Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 4 juin 2007

lundi 4 juin 2007

Soyez le juge... des peines plancher.

Après la théorie, la pratique.

Voici un cas que j'ai vu juger récemment, et où le prévenu était en état de récidive. Autrement dit, un cas où la loi sur les peines plancher était susceptible de s'appliquer.

Je l'ai trouvé parfaitement représentatif de nombreuses affaires où le juge est confronté à une récidive, les magistrats qui me lisent confirmeront ou infirmeront.

Enfilez votre robe virtuelle, vous jugez à juge unique. Le procureur vous attend devant la porte d'entrée des magistrats, l'huissier vous a fait savoir que les dossiers sont en état, votre greffier a consciencieusement étalé ses stylos de toutes les couleurs sur son bureau. Vous saluez le procureur, prenez une profonde inspiration, appuyez sur la sonnette, et ouvrez la porte.

« Le tribunal ! » tonne l'huissier. Le public et les avocats sont debout, les gendarmes saluent. Vous vous asseyez en invitant les personnes présentes à en faire de même, et après avoir rapidement statué sur les demandes de renvoi[1] et vous appelez la première affaire.

C'est une banale affaire de vol à l'étalage. Dans un magasin Amphora, les vigiles ont interpellé le prévenu, monsieur Padoué, qui avait glissé quatre flacons de parfum de prix, pour une valeur de 250 euros, dans un sac en plastique doublé de papier aluminium, pour neutraliser le dispositif anti-vol. La police a été aussitôt appelée, et l'a placé en garde à vue.

Le prévenu a reconnu les faits, et les flacons ont été restitués, intacts, au magasin, qui ne se constitue pas partie civile mais a néanmoins porté plainte.

Le procureur avait alors décidé de convoquer Monsieur Padoué devant le tribunal, en le laissant libre dans l'intervalle (on parle de COPJ : Convocation par Officier de Police Judiciaire). Les faits remontent donc à six mois.

Le récit du prévenu fait en garde à vue est le suivant : il avait rendez vous avec des amis dans un café du centre commercial où se trouve le magasin Amphora. Après avoir plaisamment devisé avec eux, il est resté seul à la terrasse, méditant sur les changements du monde et la vanité de notre existence terrestre. C'est alors que survint son ami Momo, un Roumain, dont il ne connaît ni le nom exact ni les coordonnées, qui avait sur lui ce sac en plastique doublé d'aluminium, et qui lui tint à peu près ce langage : « Hé, bonjour, mon ami Padoué. Tiens, prends ce sac, et file au magasin Amphora, qui va bientôt fermer. Les vigiles sont fatigués, et ce sac neutralisera le signal d'alarme. Fais tes emplettes sur le dos du grand capital et offre à tes proches des fragrances bourgeoises en rétablissant un peu de justice sociale. » Le pauvre Padoué, pauvre au sens propre, ne put résister à la tentation, et la suite est trop bien connue.

Evidemment, le ton badin du récit est de votre serviteur, le prévenu ayant un style plus adapté aux circonstances, c'est à dire sans fioriture et profondément ennuyeux ; j'essaye de relever le niveau.

Il maintient ce récit à la barre. Vous tiquez : quelle étrange générosité que celle de ce Momo, qui fait des cadeaux sur le dos des autres et faisant ainsi encourir la prison au récipiendaire. C'est que, explique Padoué, Momo fut un compagnon de galère et il naît sur ces routes tortueuses des amitiés indéfectibles.

En effet, vous sortez le bulletin numéro 1 du casier judiciaire qui vous révèle que Monsieur Padoué a déjà été condamné deux fois pour vol simple, il y a quatre et trois ans de cela, la deuxième fois étant en comparution immédiate, avec à la clef quatre mois de prison ferme, peine aussitôt mise à exécution (la première condamnation étant une peine de deux mois avec sursis, il a donc purgé une peine de 4+2=6 mois).

Interrogé sur ces faits, il vous déclare que ces vols portaient sur des vêtements. Vous n'avez aucun moyen de vérifier, mais les peines prononcées collent avec cette version.

Aujourd'hui, Monsieur Padoué prétend être rangé, il est marié depuis deux ans, a deux enfants (deux garçons), le troisième en route, travaille en intérim pour 1200 euros par mois, son épouse ne travaillant pas. Son avocat glisse sur votre bureau les dernières feuilles de paye, l'avis d'imposition du prévenu, ses quittances de loyer, et la copie du livret de famille qui confirment ces propos. Un bref coup d'oeil au procureur vous confirme qu'il a bien eu connaissance de ces documents. Un rapide calcul vous montre qu'il ne reste pas grand chose à cette famille pour vivre, une fois son loyer et ses charges payées : 550 euros par mois environ, pour acheter à manger, des vêtements pour les enfants et des couches. Il conclut en disant que face à cette proposition de Momo, il a craqué, désirant pouvoir faire des cadeaux à ses proches, notamment à son père, les deux autres flacons étant pour lui.

Le procureur souhaite prendre la parole. Vous la lui donnez volontiers.

Cette histoire ne le convainc pas. Il relève que le sac en plastique soi-disant remis par Momo portait la marque d'un magasin de bijouterie bon marché ; or dans la fouille du prévenu lors de sa garde à vue, on a trouvé dans le portefeuille de celui-ci une carte de fidélité à cette enseigne. Coïncidence troublante. De même que les vols de parfums de prix, surtout deux fois deux flacons identiques, ressemblent plus à un vol pour revendre que pour offrir. Le prévenu n'aurait-il pas confectionné ce sac lui même ? Le prévenu confirme qu'il a bien une telle carte, qui lui a été faite d'office quand il a acheté l'alliance de son épouse. Mais le fait que Momo ait utilisé un sac de cette enseigne serait en effet une pure coïncidence. Quant à la destination de ces flacons, il maintient que c'était pour offrir.

Pas d'autres questions du procureur, pas de questions pour l'avocat.

Le procureur maintient son analyse dans ses réquisitions : Monsieur Padoué a confectionné lui même ce sac, et invente ce Momo pour se déresponsabiliser aux yeux du tribunal. Cependant, le procureur relève qu'il y a eu une longue période de temps depuis ces deux condamnations, que le prévenu travaille, a fondé une famille, qui sont des signes d'insertion. Il suggère donc une peine de prison ferme de quelques mois, qui serait aménageable par le JAP, ou un sursis avec mise à l'épreuve.

L'avocat approuve le parquet en ce qu'il relève des signes d'insertion. Sur l'histoire du sac, il précise que lui aussi s'était fait cette réflexion en lisant la fouille. Il a expliqué à son client qu'une éventuelle préméditation n'était pas une circonstance aggravante, et que s'il avait fait lui même ce sac, il ferait mieux de le reconnaître, sa sincérité jouant plus en sa faveur qu'une volonté de dissimulation. Malgré tout, son client maintient que les faits se sont déroulés ainsi. Dont acte. Sur la peine, il souligne que le préjudice pour la victime est quasiment nul, les biens volés ayant été restitués, sans être pour autant absent, tout vol étant désagréable et entraînant un coût pour les magasins obligés de se protéger. D'où la plainte, et l'absence de constitution de partie civile. Cependant, il relève de la lecture du casier judiciaire que jamais monsieur Padoué n'a été condamné à une sanction pécuniaire. Or aujourd'hui, il a un revenu, certes modeste, mais qui lui permettrait de payer une amende et de saisir ainsi l'aspect économique du vol. Pourquoi contribuer à l'engorgement des services du JAP pour une affaire si modeste ? Quant à une mise à l'épreuve, quelles seraient les modalités d'épreuve ? Un travail ? Il en a déjà un. Une obligation de soin ? Padoué n'est pas malade, juste pauvre. Une obligation d'indemniser la victime ? Elle ne demande rien et a récupéré ses biens intacts. Il suggère donc une peine de jours amende, d'un montant modeste et d'une durée assez longue, qui assurerait le paiement de l'amende avec la menace de la prison, dont le montant total pourrait opportunément être de l'ordre du prix des flacons volés.

Le prévenu, à qui vous donnez la parole en dernier, exprime ses regrets d'avoir ainsi "fait une connerie" et promet qu'il ne recommencera pas.

Il est temps de délibérer.


Le prévenu est cité pour vol simple. Le code pénal prévoit que vous pouvez prononcer jusqu'à trois années de prison et 45.000 euros d'amende.

Toutefois, le casier révèle un état de récidive (récidive spéciale et temporaire : des faits identiques, une condamnation -deux en fait- remontant à moins de cinq ans), qui n'a pas été relevé dans la citation. Vous pouvez toutefois relever d'office cette récidive, après avoir invité les parties (procureur et prévenu ainsi que l'avocat du prévenu) à présenter leurs observations, ce qui porte les peines encourues à six années d'emprisonnement et 90.000 euros d'amende.

Vous pouvez prononcer de l'emprisonnement seul ou une amende seule.

Si vous prononcez une peine de prison ferme, vous devez motiver spécialement votre décision, sauf si vous décidez de relever l'état de récidive.

Vous ne pouvez pas assortir la peine de prison ou d'amende d'un sursis simple, car le prévenu a déjà été condamné à de la prison il y a moins de cinq ans.

Vous pouvez prononcer un sursis avec mise à l'épreuve (SME) si vous ne dépassez pas cinq ans de prison (pas de SME pour une peine d'amende). Dans ce cas, vous devez préciser la durée de la peine de prison, et la durée de l'épreuve, qui doit être entre douze mois et trois ans ; vous devez aussi préciser les modalités de l'épreuve, parmi la liste de l'article 132-45 du Code pénal. N'oubliez pas ces trois points.

Si vous prononcez plus d'un an de prison, vous pouvez décerner un mandat de dépôt pour que le prévenu soit arrêté immédiatement. En tout état de cause, si vous prononcez plus d'un an, l'emprisonnement sera inévitable, seules les peines d'un an au plus pouvant être aménagées pour éviter l'incarcération. Enfin, si vous relevez la récidive, vous pouvez décerner un mandat de dépôt quelle que soit la durée de la peine d'emprisonnement (merci Gascogne pour la précision).

Enfin, la défense suggère une peine alternative : les jours-amende.

Il s'agit d'une peine se présentant sous la forme de "X jours amende à Y euros". Cela signifie que le prévenu devra s'acquitter au bout de X jours d'une amende de X fois Y euros. S'il ne la paye pas, la peine sera convertie automatiquement en X jours de prison.

Exemple : "100 jours amende à 10 euros" signifie que le condamné devra payer 1000 euros d'amende à l'issue d'un délai de 100 jours, faute de quoi, il effectuera 100 jours de prison.

Si vous optez pour cette peine, vous devez préciser le nombre de jours et le montant journalier. Vous ne pouvez pas prononcer une peine de prison avec sursis ou d'amende en plus d'une peine de jours amende.

Délibéré ici.

Notes

[1] Demande présentée par une des parties -rarement le parquet mais ça peut arriver- que l'affaire soit jugée à une audience ultérieure car une partie ne peut être présente ou une démarche reste à accomplir. Le renvoi ou son refus sont des décisions d'administration judiciaire, qui ne font pas l'objet d'un jugement et ne sont pas susceptibles de recours.

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