Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 15 juin 2007

vendredi 15 juin 2007

Pourquoi je ne voterai pas dimanche

C'est vendredi, c'est politique.

Et dimanche, c'est le deuxième tour des élections générales. Il faut bien en parler, puisqu'après, on est tranquille jusqu'en mars 2008 pour les municipales.

Le résultat de ces élections n'appelle aucun commentaire de ma part, c'est le choix des électeurs, et il n'a rien d'inattendu.

Je voudrais juste apporter une réplique à un argument dont on nous rebat les oreilles et qui est doctement répété par les candidats des partis écartés de l'hémicycle sans que personne ne juge utile de le remettre en question : celui de l'injustice de ce système électoral, par opposition à la proportionnelle, parée de toutes les vertus. Ca me rappelle furieusement le débat quinquennal sur les 500 signatures, système antidémocratique, qui n'a pas empêché 12 candidats de se présenter (le deuxième plus grand nombre de candidats de l'histoire de la Ve après les 16 de 2002).

La critique est la suivante : ce système est injuste car il aboutit à ce que des partis ayant fait 18% à la présidentielle se retrouvent fort dépourvus en siège, tandis qu'un parti faisant 45% aura 75% des sièges (François Bayrou cette semaine sur RTL). Il est anti-démocratique, car des millions de Français ne sont pas représentés (Marine Le Pen sur Canal +), et il nuit au pluralisme, l'opposition étant réduite à la portion congrue (François Hollande un peu partout).

Démonstration par l'exemple : ce système démotive les électeurs, témoin cette abstention record après une si haute participation aux présidentielles.

Fermez le ban, la cause est entendue.

Pas tout à fait, la parole est à la défense.

Cette argumentation est largement biaisée pour lui donner l'apparence de la logique.

Tout d'abord, il y a une erreur de raisonnement à prendre les résultats d'une élection pour critiquer les résultats d'une autre, fussent-elles rapprochées dans le temps. N'en déplaise à François Bayrou, le MoDem n'a pas fait 18% ni réuni 6 millions de voix à ces élections, mais 7,73% et un peu plus de deux millions de voix.

Ensuite, s'agissant d'un scrutin uninominal dans des circonscriptions locales, le cumul national des votes n'a guère de sens. Des 577 députés que nous allons élire, tous auront réuni sur leur tête la majorité des suffrages, et pour la plupart d'entre eux, la majorité absolue. Forts de leurs 3%, les Verts voudraient une quinzaine de sièges, sans expliquer à quels électeurs n'ayant pas voté pour eux mais majoritairement pour un autre il faudrait imposer un député vert au nom de la démocratie.

Tous les Français sont ainsi représentés, même ceux qui n'ont pas voté d'ailleurs. Ils ont un député, qu'ils connaissent facilement. Ha, ils ne sont pas d'accord avec ses idées ? Qu'ils s'adressent à un autre, car les députés représentent la nation entière et non leur circonscription ou leur parti.

Cela me rappelle l'argument avancé lors des présidentielles, par des gens qui ne sont généralement pas des modèles de démocrates eux-même, qui relèvent que le président de la République n'est jamais élu par une majorité d'électeurs, si on décompte l'abstention, et donc que la démocratie française n'est en fait que le règne d'une minorité. Alors qu'en réalité, la démocratie repose sur les citoyens qui parlent, pas ceux qui se taisent, ceux qui décident plutôt que ceux qui ont trop peur de se tromper ou s'en fichent.

Autre critique, ce scrutin favoriserait l'acquisition d'une majorité absolue au parti arrivé en tête, et pousserait à la bipolarisation. Critique étrange, puisque ce sont ces considérations qui précisément ont présidé au choix de ce mode de scrutin, en tout cas sur une majorité donnée au gouvernement, pas la bipolarisation, qui elle est un phénomène naturel dans les démocraties modernes.

La constitution de la Ve a été adoptée en pleine guerre d'Algérie, sur le constat définitif qu'un régime parlementaire était condamné à l'impuissance en cas de crise. La France a en effet connu le scrutin proportionnel pour l'élection des députés durant toute la IVe république (1946 à 1958), ce qui a largement contribué à l'instabilité gouvernementale chronique durant cette période, et a fait que généralement, dès qu'une crise majeure survenait dans le monde, le gouvernement était démissionnaire et ne pouvait plus qu'expédier les affaires courantes. Instabilité héritée de la IIIe république, mais aggravée, puisque la IIIe, elle, connaissait le scrutin uninominal à deux tours. Pour mémoire, la France s'est payée le luxe d'une crise ministérielle en pleine débâcle face aux Allemands, et il n'y avait plus de gouvernement depuis un mois lors de l'insurrection d'Alger le 13 mai 1958.

Ce scrutin vise donc à désigner le parti ayant la préférence d'une majorité de Français, et à lui donner le pouvoir d'appliquer ses idées et son programme. Car une répartition proportionnelle des sièges risque d'aboutir souvent à une majorité relative, c'est à dire à ce que les partis minoritaires, se mettant d'accord sur le dos de la majorité, la réduisent à l'impuissance. L'effet déformant de ce scrutin est donc connu, et il n'est pas accidentel : il est recherché.

Quant à la bipolarisation, c'est un phénomène commun à toutes les démocraties. Il est ancien aux Etats-Unis, encore plus ancien en Angleterre, et tous les pays démocratiques le connaissent peu ou prou, même l'Espagne, cette mosaïque ou chaque province a son drapeau, sa langue et son parti nationaliste, connaît une bipolarisation progressive autour d'un grand parti de centre droit et de centre gauche. La multiplicité des partis n'est pas un signe de meilleure démocratie, car elle aboutit à des coalitions contre nature, ou à l'approche des élections chaque parti tente de tirer son épingle du jeu. L'exemple d'Israël est assez pertinent en la matière.

Une autre critique, toujours soulevée par le parti sur le point de perdre, est celle du pluralisme, et de la nécessité de faire entendre la voix de l'opposition dans le débat démocratique qui a lieu à l'assemblée, notamment en faisant barrage à des textes inacceptables. Là, on touche à la fumisterie.

Tout d'abord, et Dieu merci, le débat démocratique n'est pas cantonné à l'assemblée. Il a lieu sur l'espace public, en premier lieu dans la presse, dont c'est le rôle fondamental, lors des réunions publiques, au sein des sections locales des partis politiques, dont c'est aussi le rôle, et aujourd'hui de plus en plus sur internet.

Ensuite, je voudrais qu'on m'explique en quoi 142 députés socialistes (le nombre de sortants) auront mieux défendu la démocratie et le pluralisme que la centaine que promettent les résultats du premier tour. Que l'on me dise quand l'actuelle opposition a fait barrage à un texte inacceptable ces cinq dernières années. Souvenez vous de la discussion sur la loi sur l'énergie qui prévoyait la fusion EDF GDF, en septembre 2006. L'opposition avait alors déposé un nombre d'amendements jamais vu (43000 pour le PS, 93000 pour le PCF), qui étaient censés nécessiter des années de débat, pour empêcher ce qui était présenté comme le premier pas vers une privatisation totale. C'était en septembre 2006. La loi a été adoptée et promulguée le 7 décembre 2006, sans recours au 49-3. Autre exemple : l'adoption surprise par le parlement lors de la discussion du projet de loi DADVSI d'un amendement instituant la licence globale. Que croyez-vous qu'il arriva ? Le gouvernement fit adopter son texte après s'être débarrassé de cet amendement contrariant.

Je ne voudrais pas donner l'impression de ne critiquer que l'impuissance de l'opposition socialiste ; alors rappelons que lors de la discussion de la loi instituant le PaCS, l'opposition avait réussi à obtenir le rejet de cette proposition de loi le 9 octobre 1998 (malgré les efforts du président de séance pour dénier la réalité), du fait d'un absentéisme prononcé de la majorité. Victoire de courte durée, puisque le gouvernement humilié a remis ce texte sur le tapis dès le 13 octobre et en a fait un cheval de bataille. Le texte a finalement été adopté et promulgué le 15 novembre 1999, sans que l'opposition n'y ait pu mais.

Quant à l'Assemblée qui protège nos libertés, je rappellerai que c'est l'assemblée du Front Populaire, élue en 1936, qui a voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.

Voilà pour le débat démocratique à l'assemblée.

Non, ce qui motive tant les partis à solliciter un député de plus, c'est beaucoup plus prosaïque : ça fait un permanent de moins à salarier pour le parti.

Est-ce à dire que l'assemblée ne sert à rien, que ce n'est qu'une chambre d'enregistrement digne du Conseil des Cinq Cent ? Non, n'allons pas jusque là. Elle garde un rôle qui peut être déterminant. Rappelons que 60 parlementaires de la même chambre peuvent saisir le Conseil Constitutionnel en vue de l'annulation d'une loi contraire à la constitution. C'est un rôle extrêmement important, mais pour cela, il suffit d'avoir 61 députés (car il y a toujours un rebelle qui refuse de signer le recours), ou 60 sénateurs, et le PS en a plus de 90 (nombre appelé à croître avec sa conquête des conseils régionaux en 2004). Les députés de l'opposition ont une position privilégiée pour surveiller le travail législatif, et sans forcément pouvoir l'infléchir, au moins attirer l'attention du public sur telle ou telle loi. Les députés de l'opposition peuvent, et devraient être des gardiens vigilants du pouvoir législatif. La réalité est hélas toute autre, mais qu'ils ne viennent dans ce cas pas solliciter un mandat qu'ils n'ont pas vraiment l'intention d'exercer.

Mais qu'on arrête d'essayer de nous faire croire que le travail législatif serait de meilleure qualité si au lieu de ne repousser que des amendements socialistes, on repoussait aussi des amendements des Verts et du FN. C'est une insulte à l'intelligence des citoyens.

Vivre en démocratie, c'est accepter que ses idées ne soient pas au pouvoir sans pour autant se croire en dictature. Ca demande un peu de maturité. Et surtout, une vigilance même en l'absence d'enjeux électoraux.

Donc dimanche, allez voter, même si les jeux semblent faits. Pensez à Cyrano : c'est encore plus beau lorsque c'est inutile.

Oui, me direz vous, mais et moi, alors ? Pourquoi proclamè-je dans le titre que je ne vais pas voter dimanche, et que je vais expliquer pourquoi.

Moi, c'est différent.

Mon député a été élu au premier tour. Je penserai à vous en taquinant le goujon dans le parc de mon château.

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