Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 9 juillet 2007

lundi 9 juillet 2007

La décision de la cour d'appel de Paris sur le CNE : le cadavre bouge encore

La cour d'appel de Paris a rendu vendredi dernier son arrêt final sur le Contrat Nouvelle Embauche (CNE). Final, car un premier arrêt avait été rendu sur la compétence du juge judiciaire pour examiner la question de la légalité du CNE, et un recours avait été exercé sur ce point. Je passe rapidement, je vous ferai bientôt un topo sur la merveilleuse séparation des autorités administratives et judiciaire en France.

La question de la compétence de la cour pour répondre à la question : le CNE est-il compatible à la convention 158 de l'Organisation Internationale du Travail ? a déjà été résolue en mars dernier : oui, la cour était compétente.

L'arrêt se divise en 6 parties, dont seules deux nous intéressent. Car au-delà de la question de la compatibilité du CNE avec cette convention, se posait le problème de Madame D., qui a été embauchée en juillet 2005 par Maître S., mandataire judiciaire, en qualité de secrétaire, par un CDD, à cause d'une surcharge de travail, pour une durée de six mois. Avant même l'expiration de ce CDD, Maître S. décidait d'embaucher Madame D. par un contrat Nouvelle Embauche, le 6 décembre 2005.

Le 27 janvier 2006, Maître S. rompait le CNR par une lettre recommandée, rupture effective après un préavis d'un mois. La salariée saisissait le conseil de prud'hommes de Longjumeau pour contester ce licenciement.

Le 24 avril 2006, soit avec une célérité qui ferait rêver les justiciables d'un Conseil de prud'hommes proche, le Conseil de prud'hommes de Longjumeau a écarté l'application de l'ordonnance du 2 août 2005 instituant le CNE comme contraire à la convention n°158 de l'OIT. Il a été fait appel de cette décision, ce qui nous amène devant la 18e chambre de la cour d'appel de Paris, là haut, tout là haut, sous les toits du palais.

Survolons rapidement les premiers points de l'arrêt : la cour écarte la responsabilité de l'employeur sur le défaut de convocation de la salariée par la médecine du travail, car il avait effectué toutes les démarches à cette fin ; elle rejette la demande de la salariée visant à voir requalifié en CDI le premier CDD de janvier 2005 ; elle rejette la demande de paiement d'heures supplémentaires, faute de preuve ; elle rejette également l'argument de la salariée contestant le recours à un CNE à l'égard d'un salarié présent dans l'entreprise, en relevant que le CDD arrivant à sa fin, on était bien en présence d'une nouvelle embauche.

Voici à présent les points numéro 5 et 6. En voici les considérants (et non les attendus : les décisions du premier degré, comme les conseils de prud'hommes, commencent par "attendu que...", les juridictions supérieures utilisant "considérant que..." ; le sens est strictement le même.)

5° Sur la conventionalité du contrat “nouvelles embauches”

Par conventionalité, il faut comprendre : compatibilité de l'ordonnance du 2 août 2005 avec la convention 158 de l'OIT.

Considérant que le ministère public a relevé appel du jugement qui a dit que l’ordonnance du 2 août 2005, créant le contrat “nouvelles embauches” est contraire à la convention n° 158 de l’organisation Internationale du Travail (OIT);

Considérant que par décision du 19 mars 2007, le tribunal des conflits a annulé l’arrêté du préfet de l’Essonne en date du 31 octobre 2006 qui a décliné la compétence du juge de l’ordre judiciaire pour connaître de l’exception d’illégalité de l’ordonnance du 2 août 2005;

C'est la décision confirmant la compétence de la cour d'appel de Paris pour juger de cette conventionalité.

Qu’ en conséquence , Melle D. et les parties intervenantes au litige sont fondées à invoquer les dispositions de la Convention n° 158 de l’OIT devant la chambre sociale de la cour et cette dernière est compétente pour statuer sur la conventionalité de l’ordonnance précitée,

Précision très importante de la cour, qui a échappé à bien des journalistes :

Considérant cependant que cette compétence, exercée par voie d’exception, ne peut avoir pour effet d’exclure l’ordonnance en cause de l’ordre juridique interne, mais seulement d’en écarter éventuellement l’application à la présente instance ;

hé oui : la cour d'appel de Paris n'a pas abrogé l'ordonnance du 2 août 2005 : elle n'en a pas le pouvoir. Elle écarte son application à cette affaire. L'ordonnance du 2 août 2005 reste en vigueur, tout comme les CNE qui ont été signés et seront encore signés. Bien sûr, vous le verrez, elle laisse lourdement entendre qu'elle statuera comme ça pour toute demande liée à une rupture de CNE.

Considérant qu’il n’est contesté par aucune des parties au litige que la Convention n°158 concernant la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur, adoptée à Genève le 22juin 1982 par l’OIT, et entrée en vigueur en France le 16 mars 1990, est directement applicable par les juridictions françaises;

Que par arrêt en date du 29 mars 2006, la cour de cassation s’est prononcée pour cette solution en ce qui concerne les articles 1, 2§b et 11 de la convention; que les articles 4,7, 8,9 et 10 de la Convention n°158 en cause dans le présent litige, constituent des dispositions à caractère obligatoire et normatif dont la formulation complète et précise, rend inutile l’adoption de règles d’application ; que les articles précités sont donc directement applicables en droit français;

Considérant enfin qu’il n’est pas davantage discuté que, tant en application de l’art 55 de la Constitution, qu’en conformité avec la jurisprudence définie par l’arrêt Jacques Vabre rendu par la cour de cassation, le 24 mai 1975, la primauté du droit international sur la loi française, a pour effet d’écarter cette dernière si elle déroge à une norme supérieure ;

Rien à redire. Kelsen applaudit de sa tombe.

Qu’il importe peu, à cet égard, que le rédacteur de l’ordonnance du 2 août 2005 ait omis de faire référence à la convention n°158 puisque le contrôle de conventionalité s’impose au juge lorsqu’ il est saisi de ce moyen; que le seul effet de cette omission est de présumer que le Gouvernement n’a pas entendu écarter les dispositions de la norme internationale;

Ce considérant répond expressément à l'argument d'une des parties qui soutenait que l'ordonnance du 2 août 2005 ne visant pas la convention 158, elle ne lui était pas applicable. Ca ne tenait pas une seconde, en effet, la cour y répond fort bien. Las, juste après cette motivation irréprochable, c'est la sortie de route.

Considérant que le contrat "Nouvelle Embauche” créé par l’ ordonnance du 2 août 2005 concerne les entreprises du secteur privé et les associations employant au plus 20 salariés ; que suivant les dispositions de son article 2:

ce contrat est soumis aux dispositions du code du Travail à l’exception, pendant les deux premières années courant à compter de sa date de conclusion, de celles des articles L.122-4 à L.122-11, L.122-13 à L.122-14-14 et L321-1 à L.321-17 de ce code

Qu’il en résulte que durant ce délai qualifié de “période de consolidation” par le Gouvernement et de “période de précarité”par certains commentateurs, sont exclues les règles relatives à l’examen par le juge de la régularité et du caractère réel et sérieux du licenciement, à la motivation de la lettre de licenciement, à l’entretien préalable, au délai de préavis, à la notification du licenciement, à l’indemnité légale de licenciement, et à l’indemnisation d’un licenciement irrégulier et abusif ;

Patatras. Avec tout le respect que je dois à la cour d'appel de Paris, je crois que là, il y a une erreur qui constitue un moyen de cassation assez solide. La citation des articles du code du travail est exacte, mais faire dire à l'ordonnance du 2 août 2005 qu'en écartant ces articles, le législateur a entendu exclure les règles relatives à l’examen par le juge de la régularité et du caractère réel et sérieux du licenciement, c'est en faire une fausse application. Il suffit de lire ces articles du Code du travail pour s'en rendre compte. Aucun de ces articles ne mentionne la faculté pour le salarié de contester la rupture du contrat de travail, que ce soit sa régularité ou sa cause réelle et sérieuse. Cette faculté repose sur le principe, valable pour tout contrat, que celui-ci doit être exécuté de bonne foi (article 1134 du code civil et L.120-4 du Code du travail), la rupture du contrat faisant partie intégrante de son exécution, et que c'est au juge d'apprécier cette bonne foi. Or l'ordonnance du 2 août 2005 n'écarte pas l'application de ces articles. Il est parfaitement possible de contester la rupture d'un CNE devant le conseil de prud'hommes, selon les règles de droit commun applicable à tout contrat de travail, car le CNE est un contrat de travail.

L'ordonnance, oui, exclut la procédure habituelle de licenciement : entretien préalable, délai de réflexion, lettre de licenciement motivée, sauf pour une rupture disciplinaire (faute du salarié). Mais en rien l'examen par le juge de la légalité du licenciement. Or cette affirmation erronée se situant en tête du raisonnement, elle le vicie en son entier, et la cour de cassation aurait du mal à ne pas casser ici.

Que la justification par le pouvoir réglementaire du régime juridique dérogatoire de ce nouveau contrat doit être recherché dans les explications données au Parlement à l’occasion du vote de la loi d’habilitation du 26juillet 2005 et dans le rapport adressé par le ministre de l'Emploi, de la cohésion sociale et du logement au Président de la République;

Considérant que la convention n°158 dispose dans son article 4 :

“Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service .“

Considérant que le ministère public relève que la dérogation à l’exigence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement n’implique pas nécessairement que l’ordonnance du 2 août 2005 ait écarté l’exigence d’un motif valable au sens de l’art 4 précité; qu’ainsi un juge ,qui peut toujours être saisi de la contestation d’un licenciement, aura la possibilité de rechercher le caractère valable du licenciement tout en excluant l’examen d’une cause réelle et sérieuse;

Considérant qu’il convient de relever à cet égard [...] qu’à défaut de notification d’un motif de rupture, il appartiendra au salarié, contestant son licenciement devant le juge, de supporter la charge de la preuve d’un abus de droit de son employeur ;

Pas d'accord. La cour met la barre trop haut en laissant entendre que seul l'abus de droit (qui implique l'intention de nuire) de rupture d'un CNE pourra être sanctionné et en mettant le fardeau de la preuve sur le salarié. Le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi : un simple défaut de bonne foi suffit à fonder une sanction. Tout comme la cour a dit dans ce même arrêt, sur le passage relatif aux heures supplémentaires, que « la preuve des heures supplémentaires n'appartient spécialement à aucune des parties », la cour aurait tout à fait pu estimer, en se fondant sur l'article L.120-4 du code du travail et les textes internationaux, qu'en cas de contestation du licenciement par le salarié, l'employeur est tenu de fournir des explications au juge, faute de quoi, le juge pourra en déduire une faute dans la rupture. Le CNE dispense de fournir des motifs dans la lettre de licenciement, mais certainement pas devant une juridiction.

Que sur ce point, le Conseil Constitutionnel dans une décision rendue le 9 novembre 1999 a posé les limites constitutionnelles à la liberté de rompre unilatéralement un contrat:

“...L'information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture devant toutefois être garanties”

Pour la petite histoire, c'est la décision portant sur le PaCS.

Que la simple notification de la rupture prévue par l’ordonnance du 2 août 2005, n’équivaut pas à l’information exigée ;

...ce qui ne libère donc pas l'employeur de son obligation d'information, mais ne caractérise certainement pas sa violation.

Que de plus le conseil constitutionnel, dans cette même décision souligne que certains contrats nécessitent une protection de l’une des parties ; que le contrat de travail appartient à cette catégorie de contrat dans lequel le salarié se trouve dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de son cocontractant ; que contrairement aux impératifs que le conseil constitutionnel impose au législateur, le contrat “nouvelles embauches” ne contient aucune précision sur les causes permettant la résiliation lorsqu’une des parties doit être protégée ;

Voilà que la cour parle pour le Conseil constitutionnel, maintenant, et lui fait clairement dire ce qu'il n'a pas dit, car dans cette décision, le Conseil constitutionnel a validé une loi prévoyant la rupture d'un contrat, le PaCS, sans que celui à l'origine de la rupture n'ait à expliquer les causes de cette rupture, et pourquoi ? Parce que le droit du partenaire à réparation en cas de rupture fautive est réservé. Pourquoi n'en irait-il pas de même avec le CNE ?

Considérant que le conseil constitutionnel, saisi de recours contre la loi d’habilitation du 26 juillet 2005 n’a pas manqué de rappeler les principes qu’il a dégagé en déclarant que la loi d’habilitation “ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l’article 38 de la Constitution, de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle, ainsi que les normes internationales ou européennes applicables” ;

Je rappelle que le gouvernement ne peut agir par ordonnance qu'en vertu d'une loi d'habilitation préalable du parlement, ici la loi n° 2005-846 du 26 juillet 2005 habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi.

Considérant, que les conclusions du ministère public qui a, sur ce point, adopté la solution défendue par le commissaire du Gouvernement devant le Conseil d’Etat saisi d’un recours en annulation, tendent à admettre que le motif valable puisse être implicitement contenu dans la décision de rompre le contrat, de sorte que l’ordonnance du 2 août 2005 ne dérogerait pas sur ce point à l’art 4 de la convention n° 158 ;

Une ordonnance, même si elle agit dans le domaine de la loi, est un texte gouvernemental, et comme tel, peut être contesté devant le Conseil d'Etat. Ce fut le cas par un recours diligenté par les principales centrales syndicales, recours qui a été rejeté. Voir mentionner de la jurisprudence administrative dans une décision judiciaire est fort rare. La jurisprudence du conseil d'Etat ne liant nullement le juge judiciaire, celle ci est mentionnée pour l'anecdote, et la cour rappelle aussitôt qu'elle pense autrement :

Que cependant, dans cette hypothèse ,encore faut-il admettre que le motif réel et sérieux de licenciement dont l’employeur est dispensé de rapporter la preuve, est différent du motif valable que le rédacteur de l’ordonnance aurait laissé subsister, peut-être par inadvertance mais au moins par référence implicite à la convention n° 158 ;

J'aime trop l'ironie pour ne pas apprécier cette "inadvertance", mais je ne suis pas sûr que la formule prospère Quai de l'Horloge. Là encore, la cour continue dans son affirmation que l'employeur est dispensé d'apporter la preuve du motif de rupture. I respectfully dissent[1], comme on dit en droit anglo-saxon. Il suffirait que la cour, lors des débats, ait exigé de l'employeur qu'il fournisse les motifs de son licenciement et les preuves de leur bien fondé pour que l'ordonnance soit conforme à la convention 158. Au lieu de cela, elle l'interprète de façon à ce qu'elle soit incompatible. Entre deux interprétations, une aboutissant à l'applicabilité du texte et l'autre non, la cour de cassation préfèrera, je le crains, la première.

Considérant , sur ce point, que la recommandation R119 sur la cessation de la relation de travail adoptée par l’OIT le 26 juin 1963 et qui a servi de base à la rédaction de la convention n°158 précise :

"La définition ou l’interprétation d’un tel motif valable devrait être laissée aux méthodes d’application prévues au paragraphe I ";

Que ces méthodes d’application sont soumises aux règles suivantes :

La présente recommandation pourra être appliquée par voie de législation nationale ...ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière qui serait conforme à la pratique nationale et semblerait appropriée, compte tenu des conditions propres à chaque pays."

Considérant que le droit positif français, tel qu’il résulte des textes législatifs et de leurs applications jurisprudentielles considère que, pour être valable, un licenciement doit reposer sur un motif réel et sérieux.

Que si la terminologie employée par la convention n°158 est différente de la formule retenue en droit interne, il apparaît que son contenu est identique puisque c’est par référence à la pratique nationale qu’il convient de définir le motif valable ;

Qu’il en résulte, qu’en excluant la nécessité d’asseoir la rupture du contrat “nouvelles embauches” sur un motif réel et sérieux, l’ordonnance du 2 août 2005 déroge à l’art 4. de la convention n°158 ;

...sauf si on considère qu'asseoir sur ne signifie pas nécessairement notifier préalablement à.

Considérant que la convention n°158 dispose dans son article 7 :

Un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l’on ne puisse pas raisonnablement attendre de l’employeur qu’il lui offre cette possibilité."

Considérant que le régime juridique du contrat “nouvelles embauches” supprime temporairement la procédure préalable au licenciement: convocation à l’entretien préalable, entretien sur les motifs du licenciement envisagé, délai de réflexion; qu’il déroge aux dispositions de la convention n°158 ;

Qu’en souscrivant à ce constat, le ministère public limite la portée de la dérogation en rappelant que les licenciements prononcés pour motif disciplinaires sont soumis à la procédure de l’art L. 122-41 C. Trav qui n’a pas été exclue par l’ordonnance du 2 août 2005 ; qu’il acquiesce ainsi à la position adopté par le Conseil d’Etat dans sa décision du 19 octobre 2005 rejetant le recours en annulation de l’ordonnance du 2 août 2005:

si l’obligation de respecter une procédure contradictoire dans les cas de licenciement prononcés pour un motif disciplinaire a le caractère d’un principe général du droit du travail, il ne résulte pas de ce principe qu’une telle procédure devrait être respectée par l’employeur dans les autres cas de licenciement fondés sur des motifs inhérents à la personne du salarié ;"

Que la reconnaissance d’un nouveau principe général de droit du travail, s’accompagne ici de l’exclusion non explicitée de tous les licenciements liés à la personne du salarié subissant néanmoins la même sanction que le salarié qui "bénéficie" d’une procédure disciplinaire ;

Que cette distinction peut d’autant moins justifier une dérogation à l’art 7 de la convention n° 158 que, précisément cet article englobe les deux catégories de licenciement en visant “des motifs liés à sa conduite ou à son travail”,

Qu’en dérogeant expressément à l’unité du droit du licenciement posé par la convention n° 158 , l’ordonnance du 2 août 2005 déroge plus particulièrement à son article 7;

Considérant , au surplus, que cette distinction est inopérante dès lors que l’employeur n’a pas à motiver les raisons de la rupture du contrat et qu’il appartient alors au salarié qui entend se prévaloir des dispositions de l’art. L. 122-41, de rapporter la preuve qu’il a fait l’objet d’un licenciement disciplinaire au risque de convaincre le juge que ce motif était fondé ;

La cour bat ici en brèche l'argument du Conseil d'Etat relevant que l'ordonnance n'écartait pas la procédure contradictoire préalable au licenciement aux cas disciplinaires. Elle relève que l'employeur étant dispensé de présenter les motifs de la rupture, il pourrait aisément rompre un CNE pour motif disciplinaire sans respecter la procédure prévue aux articles L.122-40 et suivants. Le problème est que cet argument ne tient qu'en interprétant l'ordonnance du 2 août 2005 comme dispensant l'employeur d'apporter la preuve que la rupture est fondée. Si, comme je le fais, on comprend l'ordonnance comme dispensant d'une motivation préalable dans une lettre encadrant rigoureusement le débat judiciaire, la solution apparaît alors très simple : si les débats révèlent que la rupture avait une cause disciplinaire, le simple non respect de la procédure disciplinaire caractérise le licenciement fautif.

Considérant que les articles 8 et 9 de la convention n° 158 définissent les conditions dans lesquelles peuvent être exercés les recours contre le licenciement ainsi que le régime de la preuve ;

Considérant qu’il n’est pas contestable que le contrat “nouvelles embauches” ne prive pas le salarié d’accéder à une juridiction pour contester un licenciement qu’il estime injustifié et qu’il peut être accordé au crédit des auteurs de l’ordonnance du 2 août 2005 de ne pas avoir institué un droit de licencier discrétionnaire, échappant à tout contrôle juridictionnel ;

Considérant cependant que l’art 9. de la convention n°158 dispose que la juridiction saisie devra “être habilitée à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et décider si le licenciement était justifié.” ; que là encore, la théorie de la motivation implicite se heurte à la contradiction insurmontable de demander à un juge d’apprécier le bien fondé d’un licenciement sans qu’il puisse exiger de l’employeur qu’il rapporte la preuve de son motif ;

Je ne vois pas ce qui empêcherait le juge d'exiger de connaître les motifs du licenciement et d'en voir les preuves sous peine de déclarer le licenciement fautif. C'est l'article 8 du nouveau code de procédure civile qui lui en donne le pouvoir : « Le juge peut inviter les parties à fournir les explications de fait qu'il estime nécessaires à la solution du litige. »

Considérant qu’il ressort de l’examen comparé des dispositions de la convention n° 158 avec le texte de l’ordonnance du 2 août 2005 que ce dernier ne satisfait pas à l’exigence de conventionnalité qu’il devait respecter à l’égard d’une norme supérieure ;

Reste la dernière question : le CNE ne tombe-t-il pas dans la catégorie des exceptions autorisées à la convention 158 ?

6°) Sur l’exclusion du champ d’application de la convention n°158

Considérant que la convention précitée prévoit dans son article 2 qu’un membre pourra exclure du champ d’application de l’ensemble ou de certaines de ses dispositions les catégories de salariés énumérées à l’article 2-2.b: “les travailleurs effectuant une période d’essai ou n’ayant pas la période d’ancienneté requise, à condition que celle-ci soit fixée d’avance et qu’elle soit raisonnable”;

Considérant que l’application de ce texte à l’ordonnance du 2 août 2005 est contestée

Qu’ainsi la Confédération Générale du Travail soutient que le délai de deux années institué par l’ordonnance précitée doit ,à la lumière des travaux préparatoires ,se comprendre comme une période de consolidation dans l’entreprise destinée à vérifier la viabilité de l’emploi, et non pas d’une période d’ancienneté requise au sens de la convention n°158 et fondée sur la situation du salarié au sein de l’entreprise;

Qu’en conséquence, pour la CGT, le fondement du régime dérogatoire de l’ordonnance du 2 août 2002 se serait pas l’art 2-2 b précité mais l’article 2-4 qui prévoit également un régime d’exclusion de la convention pour “certaines catégories de travailleurs salariés dont les conditions d’emploi sont soumises à un régime spécial...

Que cependant, les dispositions de l’ordonnance du 2 août 2005 définissent seulement des catégories d’employeurs qui peuvent y recourir et non des catégories de salariés soumis à un régime spécial ; que cette seule circonstance que leur contrat n’est pas soumis pendant deux années à l’ensemble des dispositions du code du travail, ne les constituent pas en une catégorie spéciale de salariés mais crée à l’égard de tous la même condition suspensive de droits liée à leur ancienneté ; qu’il convient donc de considérer que l’ordonnance du 2 août 2005 entre dans le champ d’exclusion prévu par l’art 2-2.b précité;

Considérant d’autre part que le ministère public appelant conteste l’analyse retenue par les premiers juges selon lesquels, la période de deux ans constitue une période d’essai ; que si la période d’essai doit se définir comme le délai durant lequel l’employeur et le salarié apprécient l’adaptabilité de ce dernier à son emploi, l’ordonnance du 2 août 2005 ne donne aucune indication sur la nature de ce délai de deux années; que son seul objet est d’ouvrir à son terme, l’applicabilité de l’ensemble du code du travail au salarié; que cet écoulement mécanique du temps caractérise l'acquisition de l'ancienneté qui n'est pas soumise, comme une période de formation qui peut être prolongée, à une appréciation subjective des cocontractants;

Que la perception que les usagers du contrat “nouvelles embauches” peuvent avoir de cette période de deux années est inopérante pour en déterminer la nature juridique car la motivation des parties pour user de cette faculté ne peut se substituer à la qualification de ce délai ;

Considérant que pour valider le régime d’exclusion posé par l’art 2 de l’ordonnance du 2 août 2005, il convient de rechercher si le délai de deux ans, est conforme aux prescriptions de la convention n° 158 qui enferme la période dérogatoire dans une “durée raisonnable”;

Qu’il ne peut être ici ignoré que le Conseil d’Etat dans son arrêt précité du 19 octobre 2005 a considéré que cette période de deux années présentait un caractère raisonnable “eu égard au but en vue duquel cette dérogation a été édictée et à la circonstance que le contrat nouvelles embauches est un contrat à durée indéterminée”

Considérant que c’est également à un contrôle de proportionnalité auquel invite le ministère public en prenant soin de souligner que les termes de la comparaison ne sont pas ceux de la période d’essai ; que le rapport au Président de la République expose clairement que le contrat “nouvelles embauches” a été créé pour surmonter les réticences de ces chefs d’entreprises qui “hésitent encore trop souvent à embaucher, même lorsque leur plan de charge immédiat le leur permettrait ;

Qu’ainsi le souci d’encourager les recrutements pérennes au détriment du recours au travail temporaire ou au contrat à durée déterminée, constitue un objectif justifiant les pouvoirs donnés au Gouvernement par la loi d’habilitation;

Considérant que si le principe d’exclusion admis par la convention 158 trouve un juste fondement dans une politique volontariste de l’emploi, il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier le caractère raisonnable de la duré de l'atteinte portée aux droits des travailleurs salariés;

Qu’en l’espèce, durant une période de deux années, le contrat ”nouvelles embauches” prive le salarié de l’essentiel de ses droits en matière de licenciement, le plaçant dans une situation comparable à celle qui existait antérieurement à la loi du 13 juillet 1973 et dans laquelle la charge de la preuve de l’abus de la rupture incombait au salarié ; que cette régression qui va à l’encontre des principes fondamentaux du droit du travail, dégagés par la jurisprudence et reconnus parla loi ,prive les salariés des garanties d’exercice de leur droit au travail ; que dans la lutte contre le chômage, la protection des salariés dans leur emploi semble être un moyen au moins aussi pertinent que les facilités données aux employeurs pour les licencier et qu’il est pour le moins paradoxal d’encourager les embauches en facilitant les licenciements ;

Cette dernière portion de phrase a fait les gorges chaudes de la presse. Outre qu'elle est fausse, car protéger juridiquement une situation contractuelle la rend plus difficilement accessible, elle n'est absolument pas juridique et constitue une critique expresse du travail du législateur.

Qu’il convient enfin de relever qu’aucune législation de pays européens comparables à la France, n’a retenu un délai aussi long durant lequel les salariés sont privés de leurs droits fondamentaux en matière de rupture du contrat de travail ;

A supposer qu'ils soient effectivement privés de ces droits, ce qui est très douteux, la jurisprudence acceptant même d'examiner l'abus du droit de rompre la période d'essai de deux mois prévu en droit commun.

Que dans ces conditions le contrôle de proportionnalité ne permet pas de considérer que le délai de 2 années institué par l’ordonnance du 2 août 2005 soit raisonnable ; qu’en conséquence, ce texte ne peut invoquer à son profit le bénéfice implicite de la dérogation temporaire instituée par la convention n° 158 à son application ;

"Ce texte ne peut invoquer à son profit" ? Lapsus révélateur : c'est à l'ordonnance du 2 août 2005, devenue partie, que l'on fait un procès, maintenant.

Que les dispositions de l’ordonnance précitée créant le contrat ”nouvelles embauches” étant contraires à la convention n°158 de l’OIT, ont été appliquées à tort par M. S. de sorte que contrat de travail conclu avec Melle D. doit être requalifié en contrat à durée indéterminée de droit commun ;

La cour requalifie donc le CNE en CDI, constate que Monsieur S. n'ayant pas motivé le licenciement, celui-ci doit être regardé comme sans cause réelle et sérieuse, et le condamne à payer 1000 euros au titre de la période d'essai irrégulière, 15 000 euros à titre de dommages intérêts pour rupture abusive, et 2000 euros pour non respect de la procédure de licenciement. Oui : 15.000 euros pour un contrat conclu le 6 décembre 2005 et rompu le 27 janvier 2006...

S'il est un ultime argument qui démontre le vice du raisonnement de la cour, c'est bien sur cette conclusion. La cour dit que l'employeur a commis une faute en appliquant les dispositions d'une ordonnance qui est encore en vigueur à l'heure où j'écris ces lignes, non pas car il l'a en connaissance de cause appliquée à une situation où elle n'avait pas vocation à le faire (cet argument a été soulevé par la salarié et expressément rejeté par la cour) mais parce que ce texte était selon elle contraire à la convention 158. L'employeur est condamné à 15 000 euros de dommages intérêt pour n'avoir pas deviné l'interprétation de la convention 158 par la cour. C'est d'autant plus critiquable que dès lors que la cour écarte l'ordonnance, la messe est dite. Elle applique le droit commun qui exige une lettre de licenciement motivée qui limite le débat : or ici il n'y a pas eu de lettre de licenciement motivée en application de l'ordonnance. Le licenciement est donc forcément abusif, l'employeur n'est plus admis à apporter de preuve. Il y a une rétroactivité et aucune prise en compte de la bonne foi de l'employeur, qui aboutissent à faire payer cher à l'employeur les turpitudes que la cour reproche au législateur.

Cette décision me paraît donc fort critiquable, et j'aurais tendance à penser qu'elle ne survivrait pas à l'examen de la cour de cassation si un pourvoi devait être introduit. Mais en prononçant une telle somme de dommages intérêts pour un contrat qui n'a pas duré deux mois, la cour semble s'assurer qu'un tel pourvoi sera formé.

Notes

[1] Je diverge respectueusement. Formule concluant les opinions dissidente des juges des cours suprêmes.

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