Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 13 mai 2008

mardi 13 mai 2008

La psychiatrie est-elle impuissante ?

Question un peu provocatrice, pour faire un point de vocabulaire technique afin d'éviter des confusions et approximations qui sont légions en une matière très mise à contribution par les gouvernements successifs.

Bref, aujourd'hui, on va faire un peu de criminologie. Je vais faire volontairement simple, au risque de simplifier, et je prie d'ores et déjà les psychiatres et psychanalystes qui me liront d'être indulgents. Je m'adresse au grand public. Les commentaires sont ouverts pour vos précisions et rectifications.

Le passage à l'acte criminel (au sens large, j'inclus toutes les infractions) ne révèle pas forcément un trouble mental. L'appât du gain est une motivation parfaitement rationnelle, ce qui ne veut pas dire qu'elle est nécessairement bonne.

Mais certains crimes, et parmi ceux-ci se trouvent les plus odieux et les plus spectaculaires, révèlent que celui qui les a commis souffre probablement d'un tel trouble, soit parce que leur auteur n'en tire aucun bénéfice personnel, soit parce que le bénéfice qu'il en retire est disproportionné par rapport au tort causé (satisfaction sexuelle d'un côté, agression physique destructrice de l'autre).

La confusion se trouve ici, entre les maladies mentales d'un côté, et les troubles de la personnalité de l'autre. ce sont deux choses fort distinctes.

Les maladies mentales sont des pathologies qui sont bien connues, et de mieux en mieux soignées. Toutes les maladies mentales ne sont pas criminogènes, pas plus qu'elles ne sont pas toutes synonyme de “folie” au sens où la personne qui en est atteinte perdrait tout discernement. Le vocabulaire psychiatrique distingue les névroses des psychoses, la différence étant (là encore pour faire simple) que dans les premières, le malade a conscience d'être malade (ex : dépression, phobies) tandis que dans les secondes, le malade n'en a pas conscience, du moins la plupart du temps.

Seules les maladies mentales sont susceptibles de remettre en cause la responsabilité pénale de l'auteur des faits, en l'atténuant voire en la supprimant purement et simplement (cas du schizophrène qui agit en bouffée délirante : il ne gardera aucun souvenir de ses actes), la principale difficulté des experts psychiatres étant de déterminer a posteriori s'il s'agissait ou non d'une bouffée délirante. La science médicale a ses limites, et la divination est une de celles-là.

Les maladies mentales qui sont susceptibles d'entraîner un passage à l'acte sont principalement au nombre de trois : la paranoia, la schizophrénie et la mélancolie (dans sa variante délirante, l'anxieuse entraînant un passage à l'acte contre soi-même qui ne relève pas du droit pénal).

La récidive en matière de maladie mentale identifiée et traitée est rarissime, proche de l'inexistence. Un expert psychiatre réputé, le docteur Michel Dubec[1] expliquait ainsi lors d'un colloque donné au barreau de Paris qu'en vingt ans, les cas de récidive par un malade mental se comptent probablement sur les doigts d'une main. La science psychiatrique, complaisament présentée dans l'opinion publique comme une forme de charlatanisme impuissant, est en fait une discipline médicale performante, et agit principalement par voie médicamenteuse.

Le problème qui se pose est que les passages à l'acte par des malades mentaux sont particulièrement spectaculaires et peuvent aller très loin dans l'horreur : le malade en plein délire est totalement désinhibé, c'est à dire qu'il n'y a aucun mécanisme de pitié, de compassion qui puisse le retenir. Il peut s'acharner sur une victime à un point qui défie la compréhension. Ce sont donc des crimes horribles, et quand ils se répètent, cela paraît insupportable à l'opinion publique, qui a vite fait de laisser parler son bon sens : y'a qu'à tous les enfermer et ne pas les laisser sortir. La récupération politique est alors chose aisée.

Le choix politique est envisageable : mais alors que la France se dote des infrastructures hospitalières adéquates. Que le peuple vote en connaissance de cause une dépense qui se comptera en centaines de millions d'euros annuels pour éviter au maximum cinq crimes par décénie. Le tout est que le choix soit fait en connaissance de cause et que l'engagement budgétaire soit tenu. Autant dire qu'on est proche de la bouffée délirante.

De l'autre côté se trouvent les troubles de la personnalité. La confusion est fréquente, d'autant plus que certains de ces troubles ont des racines communes avec les maladies mentales dont ils sont parfois un état atténué ou latent, qui n'a pas atteint le stade délirant propre de la maladie mentale (trouble paranoïaque, trouble schizotique…). Ces troubles n'ont généralement pas ou peu de conséquences sur le discernement. Ils sont même fréquemment connu de ceux qui en sont atteints, mais considérés comme des aspects de la personnalité que la société doit accepter, et non comme un trouble qui devrait être combattu. Y compris si ces troubles poussent à un comportement illégal, car tous les troubles de la personnalité ne sont pas criminogènes, loin de là (citons les fameux TOC, troubles obsessionnels compulsifs : se laver les mains trente fois par jour n'est pas un délit). La péd-ophilie est un cas typique de trouble de la personnalité criminogène, mais loin d'être le seul (l'acoolisme chronique relève du trouble de la personnalité et peut être criminogène : conduite en état d'ivresse, violences volontaires et dégradations, soutien du PSG dans les cas les plus avancés).

Face à un trouble de la personnalité, la psychiatrie est quasiment impuissante une fois le diagnostic posé, si le patient ne reconnaît pas la réalité de son état, la nécessité de se soigner et n'a pas un désir sincère de guérir. Le simple traitement médicamenteux est d'ailleurs insuffisant en soi : des démarches de type psychothérapeutiques et analytiques sont également indispensables.

Les grands criminels sont tous atteints de trouble de la personnalité. De même que la plupart des délinquants et criminels sexuels, et tous les récidivistes. Le passage à l'acte les révèle, et je n'ai jamais vu un expert psychiatre (on parle d'expertise médico-psychologique) déposer un rapport disant que la personne poursuivie est globalement équilibrée et cohérente. Mais ce trouble n'a pas ou peu de conséquence sur leur conscience et leur intelligence. Le passage à l'acte sera donc planifié afin d'assurer l'impunité de leur auteur. La justice demande régulièrement à ses experts en informatique de dénicher des photos péd-opor-nographiques sur des ordinateurs saisis et il faut déployer des trésors d'ingéniosité pour démasquer les astuces mises en place par les détenteurs de telles images pour les cacher dans un recoin du disque dur.

Face à un auteur dément, la police n'a guère de difficultés à retrouver l'auteur des faits, qui ne prend aucune précaution pour masquer son identité ou effacer ses traces. Face à un auteur atteint d'un trouble de la personnalité, une véritable enquête d'impose. On a face à soi une véritable intelligence criminelle, mais que ce terme soit bien compris : en aucun cas le passage à l'acte criminel ne révèle une intelligence supérieure. Les génies criminels sont rares, sauf au cinéma où ils pullulent, car ils fascinent scénaristes médiocres en mal d'inspiration et public voyeur en mal de sensation (le méchant aura d'ailleurs le bon goût de mourir à la fin dans d'atroces, et si le budget le permet, spectaculaires, souffrances expiatoires permettant au public de se racheter une bonne conscience sans supplément sur le prix de sa place de cinéma).

Le docteur Hannibal Lecter, issu d'une famille d'aristocrates lituaniens, à l'intelligence brillante, admis très jeune à la faculté de médecine avant d'aller exercer au centre médical Johns Hopkins et de renoncer à être végétarien, est un personnage imaginaire. Le docteur Marcel Petiot (27 homicides) était un neurasthénique, sadique, petit escroc, qui n'a pu faire ses études de médecine que grâce aux facilités offertes aux anciens combattants blessés de guerre.

La justice est confrontée le plus souvent à des auteurs de faits graves atteints de troubles mentaux, et pas malades mentaux. L'expertise psychiatrique conclura donc immanquablement à leur responsabilité pleine et entière, et à leur accessibilité à la sanction pénale (c'est à dire leur capacité à comprendre la cause et le sens de la peine). Si les faits sont graves au point d'entraîner une peine longue, la loi prévoit qu'ils doivent passer par le Centre National d'Observation, situé à Fresnes (Val-de-Marne) pour que la mise en place d'un traitement soit envisagée. Ce traitement ne peut avoir d'effet que si le condamné, comme je l'ai expliqué, admet qu'il est atteint d'un tel trouble, accepte de se soigner et veut guérir. Ajoutons à cela que même si ces conditions sont réunies, en l'état actuel des choses, le condamné mettra des mois à voir pour la première fois un médecin s'il a la chance d'en voir un avant sa date de sortie.

Les juges d'application des peines ont une carotte pour inciter à la démarche de soin : les réductions supplémentaires de peines, qu'ils peuvent accorder si un traitement est mis en place et suivi. Le Gouvernement propose d'y ajouter un bâton : la menace de ne jamais recouvrer la liberté s'ils refusent les soins.

C'est de bon sens, direz-vous, réalisant aussitôt que cette solution est donc probablement néfaste. En effet, beaucoup d'experts psychiatres craignent qu'une telle mesure, si elle entraînerait une démarche de soin systématique, ne garantit nullement que les deux autres conditions pour son efficacité soient réunies (admission du trouble, volonté de guérir). Le résultat prévisible est un engorgement des structures de soin (l'hypothèse de leur développement étant naturellement absurde par nature) par des démarches insincères visant uniquement à obtenir le retour en liberté afin de pouvoir le cas échéant réitérer le comportement criminel. Certains criminels, la caricature est hélas parfois vraie, rarement, mais elle existe, n'ont aucunement l'intention de s'amender : leur comportement est pour eux la source d'une puissante excitation sexuelle et même la seule chose qui soit capable de leur faire ressentir le plaisir sexuel. Le retour à la liberté est donc la promesse d'un plaisir intense, qui aura parfois été attendu dix ans, voire plus.

Face à cette menace, que faire ?

— Ne plus libérer personne ! criera-t-on depuis le zinc. Se fonder sur l'exception pour décider du comportement général, en somme, pour poursuivre le fantasme de l'absence de risque. Quand je vous disais que tous les troubles de la personnalité ne sont pas criminogènes, j'excluais les crimes contre l'intelligence.

La solution la plus raisonnable pour réduire le risque au maximum, après avoir admis qu'il ne pourra jamais être supprimé pour fermer les voies les plus démentes de la recherche du risque zéro, est de se doter des moyens nécessaires pour détecter chez les condamnés de tels troubles, proposer rapidement des soins effectifs (le délai d'obtention du premier rendez-vous se compte en mois, j'ai vu huit mois dans le cas d'un schizophrène violent) et permettre un examen attentif des cas pour déceler les patients sincères des simulateurs.

Hélas, comment dirais-je ? Ce n'est pas véritablement à l'ordre du jour, quand on lit un Garde des Sceaux qui s'offusque qu'on libère des délinquants sous le prétexte fallacieux qu'ils auraient purgé leur peine. Je tremble qu'un Chambellan s'avise un jour que si on arrêtait de ne plus prélever le contribuable sous le prétexte fallacieux qu'il aurait payé ce qu'il devait, le déficit de l'État ne serait plus un problème.

Le Québec est à l'origine d'une expérience innovante en matière de délinquance sexuelle, qui donne de très bons résultats. Je n'aime guère l'argument comparatiste (« Mais si les martiens le font, pourquoi ne pourrait-on pas le faire, Madame Chazal ?»), doutant avec Montesquieu qu'un système humain soit transposable tel quel d'un pays à l'autre, mais cela démontre que d'autres voies sont possibles que l'épouvantail à électeurs accompagné de la promesse de protection des tizenfants, si on veut lutter contre la criminalité et non capter des voix bien sûr.

C'est là une constante de l'histoire du droit pénal : ce sont les lois-carottes qui ont toujours le plus d'effet sur la criminalité et la récidive que les lois-bâtons. Beccaria n'a pas pris une ride.

Mais la matière n'est hélas qu'une option en faculté de droit[2]. Comme la criminologie.

Notes

[1] Merci de me faire grâce en commentaires de la ridicule controverse dont il est l'objet de la part de gens qui ne savent manifestement pas lire mais se piquent d'écrire.

[2] J'en profite pour encourager les étudiants en droit qui me lisent à toujours privilégier les matières historiques à la faculté : ce sont les plus riches en enseignement à long terme. De toutes façons, le droit positif a une durée de vie très courte, de nos jours.

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