Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 12 avril 2007

jeudi 12 avril 2007

Un plaidoyer du temps jadis

Un peu pris par le temps aujourd'hui, je vais faire appel au talent d'autrui pour vous proposer une bien belle plaidoirie, superbement écrite, ce joli texte étant je pense de nature à inspirer utilement l'action publique encore aujourd'hui. C'est à Philippe Meyer, chroniqueur du dimanche sur France Culture, que je dois d'avoir découvert ce texte, qui m'a ravi, et je ne résiste pas au plaisir de vous le faire partager.

Nous sommes sous le règne de Louis XIV. Sébastien Le Prestre de Vauban, ingénieur militaire, est en charge de la construction d'une de ses nombreuses fortifications. Une accusation parvient aux oreilles de Louvois, ministre de la guerre de Louis XIV, selon laquelle deux des ingénieurs travaillant sous les ordres de Vauban, Montguirault et Vollant, auraient faussé sur leurs comptes les mesures de certains ouvrages pour augmenter artificiellement leur coût et empocher la différence. O tempora o mores, sauf que ce type d'escroquerie existe encore aujourd'hui en matière de travaux publics.

A travers ces deux ingénieurs, c'est bien sûr Vauban qui est visé, car on ne peut imaginer que ces deux ingénieurs puissent falsifier des mesures sans que l'ingénieur en chef ne s'en aperçoive, sauf à ce qu'il admette qu'il n'effectue aucun contrôle et est dans ce cas gravement négligent.

Expert en poliorcétique, Vauban sait bien que la meilleure stratégie de l'assiégé est bien souvent d'attaquer en veillant toutefois à ne pas perdre pour autant l'avantage d'être le défenseur.

C'est exactement ce qu'il va faire, en écrivant ce courrier à Louvois.

« Recevez, s'il vous plaît, toutes leurs plaintes, Monseigneur, et les preuves qu'ils offrent de vous donner; que si vos grandes affaires vous occupent trop, commettez-y quelque honnête homme qui examine bien toutes choses à fond et qui vous en rende compte après. Ne craignez point d'abîmer Montguirault et Vollant ; je suis bien sûr qu'ils n'appréhendent rien là-dessus ; mais, quand cela serait, pour un perdu, deux recouvrés.

« Quant à moi qui ne suis pas moins accusé qu'eux, et qui, peut-être, suis encore plus coupable, je vous supplie et vous conjure, Monseigneur, si vous avez quelque bonté pour moi, d'écouter tout ce qu'on vous pourra dire contre et d'approfondir afin d'en découvrir la vérité; et si je suis trouvé coupable, comme j'ai l'honneur de vous approcher de plus près que les autres et que vous m'honorez de votre confiance plus particulière, j'en mérite une bien plus sévère punition. Cela veut dire que, si les autres méritent le fouet, je mérite du moins la corde; j'en prononce moi-même l'arrêt, sur lequel je ne veux ni quartier ni grâce.

« Mais aussi, si mes accusateurs ne peuvent pas prouver ou qu'ils prouvent mal, je prétends qu'on exerce sur eux la même justice que je demande pour moi. Et sur cela, Monseigneur, je prendrai la liberté de vous dire que les affaires sont trop avancées pour en demeurer là; car je suis accusé par des gens dont je saurai le nom, qui ont semé de très méchants bruits sur moi, si bien qu'il est nécessaire que j'en sois justifié à toute rigueur.

« En un mot, Monseigneur, vous jugez bien que, n'approfondissant point cette affaire, vous ne sauriez rendre justice; et ne me la rendant point, ce serait m'obliger à chercher les moyens de me la faire moi-même et d'abandonner pour jamais la fortification et toutes ses dépendances. Examinez donc hardiment et sévèrement, bas toute tendresse; car j'ose bien vous dire que, sur le fait d'une probité très exacte et d'une fidélité sincère, je ne crains ni le Roi, ni vous, ni tout le Genre humain ensemble. La Fortune m'a fait naître le plus pauvre gentilhomme de France; mais, en récompense, elle m'a honoré d'un cœur sincère, si exempt de toute sorte de friponneries qu'il n'en peut même souffrir l'imagination sans horreur, et là-dessus je suis, Monseigneur, avec le plus profond respect du monde, votre très humble, très obéissant et obligé serviteur. »

Avouez que l'affaire Clearstream aurait plus de gueule si les mis en cause s'exprimaient ainsi...

Cité dans Vauban, de Daniel Halévy, Editions de Fallois.

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