Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 21 mai 2008

mercredi 21 mai 2008

En France, les femmes battues sont protégées. Sauf les Algériennes.

S'il était encore besoin de démontrer que le droit et la morale sont deux choses distinctes, la Cour administrative d'appel (CAA de Paris) vient d'y pourvoir dans un arrêt du 3 avril dernier.

Les faits étaient les suivants. Madame X, ressortissante algérienne, avait épousé un Français, Monsieur Y. De ce fait, elle était titulaire d'un certificat de résidence valable un an renouvelable, délivrée par la préfecture du Nord (les époux Y habitaient près de Valenciennes).

Il faut en effet préciser que les ressortissants algériens sont soumis, pour leurs conditions d'entrée et de séjour en France, non pas au Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) mais à une convention bilatérale, l'Accord Franco-Algérien du 27 décembre 1968. Cela jouera un grand rôle dans la suite du litige. Cet accord prévoit que le titre de séjour des algériens s'appelle un certificat de résidence, qu'il soit valable un an ou dix ans, et non une carte de séjour ou une carte de résident.

Monsieur Y ayant une tendance exagérée à confondre son épouse et un punching-ball, celle-ci l'a quitté et est allée vivre sur Paris pendant sa procédure de divorce. À l'expiration de son certificat de résidence, elle en a demandé le renouvellement à la préfecture de police. Le préfet de police a refusé ce renouvellement, car aux termes des stipulations[1] de l'Accord Franco-Algérien, article 6 :

Le certificat de résidence d'un an portant la mention ‘‘vie privée et familiale'' est délivré de plein droit :
(…) 2. Au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; (…) Le premier renouvellement du certificat de résidence délivré au titre du 2° ci-dessus est subordonné à une communauté de vie effective entre les époux.

Or, constate le préfet, cette communauté de vie a cessé car madame est à Paris et monsieur à Valenciennes. Puisque le sud l'attire, qu'elle continue dans cet azimut jusqu'à Alger. Et de prendre le 10 juillet 2007 un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Madame X saisit le juge administratif en lui tenant à peu près ce langage : “ Certes, la communauté de vie a cessé de mon fait, mais que diantre, je recevais des coups. J'invoque donc la protection de la loi, puisque l'article L.313-12 du CESEDA dispose que :

Le renouvellement de la carte de séjour (…) est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé. Toutefois, lorsque la communauté de vie a été rompue à l'initiative de l'étranger à raison des violences conjugales qu'il a subies de la part de son conjoint, le préfet ou, à Paris, le préfet de police, peut accorder le renouvellement du titre.”

Et de produire le jugement de divorce rendu entre temps par le juge aux affaires familiales[2] de Valenciennes prononçant le divorce aux torts exclusifs de l'époux violent. La décision du préfet de police, qui n'a même pas examiné la possibilité de délivrer un titre en raison des violences conjugales est donc, conclut madame X, illégale.

Ce n'est pas ce que juge la CAA de Paris, par un raisonnement parfaitement juridique :

Certes, dit la cour, par l'article L.313-12 du CESEDA, la République offre (si elle le veut bien, notez bien que « le préfet peut accorder le renouvellement du titre ») sa protection aux époux battus, fussent-ils homme ou femme, à condition qu'ils soient étrangers.

Mais le CESEDA, comme nous l'avons vu, ne s'applique pas aux Algériens, qui relèvent de l'Accord Franco-Algérien de 1968. Or cet accord qui ne prévoit aucune stipulation en faveur du conjoint martyr. Fermez le ban et attachez vos ceintures, les issues de secours se trouvent à l'avant, sur les côtés et à l'arrière de l'appareil.

En conclusion, l'époux algérien battu ne peut bénéficier du renouvellement de son titre sauf à rester vivre avec son bourreau. La décision du préfet de police est confirmée, et l'OQTF, validée.

Je précise que madame X n'a pas eu d'enfant avec monsieur Y, sinon sa situation n'aurait pas posé de problème, elle aurait eu droit à un titre de séjour en qualité de mère d'enfant français.

Une petite citation pour clore ce billet.

"A chaque femme martyrisée dans le monde, je veux que la France offre sa protection en lui donnant la possibilité de devenir française."

Nicolas Sarkozy, le 29 avril 2007 à Bercy.

Sauf les Algériennes en France, vous aurez rectifié de vous même.


Source : CAA Paris, 3 avril 2008, n°7PA03996.

Notes

[1] Je vous interdis de dire en ces lieux qu'une loi ou un code stipulent : ils disent, prévoient, édictent ou disposent. Seul un contrat peut stipuler (du latin stipula, paille, le vendeur d'un champ devant remettre publiquement à l'acquéreur une poignée de paille du champ comme symbole du transfert de propriété), et une convention internationale est un contrat entre pays.

[2] Chapeau aux conseillers de la CAA de Paris qui parlent du juge aux affaires matrimoniales, juridiction qui a disparu depuis 1993…

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