Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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samedi 19 janvier 2008

samedi 19 janvier 2008

Une idée de génie

En matière de procédures d'éloignement, il est toujours très difficile de s'assurer que, conformément aux engagements internationaux de la France, les étrangers faisant l'objet de ces mesures ont un accès effectif à un avocat.

Mais le préfet des Bouches-Du-Rhône a trouvé la solution : il suffit d'expulser les étrangers avocats.

Il a passé sa carrière à plaider la régularisation de centaines d'étrangers. C'est à son tour d'être menacé d'une expulsion. Le préfet des Bouches-du-Rhône a adressé, le 1er octobre, à Me Abdoulaye Coulibaly, un avocat inscrit au barreau d'Aix-en-Provence (...), un arrêté de refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai d'un mois.

Corporatisme, me direz-vous ? La loi est la loi, à commencer pour les avocats. Surtout s'il pratique la matière, il doit être au courant.

En vérité, il l'est : sa pratique de la matière rend la mienne minuscule...

Un territoire [français] sur lequel cet avocat malien vit, sans anicroches, depuis... 1962, date à laquelle il s'était inscrit à la faculté de droit d'Aix-en-Provence. A cette époque-là, il avait 25 ans et la carte de séjour n'avait pas encore été instaurée.

Pour Jean-François Leca, bâtonnier d'Aix, "on marche sur la tête. Mon confrère exerce depuis trente ans, on le voit plaider ses dossiers tous les jours. A croire qu'à la préfecture, il faut faire du chiffre. Plus personne n'est à l'abri". Le chef de file des avocats aixois compte bien que, lundi, à l'audience sur le recours déposé contre la décision préfectorale, "les juges administratifs feront preuve de plus de bon sens que le préfet". L'administration estime qu'Abdoulaye Coulibaly ne "justifie pas de sa présence en France pour chaque année depuis dix ans". En dépit des attestations de tous ses bâtonniers depuis 1980, en dépit du bail de son cabinet renouvelé depuis dix-neuf ans. "Sans incidence", tranche le préfet qui réclame des factures, des quittances... "Je comprends l'émotion, dit la chef du bureau des étrangers à la préfecture, mais on n'a qu'une règle et on l'applique à tous de la même façon".

J'ai déjà le tournis, mais il y a mieux.

Me Coulibaly, père d'un enfant français âgé de 21 ans, n'avait jusqu'alors rien rencontré d'autres que des contrariétés, jamais une telle rudesse administrative. En 1974, lorsqu'était sortie la première loi sur le séjour des étrangers, l'administration lui avait rétorqué: "Ça ne vous concerne pas". En 1989, lorsque la préfecture s'était intéressé à sa situation, sa demande de naturalisation suffisait à légaliser sa présence . Durant ces quarante-cinq années de vie en France, son passeport malien - renouvelé en France dans les représentations diplomatiques- et sa carte professionnelle ont toujours suffi. L'avocat oscille entre rire et pleurs. Cette procédure le terrasse. "C'est ubuesque mais, en même temps, je n'arrive plus à travailler. C'est une humiliation, une meurtrissure". Bien sûr, il s'est rendu au Mali, voir sa famille et même plaider des dossiers, mais "c'est en France qu'il a construit sa vie professionnelle et privée", observe Me Claudie Hubert, son avocate qui ne décolère pas. C'est toute la profession d'avocat qui a décidé de faire bloc derrière son confrère. Le Syndicat des Avocats de France et le Conseil national des barreaux interviendront lundi à l'audience.

Il est en France depuis 45 ans, il exerce la profession d'avocat au barreau d'Aix en Provence depuis 30 ans, il a un fils qui a la nationalité française. Mais non, ça ne suffit pas à la préfecture, qui exige... des factures EDF.

Je n'ai que rarement vu des décisions d'éloignement entachées d'une illégalité aussi évidente et manifeste (mais j'en ai vu...). Je ne doute pas un seul instant que le tribunal administratif annule cette obligation de quitter le territoire. Mais je frémis en voyant quelles absurdités la machine folle est prête à accomplir.

Ha, et si en prime vous voulez avoir la nausée, jetez un coup d'oeil sur les commentaires des lecteurs. Les larbins prêts à abdiquer tout sens critique dès lors qu'on leur oppose une apparence de légalité sont encore légion (dès lors bien sûr que celui qui en est victime a une gueule de métèque, s'entend).

A croire qu'on a les préfectures qu'on mérite.

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