Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 15 février 2008

vendredi 15 février 2008

La cour de cassation et l'enfant né sans vie

Trois arrêts de la cour de cassation (un, deux, trois) rendus le même jour par sa première chambre civile ont fait quelque bruit.

Comme d'habitude, la presse est à la hauteur... de sa réputation et faute d'avoir compris et donc de pouvoir expliquer, ressort son attirail de clichés : la décision "comble un vide juridique" pour Le monde, mais ne critiquons par trop le journaliste, il n'a fait que repomper la dépêche AFP, tout comme 20 minutes, mais pour 1,20 euro de plus.

Ha... Le "vide juridique"... Que feraient les journalistes sans lui ? Du journalisme, probablement... Comme par exemple lire le communiqué de presse de la cour de cassation.

Mise à jour sur ce point : Au temps pour moi, Le Monde mérite bien ses 1,20 euro de plus. Je citais la dépêche reprise sur le site du Monde.fr (Ha, ces fameuses versions en ligne, qui ont le nom mais pas la qualité de la version papier...), le journal ayant publié un article plus complet et surtout plus exact : La Cour de cassation élargit la notion d'enfant sans vie, par Anne Chemin, qui parle quand même de "No Man's Land juridique", personne n'est parfait...

Bien évidemment, des personnes se sont emparées de cet arrêt pour ressortir leur bannières idéologiques : dans l'Humanité, Maya Surduts, présentée comme une "figure du mouvement féministe", sonne le tocsin :

Notre préoccupation est très grande. Il est clair que derrière cette décision il y a la volonté de remettre en question le statut de l’embryon et de grignoter le droit des femmes à l’avortement.

Tout compte fait, je préférais encore le vide juridique.

Il faut dire que les journalistes et les figures ne sont pas aidés, quand le Médiateur de la République déclare que

cette décision en cassation montre que le Parlement doit "définir très clairement" la notion de viabilité, pour la fixer à 22 semaines de grossesse. "Aujourd'hui, la notion de viabilité dépend de l'appréciation du médecin. Il faut que le politique définisse très clairement, à partir des critères de l'Organisation mondiale de la Santé, ce qu'est la notion de viabilité", a-t-il estimé.

"A partir de là, on pourrait reconnaître des droits identiques à tous les parents dont l'enfant est décédé avant la déclaration de naissance, tout en étant viable", a poursuivi le Médiateur. "La France est l'un des rares pays européens à avoir une notion de viabilité qui n'est pas très précise", a-t-il souligné, tout en précisant qu'il existait "un travail en cours" sur ce dossier au sein du gouvernement.

Rappelons que le rôle du Médiateur de la République n'est pas d'informer le public sur les travaux en cours du gouvernement (il y a un porte-parole pour ça) ni de donner son avis sur ce que doit faire le parlement (il y a 60 millions de citoyens pour ça) mais intervenir à titre d'amiable compositeur dans les litiges entre l'administration et ses usagers. Il est donc pardonnable de dire des sottises pareilles, car hors de son champ de compétence.

La distribution de baffes étant achevée, que disent VRAIMENT ces arrêts ? Vous allez voir que ce n'est pas bien compliqué.

Dans chacune des trois affaires, une mère avait fait une fausse couche en tout début de grossesse, respectivement 21 semaines d’aménorrhée (absence de règles) pour un foetus de 400 grammes, 21 semaines pour un foetus de 286 grammes, et 18 semaines pour 155 grammes. Elles avaient toutes trois demandé que soit rédigé un acte d'enfant sans vie, ce qui leur avait été refusé par l'officier d'état civil, en application du paragraphe 1.2 de la circulaire DHOS/E 4/DGS/DACS/DGCL n° 2001-576 du 30 novembre 2001 relative à l’enregistrement à l’état civil et à la prise en charge des corps des enfants décédés avant la déclaration de naissance, qui pose comme critère d'acceptation de l'acte d'enfant sans vie les critères de définition de l'enfant par l'OMS : 22 semaines d'aménorrhée OU un poids de 500 grammes. Elles avaient saisi le tribunal de grande instance pour qu'un jugement ordonne un tel acte, et avaient toutes trois été déboutées. La cour d'appel saisie (Nîmes dans les trois cas) avait confirmé confirmé à son tour ces jugements, en affirmant que :

il s’évince de l’article 79-1 du code civil que pour qu’un acte d’enfant sans vie puisse être dressé, il faut reconnaître à l’être dont on doit ainsi déplorer la perte, un stade de développement suffisant pour pouvoir être reconnu comme un enfant, ce qui ne peut se décréter mais doit se constater à l’aune de l’espoir raisonnable de vie autonome présenté par le foetus avant son extinction, qu’en l’état actuel des données de la science, il y a lieu de retenir, comme l’a fait l’officier d’état civil, le seuil de viabilité défini par l’Organisation mondiale de la santé qui est de vingt-deux semaines d’aménorrhée ou d’un poids du foetus de 500 grammes et qu’en l’espèce ces seuils n’étaient pas atteints.

La cour ne peut invoquer la circulaire précitée car ce n'est pas une source de droit, mais une simple instruction administrative. Or elle va quand même en appliquer les dispositions, ce qui rendra ses arrêts non viables.

Posons-nous donc la question de savoir qu'est ce qu'un acte d'enfant sans vie ?

C'est une création de la loi du 8 janvier 1993, qui est une des plus grandes réformes récentes du droit de la famille. Une loi votée sous le gouvernement socialiste de Pierre Bérégovoy, bien connu pour être un adversaire farouche de l'avortement et vouloir faire avancer subrepticement les idées les plus conservatrices.

Il est défini à l'article 79-1 du Code civil :

Lorsqu'un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l'état civil, l'officier de l'état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d'un certificat médical indiquant que l'enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.

A défaut du certificat médical prévu à l'alinéa précédent, l'officier de l'état civil établit un acte d'enfant sans vie. Cet acte est inscrit à sa date sur les registres de décès et il énonce les jour, heure et lieu de l'accouchement, les prénoms et noms, dates et lieux de naissance, professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant. L'acte dressé ne préjuge pas de savoir si l'enfant a vécu ou non ; tout intéressé pourra saisir le tribunal de grande instance à l'effet de statuer sur la question.

En effet, depuis l'aube des temps[1], la personnalité juridique, ce qui fait qu'on est un sujet de droit, commence à la naissance et finit à la mort, à la condition d'être né vivant et viable. Vivant s'entend par la présence d'air dans les poumons : l'enfant a respiré, il a donc vécu. Viable implique que le nouveau né n'a aucune imperfection physiologique conduisant inéluctablement à sa mort rapide (absence d'un organe vital...). Ajoutons qu'un adage veut que la personnalité puisse remonter à la conception quand l'intérêt de l'enfant l'exige, ce qui lui permet d'hériter de son père ou de recevoir une donation avant sa naissance. A condition d'être né vivant et viable, ce qu'exclut une IVG.

Afin d'aider les parents à surmonter cette terrible épreuve, la loi a créé pour les enfants ne remplissant pas ces conditions d'accès à la personnalité juridique l'acte d'enfant sans vie. Sans avoir les conséquences juridiques d'un acte de naissance (il figure sur le registre des actes de décès), il permet aux parents de lui donner un prénom, et de réclamer le corps pour procéder à des funérailles (auparavant, il était traité comme un déchet organique et incinéré avec les amygdales et autres appendices iléo-cæcaux, quand il ne servait pas pour former des étudiants).

Notons que la loi prévoit que l'acte d'enfant sans vie doit être dressé à défaut de certificat médical attestant la vie et la viabilité, sans préjuger de ces faits, qui relèvent de la compétence du juge.

Comme vous le voyez, la loi ne pose aucune condition de développement du foetus.

La cour d'appel de Nîmes a interprété ce texte en ajoutant une condition qu'il ne contient pas : il faut selon elle que le foetus remplisse au moins les conditions de la définition de l'enfant à naître pour l'OMS, soit 22 semaines d’aménorrhée OU un poids d'au moins 500 grammes.

La cour de cassation la renvoie à ses chères études en constatant que

l’article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du foetus, ni à la durée de la grossesse.

Dès lors, la cour d’appel, qui a ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoit pas, l’a violé.

On peut chercher longtemps le vide juridique. Soit l'enfant est né vivant et viable avant de mourir, c'est attesté par un médecin : on fait un acte de naissance. Soit tel n'est pas le cas et on fait un acte d'enfant sans vie.

Se pose alors la question de savoir jusqu'où on peut remonter. Les fausses couches en tout début de grossesse sont fréquentes, et peuvent même avoir lieu sans que la mère ne s'en rende compte, mettant le saignement sur le compte de règles tardives, quand le foetus n'est encore qu'un embryon. La loi n'a fixé aucune limite, se contentant de parler "d'enfant", terme qui n'est pas une notion juridique (on connaît le mineur si son âge compte, le descendant si sa filiation compte, mais pas l'enfant : c'est un terme trop vague pour être juridique). Erreur du législateur ? Je ne pense pas. Lâcheté, plutôt. Prendre un mot qui ne veut rien dire est, pour un homme politique, une façon commode de ne pas faire de choix. Chacun entendra "enfant" comme il le souhaite et tout le monde sera content lors des élections qui ont eu lieu deux mois après le vote de cette loi.

Cette lâcheté se paye quinze ans plus tard au prix de 12 années de procédure pour ces mères éplorées, mais peu importe. De l'eau a coulé sous le pont de la Concorde.

D'où l'erreur de la cour d'appel de Nîmes : faute de définition juridique de l'enfant, elle est allé chercher la définition médicale de l'OMS, oubliant au passage que le droit et la médecine ne sont pas la même discipline (bienheureux médecins : on ne vous invente pas des nouveaux organes tous les jours...).

De fait, aux termes de l'article 79-1, l'acte d'enfant sans vie implique uniquement "une naissance". Donc un accouchement, c'est à dire que l'expulsion du foetus nécessite l'intervention d'un médecin. Cela exclut l'embryon qui se décroche de sa matrice au bout de quelques jours.

Vous voyez les effets pervers des lois compassionnelles visant non pas à fixer des règles mais uniquement à prendre en compte la souffrance : le législateur raisonne en pleureuse et non en législateur, et les yeux embués de larmes, ne parvient pas à rédiger un texte réglant toutes les questions qui ne manqueront pas de se poser, laissant cet office au juge, ce monstre à sang froid dont les yeux perpétuellement secs seront plus à même de régler ces problèmes d'intendance.

Donc, en l'état actuel de la loi, dès lors que la perte d'un enfant à naître sera constatée par un médecin, rien ne permet de s'opposer à un acte d'enfant sans vie.

Y a-t-il un danger pour le droit d'avorter du fait de cette décision ?

Non. Pas plus aujourd'hui qu'en février 1993. La cour de cassation n'a pas qualifié un foetus d'enfant, c'est le législateur qui l'a fait en 1993. L'article 79-1 du Code civil ne s'applique qu'après une naissance, pas pendant la grossesse, et une IVG ne donne pas lieu à une naissance. Je doute en outre qu'une femme qui avorte éprouve le besoin de faire dresser un acte d'enfant sans vie (lui indiquer le sexe du foetus serait d'ailleurs d'une cruauté morale sans nom). Qualifier un foetus très peu développé d'enfant n'a aucune conséquence sur le droit d'interrompre la grossesse, qui repose sur de stricts critères d’aménorrhée.

La loi sur l'IVG et l'article 79-1 du code civil s'appliquent à deux hypothèses différentes : la perte non désirée de l'enfant que l'on porte n'est pas un avortement.

Les problèmes moraux épineux posés par l'avortement perdurent. Ils sont inchangés par ces décisions. Et donc, j'attire votre attention sur ce point : totalement hors sujet en commentaire.

Et sur mon blog, il n'y a pas d'acte de commentaire sans vie : s'il n'est pas viable, c'est l'incinération. Avis à la population.


Sur le même thème chez Lieu Commun :

Diner's Room : La Cour de cassation et l'enfant né sans vie.

Koztoujours : De l'enfant né sans vie. Même ce cul-béni ne s'est pas mépris sur la portée de l'arrêt.

Notes

[1] Qui se situe je le rappelle le 30 Ventôse An XII.

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