Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 9 janvier 2008

mercredi 9 janvier 2008

Retenez-moi ou je fais un malheur

L'Assemblée nationale a commencé aujourd'hui l'examen du projet de loi n° 442 relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental.

Deux points sont abordés, qui suscitent la polémique, forcément, car ils ne figuraient pas au programme du candidat Sarkozy (dont la relecture au bout de six mois de présidence est intéressante) mais semblent bien avoir été décidés en réaction à des faits divers, ce qui n'est jamais la meilleure inspiration pour le législateur. Et comme souvent, on découvre un décalage entre le discours ferme, voire rigide, du présigouvernement, et la réalité du texte, qui est plutôt modéré.

Le projet de loi, susceptible de modification au cours des débats parlementaires, se divise en trois parties sans lien logique entre elles, ce qui démontre l'aspect bricolage du texte. Et vous allez voir que le bricolage devient acrobatique parfois.

La première concerne donc cette fameuse rétention de sûreté, seul point que j'aborderai ici (je reviendrai sur le jugement des irresponsables, c'est un grand moment d'émotion).

De quoi s'agit-il ? Pour faire court, de la possibilité de maintenir enfermé au-delà de sa peine un criminel considéré comme étant encore particulièrement dangereux.

Plus en détail, ce dispositif s'appliquerait aux personnes remplissant deux conditions cumulatives : avoir été condamnées pour des faits de meurtre, assassinat (qui est le meurtre commis avec préméditation), actes de torture ou de barbarie ou viol, commis sur un mineur de quinze ans (soit âgé de quinze ans ou moins) ; et avoir pour ces faits été condamné à une peine d'au moins quinze années de réclusions criminelle.

Pour ces personnes, un an avant la date prévue de sortie, la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, créée par la loi du 12 décembre 2005, doit se prononcer "au vu de tous les éléments utiles" et après une expertise médicale. La rétention de sûreté peut être envisagée par la commission si deux conditions sont réunies : 1°, les mesures existantes (inscription au FIJAIS, injonction de soin, placement sous surveillance électronique mobile) apparaissent insuffisantes pour prévenir le risque de réitération, et 2°, que la rétention soit l'unique moyen de prévenir cette réitération, dont la probabilité doit être "particulièrement élevée".

La loi est muette sur les règles de calcul de cette probabilité et il y a gros à parier que le mathématicien de service sera... l'expert psychiatre.

Le bricolage commence. Et il ne s'arrête pas là. La commission pluridisciplinaire ne va pas décider du placement en rétention de sûreté. Elle va décider s'il y a lieu ou non de faire une proposition motivée au procureur général du lieu de détention de la personne, qui pourra alors saisir... une commission régionale (Ha, que deviendrait la République sans ses commissions qui peuvent décider qu'il faudrait peut être saisir une commission ?) composée de trois juges de la cour d'appel dont un ayant rang de président de chambre.

Première incise : pourquoi ne pas appeler cela une chambre, plutôt qu'une commission, puisqu'elle statuera comme nous allons le voir après un débat contradictoire, l'avocat du condamné entendu ? D'autant plus qu'en 2002, une chambre de l'application des peines a été créée pour connaître des appels des décisions des juridictions d'application des peines (JAP statuant seul ou tribunal de l'application des peines). Pourquoi ne pas utiliser ce qui existe, plutôt que créer à chaque fois un nouveau truc appelé commission ? Oui, c'est vrai, il faut savoir que ça existe, le fait de l'avoir voté il y a 4 ans n'étant pas suffisant en soi. Fin de la première incise.

La loi ne précise pas si le procureur général est tenu par cet avis motivé. La rédaction semble indiquer que oui (« La commission régionale est saisie à cette fin par le procureur général, sur proposition de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté » ; en droit le présent de l'indicatif vaut impératif.), mais le principe de l'opportunité des poursuites s'applique-t-il ? Un amendement parlementaire réglant la question serait le bienvenu (à bon entendeur, mes lecteurs assistants parlementaires salut).

Une fois cette commission régionale saisie, au plus tard trois mois avant la date de sortie prévue, elle statue comme une juridiction : un débat contradictoire, c'est à dire où les parties (le procureur général, demandeur de la rétention de sûreté d'un côté, le condamné et son avocat de l'autre) exposent leur position et répliquent à celle de l'autre, un débat contradictoire disais-je a lieu, puis la commission décide de l'éventuel placement en rétention de sûreté, en retenant les mêmes critères que ceux posés pour la commission multidisciplinaire (qui a dit « double emploi » ?) : mesures existantes insuffisantes, probabilités de récidive particulièrement élevées. Un recours est possible devant, mais oui vous avez deviné, une commission, composée de trois magistrats de la cour de cassation. Un pourvoi est possible contre cette dernière décision.

Deuxième incise : là encore, un problème se pose, et il est corsé. Faire de la cour d'appel la juridiction de premier degré de la rétention de sûreté impose de faire de la cour de cassation une juridiction d'appel. Or elle demeure compétente en cas de pourvoi. Je ne suis pas sûr et certain que la cour européenne des droits de l'homme considère le pourvoi en cassation portée devant la même juridiction, même autrement formée, comme un recours devant un tribunal impartial au sens de l'article 6 de la Convention. Autre problème : l'existence de ce pourvoi contraindra le Premier président de la cour de cassation à choisir des conseillers extérieurs à la chambre criminelle, spécialisée dans la matière pénale, pour former cette commission d'appel, puisque la chambre criminelle aura à connaître des pourvois en cassation contre les décisions de la commission d'appel. On marche sur la tête. Et là où ça devient un casse tête (donc un casse pied puisqu'on marchait déjà sur la tête), c'est qu'en cas de cassation, la règle veut que l'affaire soit renvoyée à une juridiction de même rang pour être jugée à nouveau. Or ici, il n'y a qu'une juridiction d'appel au niveau national, et elle n'est composée que de trois magistrats ! Bref, personne pour rejuger l'appel, sauf au premier président à désigner trois magistrats ad hoc pour examiner le nouvel appel, autant dire trois conseillers totalement inexpérimentés en la matière. Là encore, il y a du travail parlementaire à faire pour rendre le processus viable. Fin de la deuxième incise.

La rétention de sûreté peut être écartée, et le dossier renvoyé au JAP qui pourra utiliser les moyens existant actuellement pour surveiller le condamné. Rappelons que depuis la loi du 12 décembre 2005, on peut imposer à un condamné bénéficiant de réductions de peine une surveillance judiciaire dont la durée ne peut excéder ces réductions de peine, qui s'analysent en réduction d'incarcération (un condamné condamné en 1999 à 15 ans bénéficie de 3 ans de réduction de peine, il est libérable en 2011 ; il pourra faire l'objet d'une surveillance judiciaire de 2011 à 2014 – je simplifie pour l'exemple).

Si elle est décidée, cela signifie qu'au jour prévu pour la libération, le condamné sera aussitôt placé dans un centre, je cite « socio-médico-judiciaire de sûreté ». Ca n'existe pas encore, c'est renvoyé à un décret en Conseil d'Etat. Il faut dire qu'on a le temps, comme vous allez voir. Ce placement est décidé pour une durée d'un an, renouvelable un nombre illimité de fois. La commission régionale peut également décider du placement sous surveillance électronique mobile pour une durée identique (un an), renouvelable là encore un nombre illimité de fois.

Un mot sur le placement sous surveillance électronique mobile: il ne s'agit pas du bracelet électronique, qui impose au condamné d'être présent à son domicile à des plages horaires déterminées. La surveillance électronique mobile est une sorte de GPS indiquant en permanence la position du porteur et permettant de créer des zones d'exclusion (écoles, domicile de la victime, etc...). Il n'est pas très discret pour ce que j'en ai vu (un bracelet semblable au bracelet électronique, de la taille de la montre du président de la République, et un émetteur qui se porte à la ceinture de la taille d'une boite de cigare, sachant qu'il y a une batterie à l'intérieur. Voir le dossier de presse du ministère de la justice.

La rétention de sûreté ne fait pas obstacle aux règles relatives à la libération conditionnelle. Il faut préciser qu'il y a incompatibilité absolue entre les règles d'octroi de la libération conditionnelle et celle de la rétention de sûreté en ce qui concerne la dangerosité du condamné.

La rétention de sûreté étant privative de liberté, elle ne pourra s'appliquer qu'aux condamnations prononcées après son entrée en vigueur. C'est à dire pas avant 2020 au mieux, puisqu'elle ne s'applique qu'aux peines de 15 ans au moins (mois 31 mois de crédit de réduction de peine si le détenu ne pose pas de problème en prison)

Un mot avant de conclure, et ce sera ma troisième incise, sur un débat un peu trop vite escamoté par le gouvernement : la constitutionnalité de l'article 12 du projet, qui prévoit une entrée en vigueur immédiate, c'est à dire une application aux peines en cours d'exécution, de l'article 2, qui prévoit la possibilité de maintenir la surveillance judiciaire (le condamné est libre mais sour surveillance électronique mobile) au delà de la durée de la peine prononcée. La Constitution, et précisément la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et la convention européenne des droits de l'homme en appui, prohibent d'appliquer des peines plus graves que celles qui étaient prévues quand les faits ont été commis. C'est un droit de l'homme fondamental. Si vous grillez un feu, vous savez que vous commettez une contravention de la 4e classe et que vous risquez 750 euros d'amende. Si le lendemain un loi en fait un délit passible de dix ans d'emprisonnement, vous ne pouvez pas être condamné à une telle peine : on ne pourra au pire vous condamner qu'à 750 euros d'amende.

Le gouvernement invoque la décision du conseil constitutionnel 2005-527 DC du 8 décembre 2005 sur la loi sur la récidive, qui considérait que la surveillance judiciaire, dont j'ai déjà parlé, était applicable aux peines en cours même si elle n'existait pas au moment où les faits ont été commis car il s'agissait d'une mesure de sûreté et non d'une peine (considérants 10 et suivants). Là, le Gouvernement va droit dans le mur et je doute qu'il puisse l'ignorer.

En effet, rappelons que la surveillance judiciaire ne peut à ce jour excéder la durée des réductions de peine du condamné. Et c'est précisément en relevant ce point que le Conseil écarte l'inconstitutionnalité pour atteinte au principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère (considérants 13 à 15) :

13. Considérant, en premier lieu, que la surveillance judiciaire est limitée à la durée des réductions de peine dont bénéficie le condamné ; qu'elle constitue ainsi une modalité d'exécution de la peine qui a été prononcée par la juridiction de jugement ;

14. Considérant, en second lieu, que la surveillance judiciaire, y compris lorsqu'elle comprend un placement sous surveillance électronique mobile, est ordonnée par la juridiction de l'application des peines ; qu'elle repose non sur la culpabilité du condamné, mais sur sa dangerosité ; qu'elle a pour seul but de prévenir la récidive ; qu'ainsi, la surveillance judiciaire ne constitue ni une peine ni une sanction ;

15. Considérant, dès lors, que le législateur a pu, sans méconnaître l'article 8 de la Déclaration de 1789, prévoir son application à des personnes condamnées pour des faits commis antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi (...).

Bref, le conseil disait : votre loi crée une mesure de sûreté modalité d'exécution de la peine, elle ne permet pas de faire durer la peine au-delà de la durée prononcée par le tribunal. Elle durcit l'octroi des mesures de retour à la liberté : je n'ai rien à y redire, ces mesures étant par nature favorables à un détenu. Qu'elles le soient un peu moins n'empêche qu'elles demeurent favorables.

Ici, la loi crée une possibilité de privation de liberté pour une durée indéterminée, les périodes d'un an étant renouvelables de manière illimitée jusqu'au décès du condamné, et la déclare applicable à des faits où cette possibilité n'existait pas au moment où ils ont été commis. C'est une mesure moins favorable au condamné, c'est le moins qu'on puisse dire. Je n'imagine pas un seul instant que le Conseil constitutionnel laissera passer une chose pareille sous prétexte qu'on l'aurait affublé du cache-sexe de « mesure de sûreté », surtout quand on sait qu'y siège un ancien premier président de la cour de cassation (et un condamné en puissance diront les mauvaises langues, ce que je ne suis pas).

En somme, le gouvernement se prépare à nous refaire le coup de la réductibilité des intérêts d'emprunt, dit le coup de la bonne du curé : « J'voudrais bien, mais j'peux point ». Puisque cette prolongation de surveillance judiciaire ne concerne que les condamnés à quinze ans au moins, elle n'entrerait concrètement en vigueur que douze ans après le vote de la loi au mieux, quand les condamnés à quinze ans commenceront à devenir libérables. Pour un président qui inscrit son action dans l'immédiateté et le résultat instantané, le voilà contraint de se projeter dans l'avenir, pire : dans l'après lui, et on sait que ce n'est pas dans la nature du personnage. Sauf à aligner trois mandats. Pensée qui referme ma troisième incise.

Pour conclure, que penser de ce projet de loi ?

Sur la forme, vous avez vu qu'il est mal ficelé. Un travail parlementaire intelligent peut régler cela, mais il y a du travail. Tant mieux, parce que pour le moment, le parlement est plus réduit au rôle de machine à signer que de machine à légiférer.

Sur le fond, Robert Badinter, pour qui mes lecteurs savent que j'ai le plus profond respect, émet des critiques vigoureuses. Philippe Bilger, avocat général pour qui je n'ai pas moins de respect, le prend à rebrousse-poil et approuve le principe, sans entrer dans le détail du texte, estimant probablement que ce n'est pas son rôle de magistrat, ce qui ne veut pas dire qu'il n'en pense pas moins.

Pour ma part, hormis l'aspect entrée en vigueur immédiate, ce projet ne me scandalise pas sur le principe. Il faut garder à l'esprit qu'il ne concernera qu'un très petit nombre de condamnés. Philippe Bilger parle d'une dizaine de personnes. Le chiffre me semble réaliste. Ses conditions, que j'ai rappelées plus haut, sont très restrictives (Liste de crimes réduite, même si elle sera appelée à grossir, on connaît bien le moteur à deux temps au Gouvernement ; peine minimale de quinze années ; dangerosité avérée avec une réitération très probable, et aucune autre mesure de surveillance ne permettant d'y pallier). Des sûretés existent, et rien n'a plus besoin de sûreté qu'une mesure de sûreté : le dossier est forcément réexaminé une fois par an, et le retenu peut demander sa libération trois mois après la dernière décision de maintien. La décision appartient à l'autorité judiciaire et à elle seule.

L'existence d'individus intrinsèquement et à l'heure actuelle incurablement dangereux ne peut pas être ignorée. Je suis d'accord avec Philippe Bilger quand il dit qu'au nom de bons sentiments, la société ne doit pas être sans armes pour assurer la sécurité de ses membres face à un danger évident dont elle a connaissance. L'angélisme en matière pénale fait des victimes humaines. Et en l'état actuel du texte, le risque de voir une personne injustement retenue me semblent particulièrement faibles ; m'indigner alors même que les conditions exactes de cette rétention, qui n'est pas un maintien en prison, c'est-à-dire les possibilités de visite, de communication vers l'extérieur, de liberté de circulation dans l'établissement sont inconnus me paraît prématuré. Enfin, cette menace de rétention constitue enfin le levier qui manquait pour faire pression sur les condamnés qui refuseraient de suivre un traitement en prison, préférant « compter les jours ». Cette attitude ne leur garantirait plus un retour inéluctable à la liberté.

Je n'adhère pas aux critiques émises par Robert Badinter. Il parle de changement radical du droit. L'usine à gaz proposée par le gouvernement s'inscrit au contraire dans une longue tradition de montages invraisemblables. Le sénateur critique l'abandon de la règle « pas de prison sans crime » au profit d'un emprisonnement pour un crime virtuel, qu'il est susceptible de commettre. Mais la rétention n'aura pas lieu dans un établissement pénitentiaire, et ne peut avoir lieu que si un crime a bien été commis au départ. La non rétroactivité de la loi pénale fait que les futurs retenus auront su au moment du passage à l'acte que les faits les exposeraient à une telle mesure. Quant à affirmer que ce projet de loi revient à « garder quelqu'un en prison parce que des psychiatres auront dit 'vous savez, il va peut-être récidiver un jour' », cela va à l'encontre du texte qui dit que la probabilité de réitération doit être « particulièrement élevée ». Je suis d'accord pour constater que ce calcul de probabilité, je ne sais pas trop ce qu'il veut dire. Mais au moins, je sais ce qu'il ne veut pas dire. Ce n'est pas un simple peut être. Et en tant qu'avocat, il m'incombera d'y veiller.

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