Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 27 mai 2008

mardi 27 mai 2008

L'art de présider

L'art de présider est délicat, et mal le maîtriser peut faire de terribles dégâts.

Le principe directeur du procès pénal est le débat public et contradictoire, c'est à dire que tous les éléments du dossier puissent être débattus lors d'une audience publique. Le président, qui mène l'audience, interroge le prévenu (celui qui est poursuivi), entend la partie civile (la victime qui demande réparation), en s'appuyant sur les éléments du dossier qui lui paraissent pertinents.

S'il le juge nécessaire, le procureur peut faire de même, mais bien des présidents veillent, dans leur intervention, à faire ressortir tous les éléments à charge, ce qui permet au procureur de se contenter de secouer la tête quand le président lui demande s'il a des questions.

Enfin, l'avocat peut poser des questions à son client, à la partie civile et aux éventuels témoins. Il a enfin la parole en dernier pour souligner les parties du dossier favorables à la défense, quand il y en a, et surtout produire des pièces qui ne figuraient pas au dossier, sur la situation personnelle de son client (travail, état de santé, contexte des faits), pièces qui auront été communiquées préalablement au procureur bien entendu.

Le but de la loi, par cette audience un peu formelle où tout peut être débattu, est d'aider à la manifestation de la vérité.

Vœu pieux, hélas. Le prétoire n'est pas un terreau forcément fertile pour la vérité. Non pas qu'elle n'y apparaisse pas mais elle peine parfois à s'épanouir.

Une audience est un moment impressionnant pour qui n'y est pas habitué. Magistrats et avocats y sont parfaitement à l'aise, habitués au décorum dont ils font partie avec leurs robes, connaissant les règles de ce qui s'y joue. Les simples citoyens qui comparaissent, acteurs occasionnels d'une pièce qui les dépasse, ne le sont pas du tout. Il est très difficile de garder les idées claires, d'avoir une vision globale de sa défense, de trouver les mots qui feront sentir au juge qu'ils viennent du cœur.

Certains présidents (pas tous, loin de là) ont du mal, quand ils y arrivent, à cacher leur opinion a priori sur ce dossier, issue de sa lecture avant l'audience. Face à un président hostile, un prévenu est comme un boxeur sonné et dans les cordes. Les coups pleuvent, ils ne peut que les parer maladroitement, et le problème, c'est que c'est l'arbitre qui les donne.

Il y a deux façons très faciles, et procéduralement inattaquables, de couler un prévenu pour un président retors. La première consiste à riposter à chacune de ses phrases. L'esprit étant du côté du magistrat, le combat est inégal. Ainsi le prévenu qui tente d'expliquer les raisons de son geste se verra-t-il opposer aussitôt la première phrase formulée qu'il cherche à se justifier ou à minimiser sa responsabilité, voire à faire le procès de la victime. Il objectera à la remarque du président en expliquant que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire, et voilà la discussion détournée sur sa seule première phrase, et les explications du prévenu passées par pertes et profits.

La deuxième est tout aussi redoutable. Quand le prévenu n'est pas d'accord avec les faits tels qu'exposés par le magistrat et veut objecter, celui-ci lui lance : « laissez-moi terminer, vous aurez la parole tout à l'heure. » Les débats se poursuivent, et cinq minutes plus tard, le président rendra la parole au prévenu en lui disant : « qu'avez-vous à dire pour votre défense ? ». Le prévenu, debout à la barre, ayant dû écouter toute la lecture du dossier sans pouvoir prendre de notes, n'a aucune chance de se souvenir de ce qu'il voulait dire ; et quand bien même serait-ce le cas, cela porte sur un point abordé il y a longtemps et il paraît à présent saugrenu de revenir dessus. Et pourtant, c'était un argument de la défense. Qu'il soit bon, c'est une autre question : mais il n'a pas été prononcé. Autant pour le débat contradictoire. Cette technique écourtant les débats, elle n'en a que plus d'intérêt, surtout si le prévenu n'est pas assisté d'un avocat.

En apparence, l'audience est irréprochable, puisque le prévenu a eu la parole en dernier (peu importe qu'il n'ait alors rien dit : c'est qu'il n'avait rien à dire…). Le contradictoire est respecté, et la dossier jugé en un temps record.

Mais le prévenu repart avec le sentiment d'une injustice, d'un tribunal partial, d'un procès jugé d'avance. Et ce quand bien même la peine prononcée est objectivement clémente. La femme de César ne doit pas être soupçonnée de relations illicites avec Clodius, et ses juges ne doivent pas être soupçonnés de préjugé sur le dossier, quand bien même il est bien difficile d'étudier un dossier sans s'en faire une première opinion. Faute de quoi le résultat pédagogique est proche du néant.

Et d'autant plus que parfois, ce préjugé est erroné.

En voici deux exemples.

Deux jeunes gens, aussi bêtes que jeunes, n'avaient rien trouvé de mieux pour tromper leur oisiveté estivale en la capitale que de faire d'un habitant de leur immeuble, alcoolique et simplet, leur souffre douleur. Crachats, insultes, jusqu'à le poursuivre dans la rue en agitant des bâtons pour lui faire croire qu'ils allaient le frapper. Les policiers qui sont passés à ce moment dans leur voiture n'ont rien trouvé de comique à la scène et les voici devant le tribunal.

Les faits sont déplaisants, et les deux prévenus n'ont visiblement pas compris ce qu'ils considèrent comme “un délire” pouvait avoir une qualification de violences en réunion sur personne vulnérable (cinq ans de prison encourus).

Le président n'a rien fait pour cacher sa colère, et a utilisé les deux techniques dont j'ai parlé pour enfoncer les prévenus, dérapant parfois dans son vocabulaire au point de pousser l'avocat de la défense à intervenir fermement. À côté des diatribes lancées par le président, les réquisitions du parquet ont paru un monument de modération, même s'il demandait de la prison ferme. Le visage du président marquait manifestement sa désapprobation de ce ton. Le même président était devenu un agneau quand la partie civile était à la barre. Il tenait à lui faire sentir que la justice désormais allait le protéger de ces deux voyous (c'est le terme employé) et regrettait profondément ce qui se passait. Manifestement ivre, la partie civile n'a pas aligné trois mots, tremblant de la tête au pied de trac.

Le tribunal s'étant retiré pour délibérer, je sors dans la salle des pas perdus téléphoner à mon cabinet pour relever mes messages. À quelques pas de moi, la partie civile, en larmes, parle à l'avocat de la défense :

«Mais je ne veux pas qu'ils aillent en prison, tout ce que je veux, c'est qu'ils me laissent tranquilles. Je les connais depuis qu'ils sont tout petits, ils ne sont pas méchants, ils sont juste devenus un peu bêtes en grandissant. Vous ne pouvez pas aller le dire au juge ? »

Penaud, l'avocat de la défense lui explique que c'est trop tard, qu'il aurait fallu le dire à la barre, mais encore plus penaud, le voisin conclut : « Mais il me faisait peur, il parlait fort. »

Et le président qui croyait lui rendre sa sérénité…

Dans une autre affaire, le prévenu, seule personne interpellée d'une bande de supporters d'une équipe de foot, est poursuivi pour le passage à tabac d'une personne presque sexagénaire à la peau trop sombre à leur goût (qui n'avait aucun intérêt pour quelque équipe de foot que ce soit). L'audience s'est déroulée dans une ambiance de peloton d'exécution, la partie civile présente ne disant pas un mot, mais son entrée avec les béquilles qu'elle devra désormais avoir toute sa vie a fait une certaine sensation sur le tribunal. Le prévenu est à la limite supérieure de la débilité. Il n'est que l'entendre parler, ou de le voir, ses paupières toujours à moitié baissées, sa bouche toujours béante dans une expression de perpétuelle stupéfaction. L'effet de groupe sur une personnalité influençable désireuse d'être acceptée et reconnue explique sans doute sa participation à des faits qui dénotent de son profil (famille de classe moyenne, sans histoire, aucun antécédent quelconque). Des mots très durs et totalement déplacés ont été prononcés par le président, les plus violents que j'aie entendu sortir de la bouche d'un magistrat. Certes, nous étions dans des terres plus ensoleillées ou certains jurons tiennent lieu de ponctuation, mais tout de même, je grimaçais de ce triste spectacle. Le président conclut en donnant la parole au prévenu : « Vous avez quelque chose à ajouter, à dire au tribunal ou à quelqu'un d'autre ?» La question prend de court le prévenu, qui regarde autour de lui si une personne vient d'arriver. Ne voyant personne, il secoue la tête, l'incompréhension se lit sur son visage. Le visage du président est rouge de colère : «On va vous aider à trouver les mots. L'audience est suspendue, le tribunal se retire pour délibérer.» Je sors de la salle avec les autres avocats en comprenant que le tribunal espérait entendre des excuses présentées à la victime.

Dans la salle des pas perdus, je discute avec un confrère du barreau local. Nous nous trouvons non loin de la victime, assise sur une chaise, accompagnée de ses enfants. Tout à coup, je vois arriver le prévenu près de lui.

« Monsieur, je voulais vous dire que je suis désolé de ce que je vous ai fait. J'y repense tout le temps et je pleure. J'ai trouvé du travail, je vous enverrai des sous, je veux vous aider. » La victime le regarde. Ses enfants veulent répondre durement, lui crier leur haine pour avoir estropié leur père, mais celui-ci les interrompt, il se lève, le regarde dans les yeux et lui dit « Tu sais, je me suis vu mourir. Je ne pensais plus qu'à mes petits enfants, je croyais que je ne les reverrais pas. »

Le prévenu hoche la tête, il n'arrive plus à parler, agité de sanglots. Sa victime a un geste pour lui mettre la main sur l'épaule, mais n'y arrive pas. C'est encore trop tôt pour une réconciliation.

Mon confrère et moi regardons la scène, incapables de dire un mot. Quand nous nous regardons à nouveau, la même pensée nous traverse l'esprit. Le tribunal ne peut voir cela, il est en train de délibérer.

Parfois, la vérité est dans la salle des pas perdus, pas dans le prétoire. Auditeurs de justice qui faites votre stage en juridiction, allez parfois y faire un tour. Il y a de grandes leçons qui s'y donnent.

Post-scriptum : les voisins harceleurs ont été condamnés à six mois de prison avec sursis et mise à l'épreuve, le supporter à 18 mois de prison dont un an ferme, sans mandat de dépôt.

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