Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 21 mai 2007

lundi 21 mai 2007

Insolence

Comme promis, voici l'extrait jubilatoire d'une série américaine qui est à mon avis un grand moment d'insolence.

La série en question s'appelle Boston Legal, et n'est pas à ma connaissance diffusée en France (mise à jour) diffusée sur TF1 sous le titre de Boston Justice pendant l'été. C'est une série du génial David E. Kelly, ancien avocat devenu auteur de séries télévisées, à qui on doit déjà Ally McBeal et The Practice (Donnel & Associés), sans doute la meilleure série judiciaire à ce jour.

Boston Legal est une série dérivée de The Practice. Elle suit Alan Shore (joué par James Spader), qui apparaît dans la dernière saison de The Practice, et qui rejoint ensuite le cabinet Crane, Poole & Schmidt. L'avocat associé Denny Crane est d'ailleurs joué par William Shatner (le capitaine Kirk de Star Trek, vous pouvez l'apercevoir assis à gauche du client dans l'extrait que nous allons voir).

Dans cet épisode, Guantanamo By The Bay, Alan Shore assiste Benyam Kallah, sujet britannique, qui a été capturé en Afghanistan par des villageois et livré aux américains comme agent d'Al Qaeda (ce qui leur faisait toucher une prime). Il a été détenu deux ans à Guantanamo avant d'être relâché sans faire l'objet de poursuites. Il poursuit les Etats-Unis d'Amérique, représentés par le US Attorney Mark Freeman (ce qui signifie Homme Libre, un clin d'oeil du scénariste). L'audience ne porte ici que sur la compétence d'une juridiction du Massachusetts de connaître de cette affaire.

Au cours du procès, le US Attorney a présenté une défense qui résume les arguments de l'administration Bush : Guantanamo n'est pas aux Etats-Unis, les prisonniers ne sont pas des prisonniers de guerre et donc ne sont pas protégés par les Conventions de Genève, et les techniques d'interrogatoires poussées servent à sauver des vies, car nous sommes en guerre, ne l'oublions pas.

C'est au tour d'Alan Shore de prendre la parole.

Voici la traduction de cette scène par votre serviteur.


Alan Shore : Votre Honneur, je crois qu'un avocat doit faire passer son pays avant son client, et pour cette raison, je vais avoir la démarche assez inhabituelle de vous demander de débouter mon client. (Il s'asseoit)

US Attorney Mark Freeman : Objection. C'est une ruse.

Alan Shore : Ce n'est pas une ruse. Quand bien même vous exposez, et j'en conviens, que personne ne sait comment combattre cette guerre, je pense que nous devrions obtempérer aux instructions du pouvoir exécutif qui a en effet démontré une expertise particulière en la matière. Pour ma part, je trépigne d'impatience de voir ce qu'il va faire maintenant.

Juge Folger : Monsieur Shore ! Je vous ai dit que je ne vous laisserai pas faire de cette affaire une controverse politique.

Alan Shore : Et je vous donne ma parole, Votre Honneur, que cela ne m'a jamais caressé l'esprit. Et, au fait, si quelqu'un devait condamner Guantanamo, ce que pour ma part je ne ferai jamais, cela n'impliquerait pas la mise en cause du seul gouvernement, mais de tout le congrès, Hillary Clinton et Barack Obama inclus. Le silence du congrès ne pourrait en effet être attribué qu'à son consentement, son acquiescement, ou son désintérêt, faites votre choix. Mais on peut sans risquer de se tromper affirmer qu'il s'en fiche. Je devrais peut être mentionner aussi Joe Biden, parce qu'il veut tant que les gens sachent qu'il est candidat lui aussi à la présidence.

Juge Folger : Dites-moi en quoi cela vous concerne.

Alan Shore : Mais ça ne me concerne pas. Je vous dis : « déboutez ! ».

Ca concerne mon client, mais, allons ! C'est un pleurnicheur. Alors, il a été battu un petit peu, bâillonné avec du ruban adhésif ? Sexuellement agressé ? Mais d'abord, il n'aurait jamais dû être là-bas à faire de l'aide humanitaire.

Et alors, quoi ? Il espère être entendu ? Avoir un procès ? Un avocat ? Il veut que le gouvernement présente des preuves. (Il se tourne vers son client et hurle) Nous sommes en guerre !! Nous devons faire des sacrifices !! (il se tourne vers le juge, il lève ses yeux au ciel)

Et nous devons commencer par les petites choses. Comme les droits de l'homme.

Je conviens que le pouvoir exécutif a une expertise particulière en la matière. En fait, je pense qu'il a été brillant.

Qualifier les prisonniers de combattants ennemis plutôt que de prisonniers de guerre, afin que nous puissions contourner la convention de Genève et les torturer ? Brillant !

Baser le camp à Cuba afin que la Constitution ne nous gêne pas ? Brillant !

Et d'après le projet de loi de procédure préparé par le Pentagone, - celle-là, c'est ma préférée, je suis sûr que ce sera la vôtre aussi - nous aurons des petits tribunaux à Guantanamo qui nous permettront d'emprisonner à vie les suspects. Ou même de les exécuter sur des preuves qui n'auraient jamais été recevables devant des tribunaux civils ou militaires américains.

Imaginez : être capable d'exécuter quelqu'un sur un triple témoignage par ouï-dire, ou sur des confessions obtenues par la violence. Brillant !

US Attorney Mark Freeman : Objection. La défense ne veut pas prendre cette affaire au sérieux.

Alan Shore : Et pourquoi le devrais-je ? Qui le fait ? Le public américain ? Les médias, qui pourraient peut-être mentionner ce problème si seulement il n'y avait pas autant d'actrices anorexiques avec des problèmes de drogue sur lesquels se concentrer ? Le Congrès ? Pourquoi est-ce que n'importe qui d'entre nous devrait prendre cela au sérieux ?

Nous torturons des gens. Nous les gardons prisonniers indéfiniment. Pour nombre d'entre eux sans la moindre preuve. Nous ne leur accordons aucun recours judiciaire. Pas d'avocat. C'est hilarant.

Et quand ils finissent par se suicider, nous appelons ça un « comportement auto-mutilatoire à des fins de manipulation », ou un « acte de guerre asymétrique » menée contre nous. C'est à pleurer de rire ! A pleurer de rire !

Peut-être que la seule raison pour laquelle nous ne nous tenons pas tous les côtes est parce que les petits trucs de Gitmo ont commencé à fleurir un peu plus près de chez nous : les récentes révélations d'abus du Patriot Act par le FBI, par exemple. Toutes ces fausses citations de témoins, et preuves fabriquées contre des citoyens américains. Ca a peut-être bien ruiné un peu du comique de Gitmo. Hé bien. Nous sommes en guerre. Il faut savoir prendre un peu sur soi.


Vous imaginez, vous, une série française qui oserait prendre à bras le corps un problème majeur de politique intérieure et d'atteinte aux libertés publiques, en citant des noms de personnes politiques de premier plan, et critiquant avec virulence tant le gouvernement pour son action que l'opposition pour son silence complaisant ?

Le scénariste n'oserait pas, ça ennuierait le spectateur. Le directeur des programmes n'achèterait pas, en invoquant les règles de temps de parole du CSA. Et le directeur de la chaîne risquerait sa place s'il diffusait.

Et en plus, ce serait irréaliste : vous croyez qu'en France, un algérien torturé à la fin des années 50 aurait pu faire un procès à l'Etat qui serait obligé de se défendre publiquement ? Vous vous croyez où ? Au pays des droits de l'homme ?

Alors, qu'avons-nous, à la place ?

Voici un extrait du résumé du prochain épisode d'Avocats & Associés :

En instruction, Élisabeth défend un gardien de nuit ayant abandonné son poste dans un grand magasin, parce qu'effrayé par un fantôme. En conciliation, Robert défend Chéralie, ayant refusé d'exhiber ses seins lors du salon du cabriolet, alors qu'elle ne s'en prive pas dans le cadre des études d'éthologie qu'elle poursuit en parallèle, lorsqu'il s'agit de communiquer avec des gorilles…

Ha, comme dit notre président bien-aimé, « Je suis fier de notre pays qui incarne et défend l'exception culturelle, une exception qui a donné sa vitalité à la création contemporaine ».

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