera une carte, appelant aussitôt "Juré numéro X : Monsieur Untel". Le juré en question doit se lever et venir se placer aux côtés de la cour, sur les sièges à cet effet, le premier à droite de l'assesseur à droite du président, le deuxième à gauche de l'assesseur à gauche du président, le troisième à droite du premier juré, le quatrième à gauche du deuxième juré, et ainsi de suite. Le temps qu'il parcoure ces quelques mètres, il sera scruté attentivement par l'avocat de la défense et l'avocat général, qui auront quelques secondes pour le récuser. Cette récusation se fait sans forme particulière : un simple "récusé !" suffit. La récusation n'a pas à être motivée. Le parquet peut récuser quatre fois, la défense, cinq fois. S'il y a plusieurs accusés, le nombre de récusation ne change pas, elles sont partagées par les accusés.

Je consacrerai un billet entier à la récusation, qui est un casse tête et une angoisse terrible.

Neuf jurés sont ainsi tirés au sort : neuf plus trois magistrats font douze, le compte est bon.

Les jurés supplémentaires sont tirés au sort (priez, priez, il est encore temps), et prennent place sur des sièges à l'écart ; avec un peu de chance, ils ont une table devant eux. Le greffier dresse procès verbal des opérations.

Le président va alors inviter les jurés à se lever et se découvrir, et prononcer le serment des jurés et demander à ce que chacun, à l'appel de son nom, lève la main droite et dise "je le jure". Cette formule est magnifique, aussi belle que l'instruction des jurés au moment de délibérer (voir le billet suivant) même si le législateur s'est cru obligé de l'alourdir en ajoutant une mention aux intérêts de la victime et un rappel à la présomption d'innocence : c'est tout à fait l'air du temps, mais vous verrez que ça n'apporte rien à la phrase qui était bien assez claire comme cela. Les portions rajoutées par la loi du 15 juin 2000 sont en italique.

Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions.

Encore une loi qui a modifié le texte d'un serment pensant ainsi réformer la justice. Les lois d'affichage, une des plaies de notre république.

Le jury est alors déclaré constitué.

Les jurés non tirés au sort sont libérés de leurs obligations jusqu'à la convocation de l'affaire suivante, dont la date et l'heure sont indiquées par le président : "Revenez jeudi à 9 heures", par exemple. Ils peuvent rester dans la salle pour assister aux débats ou vaquer à leurs occupations.

La cour d'assises siège et va juger. Ce sera l'objet d'un troisième et dernier volet de ce vade-mecum, où vous découvrirez pourquoi les jurés supplémentaires sont à plaindre. Pour nous, l'audience est levée.

Notes

[1] Je ne parlerai plus désormais que d'avocat général, qui est le titre du représentant du parquet devant la cour d'assises, peu important son rang hiérarchique au sein du ministère public : la fonction prime le grade, comme à l'armée.

lundi 15 janvier 2007

Petit vademecum à l'usage des jurés d'assises (1)

Un lecteur qui a été tiré au sort pour être juré d'assises m'a demandé de lui expliquer à quelle sauce il allait être mangé. En espérant qu'il n'est pas trop tard pour lui, et à l'usage des futurs tirés au sort, voici à quoi ressemble la mission d'un juré ordinaire.

Une réserve d'emblée : les avocats ne voient la cour d'assises fonctionner que depuis le prétoire. Ce qui se passe derrière les portes closes nous est parfaitement inconnu, hormis ce que nous disent d'anciens jurés et des magistrats ayant siégé ; leurs confidences étant restreintes par le secret du délibéré, je serai peu disert sur les parties se passant nécessairement hors ma présence.

Acte I : Comment devient-on juré d'assises ?

En ayant de la chance, ou pas de chance, selon son point de vue.

Il faut en tout cas avoir la nationalité française, puisque les jurés exercent le pouvoir judiciaire, attribut de souveraineté ; être âgé de plus de 23 ans le jour du premier tirage au sort (la condition étant remplie le lendemain de son 23e anniversaire), savoir lire et écrire, puisque le vote se fera par écrit, et jouir de ses droits civils, civiques et de famille. Ces droits sont perdus temporairement en application d'une peine complémentaire prononcée par une juridiction répressive (tribunal correctionnel ou cour d'assises). Ajoutons une condition supplémentaire de bon sens : il faut être inscrit sur les listes électorales, puisqu'elles servent de liste de tirage au sort.

Ne peuvent être jurés, même s'ils remplissent les conditions ci-dessus :
- Les personnes ayant été condamnée à une peine d'emprisonnement de 6 mois ou plus, avec ou sans sursis ;
- Les personnes devant elles même comparaître devant une cour d'assises (on parle d'état d'accusation), ou qui font l'objet d'un mandat de dépôt ou d'arrêt. En effet, elles sont censées être en prison, toutes présumées innocentes qu'elles puissent éventuellement être.
- Toute personne agent de l'état ayant fait l'objet d'une révocation.
- Toute personne ayant fait l'objet d'une mesure de radiation professionnelle ;
- Toute personne déclarée par un tribunal de commerce en faillite personnelle ;
- Toute personne ayant déjà été défaillantes alors qu'elles avaient été tirées au sort pour être juré et ayant été condamnées pour ce fait ;
- Toute personne sous tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice, et les personnes hospitalisées d'office pour raisons psychiatriques.

En plus de ces incapacités, il existe des incompatibilités, qui ne relèvent pas tant de la personne que de ses fonctions. Ne peuvent donc être jurés dans l'exercice de leurs fonctions :
- les membres du Gouvernement, du Parlement, du Conseil constitutionnel, du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil économique et social : séparation des pouvoirs oblige pour le gouvernement et les parlementaires ;
- les magistrats de tous ordres en exercice : judiciaires et administratifs : l'idée d'un juré est d'avoir des esprits neufs et différents, mais les magistrats à la retraite peuvent être jurés ;
- les fonctionnaires des services de police ou de l'administration pénitentiaire ou militaire, en activité de service.
- Les personnes ayant été juré depuis moins de cinq ans.

Le tirage au sort s'effectue en plusieurs temps.

Premier temps : la liste préparatoire.

Dans chaque commune est effectué annuellement et publiquement un tirage au sort d'un certain nombre de noms, qui varie en fonction de la population du département (1800 à Paris, un pour 1300 habitants partout ailleurs sans que ce nombre puisse être inférieur à 200). Un arrêté préfectoral de répartition fixe au mois d'avril le nombre de jurés par circonscription, le nombre tiré est le triple de ce nombre. Les électeurs qui n'auront pas atteint 23 ans au cours de l'année civile suivante, au cours de laquelle ils sont susceptibles d'être jurés, sont écartés. Les citoyens tirés au sort sont informés par lettre qui leur demande leur profession et les informe de la possibilité de demander avant le 1er septembre si elles ont plus de soixante dix ans, n'ont pas leur résidence principale dans le département ou pour tout motif grave. Cette liste préparatoire est transmise au secrétariat greffe de la juridiction où siège la cour d'assise : elle siège dans toutes les cours d'appel et dans certains tribunaux de grande instance. Le maire est tenu de faire connaître les motifs d'impossibilité d'être juré dont il a connaissance parmi les tirés au sort, et peut faire connaître ses observations sur telle ou telle personne peu apte à être juré selon lui.

Deuxième temps : la liste annuelle.

L'ensemble des listes préparatoires est révisée par une commission qui siège au mois de septembre. Elle écarte les incapables et les incompatibles énumérés ci-dessus, et statue sur les demandes de dispense. Puis parmi les noms restant, un certain nombre est tiré au sort, conformément à l'arrêté préfectoral cité plus haut. Dans certains département, une liste spéciale de jurés suppléants est établie, uniquement parmi les personnes résidant dans la ville où siège la cour : elles seront convoquées si la liste de session (voir plus bas) est insuffisante. La liste est communiqué à chaque maire, qui doit informer le président de la juridiction où siège la cour de tout événement frappant une personne figurant sur cette liste et de nature à remettre en cause sa capacité à être juré : par exemple, elle est morte. La liste est donc tenue à jour tout le long de l'année.

Troisième temps : la liste de session.

Trente jours au moins avant l'ouverture de la session (je reviendrai dans le prochain billet sur ce qu'est une session d'assises, en attendant, considérons : trente jours au moins avant que ne soit jugée la première affaire inscrite au rôle), le président de la juridiction effectue publiquement et en présence du parquet un tirage au sort de quarante noms sur la liste annuelle, et douze noms sur la liste spéciale. Si des noms tirés au sort doivent être écartés pour des motifs légaux, d'autres noms sont tirés au sort jusqu'à ce que les quarante et les douze noms soient au complet. Aux motifs déjà cités vient s'ajouter le fait d'avoir déjà été tiré au sort au cours d'une session précédente : on ne peut être juré que pour une session tous les cinq ans. Les heureux élus sont avisés par lettre recommandée quinze jours à l'avance, lettre qui leur rappelle que leur participation est obligatoire. Si le récépissé joint à la lettre n'est pas retourné, le greffe peut envoyer la police ou la gendarmerie voir si tout va bien et si le juré tiré au sort a besoin d'un stylo ou d'un timbre pour répondre.

Détail qui est peu connu : cette liste de session, comportant les nom, prénoms, date et lieu de naissance et profession, est signifiée par huissier à l'accusé, au plus tard la veille de l'audience, qui peut la garder avec lui en cellule s'il est emprisonné.

Quatrième temps : la liste du jury.

C'est le dernier acte avant le procès, et il a lieu juste avant. Il sera donc décrit dans le prochain billet, qui commencera quand les jurés arrivent, l'air perdu, leur convocation à la main, dans la salle d'audience ou virevoltent déjà bien des robes de différentes couleurs, autour de képis tout propres.

Pour le moment, la séance est levée.

Je pose juste une question...

Je ne connais pas Second Life, alors j'ai juste une question à poser : les normes HQE®, Haute Qualité Environnementale, ça existe aussi dans le jeu ?

Ca n'a pas dû être facile à coder.

NB : Je ne sors pas les propos de leur contexte : il s'agit d'une vidéo officielle de la candidate.

[Via Embruns]

vendredi 12 janvier 2007

José Bové, ou le libre malgré lui

Allez, aujourd'hui, c'est distribution de baffes, les commentaires sous mon précédent billet m'ont mis d'humeur.

Au tour de José Bové.

Il fait actuellement le tour des plateaux pour chanter le blues du prisonnier, et se déclare prêt à être un candidat prisonnier.

Ha. La chose semble d'importance. Et pourquoi donc ?

Parce qu'il a été condamné le 15 novembre 2005 a quatre mois de prison sans sursis (sévérité dû au fait qu'il a déjà été condamné par le passé à une peine ferme pour des faits similaires, et que la justice n'aime pas les récidivistes) pour des destructions volontaires commises en juillet 2004 à Menville, près de Toulouse. Un pourvoi a été formé, qui va être examiné le 4 février 2007. Si ce pourvoi était rejeté (l'arrêt devrait être rendu début mars), sa peine deviendrait définitive. Juste avant les présidentielles.

Et on verrait alors les troupes de César venir se saisir de Saint José et le traîner dans un sépulcre de 9m² avant sa résurrection du 120e jour.

Sauf que le chemin de croix a un peu plus de stations que ça, et que même avec la meilleure volonté du monde, José Bové aura bien du mal à respecter l'échéance carcéro-électorale.

Car supposons que la cour de cassation rejette le pourvoi. Que se passera-t-il ?

Le greffe de la cour de cassation délivrera dans les trois jours un extrait de cet arrêt au procureur général près la Cour de cassation, qui l'adressera à son tour au procureur général de la cour d'appel de Toulouse, sans qu'un délai ne soit prévu pour cette transmission (article 617 du Code de procédure pénale, le CPP).

S'agissant d'une condamnation à une peine privative de liberté inférieure à un an, celui-ci devra adresser, sans que la loi ne lui impose un quelconque délai, un extrait de la décision de condamnation au juge d'application des peines du tribunal de grande instance du domicile du condamné, soit je crois Millau. A la réception de cet extrait, le juge d'application des peines aura un délai de quatre mois pour convoquer le condamné et décider d'éventuels aménagements de peine (article 723-15 du CPP). Pour cela, il chargera le SPIP, service pénitentiaire d'insertion et de probation, d'effectuer une enquête sur la situation du condamné. Cela consiste principalement en l'envoi d'un questionnaire au condamné, lui demandant de préciser son travail, ses revenus, ses charges de famille, ses conditions de logement, etc. Le juge pourra alors décider de ne pas mettre la peine à exécution mais de la transformer en des mesures alternatives à l'emprisonnement, dont la loi offre une vaste palette. La loi prévoit même que si la situation du condamné ne lui permet pas de bénéficier de mesures d'aménagement, le juge doit lui indiquer quelles modifications il doit apporter à sa situation pour pouvoir en bénéficier (même article). Concrètement, il s'agira d'un domicile stable, par exemple.

La loi prévoit que le condamné peut refuser ces mesures auquel cas la date d'incarcération est décidée en tenant compte de l'avis du condamné. Si le condamné ne répond pas ou refuse de collaborer avec le SPIP, le juge d'application des peines mettra la peine à exécution et ordonnera l'incarcération immédiate. S'il n'a pas statué dans le délai de quatre mois, le procureur de la République peut mettre lui même la peine à exécution.

Bref, vous l'avez compris, vu les délais, il n'y a aucune chance pour que José Bové aille en prison d'ici le 22 avril. Le délai de quatre mois n'aura pas expiré quand bien même le JAP de Millau aurait été saisi avec la plus grande célérité.

Et après cette date, pour qu'il y aille, il faudra qu'il y mette du sien en refusant toute mesure d'aménagement ou en s'abstenant de répondre au juge d'application des peines. Car face à une personne qui nonobstant son comportement délictuel est bien insérée, qui est agriculteur dans une exploitation en activité, tout juge d'application des peines sera enclin à éviter une peine de prison qui nuirait à son activité économique et n'apporterait pas grand chose au reclassement du condamné (qui est la première préoccupation des juges d'application des peines).

Je pourrais supposer que José Bové n'est pas au courant de ces subtilités s'il n'était déjà passé par là : or il a déjà fait l'objet d'une incarcération le 22 juin 2003. Et ce ne sont pas les gendarmes qui l'avaient interpellés au saut du lit : il s'était rendu en cortège de tracteurs, escorté par la gendarmerie, à la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone après avoir informé la presse de la date et de l'heure de son incarcération pour en faire un spectacle : images INA.

Trois ans après, il nous refait le coup.

Alors, puisque la mode est au procès d'intention, je précise tout de suite que même si je suis contre les opérations concertées de destruction du bien d'autrui qu'on appelle du doux vocable de "fauchage volontaire", je n'ai à titre personnel aucun goût de voir José Bové en prison.

Mais je vois assez d'hommes et de femmes incarcérées sans avoir eu de possibilité d'y échapper, parce qu'elles ont été jugées en comparution immédiate qui permet un emprisonnement immédiat quelle que soit la durée de la peine prononcée, parce qu'elles n'ont pas compris la notification d'un jugement qu'elles sont forcloses à faire appel ou opposition, ou qu'elles sont tellement exclues que le JAP ne peut rien proposer comme alternative à l'emprisonnement (expliquez moi comment on place un SDF sous bracelet électronique, alors qu'il faut une ligne France Telecom pour le terminal) ; je lis leurs lettres désespérées, leurs appels à l'aide bouleversants, écrits d'une écriture hésitante et bourrée de fautes d'orthographe (parfois par une autre prisonnier moins illettré) sur la page arrachée d'un cahier ; j'ai leur famille, pour ceux qui en ont, qui m'appellent tous les jours pour savoir quand il va sortir. Des mères prêtes à vendre leur alliance si c'était une question d'argent, qu'il faut convaincre de ne pas le faire. Il faudrait que vous voyiez un jour les dessins que des enfants envoient à leur père en prison : ils se dessinent en train de casser les murs pour que leur père revienne à la maison.

Avoir un client en prison, c'est un poids sur l'estomac de tous les instants, un nuage qui gâche un peu toutes vos journées. Le faire sortir devient une obsession, et l'angoisse du suicide une peur sourde et continue. En France, un prisonnier se suicide tous les trois jours (Source : Observatoire International des Prisons). C'est le troisième taux en Europe. Et c'est la famille de votre client qui vous l'annonce, après avoir reçu un appel du chef d'établissement. Quand votre client n'a aucune famille, c'est vous qu'il aura désigné comme personne à prévenir, lors de son écrou. Vous n'êtes même pas au courant au préalable. C'est quand vous recevez le coup de fil que vous apprenez qu'il vous considérait comme sa seule famille, même si la seule fois que vous l'avez vu, c'était au tribunal, le jour où vous étiez de permanence.

Alors j'espère que vous comprendrez que le numéro de José Bové, qui joue le condamné apeuré quand il a l'assurance d'échapper à l'incarcération s'il fait le nécessaire, et qui n'ira donc que s'il le veut bien, fait plus que m'agacer. Elle me met en fureur.

Changement d'adresse

Avis à la population !

Veuillez mettre à jour vos favoris : désormais, utilisez l'adresse http://maitre-eolas.fr/ pour ce blogue. Ainsi, si ce blogue devait un jour changer d'hébergeur, l'adresse resterait la même et cela ne changerait rien pour vous : vous voilà parés pour l'éternité.

Ceci est le premier des changements annoncés pour 2007.

Qu'on se le dise !

jeudi 11 janvier 2007

Un projet de réforme de la justice par Ségolène Royal

Une mode paradoxale française est sans cesse de vanter l'exception française, pour se convaincre qu'ici tout est meilleur et plus beau qu'ailleurs, et en même temps de se référer aux modèles étrangers pour que tout aille encore mieux : modèle anglais pour les uns, danois pour les autres pour lutter contre le chômage, par exemple.

Ségolène Royal a succombé à cette mode en découvrant un modèle intéressant pour une future réforme de la justice :

J’ai rencontré un avocat qui me disait que les tribunaux chinois sont plus rapides qu’en France. Vous voyez : avant de donner des leçons aux autres pays, regardons toujours les éléments de comparaison.

Absolument. Tous les éléments de comparaison.

[Via Koztoujours]

lundi 8 janvier 2007

La République est elle soluble dans la soupe de cochon ?

Encore une fois, une question juridique a tenu le devant de la scène médiatique. Encore une fois, les questions juridiques en cause ont été consciencieusement évitées pour se concentrer sur l’aspect spectaculaire. Et cette fois encore, comme dans l’affaire du droit au logement opposable, la blogosphère juridique a été très réactive pour donner l’éclairage qui faisait défaut.

Un voyage en terre étrangère suivi d’une journée d’agonie à grelotter sous la couette m’ont empêché d’être aussi prompt , et je vous signale des billets antérieurs d’excellente facture sur la question :
chez Jules (de Diner’s Room),
chez le Silence des Lois,
chez Somni.
Même Embruns, qui est la quintessence du touche à tout (et croyez-moi, vraiment à tout…), aborde le sujet.

Enfin, quand je dis que je n’ai pas été prompt, vous me connaissez désormais assez pour savoir que c’est de la fausse modestie. Cela fait un an que j’avais donné mon avis sur le sujet, dans une discussion en commentaires chez Paxatagore, qui n’a pas perdu de son actualité.

Voici donc une petite bibliographie en guise d’introduction. Souffrez que j’y glisse également trois prolégomènes.

Premier prolégomène :
J’ai parfaitement conscience que le but voulu par l’association à l’origine de cette affaire est de faire du bruit, de faire parler d’eux pour ensuite jouer la carte de la victimisation. Et qu’une parade efficace serait de ne pas en parler. Je suis de ceux qui pensent qu’au lieu de se taire, s’adresser à l’intelligence des lecteurs peut être au moins aussi efficace. Plutôt que laisser le terrain aux jérémiades des caliméros en chemise brune, expliquer ce que dit réellement cette décision permet de démontrer, vous allez voir, que cette association a voulu et recherché cette interdiction, que son but était celui-là ; et non de soulager la faim de ses prochains. Témoin, sa première tentative d’il y a un an, qui a tourné en eau de boudin (humour). Voilà la noblesse de ces pleurnicheurs.

Second prolégomène:
Un juge, quel qu’il soit, quand il statue, ne donne pas son opinion qu’il érige en force de loi :
il tranche sur une question qui lui est posée,
que si elle lui est posée,
uniquement sur ce qui lui est demandé,
et encore à la double condition qu’il soit bien le juge concerné par la question (on dit qu’il est compétent pour examiner cette question) et que la personne qui lui pose cette question soit bien concernée par cette question (on dit qu’elle a qualité pour agir).

Bref : un juge, c’est exactement le contraire d’un blogueur.

Troisième prolégomène :
le droit administratif, dans lequel nous allons nous vautrer avec délice tel le verrat dans sa mare, est un droit prétorien. Ses grands principes résultent tous d’arrêts du Conseil d’Etat qui sont connus sous le nom du principal demandeur. Paradoxalement, le droit administratif est donc le plus proche du droit anglo-saxon et de sa règle du précédent. Tous les juristes de droit public connaissent ces arrêts légendaires qui sont rassemblés dans le fameux GAJA, les Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, outil indispensable à la maîtrise de la matière. Deux de ces arrêts seront cités ici. Ce n’est pas l’auteur qui les a exhumé lors de recherches archéologiques : ce sont des monuments du droit, aussi connus pour les juristes que la tour Eiffel ou le Taj Mahal. Lorsque je les citerai, je ferai une note de bas de page afin d’édifier le lecteur.

Cessons de faire mijoter le lecteur, et venons en au fait.

Une association, que je ne ferai pas l’honneur de nommer, qui revendique clairement sa xénophobie, a décidé de distribuer aux SDF de la soupe faite exclusivement à base de cochon, afin d’exclure de facto de leur distribution les musulmans, juifs et hindous pauvres, qui refusent, pour des motifs religieux, de consommer du porc. On se doute que la première catégorie est plus particulièrement visée.

Plusieurs de ces distributions étant prévues sur Paris du 2 au 6 janvier, le préfet de police, représentant de l’Etat dans la ville lumière, a pris le 28 décembre 2006 un arrêté interdisant ces distributions, en raison d’un risque de trouble à l’ordre public, cette distribution s’analysant en manifestation xénophobe, qui risquait de dégénérer en affrontements.

Il est en effet de vieille tradition républicaine que l’autorité publique puisse prendre des mesures dites de police visant à prévenir des troubles à l’ordre public, quitte ce faisant à restreindre une liberté. L’ordre public regroupe plusieurs aspects : la tranquilité publique, la salubrité publique, la sécurité publique et depuis un récent arrêt Commune de Morsang Sur Orge[1], la dignité humaine.

Cependant, le juge administratif, depuis un célèbre Benjamin [2], exige que la mesure ne soit pas disproportionnée eu égard au but recherché, et que dans le cas d’une interdiction pure et simple, il n’y ait pas d’autre solution. Ce qui implique un examen méticuleux du but recherché, de la proportion des moyens, des autres solutions.

Face à cette interdiction, l’association saisit le juge administratif d’un “référé liberté”.

Le référé liberté est prévu par l’article L.521-2 du code de justice administrative, ainsi rédigé :

Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public [ce qui inclut au premier chef l’Etat, qui agit par ses ministres et préfets - NdA] (…) aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale.

Notez bien ces mots, c’est important : atteinte grave et manifestement illégale. La condition est cumulative. En référé, on ne peut consacrer un temps conséquent à une réflexion juridique approfondie : on est dans l’urgence (le juge a 72 heures pour statuer), et dans l’évidence. L’association a elle-même choisi un terrain difficile, où elle doit démontrer que l’arrêt est manifestement illégal, ou perdre son procès. Peut-être que l’arrêté est illégal, mais si ce n’est pas manifeste, si cela suppose un examen méticuleux du pour et du contre, le juge des référés n’y touchera pas, il n’est pas compétent, cela relève de la procédure de droit commun. Voilà l’enjeu exact du débat.

Le 2 janvier 2007, le tribunal administratif de Paris a considéré qu’il y avait une atteinte grave et manifestement illégale au droit de réunion et de manifestation de l’association concernée, quand bien même cette manifestation était à caractère discriminatoire, et a donc suspendu l’arrêté du 28 décembre 2006.

Le 3 janvier, le ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire a fait appel de cette décision, appel qui, en matière de référé liberté, est porté directement devant le Conseil d’Etat.

Le 5 janvier 2007, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance de référé et confirme l’interdiction de cette manifestation.

Dans sa décision, le Conseil d’Etat statue en deux temps.

D’abord, il examine la décision attaquée par le ministre. C’est le propre des débats d’appel : ce n’est pas un procès à partir de zéro, c’est un procès à partir d’une première décision. Il faut donc commencer par démontrer au juge d’appel que la première décision n’est pas bonne pour pouvoir utilement en demander une nouvelle. C’est un détail essentiel qui échappe à beaucoup de justiciables allant en appel sans avocat (en matière pénale principalement) et qui sont tout surpris quand la première question de la cour est “Et que reprochez vous au jugement, à part de vous avoir donné tort, bien sûr ?”.

Ici, le Conseil d’Etat relève une contradiction de motifs, c’est à dire que le juge s’est contredit en disant que cette manifestation avait un caractère discriminatoire, mais que l’interdire constituait une atteinte manifestement illégale à la liberté de manifester. La loi interdit toute discrimination, c’est même un délit pénal. Dès lors qu’une volonté délictueuse est proclamée et assumée comme mobile à une manifestation, pourquoi dire qu’il est illégal et disproportionné de l’interdire ? Le raisonnement est boîteux, et le Conseil l’annule donc.

Deuxième temps : il n’y a plus de jugement, il faut donc statuer. Le Conseil d’Etat va donc examiner l’affaire comme si elle n’était jamais venue devant un juge : on appelle cela “évoquer”. C’est ce passage de l’ordonnance qui marque le pivot de l’arrêt :

Considérant qu’il y a lieu pour le juge des référés du Conseil d’Etat, statuant par la voie de l’évocation, de se prononcer sur le bien fondé des conclusions de la demande ;

Et là, le Conseil d’Etat va tenir un raisonnement on ne peut plus orthodoxe et conforme à sa tradition.

Tout d’abord, il s’interroge : au nom de quoi le préfet de police a-t-il interdit cette manifestation ?

L’arrêté contesté prend en considération les risques de réactions à ce qui est conçu comme une démonstration susceptible de porter atteinte à la dignité des personnes privées du secours proposé et de causer ainsi des troubles à l’ordre public ;

Ha, ha ! La dignité des personnes ! C’est l’arrêt Morsang Sur Orge. Le préfet a donc invoqué un motif d’interdiction que le Conseil d’Etat a déjà jugé légal par le passé.

Ensuite, le Conseil d’Etat se demande si la liberté de manifestation ne rend pas une telle mesure illégale. Il répond que :

le respect de la liberté de manifestation ne fait pas obstacle à ce que l’autorité investie du pouvoir de police interdise une activité si une telle mesure est seule de nature à prévenir un trouble à l’ordre public ;

Ha, ha ! S’il n’y a pas d’autre solution ! C’est l’arrêt Benjamin, dans tout son classicisme.

La question suivante devrait donc être : cette interdiction était-elle la seule solution ? Si c’est oui, l’arrêté préfectoral est légal, si c’est non, il est illégal.

Sauf que.

Sauf que nous sommes ici en référé. Le juge des référés n’est pas compétent pour répondre à cette question. La seule à laquelle il peut répondre est : cet arrêté est-il manifestement illégal ? Or il a déjà donné tous les éléments de réponse : l’interdiction peut être prononcée si elle invoque bien un motif d’ordre public accepté par le juge administratif, peu importe qu’elle nuise à la liberté de manifester. Et c’est le cas ici. Qu’il y ait une exception au recours à l’interdiction, peu importe ici, on est en référé. On ne peut matériellement s’interroger sur les effectifs de police disponibles pour protéger les membres de l’association, sur la réalité des risques, etc.

Le Conseil d’Etat va donc constater que l’interdiction par le préfet n’est pas manifestement illégale, et il a rempli son office :

En interdisant par l’arrêté contesté plusieurs rassemblements liés à la distribution sur la voie publique d’aliments contenant du porc, le préfet de police n’a pas, eu égard au fondement et au but de la manifestation et à ses motifs portés à la connaissance du public par le site internet de l’association, porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation.

La manifestation n’était pas anodine, son caractère discriminatoire était publiquement affiché sur le site internet de l’association. Dès lors, le risque de réaction violente face à l’humiliation que l’on veut infliger à une certaine catégorie de la population n’est pas inexistant. Cet arrêté n’était donc pas manifestement illégal.

Comme vous le voyez, tout juriste ayant obtenu son diplôme aurait su que cette manifestation pouvait être interdite sans que l’interdiction soit manifestement illégale. Que faire savoir à cor et à cris que cette distribution visait à exclure de son bénéfice les musulmans rendait cette interdiction probable. En fait, ce battage visait à provoquer cette interdiction.

Ce d’autant que ces distributions avaient déjà fait l’objet d’interdictions préfectorales il y a un an.

Ainsi, quoi qu’on en dise, ce n’est pas du politiquement correct de mauvais aloi, ce n’est pas de l’islamophilie déplacée, et surtout ce n’est pas la soupe en elle-même qui a été interdite : que les amateurs de potée dont est votre serviteur se rassurent. Le Jabugo pata negra cinco bellotas n’est pas encore hors la loi, Dieu merci (et si tel était le cas, je jure que je prendrais les armes et appellerais à la sédition, et je parie que les Conseillers d’Etat seraient à mes côtés sur les barricades).

C’est une manifestation xénophobe et discriminatoire qui a été interdite, quel que soit la forme hypocrite sous laquelle elle essayait de se camoufler.

Mes commentaires d’il y a un an reflètent toujours mon opinion, mais le simple fait qu’il y ait eu discussion avec plusieurs points de vue démontre à l’évidence que l’interdiction n’est pas manifestement illégale, et qu’il faut un recours de droit commun pour trancher la question au fond. J’ignore si ce recours a été formé par l’association. En attendant, le principe de l’interdiction demeure.

Notes

[1] Conseil d’Etat, 27 octobre 1995 : le Conseil d’Etat reconnaît la légalité d’un arrêté préfectoral interdisant un spectacle de lancer de nain comme étant contraire à la dignité de la personne et partant, troublant l’ordre public.

[2] Conseil d’Etat, arrêt du 19 mai 1933 : Le Conseil d’Etat déclare illégal et annule un arrêté du maire de Nevers interdisant une conférence de Monsieur Benjamin sur Courteline et Sacha Guitry au motif que des syndicats d’instituteurs avaient menacé de troubler cette conférence, Monsieur Benjamin leur étant peu sympathique, car, dit le Conseil d’Etat, le maire pouvait prévenir ces troubles par d’autres moyens qu’une interdiction radicale, qui était donc disproportionnée eu égard au but recherché

samedi 6 janvier 2007

L'avant projet de loi sur le droit au logement opposable décortiqué

La taupe est un animal guère réputé pour sa fidélité ; une de ces volages talpae europaea a succombé comme la première étudiante de première année venue au charme de la crinière poivre et sel du professeur Frédéric Rolin et a sa façon romantique de parler de la jurisprudence société du granit porphyroïde des Vosges (Conseil d'Etat, 1912), et lui a roucoulé [1] à l'oreille la teneur du futur projet de loi (on appelle cela un avant projet de loi, qui ne devient projet de loi tout court qu'une fois déposé sur le bureau de l'une des deux assemblés parlementaires).

Le pur coup de communication se confirme tristement.

Lien vers le texte de l'avant projet.
Analyse détaillée du texte. Pour lecteurs avertis.
Synthèse de l'analyse. Tout public.

S'il est une chose à retenir de cet avant projet pour démontrer l'inanité du mécanisme, c'est que le droit de saisir le juge administratif, coeur du droit opposable, est soumis au feu vert d'une commission, et surtout que les indemnités ainsi obtenues au terme de plusieurs annés de procédure ne seront pas versées au mal logé mais à un Fonds public d'aménagement urbain qui vise à financer des travaux d'équipement des collectivités locales. Pour résumer, les collectivités locales se verseront de l'argent à elles mêmes, sauf que viendra se déduire de ce jeu d'écriture le coût de fonctionnement des commissions...

Il faudrait que le gouvernement réalise qu'à l'heure des blogues, ce genre de poudre de perlimpimpin ne marche plus.

Notes

[1] Oui, mes taupes roucoulent, je les nourris exclusivement à base d'OGM.

jeudi 4 janvier 2007

La période des bêtisiers

C'est une tradition aux périodes de fêtes de faire un bilan de l'année écoulée en se moquant de ses bêtises, et surtout de celles des autres.

Et c'est, sur un registre un peu différent, ce que nous propose Madame la Professeure[1] Diane Roman, qui enseigne le droit public à la faculté de droit de Tours.

Elle a confectionné un bêtisier de ses étudiants, qui fera surtout rire les juristes, mais les fera rire aux éclats. Je précise à la décharge des étudiants tourangeaux qu'ayant eu l'occasion de corriger moi même des copies de droit d'étudiants parisiens, ils n'ont aucun monopole ni apanage sur les énormités.

Je vous livre dès ici ma préférée :

« Par exemple, la liberté d’aller et venir met en cause deux libertés : la liberté d’aller et [la liberté] de venir. Un compromis doit être fait entre les deux libertés pour éviter les conflits »…

Un rond-point fera-t-il l'affaire ?

Le reste est sur les étrennes que nous propose la professeure[2] Roman.

Notes

[1] Mes fidèles lecteurs savent que je répugne à céder à la mode de la féminisation des noms de fonction ; néanmoins Madame Roman précise dans sa présentation sur son blogue qu'elle a un goût marqué pour cette fantaisie, ce que la courtoisie et la galanterie m'obligent à respecter l'espace de ce billet qui lui rend hommage.

[2] Merci Firefox 2 et son correcteur d'orthographe intégré de me donner raison par un soulignement rouge...

mercredi 3 janvier 2007

Le droit au logement opposable

Les gazettes bruissent d'hosannas, les hautbois jouent et les musettes résonnent. En cette période de quasi Noël, alors que l'Enfant-Jésus grelotte encore du fait que ses parents n'ont pas trouvé de logement en attendant l'arrivée des Rois-Mages samedi, le législateur aurait été touché par la grâce.

Les Enfants de Don Quichotte (qui chargeait des moulins à vent, tandis que ses enfants chargent des tentes) ont obtenu gain de cause, et le législateur va faire accoucher le parlement aux forceps, ou peut-être devrait-on parler de césarienne, tant on est en présence d'un fait du Prince, va le faire accoucher donc d'un droit au logement opposable.

Ce terme est docilement repris par les journalistes, qui n'ont guère l'air de s'interroger sur le sens exact de cette expression et sur son application concrète.

Vous savez comme j'adore jouer les trouble-fêtes, vous pouvez donc compter sur moi pour soulever le couvercle de la marmite pour goûter la soupe à la couleuvre que le gouvernement est en train de nous concocter.

Tout d'abord, c'est quoi un droit opposable ?

Jules, dont la faculté de récupération post-agapes fait la jalousie de tous à la République des Blogs, a dégainé le premier. Je vous renvoie à ses développements, mais pour faire court, un droit opposable est un droit qui ne crée pas d'obligation à l'égard des tiers mais dont ceux-ci doivent tenir compte juridiquement. C'est ce qu'on appelle l'opposabilité.

Rassurez-vous, je développe.

Un droit crée ce qu'on appelle en droit des obligations. Une obligation est un lien de droit qui permet à une personne, le créancier, d'exiger d'une autre, le débiteur, quelque chose de précis, ce qu'on appelle l'objet de l'obligation. C'est là le schéma d'un rapport juridique. Le boulanger qui vend une baguette est tenu de remettre une baguette à l'acheteur, qui doit lui payer 80 centimes. Le boulanger est créancier de 80 centimes et débiteur d'une baguette. Le client est créancier d'une baguette et débiteur de 80 centimes.

Les termes de créanciers et débiteurs sont habituellement employés pour désigner celui à qui on doit de l'argent et celui qui doit cet argent. C'est qu'une dette d'argent est le rapport juridique le plus fréquent, mais ce n'est pas le seul. On peut être créancier d'un bien (d'une baguette dans notre exemple).

Les obligations naissent de deux sources : l'autorité publique, c'est ce qu'on appelle au sens large la loi, et de l'accord des parties, c'est ce qu'on appelle une convention, ou un contrat.

La loi s'applique à tous ceux qu'elle concerne, de manière générale et surtout égale. Nul n'est censé l'ignorer, c'est à dire nul ne peut dire "Ha, mais je ne suis pas au courant" pour être délivré de ses obligations.

Les contrats ont la même force que la loi, mais, et c'est une réserve capitale, qu'entre les parties au contrat. Pour quelqu'un qui n'est pas partie, ce qu'on appelle un tiers, il est inopposable. Un tiers peut valablement dire "Ha, mais je ne suis pas au courant". La loi, elle, ne connaît pas de tiers.

Cette règle s'applique aussi aux jugements, qui n'ont d'autorité qu'à l'égard des parties qui ont été dûment mises en cause. Pour les tiers, il est inopposable.

Un exemple ? D'accord.

Vous avez un contrat avec un fournisseur d'accès internet. Il crée pour ce fournisseur l'obligation de vous fournir un accès effectif à l'internet. Il crée à votre charge l'obligation de vous acquitter périodiquement d'une certaine somme.

Une loi est votée qui crée une journée sans internet le 3 janvier de chaque année. Cette loi oblige les fournisseurs d'accès internet à couper l'accès au réseau de 0 heure à 24 heures le 3 janvier de chaque année. Vous vous retrouvez donc sans internet ce jour là. Peu importe les lettres incendiaires que vous écrirez à votre fournisseur, il vous répondra que la loi lui impose de clore son accès à internet le 3 janvier. Cette loi ne crée aucune obligation à votre égard, vous n'êtes pas fournisseur d'accès. Mais elle vous est opposable. Vous devez tenir compte de son existence. Si vous faites un procès à votre fournisseur demandant des dommages-intérêts pour rupture de contrat, le tribunal vous déboutera, car cette rupture de contrat est le résultat du respect par le fournisseur de la loi, loi qui vous est opposable de par sa publication au J.O.

Le 4 janvier, votre accès au réseau n'est toujours pas établi. Votre fournisseur vous explique que le responsable de ses serveurs a pris ses congés, et qu'il ne pourra rétablir l'accès qu'à son retour. Là, il invoque la nécessité pour lui de respecter le contrat de travail qui le lie à son responsable des serveur. Mais ce contrat de travail n'est qu'un contrat, vous n'êtes pas partie à ce contrat, vous êtes un tiers. Ce contrat vous est inopposable. Quand bien même il est légitimement tenu d'accorder des congés à son employé, cela ne le délivre nullement de ses obligations contractuelles envers vous. Cette fois, le tribunal vous donnera gain de cause, car cette rupture de contrat n'est pas justifié par une cause légitime qui vous soit opposable.

Notons que le droit de propriété est un droit par nature opposable à tous (on dit erga omnes pour faire chic), même aux tiers au contrat de vente.

Adoncques, le gouvernement veut créer un droit au logement opposable. Comprendre que c'est le droit qui est opposable, pas le logement.

Comme à présent le concept d'opposabilité vous est familier, je vous vois froncer un sourcil devant cette phrase manifestement incomplète.

« Opposable, à la bonne heure !» vous exclamez vous, « Il ne l'est donc pas pour le moment ? Et il sera opposable à qui ? ».

L'opposabilité du droit au logement

La loi proclame un droit au logement. Mais suivant une maladie contemporaine du législateur, il ne s'agit que d'une proclamation solennelle destinée à faire joli et à marquer le profond intérêt de la représentation nationale, tellement profond que l'aspect bassement matériel consistant à s'assurer l'effectivité de ce droit lui passe au-dessus[1].

Cette proclamation a eu lieu dans la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, sans doute une des plus connues de nos concitoyens puisqu'elle s'applique à tous les baux d'habitation de logement nus. Vous louez un appartement mais les meubles sont à vous ? Vous avez pris à bail un logement nu.

Son article 1er s'ouvre sur cette formule :

Le droit au logement est un droit fondamental ; il s'exerce dans le cadre des lois qui le régissent.

Nous voilà bien avancés. Essayez de dire au propriétaire qui refuse de vous louer son appartement parce que vous n'êtes ni fonctionnaire ni imposable à l'ISF que votre droit au logement est un droit fondamental. Quant au fait qu'il s'exerce dans le cadre des lois qui le régissent, c'est une jolie lapalissade publiée au JO. Il ferait beau voir qu'il s'exerçât en violation des lois qui le régissent !

Notez bien que cette phrase ne crée aucune obligation. A l'instar des lois qui reconnaissent tel ou tel événement historique, il ne s'agit de loi que parce que ce texte est voté par le parlement et publié au J.O. Une liste des courses votée en séance publique pourrait aussi bien être qualifiée de loi. Fort heureusement, le conseil constitutionnel veille et annule de plus en plus facilement les phrases qui ne posent que de jolis principes et proclament des belles intentions. La loi est l'expression de la volonté générale, elle doit poser des règles, pas exprimer des voeux pieux.

Le législateur va quand même un peu plus loin à l'alinéa suivant.

L'exercice de ce droit implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d'habitation grâce au maintien et au développement d'un secteur locatif et d'un secteur d'accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales.

Maintien par qui ? Développement par quoi ? Mystère.

Bref, ici, pas de règles ni d'obligation.

Le projet de loi annoncé par le gouvernement permettrait, je cite Le Monde, de

la possibilité pour toute personne remplissant les conditions fixées par la loi d'obtenir de l'Etat, par l'intermédiaire du maire de la commune agissant en son nom, un logement correspondant à ses besoins personnels et familiaux.

Ha. Mais s'il n'y a pas de logement ?

En cas de refus ou d'absence de réponse du maire, une "commission de conciliation" peut être saisie et, si le litige persiste, la décision sera soumise au juge administratif.

Donc, cette loi crée une obligation à la charge de l'Etat, en fait du maire, de fournir un logement. Le non-respect de cette obligation pouvant être porté devant le juge administratif, qui condamnera le cas échéant l'Etat à indemniser l'administré non logé malgré ses demandes. C'est donc un droit opposable à l'Etat qui va être créé, par opposition au droit inopposable à quiconque proclamé à l'article 1er.

Que voilà une bonne nouvelle.

Sauf que les conditions prévues par la loi permettant d'obtenir ce logement restent à définir. Que la procédure d'indemnisation devant le tribunal administratif prend des années (dans 15 jours, un tribunal administratif va examiner une requête que j'ai déposée début 2004) pour des sommes misérables (la mort d'un enfant de 10 ans est indemnisée quelques milliers d'euros, alors le fait de ne pas avoir trouvé un logement, je vous laisse imaginer). Et surtout que la loi ne permet pas de créer des logements là où il n'y en a pas. Bref, des demandes aboutissant à une indemnisation effectives seront rarissimes, en supposant qu'il y en ait un jour.

Mais le gouvernement a enfin pris conscience de la gravité du problème du logement, gaudeamus, non ?

Non. J'ai un principe : je ne me réjouis jamais face à de la démagogie.

Parce que le 27 octobre 2005, le gouvernement a déposé au Sénat un projet de loi portant engagement national pour le logement, dont l'exposé des motifs commence ainsi :

La gravité de la crise actuelle du logement appelle des décisions fortes et urgentes de la part du Gouvernement.

ce projet de loi a été adopté et est devenu la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement. Ce texte n'est pas sexy, ce n'est que de la modification de codes, du droit de l'urbanisme et des mesures fiscales. Un cauchemar pour porte-parole de gouvernement. Mais c'est du concret. Il y a cinq mois, tout un train de mesures a été adopté. C'est long à mettre en place, car la construction de logements prend du temps, nécessite des autorisations en nombre, même si elles sont facilitées par cette loi, et suppose un financement. Mais le parlement, sur ce coup là, a plutôt bien travaillé.

Et plutôt que d'expliquer comme à un peuple d'adultes ce qu'il a fait, le gouvernement préfère, face à une vague médiatique à l'approche d'une échéance électorale majeure, prendre le peuple pour des enfants et faire voter un joli gadget qui scintille, qui passe bien à la télévision, mais qui n'apportera rien et va perturber le fonctionnement du parlement qui travaille déjà à plein régime à moins de deux mois de la fin de ses travaux. Et pour éviter que les journalistes ne se posent trop de questions sur le fonctionnement, on recouvre le tout d'un nappage de jargon juridique, qui est le meilleur épouvantail à questions : un droit au logement "opposable", une commission de conciliation et un recours devant le tribunal administratif. Des questions ? Non ? Merci, et bonne année.

Et ce qui à mon sens est le problème principal demeure, qui n'est pas tant le manque de logements existants : on sait qu'il y en a des centaines de milliers de vides. C'est que le droit français fait tout pour décourager les propriétaires de louer. Le revenu foncier est le plus taxé de tous : il est soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu, plus les 11% de prélèvements sociaux que sont la CSG et la CRDS, dont seulement 5% sont déductibles... l'année suivante. La loi de finance qui vient d'être votée a en plus supprimé l'abattement forfaitaire de 14% sur ces revenus.

Ajoutez à cela les règles protectrices du locataire, qui partent d'un bon sentiment, mais achèvent de décourager bien des bonnes volontés. Elles contraignent le propriétaire à ne pouvoir récupérer son bien que tous les trois ans, à certaines conditions et en respectant un préavis de six mois, et s'il se trompe, c'est reparti pour trois ans ; que l'expulsion d'un locataire qui ne paye plus est terriblement longue, coûteuse et compliquée, quand la préfecture veut bien accorder l'assistance de la force publique qui seule permet l'expulsion effective. Chaque année, des milliers de propriétaires se font saisir et vendre aux enchère leur bien occupé par un locataire qui ne paye pas ; la vente d'un bien occupé se faisant à un prix largement inférieur au prix du marché, il n'est même pas certain que le propriétaire récupère quelque chose après la vente.

C'est un paradoxe bien connu qui veut que protéger une situation la rend plus difficilement accessible. Il en va du logement comme du travail. Mais cet aspect là est intouchable.

Il existe un fantasme du travail et du logement à vie, et un mythe du propriétaire nanti exploitant le pauvre locataire qu'il faut toujours protéger. Il va sans dire qu'aborder un problème via un prisme déformant est le meilleur moyen de ne pas le régler. Et que le coercitif n'a jamais réglé un problème aussi bien que l'incitatif.

Alors le gouvernement crée des "droits opposables", vote des lois-gadget inutiles, et prie pour que la bombe médiatique ne lui explose pas à la figure d'ici le 22 avril.

Il y aura encore bien des SDF à Noël 2007. Peu importe, les élections seront passées.


Mise à jour 14:22 : Frédéric Rolin, nouveau membre fraîchement admis dans Lieu-Commun, aborde également le sujet sur le ton à la fois doctrinal, spirituel et précis qui fait sa réputation aux banquets de la Société des Agrégés et fait de l'ombre à votre serviteur. Il me fait découvrir l'origine de cette expression bancale, qui est issu d'un rapport de 2002 du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées. Quand je vous disais que les commissions et comités étaient une autre maladie française... Il aura donc fallu tout le mandat présidentiel pour que le gouvernement réalise "l'urgence" de ce droit au logement opposable...

Notes

[1] Oui, je sais. Tellement profond que ça lui passe au-dessus. Le travail législatif respecte les lois de la pataphysique.

mardi 2 janvier 2007

L'heure des bilans

C'est un classique que de faire des bilans et des réveillons à chaque passage à une nouvelle année.

Ayant sacrifié à cette deuxième tradition, et ayant respecté ma réputation de m'attaquer à des Moulins-A-Vent, il me reste à me mettre en conformité avec la première.

Ce blogue semble être arrivé à une vitesse de croisière, sa croissance continuelle ayant fait place à des pics liés à l'actualité et aux sujets traités.

Il est passé d'une moyenne de 5700 visiteurs par jour en décembre 2005 à 7500 en décembre 2006.

C'est la loi DADVSI qui m'a encore une fois apporté mes pics de fréquentation, le record étant la journée du 28 juillet 2005, sur ce billet commentant la décision du Conseil constitutionnel, avec 14 613 visiteurs uniques.

Juste après vient l'affaire du CPE, qui a amené ici le 6 avril dernier 14 130 visiteurs uniques, la semaine du 3 avril ayant fait monté ma moyenne de visiteurs unique à plus de 10 000.

Cela démontre que mon travail d'explication et de vulgarisation est ce qui plaît le plus, en tout cas attire le plus les lecteurs. Mais je crains de perdre un de mes meilleurs pourvoyeurs d'audience au mois d'avril prochain...

2007 sera une année de changements sur ce blogue. Il a deux ans sous cette forme là, un petit coup de jeune ne lui fera pas de mal. Affaire à suivre, mais c'est pour bientôt.

Que dire de plus, si ce n'est bien sûr que je vous souhaite à toutes et à tous une excellente année 2007.

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