Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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dimanche 2 mars 2008

dimanche 2 mars 2008

Le blues du jeune pénaliste

Térence, un de mes jeunes confrères mais ancien comme lecteur m'a laissé ce dimanche son témoignage désabusé de jeune avocat se frottant au droit pénal :

Bilan rapide sur la justice pénale après deux mois de barre :

J'ai bien le sentiment de servir à peu de chose ; le sentiment assez désagréable que l'avocat, à l'audience pénale, ne sert strictement à rien !

Assez déçu par l'exercice et le peu de considération que les magistrats ont pour les avocats pendant les audience pénales (le pire étant à mon sens les juridictions d'appel, et je ne parle pas même du le rapporteur qui vous sabre 2/3 des arguments d'une plaidoirie ou la mise en perpective des faits peut être déterminante) je m'oriente vers un strict contentieux civil et commercial.

A votre avis Eolas, c'est un peu court deux mois pour faire un bilan ?

Vous n'avez pas, après toutes ces années, vous aussi le sentiment de vous trouver à chaque audience à la gauche de Gnafron.

Moi si ?

Et cela ne fait que deux mois que j'exerce !

Dadouche lui a répondu son opinion de magistrate ayant pratiqué la matière, notamment comme juge en correctionnelle :

C'est vrai qu'en deux mois vous avez eu le temps de faire le tour de la question, notamment sur la considération que les magistrats accordent aux avocats. Je n'ai pas bien compris dans ce que vous indiquez à l'aune de quoi vous la mesurez. Serait-ce fonction de leur capacité à toujours tomber d'accord avec vous ? Je n'ose le croire, sinon vous allez effectivement au devant de quelques désillusions.

Je ne sais pas davantage ce que vous entendez par "servir à quelque chose". S'il s'agit d'obtenir des relaxes ou des amendes avec sursis dans tous les dossiers, ç'est sûr que là encore ça va être compliqué. Mais je ne doute pas que votre vision du rôle de l'avocat soit bien plus nuancée.

L' "utilité" ou, mieux, la valeur ajoutée apportée par l'avocat à l'audience est variable. S'il présente des arguments étayés, qu'il propose des alternatives crédibles quand il plaide sur la peine, qu'il pointe des éléments du dossier quand il plaide la relaxe, il est très utile. S'il est moins bon (ça arrive), qu'il tempête sur l'inutilité de la prison pour un multirécidiviste du vol avec violences, qu'il vitupère contre le parquet qui pousuit les revendeurs de cannabis alors que la consommation de cette substance bien moins dangereuse que l'alcool est entrée dans les moeurs ou qu'il explique que si la victime d'un viol n'avait vraiment pas été consentante, elle l'aurait mordu au moment propice (je vous jure, je l'ai déjà entendu), là, forcément, il est beaucoup moins utile, voire carrément dangereux. S'il répète, trois fois sous des formes différentes, ce qui a déjà été dit pendant l'instruction à l'audience et qu'il plaide façon fleuve en crue, ça peut aussi déclencher des réactions en chaîne incontrôlables chez les magistrats qui voient avec inquiétude l'heure tourner et la pile des dossiers ne pas baisser.

Le rôle de l'avocat au pénal ne se limite pas à l'audience : les conseils au client sur la façon de se tenir, l'examen de la régularité de la procédure, la production de justificatifs obtenus en préparant l'audience sont largement aussi (voire plus) importants sur le fond.

Cela dit, je ne nie pas que certains collègues donnent l'impression d'écouter distraitement les plaidoiries. C'est cependant loin d'être une généralité, et ça va souvent de pair avec, la pratique aidant, une aptitude quasi surnaturelle à faire deux choses en même temps.

Fantômette lui répond à son tour un commentaire très pertinent :

Je ne crois honnêtement pas qu'en deux mois, vous ayez fait le tour de la question.

J'ai pour ma part l'impression de commencer de trouver mes marques au pénal, et j'ai deux ans de barre.

Je vais me permettre de vous donner des conseils que vous choisirez ou non de suivre, sachant de toute évidence qu'il n'y a nulle vertu particulière à poursuivre une activité pénale si l'on ne s'y sent pas à l'aise.

D'abord, cette vieille règle qui veut que "les vieux chevaux passent avant les jeunes baudets" comme aurait dit ma grand-mère, c'est-à-dire les avocats les plus chevronnés avant leurs jeunes confrères, présente l'immense avantage de nous les faire écouter plaider. Croyez-moi, pour certains, ça vaut le détour, et quant à moi, j'ai toujours plaisir à les laisser passer devant moi pour profiter de la leçon.

Personnellement, je trouve en plus que c'est bon pour le moral, mais là c'est subjectif.

Ensuite, un vieux diehard pénaliste m'a donné un jour un conseil très simple, mais qui recadre bien les choses : Le travail, au pénal, c'est le dossier, et le client.

Le dossier, il faut le connaître sur le bout des doigts, et ce n'est pas une figure de style. Mes dossiers au pénal, je les dépouille, je les stabilote, les re-classe, des fois je les mets sous cote, eh oui, j'écris dessus, quand j'en ai fini avec eux, ils ressemblent plus à rien (et personne ne s'y retrouve sauf moi), mais je ne laisse passer aucune approximation de la part de personne sans la remarquer : président, procureur, confrère adverse.

Le client, pareil. Vous ne trouverez pas votre valeur ajoutée sans son aide. Pour commencer, il faut l'écouter beaucoup, beaucoup. Pas seulement sur les faits. Sur lui.

Vous avez un avantage sur le juge : vous avez la possibilité de mieux connaître votre client que lui. Profitez-en. Ce sera utile pour plaider sur la peine, et il faut plaider sur la peine.

Je ne puis qu'applaudir avec enthousiasme aux propos de ma consœur au bonnet à pompon.

Cher Térence, vous traversez une période délicate : vous perdez vos illusions sur la défense pénale. C'est un passage difficile mais nécessaire : il précède la prise de conscience de ce qu'est réellement la défense pénale. Et on n'y perd pas au change.

Le pénal est une matière difficile. Beaucoup d'avocats veulent y toucher au moins une fois, pour tester ou connaître le frisson de la correctionnelle, et parce qu'elle donne une illusion de facilité. L'avocat, au pénal, peut rester totalement passif, attendre sagement le moment de sa plaidoirie, aligner quelques perles d'un ton convaincu et croire avoir rempli sa mission. Je crois d'ailleurs que c'est ce que font certains confrères.

Or c'est une matière très technique, et l'instabilité des textes contribue à rendre la matière terriblement complexe. Tout particulièrement la procédure pénale. L'avocat y est depuis le début un intrus. Souvenez-vous qu'au XIXe siècle jusqu'à la grande loi du 8 décembre 1897, l'avocat était purement et simplement exclu de la procédure jusqu'au seuil du procès (pas d'assistance devant le juge d'instruction, notamment). Le XXe siècle a été une longue série de portes enfoncées, les dernières en date étant celles des commissariats en 1993. Bref, la place de l'avocat dans la procédure pénale est celle qu'il s'y fera en jouant des coudes. Le seul droit dont il bénéficie sans avoir à le réclamer est de parler en avant-dernier[1]. Ce n'est pas suffisant, et une grosse partie, l'essentiel même, de la défense, se joue en amont de la plaidoirie. Et rassurez-vous : si le législateur persiste à voir dans l'avocat un danger électoral qui doit être combattu[2], cela fait longtemps que les magistrats ont acquis le respect des droits de la défense. Le respect des avocats, lui, s'acquiert au cas par cas.

Il va vous falloir, maintenant que vous avez perdu la vision héroïque de la défense (celle de la télé, où l'avocat dirige le procès, rive son clou à ses adversaires, avocats comme magistrats, et termine avec son client en larmes dans ses bras, la phase du paiement des honoraires étant renvoyé à après le générique), il va vous falloir apprendre à jouer des coudes, en cumulant trois vertus que vous ne devrez jamais perdre de vue : le faire légalement, courtoisement, et intelligemment.

Légalement, c'est connaître la loi. Vous avez un argument à faire valoir, à la bonne heure. Vous devez savoir comment le faire valoir, par quelle action, sous quelle forme, dans quels délais. S'il est une chose plus désagréable que les sourcils froncés d'un magistrat qui vous écoute en essayant désespérément de comprendre le fondement juridique de l'argument que vous soulevez, c'est de l'entendre vous répondre que vous êtes irrecevable ou forclos. Faites le rapprochement avec ce que j'ai dit ci-dessus sur la complexité du droit et vous avez compris ce qui vous attend. Lire le CPP, le relire, surveiller le JO, vous faire des fiches, vous mettre à jour régulièrement, et guetter les formations continues en la matière (elles sont trop rares, hélas). Et comme d'habitude, la meilleure formation est sur le tas. Demandez à des confrères, aux greffiers, et en dernier ressort, tentez le coup et apprenez de vos erreurs. La récompense vient vite : un bel argument juridique bien étayé, ça marche.
Connaître la loi, c'est bien. Connaître aussi le dossier, c'est mieux. Faites comme Fantômette. Ruinez votre patron en Stabilo (il s'en fiche, il n'est pas greffier en chef ; lui, il les achète par conteneurs entier). Moi, j'aime bien aussi les signets, en post-it ou en ruban transparent, qui vous indiquent immédiatement où est telle pièce. Lisez attentivement, pas seulement les déclarations, mais les mentions des procès-verbaux. Les nullités aiment à se nicher dans les recoins les moins fréquentés.

Courtoisement, c'est témoigner envers les magistrats le respect qui leur est dû, parce qu'ils le méritent, tout simplement. Vous n'arriverez à rien en vous mettant à dos les magistrats. Ils sont là pour faire respecter la loi, quoi qu'ils en pensent dans leur for intérieur. Ce n'est pas toujours agréable pour eux, leur faire remarquer durement ne fera que les renfrogner encore plus. Outre s'adresser au tribunal avec respect (ce qui n'exclut pas la fermeté quand vous voulez faire valoir un argument et que le président ne semble pas comprendre que c'est maintenant que ce point doit être abordé), c'est aussi ne pas insulter son intelligence en plaidant l'invraisemblable. Enfin, c'est faire en sorte d'être agréable à écouter. Tout le monde n'a pas la volubilité pédagogique de Jean-Yves Le Borgne, l'énergie percutante de Thierry Lévy, mais tout un chacun peut parler fort, en articulant afin de ne pas obliger à un effort d'écoute, selon un plan ordonné dont on explique la progression, et parler le temps strictement nécessaire à l'exposé de son argumentation, sans la fourrer d'un semi-remorque de "effectivement", ou la truffer d'inutiles répétitions d'un argument qu'on estime tellement brillant qu'il mérite d'être entendu deux ou trois fois au moins.

Intelligemment, c'est là tout l'art de l'avocat. C'est une chose de trouver l'argument et son fondement légal, et d'exposer sa demande en attirant la bienveillance du juge ; c'en est une autre d'anticiper ses conséquences concrètes sur la suite de la procédure. Une nullité qui laisse subsister dans le dossier de quoi condamner votre client, est-ce vraiment la peine de la soulever ? Attaquer la partie civile, est-ce rendre service à votre client ? C'est le résultat pour votre client qui doit ici être votre seul guide. Vous avez une vision claire, technique, dépassionnée et à long terme. Lui ne voit que le court terme (combien je vais prendre ? Quand est-ce que je sors ?) et a une vision faussée par ses passions. On peut parler de souffrance pour la personne poursuivie (l'angoisse de l'incertitude, la perspective de la privation de liberté, de voir sa vie chamboulée...) ; et la souffrance ne rend pas lucide. Cela peut vouloir dire convaincre votre client de faire des choix qui vont à l'encontre de ce qui lui semble pertinent de faire. Le convaincre de reconnaître les faits, voire le faire accoucher (on est en pleine maïeutique, au sens philosophique du terme, en effet) de sa prise de conscience. Vous permettre de plaider sur la peine, de proposer vous même la peine qui vous paraît opportune plutôt que poursuivre la chimère de la relaxe contre l'évidence. Le décourager de faire appel même d'une décision sévère, car faute d'argument autre que "je trouve que le jugement est trop sévère", le risque d'aggravation en appel est trop gros. Le convaincre de refuser d'être jugé tout de suite en comparution immédiate, malgré le risque d'être placé sous mandat de dépôt, afin de pouvoir réunir des éléments utiles à la défense. Renoncer à demander une remise en liberté à la fin d'une instruction pour bénéficier des délais d'audiencement raccourcis, même si la pratique des audiences-relais diminue cet intérêt. Vous rendrez parfois autant service à votre client en l'aidant à accepter sa sanction qu'en l'aidant à y échapper. Et n'oubliez pas que désormais, notre rôle continue au-delà du jugement, au stade d'exécution de la peine. Qui mieux qu'un avocat peut monter un bon dossier de libération conditionnelle ? Le SPIP fait ce qu'il peut, et avec dévouement et abnégation parfois, mais vous êtes l'avocat, vous pouvez rencontrer les familles, contacter les employeurs, fournir des explications et des conseils, constituer des garanties que seul vous pouvez apporter. Par exemple, votre compte CARPA est un outil formidable pour l'indemnisation des victimes, puisque le simple relevé de dossier fournit au juge la garantie absolue que les fonds sont disponibles ou ont été effectivement versés.

Voilà, en quelques mots, c'est ça, être avocat de la défense. Entre autres. On en écrirait des traités. En apparence, c'est moins sexy que l'image qu'en donnent les fictions, ou qu'on peut avoir en fac où on fait du droit pur, tandis que dans les prétoires, le droit pénal est pollué de faits, de preuves qui n'en font qu'à leur tête, de mots malheureux, de sang, de larmes, bref, d'humain.

Mais en réalité, il n'en est que plus passionnant.

Notes

[1] Pour éviter les effets nocifs sur une politique sécuritaire d'une plaidoirie trop réussie, le législateur a prévu que c'est la personne poursuivie qui doit s'exprimer en dernier, afin de lui permettre de saccager la plaidoirie de son avocat.

[2] Sauf à l'occasion d'affaires politico-financières touchant certains de ces élus qui découvrent à cette occasion la machine judiciaire : les grandes lois des droits de la défense doivent beaucoup aux élus corrompus, que ce soit l'affaire de Panama pour la loi de 1898, l'affaire Péchiney-Triangle pour la loi de 1993, ou l'affaire URBA pour la loi de 2000.

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