Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 18 janvier 2008

vendredi 18 janvier 2008

Fenêtre sur prétoire

Par Gascogne


Alors qu'une chaîne de télévision par satellite, « Planète Justice », vient d'être lancée il y a quelques mois, le procureur général de la cour d'appel de Paris, Laurent Le Mesle, a relancé l'idée de faire entrer les caméras dans les prétoires. Se pose une fois de plus la question de la place des médias dans le processus judiciaire.

Médias et justice ont toujours connus des relations très complexes. Qui se sert de qui, qui peut faire quoi ? Peut-on laisser des caméras entrer dans les prétoires, doit-on tout cacher à la presse au nom du secret de l'instruction, où peuvent se rencontrer droit à l'information et droit à l'intimité ?

Dans les années 80, une alliance objective s'est faite jour entre la justice pénale et la presse pour permettre l'instruction des dossiers politico-financiers. Sans ce mariage a priori contre nature, les dossiers politiques tels que le dossier dit "Urba-Gracco", et tous les autres dossiers de financement des partis politiques, n'auraient sans doute pas pu aller à leur terme. Il faut en effet savoir que le ministère public, c'est à dire le procureur, contrôle la saisine du juge d'instruction, c'est à dire les infractions sur lesquelles ce magistrat a le droit d'enquêter. Et le ministère public est organiquement rattaché au Garde des Sceaux, d'où dans certains dossiers des difficultés à instruire lorsque le juge découvre des infractions nouvelles, par exemple lors d'une perquisition. C'est là que la presse a pu jouer un rôle particulièrement important, la pression médiatique étant bien souvent le meilleur des alliés pour obtenir un supplément d'information.

L'alliance objective s'est modifiée dans les années 2000, la presse et les politiques oeuvrant de conserve pour porter des coups à l'institution judiciaire, le point d'orgue ayant été atteint avec l'affaire dite d'Outreau.

Alors jusqu'où peut-on laisser les journalistes investir les prétoires ? Les audiences, civiles comme pénales, étant par nature publiques, afin de laisser la population exercer une forme de contrôle sur la justice, la question n'a pas réellement lieu d'être pour celles-ci, encore que les enregistrements audio-visuels, à défaut des journalistes, y soient interdits. Elle se pose essentiellement sur la phase d'enquête, puisque celle-ci est par essence secrète, et que les journalistes ne supportent pas le secret. Elle se pose également dans le cadre de la possibilité, pour le moment seulement historique, de faire entrer des caméras dans les prétoires.

La loi autorise le procureur de la République a communiquer avec la presse, afin principalement d'éviter la propagation de fausses nouvelles. Ni les juges, ni les policiers ou les gendarmes, soumis au secret professionnel, n'ont cette possibilité. Il est également à noter que les avocats sont eux-mêmes soumis au secret professionnel, conformément à l'art. 5 du décret du 12 juillet 2005. Les ténors du barreaux que l'on peut apercevoir devant les caméras de télévision livrer des éléments du dossier d'instruction commettent une infraction pénale, prévue et réprimée par l'article 226-13 du Code Pénal, mais dans les faits fort peu poursuivie.

Concernant l'enquête, si des phases de publicité se voient de plus en plus mises en place, par exemple dans le cadre des débats devant le juge des libertés et de la détention, aucune enquête sérieuse ne pourrait aboutir sans une part importante de secret. Des actes d'enquête effectués au vu et au su de tous auraient peu de chances de porter leurs fruits. Avertit-on les suspects lorsqu'on les place sous écoute téléphonique ou lorsqu'on envisage une perquisition chez eux ?

Le deuxième problème posé par la médiatisation des procédures, notamment pénales, est le droit au respect de la vie privée, qui se trouve totalement occulté. Le droit à l'information ne saurait obliger quiconque a voir étalé sur la place publique, qui son divorce (pas de point Eolas, par pitié), qui sa mise en examen pour agressions sexuelles sur mineur de quinze ans.

Enfin, le dernier point, et qui n'est pas des moindres, est qu'une justice rendue sous la pression ne peut être une bonne justice. Quand les media prennent fait et cause pour ou contre une partie, la nécessaire sérénité des débats et des décisions s'en trouve grandement amoindrie.

Le seul point positif que je vois à l'entrée de cameras dans les salles de justice serait de faire connaître un peu mieux au citoyen télespectateur le fonctionnement de sa justice. Car quand je lis (rarement, c'est mieux pour mon ulcère) les commentaires sous les articles de presse paraissant sur internet et traitant de justice, je perds parfois espoir dans les actions de formation auprès du public que les magistrats effectuent dans les lycées ou en d'autres occasions. Mais tant que j'exercerai mon métier avec passion, et que j'aurai l'impression de rendre service à la communauté à laquelle j'appartiens, je continuerai à expliquer, et expliquer encore cette justice à laquelle je suis tant attaché.

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