Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 7 décembre 2007

vendredi 7 décembre 2007

Assassine-t-on le Code du travail ?

J'ai été invité par plusieurs lecteurs à me pencher sur l'accusation que porte l'opposition contre le gouvernement de vouloir profiter de la recodification du Code du travail pour faire passer subrepticement des atteintes majeures aux droits de salariés.

Ces accusations étant relayées par des inspecteurs du travail, elles sont revêtues du sceau de l'autorité. Et si elles étaient avérées, ce serait fort grave, car il y aurait une véritable forfaiture du gouvernement.

Tout d'abord, qu'est ce que la recodification du code du travail ?

Désolé pour le barbarisme, mais il s'impose. Dans une louable volonté de clarifier le droit, les gouvernements successifs (et cela remonte à la IVe république, avec une nette reprise depuis la fin des années 80, et une nouvelle accélération depuis 1999) ont décidé de compiler des lois et décrets épars traitant d'un même sujet sous forme de codes. Le droit est inchangé, c'est simplement la loi n°tant de telle date qui devient le Code du Truc et du Bidule. On parle de Codification « à droit constant ».

Ne prenez pas cet air là. Je vous assure que le législateur est persuadé que changer un numéro d'article, et de substituer une date par un nom sans rien changer d'autre, ça simplifie. Et vous voulez voir jusqu'où il pousse sa volonté de simplifier jusqu'à l'incompréhensible ? Désormais, les codes ne commencent plus par un banal article premier, suivi d'un affligeant article 2[1]. Non. Un Code étant divisé en livres, titres et chapitres, chaque article commence par un numéro à trois chiffres, les centaines indiquant le numéro du livre, les dizaines celui du titre, et les unités celui du chapitre; suit un tiret et le numéro d'ordre dans la section. Par exemple, le mouvement insurrectionnel est défini à l'article 412-3 du Code pénal : il s'agit du 3e article du chapitre 2 ("Des autres atteintes aux institutions de la République ou à l'intégrité du territoire national") du titre premier (" Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation") du livre 4 (" Des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique") du Code pénal. Alors qu'avant, c'était l'article 97 du code pénal. Ce n'était vraiment pas clair.

Ainsi, les nouveaux codes commencent tous au numéro 111-1. Car c'est plus clair comme ça. Ha, et pour simplifier encore plus, on ajoute devant le numéro une ou deux lettres qui indiquent si les dispositions relèvent du domaine de la loi organique (LO) loi (L), du décret en conseil d'Etat (R., pour règlement au sens de l'article 37 de la Constitution), du décret en Conseil des ministres (D), de l'arrêté ministériel (A) ou de la circulaire (C). Sauf dans le code pénal, car il n'y a pas de simplification digne de ce nom sans exceptions arbitraires.

Et c'est ainsi que la loi du 11 mars 1957 est devenue le code de la propriété intellectuelle par la loi du 1er juillet 1992 (ce qui n'empêche de nombreux éditeurs de promettre les dix enfers du Feng Du à ceux qui copieraient cette œuvre en violation de la loi de 1957), et que l'ordonnance du 2 novembre 1945 est devenue le Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) par l'ordonnance du 24 novembre 2004. Ordonnance, car une loi de 1999 permet au gouvernement, pour faciliter ce mouvement de codification, de procéder par ordonnances pour opérer ces codifications, à condition qu'elles soient à droit constant, c'est à dire qu'elles ne changent rien à l'état du droit. Une loi postérieure doit ratifier cette ordonnance, ce qui permet au parlement d'exercer un contrôle sur cette action du gouvernement.

Ce mouvement de "simplification" ne s'arrête pas là. Dans sa furie simplificatrice, des codes déjà existants sont recodifiés, c'est à dire qu'on réécrit les articles, on les découpe ou les recoupe, et on y inclut des lois autonomes que le législateur d'alors n'avait pas pris la peine d'intégrer dans un code. Ce fut le cas du Code de commerce en 2000, et c'est le cas du code du travail aujourd'hui. Attention : le code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 n'est pas une recodification, c'était bien un nouveau code pénal, réécrit depuis le début (et une vraie réussite de simplification, hormis cette stupide numérotation à rallonge). Cette "simplification" consiste à réécrire le plan du code, à remplacer la numérotation par une numérotation à 4 chiffres (avec une division en partie au dessus du livre) et à couper les articles trop longs, ce qui fera passer le code de 1800 à 3500 articles. Ce travail de simplification, pour être parfaitement compris, s'accompagne d'un mode d'emploi... de 33 pages réalisé par le ministère du travail. Je vous jure que je n'invente rien.

Alors, ces prolégomènes étant enfin achevés, y a-t-il réforme sous couvert de codification à droit constant ?

Voyons les arguments présentés à l'appui de cette accusation.

Le blog "Un strapontin à l'Assemblée Nationale", tenu par un journaliste permanent auprès de la chambre basse, fait un très utile compte-rendu de la séance mouvementée (et qui a agacé Authueil) où le fer a été porté. Alain Vidalies, député du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche, dit "ratissons large", député de la 1e circonscription des Landes, et avocat ce qui ne gâche rien, donne trois exemples, repris d'un argumentaire du syndicat FSU.

Il y en a deux qui, je le dis tout de gob, sont à la limite du ridicule.

La première : les dispositions sur le temps de travail passeraient de la partie consacrée à la santé du salarié à celle consacrée à la rémunération. C'est débattre de quelle étagère doit recevoir un bibelot. Le bibelot lui même reste inchangé.

La deuxième : dans la définition des compétences des inspecteurs du travail, on aurait remplacé les mots "inspecteurs du travail" par "autorité administrative compétente", ce qui désigne le directeur départemental du travail, qui ne bénéficie pas des garanties des inspecteurs du travail. Cette affirmation est erronée : il n'est que de lire les articles L.8112-1 et suivants du nouveau code du travail.

La troisième, qui est la seule vraiment juridique : le nouveau code distinguerait désormais entre les licenciements de moins de dix salariés et de plus de dix salariés pour faire bénéficier de la priorité au rembauchage. En effet, dans le cas d'un licenciement pour motifs économiques, le salarié licencié bénéficie s'il en fait la demande d'une priorité de rembauchage pendant un an : tout nouveau poste créé dans l'entreprise et compatible avec sa qualification doit lui être proposé en premier. Or dans le nouveau code du travail, les règles applicables aux licenciements pour motifs économiques de moins de dix salariés en l'espace de trente jours, et à ceux de dix salariés ou plus en trente jours ont été séparés en deux sections distinctes. Et la priorité de rembauchage est prévue à l'article L.1233-45 nouveau, qui figure dans la section consacrée aux licenciements "10+". Conclusion de l'honorable parlementaire : cette priorité ne s'applique plus aux licenciements de moins de 10 salariés, ce qui est un changement du droit.

Et là encore, ça ne tient pas. Car la section consacrée aux licenciements de moins de dix salariés contient un article L.1233-16 qui renvoie expressément à l'article L.1233-45 sur la priorité de rembauchage, qui s'y applique donc bel et bien.

L'opposition s'émeut encore de la transhumance d'environ 500 dispositions de la partie législative à la partie réglementaire, partie qui peut être modifiée par un décret du gouvernement. Là encore, il n'y a rien de scandaleux ni d'anormal. La constitution définit précisément le domaine de la loi (art. 34) et prévoit que tout ce qui ne rentre pas dans ce domaine relève du pouvoir réglementaire, c'est à dire du décret. Si une loi contient des dispositions qui relèvent en fait du décret, la disposition reste valable (alors qu'un décret qui empiète sur la loi est nul) mais sera traitée comme si elle avait été prise par un décret et pourra être modifiée par un acte réglementaire. C'est ainsi que le gouvernement Villepin avait escamoté à la va-vite la disposition traitant du rôle positif de la colonisation votée par un député qui aime son prochain s'il aime les femmes : il avait demandé au Conseil constitutionnel de constater que cette disposition était en fait réglementaire et non législative, puis l'avait abrogé par décret. Cette requalification est donc conforme à la Constitution ; ajoutons que l'accusation de vouloir les modifier discrètement par décret relève du pur procès d'intention, et qu'en outre cette requalification permettra à toute personne concernée, à commencer par les syndicats, de contester la légalité de ces modifications devant le Conseil d'Etat, ce qui est tout de même une meilleure protection que l'impuissance de l'opposition au parlement.

Bref, pour le moment, mais le débat reste ouvert, je n'ai pas découvert une modification du code du travail entre les deux textes.

Et, in cauda venenum, cette stratégie qui consiste à profiter de la complexité d'une réforme impossible à appréhender pour le grand public pour lui faire dire ce qu'elle ne dit pas et tenter d'effrayer l'opinion publique en affirmant que c'est la Géhenne, me rappelle de douloureux souvenirs référendaires. Et ça marche : les Don Quichotte habituels qui voient un géant dès lors qu'ils ne comprennent pas un texte ont déjà enfourché Rosinante...

Notes

[1] Seuls rescapés à ce jour : le Code civil, le code de procédure pénale et le code général des impôts.

Des fois, il ne faudrait pas que ça grandisse

Chalon Sur Saône, 1982

A l'hebdomadaire Jeune Afrique, courrier des lecteurs.

« C’est avec un grand plaisir que j’écris à J.A. car il est devenu une source d’exposés en classe et c’est pour cela que je vous serais bien obligée de publier ma lettre.

Si je parle ainsi, c’est en connaissance de cause, en étrangère malgré ma naissance et toute ma vie passée en France. Dans J.A. n° 1144, un article a particulièrement attiré mon attention, celui des travailleurs “clandestins”. Le problème s’accentue sous toutes ses formes. Avec ces régularisations des “sans-papiers”, avec ceux qui font la grève de la faim pour être enfin assimilés à leurs compatriotes étrangers en règle. Le résultat est hausse de tension, racisme et même xénophobie envers ces étrangers dont la plupart ne le méritent pas, quelle que soit leur situation. Ces réactions sont fortement ressenties à tous les niveaux et particulièrement dans les endroits publics (écoles, bureaux). Est-ce la faute de ces étrangers, qui sont venus pendant la prospérité et qui, dorénavant, sont remis en cause quotidiennement ? Alors, je tiens à dire aux Français qui disent aux étrangers : « Si tu n’es pas content, retourne dans ton pays où on crève de faim » qu’ils sont ridicules.

Ils ne s’imaginent pas la crise qui pourrait atteindre “leur” pays avec le départ de “ces bougnoules”. Quant au slogan des employeurs, c’est : « Tais-toi ou pars ! » Excusez-moi pour l’écriture, mais je vous ai écrit en étude. »

Signé : Rachida Dati, 17 ans.

Via @rrêt sur image.

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