Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 14 mars 2007

mercredi 14 mars 2007

Association de malfaiteurs

Je suis tombé, via l'observatoire des blogs francophones, sur cette vidéo d'un beau geste qui pourrait coûter plus cher que le montant du chèque qui en est à l'origine.

La journaliste de LCI Valérie Expert reçoit en direct dans son émission André Garrec, maire de Noron-la-Poterie, pittoresque bourgade du Calvados, faisant partie du Bessin potier, réputée depuis le moyen âge pour son argile "terre de Noron" qui donne à la cuisson une couleur rouge brun Van Dick caractéristique, et Rachid Nekkaz, aspirant à la candidature aux élections présidentielles.

Ce maire a annoncé à cor et à cris qu'il mettait son droit de présentation aux enchères, contre une subvention aux associations communales. Un premier parti, le Front national, aurait proposé 1500 euros, et in extremis, Rachid Nekkaz rafle la mise en rajoutant 50 euros de plus sur la table.

Valérie Expert réunit donc les deux hommes, et sous les yeux complaisants de la caméra, un chèque est signé, le formulaire est rempli et signé, et les deux effets sont échangés. Avec un rebondissement à la fin.

Le citoyen salue le geste de Rachid Nekkaz d'un bref hochement du menton, conscient que la publicité que vient de s'offrir le candidat des banlieues vaut bien plus que 1550 euros.

L'avocat, lui frémit.

Sous nos yeux, ce n'est pas moins de trente années de prison, 1.200.000 euros et 15 années d'inéligibilité qui nous contemplent.

Je m'explique.

André Garrec, en sollicitant et agréant un don, peu important qu'il ne fut pas fait directement à sa personne, en vue d'accomplir un acte de sa fonction, s'est rendu coupable de corruption passive, passible de dix années d'emprisonnement, 150.000 euros d'amende et cinq années d'inéligibilité (art. 432-11 du Code pénal).

Rachid Nekkaz, en proposant directement un don pour obtenir du sus-mentionné, investi d'un mandat électif, qu'il accomplisse un acte de sa fonction, s'est rendu coupable du délit de corruption active (Art. 433-1 du Code pénal), passible des mêmes peines.

Valérie Expert, en prêtant sciemment assistance aux sus-mentionnés, en les faisant se rencontrer sur son plateau, facilitant ainsi ces infractions, s'en rend complice, encourant les mêmes peines (art. 121-7 du Code pénal).

LCI, chaîne pour le compte de laquelle les actes de complicité sont commis, est également complice et encoure quant à elle 750.000 euros d'amende (cinq fois l'amende encourue par les personnes physiques), sous réserve dans son cas de la condition d'intervention d'un organe ou représentant, je ne connais pas l'étendue des pouvoirs des producteurs de cette émission, il est possible qu'ils aient outrepassé leurs fonctions, ce qui mettrait la chaîne hors de cause (art. 121-2 du Code pénal).

Le geste final de destruction spontanée de l'objet du délit est indifférent. La corruption est un délit instantané, qui est devenu parfait au moment de l'échange du chèque et du formulaire. Si avant cet instant l'un des intervenants avait suspendu son geste, il y aurait eu tentative interrompue non punissable, mais tel n'est pas le cas. Tout au plus ce faisant Rachid Nekkaz s'est mis à l'abri d'une incrimination pour recel.

Maintenant, il est certain que le geste du candidat justifie le prononcé d'une peine fort indulgente ; indulgence que le maire de Noron me semble moins mériter ; quant à l'attitude de la journaliste, n'en parlons pas.

Je serais procureur de Nanterre (les faits ayant été commis à Boulogne Billancourt), je me demanderais si je dois bien tolérer qu'un candidat à la présidence de la République corrompe un élu en direct sur un plateau télévisé dans mon ressort. Vous savez que les parquetiers sont psychorigides dès qu'ils voient un délit passible de dix ans d'emprisonnement, surtout quand il concerne des élus. J'essaie de les décoincer à l'audience, mais ça ne marche jamais.

Mariage homosexuel : la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par les époux putatifs

Par un bref et lapidaire arrêt, la première chambre civile de la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par les époux putatifs dans la fameuse affaire du mariage homosexuel de Bègles.

- Pardon, Maître...

- Oui, ma lectrice bien-aimée[1] ?

- Que veut dire donc ce mot de putatif que vous employâtes à deux reprises, accolé au mot "mariage" ?

- Le mariage putatif, chère lectrice, est dit du mariage annulé en justice mais qui, par un adoucissement jurisprudentiel, continue à produire certains effets de droit. Par exemple, les enfants nés dans un mariage annulé n'en restaient pas moins légitimes, à l'époque à présent révolue, mais pas depuis si longtemps, ou on distinguait les filiations légitimes, naturelles et adultérines. Je ne puis appeler les époux de Bègles époux : l'annulation du mariage me le prohibe. Si j'ajoute l'épithète putatif, je respecte la loi et leur rends néanmoins le titre d'époux pour lequel ils se sont tant battus. Puisqu'ils se sont battus pour le symbole, je leur offre une victoire symbolique.

- Je reconnais bien là votre délicatesse qui a fait votre réputation sur Technorati. Mais continuez, continuez, je bois vos paroles.

- Alors, Je tâcherai de vous enivrer sans vous soûler. C'est donc la première chambre civile de la cour de cassation qui a statué, chambre qui tient ses audiences les mardi et mercredi, et qui est compétente entre autres pour les affaires relevant de l'état des personnes. Deux arguments étaient soulevés contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, que j'avais déjà commenté en son temps.

- Oui, je m'en souviens fort bien. La modestie vous fait taire le fait que vous aviez annoncé cette nullité avant même que le mariage ne soit célébré, nous gratifiant à cette occasion d'un jeu de mot qui a fait la réputation de votre blog dans toutes les salles de garde de l'Assistance Publique.

- Tout cela ne nous rajeunit pas. Et bien, apportons une nouvelle pierre à l'édifice, qui ne sera toutefois pas la dernière.

- Et comment cela ? Le Monde annonce pourtant que la cour de cassation a définitivement annulé le mariage de Bègles ?

- Le Monde va un peu vite en besogne, même si l'avenir lui donnera probablement raison. Mais chaque chose en son temps : voyons ce qui a été dit, avant de voir ce qui sera fait. Les époux putatifs soulevaient donc deux arguments, que l'on appelle des moyens de cassation en procédure civile. Le premier moyen, cité en italique dans le texte de l'arrêt, visait à dénier au procureur de la République de Bordeaux le droit de demander au tribunal de grande instance de cette ville d'annuler ce mariage.

- Ha ? Et pourquoi n'aurait-il pu ?

- Parce que, arguaient nos mariés éphémères, l'article 184 du Code civil permet au ministère public d'agir en nullité d'un mariage quand celui-ci a violé l'un des articles du Code civil énuméré par ce même article 184, soit portant sur la condition d'âge des époux, le défaut de consentement de l'un des époux, l'absence physique de l'un des époux à la célébration, la bigamie, et la trop proche parenté. Or ici, aucun de ces cas de nullité n'était invoqué par le ministère public.

- Le moyen semble sérieux.

- Il succombe néanmoins, la cour de cassation relevant que le ministère public avait fait opposition à ce mariage, et qu'il a été néanmoins célébré par l'officier d'état civil : dès lors que ce mariage a été célébré illégalement malgré la voie de droit employée par le parquet, le parquet tirait de l'article 423 du nouveau code de procédure civile qualité à agir pour atteinte à l'ordre public.

- Ainsi, c'est le maire qui a célébré la noce qui a donné par son comportement les moyens au ministère public de la faire annuler ? La morale ne semble pas froissée par cette solution.

- Peu me chaut : le droit ne l'est point, et c'est ce qui compte à mes yeux ; quant à ce qui compte à mon coeur, cela n'a point sa place dans un prétoire.

- J'aime quand vous faites votre bourru. Vous n'êtes pas crédible, mais c'est mignon. Et quel était le second moyen ?

- Vous parlez déjà comme un avocat aux Conseils, chère amie ! Le deuxième moyen se divisait en cinq arguments, qu'on appelle des branches (le premier moyen se divisait ainsi en deux branches : d'une part, violation de l'article 184 du Code civil et d'autre part, violation de l'article 423 du nouveau Code de procédure civile). Ce moyen est le plus intéressant car il porte au fond du droit, et non sur la recevabilité de l'action. Voici les cinq arguments des époux putatifs :

  1. Le Code civil ne mentionne nulle part expressément la condition de différence de sexe.
  2. Refuser le mariage aux personnes de même sexe porte atteinte à leur droit à une vie privée et familiale normale protégée par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et constitue une discrimination fondée sur le sexe prohibée par l'article 14 de la même convention.
  3. Exclure les coupes homosexuels car ils ne seraient pas naturellement féconds contrevient au droit au mariage protégé par l'article 12 de cette même convention et constitue une discrimination fondée sur le sexe prohibée par l'article 14 (notons que cet argument n'a à aucun moment été retenu par la cour d'appel de Bordeaux).
  4. L'article 12 de la CEDH protège le droit au mariage de l'homme et de la femme, sans exiger que les deux époux soient nécessairement de sexe différent, dès lors la décision de la cour d'appel viole les articles 12 et 14 de la CEDH (notons que la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme dit expressément le contraire).
  5. Enfin, la position de la cour d'appel de Bordeaux violerait l'article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[2], qui ne vise aucunement une condition de sexe.

- Tiens ? Cette Charte est en vigueur ?

- Et non, chère lectrice, car un couple de pays de l'Union dont je tairai le nom a rejeté le Traité portant Constitution pour l'Europe qui l'intégrait dans le droit européen, dans la fameuse deuxième partie. Et figurez vous que presque deux ans après, il en est qui chantent encore victoire.

- Le goût de certains pour l'absence de garanties de leurs droits me laisse sans voix.

- Nul n'est plus prisonnier que l'esclave heureux de son sort, ma chère. La cour de cassation rejette en bloc cette argumentation, en posant lapidairement que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ; que ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui n’a pas en France de force obligatoire ».

- La cour de cassation a beau avoir un nom féminin, je ne la trouve pas bavarde.

- C'est une vieille tradition. Mais il est néanmoins aisé de comprendre. Le mariage est l'union d'un homme et d'une femme : ici, la cour de cassation interprète le droit, comme c'est sa mission première. Elle pose clairement que selon le Code civil actuel, le mariage s'entend de l'union de l'homme et de la femme.

- Et d'où sort-elle ce sens ?

- Du dictionnaire. Ce n'est pas à la cour de cassation de changer le sens des mots, c'est au législateur de changer les mots.

- Et sur les arguments tirés de la CEDH ?

- La Cour européenne des droits de l'homme refuse de faire du droit au mariage entre personnes du même sexe un droit protégé par l'article 12. Son interprétation est pour le moment que le mariage s'entend de l'union de l'homme et de la femme. Si un pays veut légaliser une telle union, libre à lui, bien sûr. Mais la cour refuse de l'imposer aux pays ayant ratifié la convention.

- Qu'en conclure ?

- Que le législateur ne peut plus se défausser sur les juges. C'est à lui de modifier la loi ou d'expliquer pourquoi il s'y refuse. Bref, le débat doit avoir lieu au parlement et non dans la prétories. Cela tombe bien, les législatives, c'est dans trois mois.

- Me permettez-vous une question ?

- Une, dix, cent ou mille, je suis votre serviteur.

- Galant homme. Vous disiez que cette pierre n'était pas la dernière ?

- Non, en effet. Nos déboutés peuvent porter l'affaire devant la cour européenne des droits de l'homme, puisqu'ils ont invoqué devant les tribunaux français la violation d'au moins un des articles de la CEDH. Ils ont six mois pour ce faire.

- Et qu'adviendra-t-il ?

- Ils seront très probablement déboutés. La cour a une position claire sur la question de l'article 12. Mais si la cour revirait de jurisprudence, tout pourrait recommencer.

- Comment cela ?

- La loi française prévoit une possibilité de demander la révision d'un procès à la suite d'une condamnation de la France pour violation de la CEDH. La mariage de Bègles n'est donc pas définitivement mort. Même si je ne parierais pas grand chose sur lui.

- Merci, cher Maître. Je vous quitte édifiée.

- Chère Madame, je suis le plus heureux des architectes.

Notes

[1] Qu'il soit permis à votre serviteur, à l'instar de Pierre de Siorac, la fantaisie de s'imaginer lu par une lectrice plutôt qu'un lecteur, quand bien même mes lecteurs du sexe forts sont ici fort bienvenus.

[2] Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice.

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