Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 3 mars 2008

lundi 3 mars 2008

Propaganda !

Par Dadouche



Non, ce billet n'est pas destiné à évoquer à l'élection triomphale du nouveau président russe ou les merveilleuses conférences de presse du porte parole de la Ministre de la Justice, mais à vous informer d'une réalité méconnue.

Sachez le, les magistrats sont l'un des remparts de la démocratie.

Non ?

Si.

Dans les communes de plus de 2500 habitants pour les élections municipales et dans les circonscriptions électorales pour les élections cantonales sont instituées des commissions de propagande composées d'un magistrat (qui la préside), d'un fonctionnaire désigné par le préfet, d'un fonctionnaire désigné par le trésorier-payeur général et d'un fonctionnaire désigné par le directeur départemental des postes et télécommunications.

Leur rôle est d'assurer l'envoi et la distribution de tous les documents de propagande électorale.

Mais si, vous savez, cette grosse enveloppe maronnasse qui contient les professions de foi et bulletins de chaque candidat.

La commission doit d'abord s'assurer, avant la mise sous pli, que les bulletins et circulaires sont conformes au code électoral. Puis, une fois la mise sous pli effectuée par les petites mains de la mairie, s'assurer que lesdits plis contiennent bien les documents de propagande de chaque candidat.

Pour la plupart des élections, cette tâche est dévolue aux juges d'instance, spécialistes du contentieux électoral.
Mais comme il y a beaucoup de communes et de cantons, cette année, les autres sont mis à contribution dans certaines juridictions.
Depuis quelques jours, de nombreux magistrats français se baladent donc dans les trous les plus reculés du départementles joyaux de nos belles provinces. Enfin, ceux qui sont assez bêtes consciencieux pour réunir vraiment la commission plutôt que conférer par téléphone avec les autres membres.

Imaginez vous petite souris dans la salle des mariages de la mairie de Framboisy[1].

Gascogne, président de la Commission, est assisté de Mr Rondecuir, représentant du Préfet, Mr Timbré, postier de son état, et de Madame Cheik-Amblan, émissaire du TPG.

Après avoir mesuré la taille du bulletin (article R30 du Code Electoral), vérifié qu'il est imprimé d'une seule couleur sur papier blanc (même article), étudié les couleurs employées dans la circulaire (la profession de foi), qui ne doit pas comprendre une combinaison des trois couleurs bleu-blanc-rouge, à l'exception de l'emblème d'un parti (article R 27 du Code Electoral), et pesé le tout (grammage entre 60 et 80 grammes au mètre carré), la commission vérifie les mentions figurant sur les bulletins et circulaires.

Et là, c'est le drame.

Face à la liste d'ouverture « Framboisy en Rose et Vert » qui rassemble Fantômette, Langelot, les Cinq Jeunes Filles et les Six Compagnons, deux autres listes ont déclaré leur candidature.

Le Furet a décidé en effet de se lancer en politique sous l'étiquette « Fantômette, Go Home », flanqué de ses comparses habituels Alpaga et Bulldozer.
Il a malheureusement confié à ce dernier le soin de s'occuper de l'impression du bulletin de vote. Et Buldozer, qui a des lettres, a trouvé que c'était bien plus logique de faire une liste alphabétique. C'est ainsi qu'Alpaga se retrouve tête de liste, contrairement à l'ordre de présentation déclaré à la Préfecture de Marne et Oise.
Le bulletin, non conforme aux dispositions de l'article R 117-4 du Code Electoral, est écarté de la mise sous pli et ne sera donc pas expédié aux électeurs.

De son côté, le Masque d'Argent dirige d'une main de fer la liste « Avec le Sire de Framboisy » et son pseudonyme figure donc tout en haut du bulletin. Patatras et Fatalitas ! Il a déclaré sa candidature sous son réel patronyme : de Maléfic.
Si rien n'empêche de déclarer sa candidature sous son patronyme en indiquant le pseudonyme qui figurera sur le bulletin, encore faut-il le préciser.
Les bulletins ne peuvent en effet comporter d'autre nom de personne que celui des candidats (article R 30 du Code Electoral).
La Commission hésite longuement, sous l'oeil menaçant d'Eric, représentant du candidat qui assiste à ses travaux avec voix consultative. Finalement, le bulletin est lui aussi exclu de la mise sous pli.

Les procès verbaux sont signés, et la commission prend le chemin de Moucheton-Nay pour le même cérémonial, avant d'achever son périple à Goujon-Sur-Epuisette.

Dans quelques jours, la Commission reviendra pour une autre tâche d'une haute technicité : prendre au hasard des enveloppes maronnasses dans les cartons remplis par les employés de la mairie pour vérifier si le bulletin de la liste «Framboisy en Rose et Vert » et les circulaires des trois listes y ont bien été insérés.

Le jour de l'élection, Lulu prendra le relais de Gascogne pour présider la commission de contrôle des opérations de vote, qui circule dans les bureaux des communes de plus de 20,000 habitants pour vérifier que tout se passe bien.

Bon, c'est pas tout ça, maintenant il va falloir les lire, les circulaires qui remplissent l'enveloppe maronnasse.

PS : Reconnaissance éternelle à ma marraine, qui m'a offert mon premier « vrai » livre  Fantômette et le Régent, qui, en plus d'une envie irrépréssible de visiter le Louvre pour voir le Régent « en vrai », m'a donné le goût de la lecture, ce qui a indiscutablement contribué à mes cinq années d'études supérieures, à ma réussite au concours de l'ENM et par voie de conséquence à l'octroi du privilège de vérifier la couleur des bulletins de vote.

Notes

[1] les fans de Fantômette (pas la nôtre mais celle de Georges Chaulet) se plongeront avec délice dans ce site

Nouveau prix Busiris : Rachida Dati

Chaque Garde des Sceaux aura probablement le sien, mais qu'il ne soit pas dit que l'actuel ne l'aura pas mérité haut la main.

C'est après quelques secondes seulement de délibération et par acclamations que le jury a attribué le prix Busiris à Rachida Dati, pour ces superbes propos qui feront rire dans les facultés et sangloter les magistrats qui hoquetteront entre deux sanglots "dire qu'elle fut des nôtres" et ce bien après son élection à la mairie du 7e arrondissement : Rachida Dati, très élégante en casaque noire et blanche, prête à chevaucher le droit vers de nouvelles aventures

La loi sur la rétention de sûreté "est bien rétroactive d'application immédiate", a interprété dimanche soir la ministre de la Justice Rachida Dati, arguant que le Conseil constitutionnel, en présentant le placement de criminels dangereux en centres fermés comme une mesure de sûreté et non une peine, ne s'était "pas posé la question de la rétroactivité".

"Le Conseil constitutionnel a dit que ce n'était pas une peine, c'était une mesure de sûreté (...) pour protéger les Français. Donc, le problème de la rétroactivité ne s'est pas posé. Donc la loi est bien rétroactive d'application immédiate", a assuré le garde des Sceaux sur France-2.

Revoyons cette scène au ralenti.

La loi n°2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental serait rétroactive d'application immédiate. Voici l'affirmation juridiquement aberrante et contradictoire.

En effet, pour l'entrée en vigueur d'une loi, on distingue un principe, et deux exceptions.

Le principe est posé par l'article premier du Code civil : les textes de loi entrent en vigueur immédiatement, c'est à dire le lendemain de leur parution au JO (le délai d'un jour franc a disparu depuis 2004), ou éventuellement dans le futur, à la date qu'ils fixent, afin de permettre d'anticiper le changement de la loi (par exemple, la généralisation de la collégialité de l'instruction, c'est à dire que les instructions seront confiées systématiquement à trois juges d'instruction et non à un seul, entrera en vigueur le 1er janvier 2010).

Première exception : quand le texte de loi prévoit des "mesures d'application", c'est à dire que les modalités doivent être précisées par un décret, la loi n'entre en vigueur que quand ce décret est pris. S'il est pris un jour. C'est une entrée en vigueur à date incertaine. Le législateur marque tellement sur ce point sa confiance envers l'exécutif qu'il prévoit de plus en plus que l'entrée en vigueur de ses lois aura lieu lors de la publication du décret d'application "ou au plus tard le...", et aux juges et avocats de se débrouiller avec ces réformes partielles.

Deuxième exception : la rétroactivité. La loi va remonter dans le passé pour prendre effet à une période où elle n'était encore qu'une étincelle (que l'on peut espérer d'intelligence) dans l'œil du législateur. La rétroactivité n'est pas mauvaise en soi. Elle est même parfois synonyme de justice : ce que le temps a mal fait, la loi le refait équitablement. Parfois, elle peut être la pire des inéquités : changer les règles du jeu quand on connaît le résultat de la partie, c'est de la triche. C'est pourquoi en matière pénale, la rétroactivité est une interdiction absolue. Nul ne peut être puni pour des faits qui lorsqu'ils ont été commis n'étaient pas un délit, ni subir une peine qui n'existait pas au moment des faits, quand bien même elle existerait lors du jugement. En revanche, une loi pénale plus douce (qui supprime un délit, abolit une peine, ou en diminue le maximum) s'applique immédiatement aux situations en cours. Le condamné à mort ne sera pas exécuté, le bagnard sera rapatrié, le prisonnier ayant purgé le maximum légal sera élargi. On voit donc que la rétroactivité et l'application immédiate sont antinomiques. Une loi entre en vigueur aujourd'hui ou hier, mais pas les deux.

D'où l'absurdité de l'expression de « rétroactivité d'application immédiate ».

Cette explication fumeuse vise à essayer de faire passer la très prévisible censure par le Conseil constitutionnel de l'article 13 de la loi visant à rendre applicable aux personnes déjà condamnées le dispositif de la rétention de sûreté comme un satisfecit donné par le Conseil à l'égard de cette loi, alors que c'est bel et bien l'effet rétroactif de cette loi qui a provoqué le courroux des Sages. Voilà pour la mauvaise foi.

Enfin, le propos déshonorant tant le droit que celui que le tient (le propos, pas le droit) a pour but de repasser l'ego froissé du premier d'entre nous, à la veille d'un remaniement que l'on annonce sanglant, et vise autant à neutraliser le trône de celui-ci que le siège éjectable de celle-là. Voilà pour l'opportunité politique.

Tous les critères sont donc remplis, et c'est avec plaisir que je remets ce prix magna cum laude au Garde des Sceaux, pendant qu'il les garde encore.

Madame le ministre, vous avez mis la barre très haut pour votre successeur. Vous nous manquerez.


Photo : ministère de la Justice.

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