Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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juin 2008

lundi 30 juin 2008

Affaire de la dénonciation : l'analyse des professionnels

L'ANAS, Association Nationale des Assistants de Services Sociaux, publie sur son site une analyse juridique fort intéressante et accessible de cette affaire : contexte juridique, ce que pouvait faire l'assistante, etc. Très utiles pour les travailleurs sociaux qui se demanderaient quelles sont leurs marges de manœuvre exacte. Avec l'autorisation de l'auteur, j'en reprends l'intégralité ici, le site de l'ANAS n'étant pas un blog, il ne permet pas les commentaires.

Comme d'habitude, le point de vue exprimé après cette ligne n'engage que son auteur.


Dénonciation d'un sans-papiers : Décryptage d'un cas heureusement isolé

L'affaire de Besançon provoque des réactions massives sur différents blogs. On constate une série d'interrogations et affirmations marquées par des confusions importantes. Plusieurs d'entre elles intéressent autant les professionnels de service social que le grand public. Nous les reprenons donc, en nous appuyant sur les éléments du PV mis en ligne.

Des précisions importantes sur le cadre

Le cadre de la mission est celui d'une « AEMO judiciaire », prévue par les articles 375 et suivants du Code Civil. L'article 375-2 précise que « ''Chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. Dans ce cas, le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service d'observation, d'éducation ou de rééducation en milieu ouvert, en lui donnant mission d'apporter aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu'elle rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l'enfant et d'en faire rapport au juge périodiquement.'' »

Le service dans lequel exerce cette professionnelle est une association de sauvegarde de l'enfance, donc un service de droit privé. Cette assistante sociale est tenue au secret professionnel par profession (art. L.411-3 du Code de l'Action Sociale et des Familles).

L'intervention de cette professionnelle est bien située dans le cadre de la protection de l'enfance, sous mandat judiciaire confié à son service par le Juge des enfants. Si elle ne peut opposer le secret professionnel à ce dernier, il lui est interdit de transmettre à un tiers extérieur des informations sur tout renseignement protégé par le secret professionnel, soit « ce que le professionnel aura appris, compris, connu ou deviné à l'occasion de l'exercice de son exercice professionnel » (Crim.19/12/1995).

► Des éclaircissements nécessaires

« Quelle valeur a ce PV ? »

Un Procès Verbal n'est pas un document anodin. Il est un élément essentiel d'une procédure judiciaire, qui acte et fige les propos tenus à un moment dans une affaire. De plus, ces propos ne sont pas écrits par le déclarant mais par un officier de police judiciaire. Le style, la rédaction et les mots choisis le sont par lui. Il est donc important de relire et faire modifier toute formulation ou description qui ne correspondrait pas à la réalité.

De plus, ce PV a été réalisé à sa demande par l'assistante sociale et non sur la volonté des services de police. Nous savons que dans ce dernier, le contexte peut être très différent. Ainsi, dans l'affaire dîte « de Belfort », une assistante sociale avait été confrontée à une pression importante qui aurait pu la mener à faire des déclarations dictées par la tension vécue. Il n'en fut rien. Dans l'affaire de Besançon, difficile de dire que ces mots ont été dictés sous la pression. Nous pouvons donc émettre l'hypothèse qu'ils reflètent de façon fidèle sinon exacte les propos tenus.

Enfin, sur la valeur du document, il convient de savoir que l'agence France Presse a attendu d'en visualiser la copie originale avant de rédiger une dépêche.

« Une dénonciation, n'est-ce pas comme un signalement ? »

Rappelons que la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance « réserve le terme de signalement à la saisine du procureur de la République. Le signalement est un acte professionnel écrit présentant, après évaluation, la situation d'un enfant en danger qui nécessite une protection judiciaire. »1

Un signalement porte sur une situation dans laquelle un enfant est en risque de danger ou en danger. Ce risque de danger ou danger est évalué et argumenté à partir de faits, analyses et hypothèses aboutissant à une proposition. Ce sont ces éléments qui sont transmis au Juge ou au Procureur, conformément aux textes légaux touchant à la protection de l'enfance et au secret professionnel (art. 226-14 du Code Pénal).

Le seul cas où il peut y avoir une saisine directe des forces de police, c'est lorsqu'il y a péril (article 223-6 du Code Pénal). Un péril est caractérisé par une atteinte imminente, constante et grave à la santé voire à la vie d'une personne.

En reprenant le PV, il apparaît que :
- La professionnelle a eu connaissance des informations dont elle fait part dans le cadre de son exercice professionnel ;
- Les faits énoncés ne montrent pas un danger pour les personnes : la phrase « De peur de représailles, ma protégée ne répondra pas à vos convocations ni même à vos questions » ne suffit pas à démontrer qu'il y a danger en l'état. Paradoxalement, elle tendrait à signifier que tout acte de dénonciation de la situation en génèrerait. Il n'est affirmé aucune pression ou violence sur la mère ou les enfants. De même, lorsqu'il est affirmé « Je l'ai interrogé sur sa présence en ces lieux et la durée de son séjour chez la famille dans laquelle j'interviens, tout en l'informant qu'il ne pouvait pas rester à cette adresse, Madame B... vivant une situation financière et familiale fragile. », il n'est fait mention d'aucune volonté de départ exprimée par la mère. Rappelons que cet homme est le demi-frère de Madame B. Enfin, une « situation financière et familiale fragile » n'est pas suffisante pour constituer une situation de péril ou de danger.

A partir de ces éléments, il apparait bien que l'acte effectué constitue une dénonciation d'une personne sans-papiers et non un signalement ayant trait à la protection de l'enfance. Si cette professionnelle avait évalué que la présence de cet homme constituait un fait générateur de risque pour les enfants, elle devait en référer uniquement au Juge des enfants ayant ordonné la mesure d'AEMO.

« Quelle responsabilité de la hiérarchie de cette professionnelle ? »

C'est une des grandes questions de cette affaire. La professionnelle a-t-elle agit de sa propre initiative sans en référer à sa hiérarchie ou, au contraire, c'est avec l'accord, voire à la demande, de sa hiérarchie qu'elle s'est rendue au commissariat ? Nous en saurons sans doute plus dans quelques temps. Mais n'oublions pas que le professionnel reste pénalement le seul responsable en cas de violation du secret professionnel. Le rôle de sa hiérarchie ou de ses pairs n'est qu'un élément du contexte ayant amené au délit. Nous réaffirmons l'importance que les professionnels ne restent pas seuls surtout lorsqu'il s'agit de déposer dans le cadre d'une enquête ou devant un tribunal. Les encadrements intermédiaires doivent pouvoir être soutien lorsque le témoignage est légitime et légal, et « garde-fou » lorsque des passages à l'acte répréhensibles sont envisagés.

« Quelle autre possibilité avait-elle ? »

Il faut d'abord définir le problème : si la famille concernée par l'AEMO accueillait cet homme volontairement, il devient un des acteurs du système avec lequel le travailleur social exerçant la mesure doit faire. Nous ne choisissons pas ceux qui peuvent ou pas vivre en interaction avec la famille. Cela relève du choix des personnes et les assistants sociaux n'ont pas à abuser de leur pouvoir pour imposer telle présence ou telle absence. Même si certaines personnes peuvent nous interpeller nous ne pouvons laisser notre sentiment personnel prendre le dessus. C'est une des bases du positionnement professionnel, l'application du principe éthique de non-jugement.

Si la situation et les comportements de cet homme constituaient un risque pour les enfants ou leur mère (donc indirectement les enfants), et si un travail avec la mère ne pouvait modifier le contexte, la saisine de l'autorité judiciaire pouvait se faire. Comme nous l'avons vu, les éléments du PV ne vont pas dans ce sens.

En clair, le rôle des assistants de service social, qu'ils exercent en AEMO ou ailleurs n'est pas de dénoncer une personne sans-papiers, quand bien même elle est contraire à ce que nous souhaiterions.

« Et pourquoi les ASS ne dénonceraient-elles pas les sans-papiers ? »

Les assistants de service social interviennent dans des situations variées, avec des publics très différents dont certains sont en situation irrégulière ou sont en contact avec des personnes en situation irrégulière. Il s'agit qu'ils puissent travailler avec ces personnes afin de faire évoluer une situation a minima vers une vie décente. Par exemple, lorsqu'une femme en situation de séjour irrégulier est victime de violences conjugales, il faut qu'elle puisse trouver de l'aide. Les assistants de service social de secteur sont par exemple des interlocuteurs de premier plan : en les rencontrant, les victimes peuvent trouver de l'aide sans se mettre dans une situation qui constitue pour elles une autre forme de danger. De même, une mère peut venir parler sans risque de la consommation de drogue de son fils sans que cela débouche sur une intervention policière. Si le secret professionnel permet de protéger des informations privées et le plus souvent légales, il est la condition pour que se disent des situations d'irrégularité. C'est à partir de la réalité de la situation que peuvent se co-construire des solutions. Ce travail se double d'une mise en perspective des risques à court, moyen et long terme de la situation. C'est une des étapes pour modifier une situation et faire en sorte que la société soit protégée. En effet, si la mère ne peut parler des passages à l'acte délictueux de son fils, jusqu'où la dérive ira-t-elle ? Quelle souffrance pour l'enfant, sa mère et des potentielles victimes des passages à l'acte ? Quel coût pour la société ? Même chose pour une femme victime de violence : plus elle restera dans cette situation, plus elle risque d'en sortir détruite. C'est le fait de parler à un professionnel soumis au secret qui est une condition de la résolution de la situation de danger. Ne nous y trompons pas : si les assistants de service social dénonçaient les « sans-papiers », ils ne tarderaient pas à ne plus en voir du tout, et les personnes sauraient très facilement masquer ces situations. La précarité des conditions d'existence de ces personnes s'en trouverait accrue, au risque de l'ensemble de la société : qui pourrait en sortir gagnant ?

« Quelle confiance entre la famille et l'assistante sociale ? »

C'est un des risques entrainé par cette situation. Comment cette assistante sociale pourrait demain travailler avec la confiance de la mère et des enfants dont elle a dénoncé le demi-frère et l'oncle ? Plus largement, comment avoir confiance en une professionnelle si les familles se demandent si, en sortant de l'entretien, cette professionnelle ne va pas aller tout raconter au commissariat ? Cette dénonciation résout peut-être le problème de la professionnelle, mais la défiance qu'elle risque de renforcer auprès des familles concernées par des mesures d'assistance éducative ne va pas aider les autres professionnels à soutenir les enfants et parents qu'ils rencontrent.

« L'ANAS devait-elle réagir aussi fort ? »

Si le principe de confraternité est un des devoirs établis dans le code de déontologie de la profession, l'ANAS ne pouvait rester silencieuse au regard des éléments de cette affaire. Nous soutenons les collègues qui font vivre au quotidien, dans des conditions extrêmement difficiles, les valeurs du travail social. Ce fut le cas par exemple lors de l'affaire de Belfort. On ne peut défendre le secret professionnel et l'invoquer quand cela nous arrange, pour le rompre lorsque cela nous convient. De plus, cette affaire intervient alors que les professionnels du secteur se sont mobilisés depuis plusieurs années pour dire l'importance du secret professionnel. De même, la question du secret et de la situation d'une personne sans-papiers a permis de préciser il y a quelques mois comment concilier les situations de secret et de témoignages. Enfin, le Conseil Supérieur du Travail Social vient de produire un avis sur la question.

L'ANAS ne pouvait donc se taire. Les membres de l'association sont aussi confrontés aux réalités difficiles, nous savons la complexité des conditions de travail au quotidien, la solitude des travailleurs sociaux dans des situations de tension et les responsabilités qu'ils prennent dans des cadres parfois flous. Sur la question du secret professionnel, auquel nous sommes soumis par profession, nous devons être vigilants.

C'est cet objectif que nous visons à travers notre réaction. Et que chacun sache qu'en voyant une assistante sociale, il peut éprouver de la confiance plutôt que de la crainte.

Laurent PUECH
Président de l'ANAS

dimanche 29 juin 2008

Affaire de la dénonciation : la presse en parle

Mon billet sur l'assistante sociale pas très assistante ni très sociale a été abondamment repris par la presse.

À tout seigneur, tout honneur, c'est Le Monde qui s'y est intéressé le premier, sous la plume de Nathalie Guibert.

C'est cette publication qui a suscité l'intérêt des autres organes de presse, avant tout audio.

Votre serviteur a donc pu être ouï sur les médias suivants :

— France Info (pas de lien trouvé) ; je renouvelle d'ailleurs mes excuses à Nathalie Bourrus pour ma lamentable prestation au téléphone, c'est un miracle qu'elle ait eu quelques secondes d'utilisables.
RTL, et j'en profite pour apporter une rectification : je n'ai jamais dit qu'être sans papier n'était pas un délit (c'en est un : article L.621-1 du CESEDA), mais qu'aucune circonstance majeure n'obligeait cette assistante sociale à dénoncer (ce qui n'aurait pas été le cas de maltraitance sur les enfants, par exemple).
—RMC-Info devait en parler aussi, je n'ai pas trouvé de lien.

Le site du Nouvel Obs en a également parlé.

L'AFP a fait une dépêche à l'occasion d'un communiqué de l'ANAS, Association Nationale des Assistants de Service social.

Cette dépêche AFP a donné lieu à des reprises sur les sites de Libération, Le Figaro, et Europe 1.

J'ai dû à la suite de cette large publicité fermer les commentaires sous le billet en question, après en avoir supprimé une dizaine ouvertement racistes, et quelques uns qui étaient injurieux à l'égard de l'assistante sociale en question.

Je crains de devoir rapidement faire de même sous celui-ci.

En attendant, ayant eu de très intéressants échanges avec le président de l'ANAS, j'ai appris un détail intéressant : cette asisstante sociale n'est probablement pas fonctionnaire, mais semble employée par une association loi 1901 qui travaille avec le juge des enfants dans le cadre des mesures d'AEMO. Donc en aucun cas elle ne pourrait invoquer l'article 40 du Code de procédure pénale qui impose aux fonctionnaires de dénoncer au procureur les délits dont ils ont connaissance dans le cadre de leurs fonctions.

La violation du secret professionnel semble donc bien établie. Je me permets de rappeler qu'il est plus sévèrement réprimé que le séjour irrégulier : si la peine de prison encourue est identique, l'amende est sans commune mesure : 3750 euro pour le séjour irrégulier, 15000 pour la violation du secret professionnel.

Enfin, une mise au point. Deux plutôt. L'article en question n'est pas de moi. J'en suis l'éditeur, mais l'auteur est Anatole Turnaround, rendons à César ce qui est à Anatole. Oui, c'est aussi un pseudonyme et c'est l'objet de ma deuxième mise au point, sur cet anonymat.

Quand une nouvelle dérange et est difficilement défendable, la technique du rideau de fumée est très commode : attaquons celui par qui le scandale arrive et hop, parlons d'autre chose.

D'une part, je ne relaie pas ici les délations anonymes et non vérifiées. Je sais qui est réellement Anatole Turnaround, et je sais que c'est une source crédible. Enfin, s'agissant de mon anonymat, je m'en suis déjà expliqué ici il y a longtemps, mais il ne faut pas attendre des sycophantes qu'ils lisent les archives ou cherchent à comprendre, quand leur objectif est que personne ne comprenne.

Mon anonymat est un anonymat de confort. Malgré mes avertissements, je reçois chaque jour une douzaine de mails me demandant des conseils juridiques, dont une bonne moitié sans bonjour ni merci ni au revoir (quand ils ne sont pas écrits en langage SMS). Vous imaginez si mon numéro était accessible dans les pages jaunes ?

Quand un journaliste cherche à me contacter (et ils ont été nombreux dans cette affaire), je leur réponds, et je leur donne mon identité pour qu'ils s'assurent que je suis bien avocat. Mon identité n'est pas un secret honteux, je n'ai pas de cadavre dans le placard, je suis bien ce que je prétends être, un avocat au barreau de Paris, tout aussi anonyme dans ce barreau pléthorique que ses 18.000 confrères.

Et en fait, cette situation me convient très bien. Je suis ravi d'entrer dans les prétoires sans attirer autre chose qu'un coup d'œil morne, d'être écouté et traité comme n'importe lequel de mes confrères, et d'être jugé, si j'ose dire, à la qualité de mon travail sur le dossier et non par le prisme d'une sympathie provoquée par mon blog.

Mon anonymat n'est pas celui du dénonciateur anonyme. Le PV retranscrit était totalement anonymisé, aucune initiale ne correspond à la réalité, pas même celui de la ville. C'est un fait que je dénonçais, pas cette personne, dont je n'ai que faire. J'ai même refusé, alors que rien ne m'y obligeait, de donner copie de ce PV à l'ANAS, qui envisage un dépôt de plainte contre elle (action que je décourage). Qu'un professionnel comme un travailleur social se croit autorisé à trahir le secret qui est le sien est révélateur d'un climat délétère qui s'installe depuis des années, et qui commence à porter des fruits nauséabonds. Climat qui a des répercussions sur l'opinion, donc sur les sondages, donc sur les choix politiques, s'agissant en outre de taper sur une population qui n'a pas le droit de vote, donc tout bénef. Faites un jour un parallèle avec les dates des grandes lois sur l'immigration et les échéances électorales majeures, vous serez surpris. En attendant, moi et mes confrères qui faisons de la défense des étrangers, on se prend ces réformes dans la figure. Et les juges aussi, judiciaires qui siègent 24 heures d'affilée pour faire face au contentieux, et administratifs qui doivent mettre tous les autres dossiers en attente pour juger en priorité ce contentieux qui représente plus de la moitié des dossiers, et de toute la machine folle que cette politique sans queue ni tête fait tourner à plein régime — et à vos frais.

Aussi bien du côté des esprits faibles qui, à force de s'entendre dire que les étrangers en situation irrégulière sont un problème finissent par le croire sans se poser d'avantage de questions sur leur rôle économique, sur la démographie française, sur ce qu'ils apportent par rapport à ce qu'ils sont supposés retirer, quand ce n'est pas une xénophobie qu'ils développent, parce que, franchement, comment reconnaît-on un étranger sans papier (mauvais) d'un (bon) étranger avec papiers ? Avec les variantes sur les thèmes éculés de « la loi c'est la loi », sauf pour la violation du secret professionnel, cela va de soi, ou de l'argument « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », dernier refuge de la bonne conscience et qui revient à dire que ma foi, puisqu'on ne peut accueillir toute la misère du monde, y compris celle qui ne demande pas à venir mais que nous devrions aller chercher nous-même puisqu'on a dit TOUTE la misère, hé bien nous nous devons de n'en accueillir aucune part. C'est trois milliards de pauvres ou rien. Égalité républicaine oblige.

Mais aussi dans le camp d'en face, qui développe de notre pays une vision qui l'assimile à la période de l'Occupation (étant entendu que les collabos, c'est les autres).

Si la raison défaille de chaque côté, il ne reste que le désespoir.

vendredi 27 juin 2008

Annulation du mariage entre le divorce et les notaires

Le président de la République a reçu ce matin notre Très-Bien-Aimé président du Conseil National des Barreaux (CNB), le bâtonnier Paul-Albert Iweins.

Première incise pour les avoués : vous voyez l'intérêt qu'il y a à rejoindre notre grande profession ? Votre président de la Chambre nationale n'a qu'à grand'peine réussi à être reçu par le Garde des Sceaux, après six mois d'effort. Nous, c'est le Patron qui nous reçoit.

Le Président de la République a confirmé l'abandon de l'idée de confier le divorce par consentement mutuel aux notaires, idée qui n'a même jamais constitué un projet, a précisé le Président (de la République, pas du CNB).

Enfin, dans le plus pur style de l'actuel président (pas le Très-Bien-Aimé, celui à 36%), celui-ci a annoncé la création d'une… mais oui, mais oui : mission confiée à notre confrère Jean Michel Darrois afin d’étudier les modalités de la création en France d’une grande profession du droit (Tremblez, notaires, vous êtes les prochains sur notre menu).

Deuxième incise pour les citoyens : si la création de missions ad hoc est une des signatures de notre président, sa seconde est de ne tenir aucun compte des travaux de celles-ci. Nous avons vu le sort du rapport Attali, celui de la commission Copé sur l'audiovisuel public, dont la remise n'a servi que de prétexte au président pour annoncer ses décisions. Rappelons donc pour l'anecdote qu'une commission dirigée par le recteur Serge Guinchard cogite en ce moment même sur la nouvelle répartition des contentieux et doit rendre son rapport lundi. L'examen de l'éventualité de ce transfert faisait partie expressément des attributions de la commission, puisque ce projet, pardon, cette idée avait été avancée en décembre dernier, lors de l'annonce de la création de cette mission, par le Garde des Sceaux.

J'invite donc mon excellent confrère Darrois à ne pas trop s'esquinter la santé pour l'accomplissement de sa mission, les décisions étant d'ores et déjà prises ailleurs.

jeudi 26 juin 2008

Brèves pour les publicistes

Amis juristes qui taquinez le droit public, quelques nouvelles pour vous.

Adieu, monsieur le commissaire du gouvernement.

Désormais, le magistrat administratif chargé de présenter devant les juridictions administratives une proposition de solution au litige, proposition étayée en droit mais présentée en son seul nom et en toute indépendance, s'appellera le rapporteur public. Il s'agit d'une spécificité de la justice administrative française, et d'une garantie fondamentale pour les justiciables, surtout ceux qui ne sont pas assistés d'un avocat (auquel il ne se substitue pas, mais il peut inviter le tribunal à soulever d'office des moyens d'ordre public et ordonner et clarifier des arguments un peu épars et peu juridiques). C'est pour cela que le gouvernement envisage de le retirer du contentieux des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF ; il est d'ores et déjà absent des procédures expresses contre les APRF[1] et les RATATA. Oui, le gouvernement —Loi Hortefeux du 20 novembre 2007— a inventé un truc qui s'appelle le RATATA[2], qui relève de la compétence de la PAF[3] et du BAF[4] : qui a dit qu'il manquait d'humour ?).

Plus d'infos sur cette métamorphose chez Frédéric Rolin.

Adieu, Code des marchés publics.

Et bonjour, code des marchés publics. Notre infatigable vigie du palais Bourbon nous annonce une prochaine réforme du Code éphémère : je vous rappelle que la mouture actuelle date du 4 août 2006. À vos aspirines.

Notes

[1] Arrêtés préfectoraux de Reconduite à la Frontière

[2] Refus d'Admission sur le Territoire Au Titre de l'Asile

[3] Police Aux Frontières

[4] Bureau de l'Asile aux Frontières

Si les centres de rétentions sont combustibles, la loi est apyre

C'est ce que le premier président de la cour d'appel de Paris a rappelé dans une rafale d'ordonnances mettant fin à la rétention d'étrangers bénéficiant jusqu'à dimanche dernier de l'hospitalité de feu le Centre de Rétention Administrative de Paris-Vincennes.

Les étrangers retenus ont été répartis dans d'autres centres de rétention, un peu partout en France (certains jusqu'à Toulouse et Nîmes). Or parmi ceux-ci, certains qui avaient fait appel de la décision de maintien en rétention n'avaient pas encore vu leur recours examiné par le premier président de la cour d'appel, ou un Conseiller[1] par lui délégué.

Parmi eux, un étranger placé en rétention à Vincennes, le 18 juin, avait été transféré à Lille (en fait, à Lesquin), le 22 juin, veille de l’audience en appel devant la cour d’appel de Paris. À l’audience, le Conseiller délégué a constaté que l'étranger n'était pas présent, alors qu'il avait demandé à comparaître, ce qui est un droit pour lui, dont la violation est de nature à vicier la procédure, entraînant sa remise en liberté immédiate. L'État s'est fixé des règles lui permettant de priver des personnes de leur liberté ; il est permis d'exiger qu'il les respecte.

Le préfet de police a invoqué comme moyen de défense la force majeure, qui en droit s'entend d'un événement extérieur à celui qui l'invoque, imprévisible et irrésistible. Face à un cas de force majeure, la jurisprudence tolère le non respect des règles de droit qui étaient impossibles à respecter eu égard aux circonstances. Dans une formule lapidaire, le juge considère que « le non-transfert [du retenu] par le centre de rétention de Lille ne constitue pas un cas de force majeure ». L’ordonnance de prolongation de la rétention est infirmée et l'étranger aussitôt remis en liberté. À Lesquin, certes, mais libre. Le conseiller délégué n'a pas détaillé sa décision (que j'applaudis, vous l'aurez deviné), mais il est aisé d'en deviner les raisons : l'étranger était toujours sous la main de l'administration, privé de sa liberté. L'éloignement géographique (tout relatif : 220 kilomètres séparent la capitale des ch'tis de la capitale des titis) n'est pas une cause irrésistible permettant de faire bon cas des droits de la défense. D'autant plus que le Centre de rétention est tout près d'un aéroport…).

Dans un autre dossier, l’étranger avait été placé en rétention à Vincennes, le 21 juin, puis aurait été transféré au dépôt du Palais de justice, après un passage à l’Hôtel Dieu où il a été hospitalisé du 22 au 23 juin, avant d’être finalement transféré au centre de rétention du Mesnil Amelot. « Toutefois, ni l’acte d’arrivée au dépôt du palais de justice, ni le procès-verbal de conduite à l’Hôtel Dieu ne figurent au dossier de la procédure ». Le Conseiller délégué n'est pas en mesure de s'assurer de la situation juridique de l’intéressé du 22 au 23 juin. L’ordonnance de prolongation de la rétention est infirmée, toujours sous les applaudissements de votre serviteur.

Il y a eu une troisième décision qui remet en liberté un des étrangers, mais les motifs m'en sont inconnus. Dans le doute, je l'applaudis également.

Mon approbation ne va pas à la libération d'étrangers en situation irrégulière en soi, bien que je les préfère libres que prisonniers, question de goût. C'est au très opportun rappel fait à l'administration que s'agissant de décision privatives de liberté, des circonstances aussi exceptionnelles qu'un tel incendie ne justifient pas des libertés prises avec la loi pour prendre leur liberté à des hommes. Si face à cet imprévu, l'administration n'est plus en mesure de respecter la loi, sa décision devrait être de remettre d'elle-même en liberté ceux qu'elle ne peut plus légalement garder. Et non tordre le bras du juge en invoquant la force majeure.

La liberté ne cède pas face à ces contraintes. C'est là comme un mot d'amour, qu'il est doux d'entendre autant de fois qu'il est prononcé, sans lassitude même en cas de redites.

Notes

[1] Rappelons que les juges siégeant dans une cour prennent le titre de conseillers, que ce soit une cour d'appel ou la cour de cassation.

mercredi 25 juin 2008

Continuons à innover avec la naturalisation rétroactive d'application immédiate

Lu dans Carla Magazine Libération du 21 juin 2008 : Maître Eolas, l'air quelque peu dubitatif

Libé : Donc «fais gaffe à toi, je suis italienne»…

Carla Bruni : Je pourrais vous le dire par exemple ! Mais je ne suis plus italienne depuis trois mois.

Libé : Vous êtes donc naturalisée française ?

Carla Bruni : Pas encore, la procédure est longue pour tout le monde, mais je suis désormais française.

Elle n'est pas (encore) naturalisée, car la procédure est longue —Ça je confirme, quatre ans facilement—, mais elle est déjà française.

Je voudrais pas poser de question idiote, mais… Pourquoi demander la naturalisation, si elle est française, alors ?

À moins que pour la fête de la musique, la première dame de France, à qui l'on prête quelque talent artistique, n'ait décidé de nous jouer du pipeau ?


Quelques précisions : si l'acquisition de la nationalité française par déclaration après mariage avec un Français rétroagit au jour de la demande quand bien même il faut un an au ministère de l'intérieur pour réagir, cette demande suppose quatre années de mariage (loi Sarkozy du 24 juillet 2006, modifiant l'article 21-2 du Code civil). Ça ne peut pas être par cette voie qu'elle a acquise la nationalité française.

Quant à la naturalisation, elle ne rétroagit pas, mais prend effet au jour de la signature du décret de naturalisation (article 21-15 du Code civil). Donc, pas de naturalisation, pas de nationalité.

Enfin, je ne suis pas obsédé par la nationalité de la première Dame de France. Je pense qu'elle n'a aucune importance en soi. Et sa nationalité italienne, État membre de l'UE, ne pose aucun problème particulier de déplacement, les obligations des italiens en matière de visas étant strictement les mêmes que pour les Français.

Non, ce qui me sidère dans cette affaire, c'est que même sur un point qui précisément n'a aucune importance, il puisse paraître préférable de mentir effrontément aux Français plutôt que de leur dire la vérité. Même sans prendre la moindre précaution pour avoir une histoire crédible. « Je ne suis pas encore naturalisée, mais je suis déjà française », vraiment… Là est le scandale, au-delà même de l'évident passe-droit dont bénéficiera l'épouse du président pour obtenir promptement sa carte d'identité, qui peut se comprendre sans nécessairement s'excuser.

Ici, il y a du vrai travail de journaliste à faire : démontrer le mensonge et demander au couple présidentiel les raisons de ce mensonge. Sommes-nous considérés comme trop xénophobes pour admettre l'idée d'une étrangère à l'Élysée ? Cette réponse-là m'intéresse, au plus haut point. J'aime savoir à partir de quelle importance on considère que la vérité n'est plus bonne pour moi. Visiblement, la barre est très basse, ces temps-ci.

Affaire Mulholland Drive : clap de fin

La Cour de cassation vient de mettre un terme à l'affaire du DVD Mulholland Drive, du nom du film de David Lynch, DVD qui avait été protégé par DRM, en français MTE (Mesures Techniques Efficaces) : arrêt de la première chambre civile du 19 juin 2008, n°07-14277, en attente de publication au Bulletin.

Dans cette affaire, l'acquéreur d'un DVD avait attaqué l'éditeur de l'œuvre pour annulation de la vente en raison de l'obstacle insurmontable (à l'époque…) à la réalisation d'une copie privée de l'œuvre : pas de copie de sauvegarde sur un DVD-R, pas de transfert sur un disque dur.

Le tribunal de grande instance de Paris avait débouté le cinéphile frustré, mais la cour d'appel de Paris lui avait donné raison. La cour de cassation avait cassé cet arrêt dans une décision que j'avais commentée à l'époque, et avait renvoyé devant la cour d'appel de Paris. Le 4 avril 2007, la 4e chambre de la cour d'appel de Paris (section A) avait débouté l'acheteur, qui était à nouveau allé chanter famine chez la cour de cassation sa voisine.

Cette affaire était devenue anecdotique depuis l'entrée en vigueur de la loi DADVSI qui a légalisé ces MTE quand bien même elles feraient obstacle à la copie privée ; mais le droit antérieur devait continuer à s'appliquer pour ce litige, non rétroactivité de la loi oblige, et la cour en profite pour préciser un point important sur la copie privée.

En effet, elle donne un satisfecit à la cour d'appel de Paris en disant qu'elle avait jugé « à bon droit », ce qui équivaut à des félicitations du jury, quand ladite cour d'appel a dit dans son arrêt que :

la copie privée ne constitue pas un droit mais une exception légale au principe prohibant toute reproduction intégrale ou partielle d'une œuvre protégée[1] faites sans le consentement du titulaire du droit d'auteur.

La cour d'appel, toujours sous les applaudissements et trépignements de joie de la cour de cassation (il y a une de ces ambiances, parfois, à la première Chambre civile… Il n'y a qu'à la chambre criminelle qu'on rigole plus.), en déduit que l'exception de copie privée ne peut servir de fondement à une action formée à titre principal, mais peut uniquement être opposée en défense à une action.

Le Chœur des lecteurs : — Gné ?

Rassurez-vous, je vous explique.

Vous n'avez pas un droit à faire une copie à titre privée d'une œuvre. L'auteur ne peut s'y opposer dès lors qu'il a divulgué son offre.

Supposons que, jaloux de mes billets, je trouve un moyen technique imparable de vous permettre de les afficher, mais qui vous empêche absolument de les enregistrer ou de les imprimer, fût-ce par copier-coller dans un traitement de texte. Je sais que c'est techniquement impossible, mais c'est une hypothèse. Vous ne pourriez invoquer l'article L.122-5, 2° du Code de la propriété intellectuelle pour me contraindre en justice à vous permettre de copier mes textes pour vous faire une compilation personnelle.

Mais si je découvre qu'un jour l'un d'entre vous a imprimé mes mille billets (oui, le billet que vous lisez est mon millième) et que, ivre de rage, je le cite en correctionnelle pour contrefaçon, il pourra invoquer avec succès comme moyen de défense le fait que cette impression pour votre usage est une copie privée, et il sera relaxé. Mais attention, au titre de la copie privée, on peut imprimer une fois mille billets, on ne peut pas imprimer mille fois mille billets… Non, attendez, ce n'est pas ça. On peut imprimer mille fois un billet… Non, zut.

Bref.

La cour de cassation répond ici aux contempteurs de la loi DADVSI qui invoquaient la copie privée comme un droit auquel ladite loi porterait atteinte. Nenni, répond la cour, même avant cette loi, la copie privée n'a toujours été qu'une exception, une tolérance légale, à laquelle un auteur astucieux peut tout faire pour porter atteinte. Elle lui interdit juste de se plaindre quand néanmoins un tiers y arrive. Ce qu'apporte de nouveau la loi DADVSI, c'est que porter atteinte à une MTE apposée sur une œuvre digitale est interdit, c'est un délit, non couvert par l'exception de copie privée. Mais par exemple, pointer un camescope sur un écran de télévision pour enregistrer une œuvre protégée par des MTE à une fin personnelle n'est pas un délit. La diffusion de cette copie, par contre, le serait, car l'exception de copie privée ne jouerait plus.

Cette pratique dans les salles de cinéma n'est pas non plus un délit, mais la situation est différente car vous êtes lié par un contrat avec la salle de cinéma. Celle-ci peut prévoir comme clause du contrat l'interdiction de filmer, et la violation de cette interdiction justifierait votre reconduite hors de la salle de cinéma (qui s'analyse en une annulation du contrat pour non respect de ses clauses, on dit en droit une résolution).

Enfin, pour en terminer avec cet arrêt, la cour confirme que la possibilité de réaliser une copie privée n'est pas une caractéristique essentielle d'un DVD dont l'absence justifierait la nullité de la vente. Nullité, qualités essentielles, tiens, ça me rappelle quelque chose ? Attention toutefois aux amalgames trop rapides : nous sommes ici en droit des contrats, et plus spécialement en droit de la vente, ce ne sont pas les mêmes textes qui s'appliquent, même si le vocabulaire est le même. D'une part, le DVD ne consent pas à ce que vous l'achetiez, et d'autre part, personne ne considérera comme une qualité essentielle d'un DVD de Mulholland Drive… que le DVD soit vierge.


Merci à Caroline, qui m'a permis de retrouver cette désopilante parodie des pubs anti-piratage, extraite de la série anglaise The IT Crowd. Puisque ce billet se veut un hommage au 7e art…

Notes

[1] Par œuvre protégée, il faut entendre protégée par la loi, pas par des mesures techniques efficaces (DRM) : le fait de ne pas mettre de DRM ne signifie pas que l'œuvre devient libre de droit.

mardi 24 juin 2008

Welcome back

Par Dadouche



La relation de ses mésaventures par Eolas vous avait émus.

Vous vous demandiez ce qu'il allait devenir.

Vous souhaitiez son retour.

Le Ministre vous a entendus.

Lire la suite...

Dénonciation

Par Anatole


Note d'Eolas : l'authenticité de ce procès-verbal de police est vérifiée et certaine.


Après avoir pris connaissance du texte ci-dessous, (un procès-verbal établi par la police française il y a une quinzaine de jours , recopié mot pour mot à l’exception des noms, prénoms, lieux et dates), vous traiterez au choix l’un des deux sujets suivants:

1. La connaissance de l’Histoire peut-elle nous aider à mieux comprendre le monde d’aujourd’hui?

2. Sachant que l’étranger a été arrêté puis placé en rétention administrative en vue de sa reconduite à la frontière et enfin présenté pour prolongation de cette rétention au juge des libertés, quels arguments juridique pouvaient utilement être développés par son avocat pour obtenir sa mise en liberté?


PV DE DENONCIATION

L’an deux mille huit,

le dix juin à onze heures quinze,

Nous, S...,

BRIGADIER CHEF DE POLICE

en fonction à la brigade de police administrative

Officier de police judiciaire en résidence à N...

Constatons que se présente à nous la personne ci-après dénommée qui nous déclare:

Sur son identité:

“Je me nomme B... H...”

“Je suis née le ... à  ...”

“Je suis de nationalité française”

“J’exerce la profession de ASSISTANTE SOCIALE A L’AEMO*”

“Je suis domiciliée ...”

“Mon numéro de téléphone professionnel est le ...”

Sur les faits:

Je suis venue vous dénoncer la situation administrative clandestine d’un ressortissant sénégalais qui vit à N...

Dans le cadre de mon travail j’ai rencontré par hasard, au 7 rue de ..., chez Madame B..., dont les enfants bénéficient d’une mesure éducative, un individu inconnu.

Je l’ai interrogé sur sa présence en ces lieux et la durée de son séjour chez la famille dans laquelle j’interviens, tout en l’informant qu’il ne pouvait pas rester à cette adresse, Madame B... vivant une situation financière et familiale fragile.

De peur de représailles, ma protégée ne répondra pas à vos convocations ni même à vos questions.

Quinze jours après ma découverte, il vit toujours au 7 rue de ..., appartement 11, 3ème étage.

J’ai appris au hasard des discussions qu’il n’avait pas de titre de séjour et vivait de façon clandestine en France et à la charge de Madame B...

C’est un sénégalais âgé de 22 ans environ, mesurant 1.80 m, portant des lunettes de vues rondes en métal. Cheveux crépus très courts, toujours bien habillé, parlant un français très châtié.

Il dort le matin jusqu’à 12 heures au moins, et sort peu de peur d’être contrôlé par la Police.

Il arriverait d’Italie depuis l’expiration de son titre des séjour la-bas et serait en France depuis un mois environ.

Il présente un vague lien de parenté avec Madame C**.

Quelque soit le mode de votre intervention, sachez qu’il y a dans ce logement quatre enfants jeunes.

Je n’ai rien d’autre à ajouter.

Après lecture faite par elle-même, la déclarante persiste et signe le présent procès-verbal avec nous à 11 h35.

Le déclarant     Le brigadier de Police


* : Assistance Éducative en Milieu Ouvert, mesure ordonnée par un juge des enfants, et qui implique un suivi régulier du mineur, laissé dans sa famille, par un assistant social.

** : Les vérifications ultérieures révèleront qu’il s'agit de son demi-frère.

On sent le gaz ?

J'apprends dans le bulletin du barreau de cette semaine que madame le Garde des Sceaux, ministre de la justice, Rachida Dati et François Fillon, premier ministre, ont fait il y a quelques jours une visite surprise à la section P12 du parquet de Paris.

La section P12, c'est celle en charge du traitement en temps réel de la délinquance : c'est elle qui assure la permanence téléphonique pour les gardes à vue, oriente les procédures vers l'instruction, la citation directe devant le tribunal correctionnel ou de police, l'enquête préliminaire ou le classement sans suite, et prend en charge les comparutions immédiates.

Ce service est un grande pièce toute en longueur. Sur votre gauche quand vous entrez, les bureaux du procureur et le greffe de la section P12, qui travaille d'arrache-pied pour mettre dans la matinée des dossiers en état d'être jugés l'après-midi. Chacun d'eux doit suivre un circuit : enquête rapide sur la situation personnelle du prévenu effectuée par l'Association de Politique Criminelle Appliquée et de Réinsertion Sociale (APCARS), comparution devant le procureur qui notifie la convocation devant le tribunal et demande au prévenu s'il veut un avocat choisi ou un avocat commis d'office. Pendant ce temps, les greffières commandent en urgence les extraits de casier judiciaire, sans lesquels le tribunal ne peut personnaliser la peine faute de connaître les antécédents (une peine avec sursis serait illégale si le prévenu avait déjà été condamné avec sursis dans les cinq années précédentes, par exemple). Quand le circuit est complet, le prévenu est P.A.C. (Prêt À Condamner).

Sur votre droite, des bureaux aux parois en verre. Le bureau de l'APCARS, puis des bureaux pour les interprètes, le « Comptoir », où trône l'officier de gendarmerie qui commande le détachement en charge des escortes de prévenus, et les « bocaux », bureaux en verre où les avocats consultent les dossiers et reçoivent leur client. De chaque côté du Comptoir, deux portes : à droite, la porte d'accès à la Souricière, le réseau de couloirs secrets qui relie le dépôt aux diverses salles d'audience, et à gauche, la cellule où sont placés les prévenus en attente.

Et donc nos deux fringuants ministres ont honoré la section P12 d'une visite-éclair, histoire de voir comment ça se passait (bien, forcément).

Les deux ministres n'ont pas jugé utile de saluer les avocats présents.

Il y a je trouve dans cette bouderie tout un symbole du respect que porte ce gouvernement aux droits de la défense. Une anomalie, un intrus qu'il vaut mieux ignorer en espérant qu'il finira par partir de lui-même.

Il est des mépris qui honorent ceux qui en sont l'objet.

lundi 23 juin 2008

Petits Pois de Paris

Par Dadouche



Lors de sa (brillante, évidemment) intervention sur France Inter le 16 juin, dont j'avais souligné la pertinence ici, la Garde des Sceaux avait annoncé une grande réunion de tous les juges d'application des peines.
C'est donc le 19 juin (au plus tôt) que nos collègues juges d'application des peines et magistrats du parquet chargés de l'exécution des peines ont reçu une "invitation" à se rendre à Paris le 25 juin à 16 heures.

L'Union Syndicale des Magistrats, le Syndicat de la Magistrature et même FO-Magistrats ont appelé les magistrats ainsi aimablement conviés à décliner, tout aussi aimablement, cette invitation destinée à "présenter le projet de loi pénitentiaire, et plus spécialement les mesures prévues en matière d'aménagement des peines".

Serait-ce une nouvelle fronde des petits pois ? Les prémices d'un gouvernement des juges ?

Que nenni. Pourquoi ? Je vais vous l'écrire.

- les magistrats, alors que la période dite de vacation ou de service allégé n'a pas commencé, ont quelques occupations dans leurs juridictions. Des audiences sont prévues, des piles de jugements attendent d'être rédigés, des masses de procédures doivent être traitées.
Les audiences sont prévues longtemps à l'avance, les rendez-vous des juges d'application des peines également. Etre averti quelques jours avant (pour ceux qui l'ont été dès le 19 juin) permet difficilement de s'organiser pour courir à la Chancellerie. Ca fait du travail en plus pour le greffe, pour reconvoquer les rendez-vous décommandés ou les audiences reportées.
Je ne parle même pas de l'agrément, pour les collègues de nos riantes régions, de devoir revoir en catastrophe leur organisation familiale pour être à Paris en fin d'après midi (et donc pas chez eux avant très tard le soir ou le lendemain)

- A l'heure où on coupe les post-it en huit dans certaines juridictions, où les dépenses de représentation du Ministère sont en augmentation, où le budget de la justice place la France dans le peloton de queue du Conseil de l'Europe, est-il bien utile d'organiser un grand raout dont l'utilité reste très discutable, s'agissant d'un projet de loi, par nature susceptible de modifications substantielles ?
En effet, même si cela surprendra peut-être notre Ministre, les magistrats travaillent avec la Loi. Pas avec les projets, les peut être, les bientôt. Non, avec le droit positif.
Qu'on nous ponde donc des décrets lisibles une fois les lois votées et promulguées, des circulaires compréhensibles, et ça nous aidera à faire notre travail. Qu'on ne nous fasse pas venir à grand renfort de publicité pour un show médiatique sans aucune utilité pour notre activité juridictionnelle.
Ce d'autant plus que des conférences semestrielles sont organisées dans chaque cour d'appel pour évoquer les aménagements de peine avec l'ensemble des magistrats concernés.

- Il paraît pour le moins paradoxal qu'il faille toutes affaires cessantes se précipiter pour apprendre comment vider les prisons alors que la loi sur les peines planchers, qui ôte au juge une part importante de son pouvoir d'appréciation, a contribué à les remplir.

- les magistrats ne sont pas des préfets (corps par ailleurs tout à fait estimable mais au rôle assez différent), convocables à merci pour servir les opérations de communication de la Ministre.
Les pressions qui sont semble-t-il actuellement exercées par certains chefs de juridiction pour "convaincre" les magistrats concernés de déférer à cette convocation malvenue laissent mal augurer de l'avenir.

Chers collègues, je ne suis pas sûre que les petits pois supporteront bien le voyage le 25 juin. Particulièrement par cette chaleur.
Restez donc au frais chez vous.

« Papy ! »

Audience dite de «35bis», dans un tribunal de la région parisienne. Les « 35bis », du numéro de l'article de l'ancienne ordonnance du 2 novembre 1945, devenue le Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) qui prévoyait cette audience. Aujourd'hui, on devrait dire « L.552-1 », mais vous savez ce que c'est, les juristes aiment leurs petites habitudes, déjà qu'on se fait violence pour ne pas parler latin.

Les 35bis, ce sont les audiences devant le juge des libertés et de la détention où le juge examine la nécessité de maintenir ou non en rétention un étranger frappé d'un arrêté de reconduite à la frontière. La décision de placement en Centre de Rétention est prise par le préfet, mais ne vaut que 48 heures. Au-delà, le maintien en Centre de Rétention Administrative (CRA) doit être ordonné par un juge, pour une durée maximale de quinze jours. La préfecture demande toujours quinze jours, arguant d'une réservation sur un vol prévu pour le quinzième jour, comme par hasard. Les représentants des préfectures ne font même pas semblant avec nous, ils reconnaissent cyniquement qu'ils n'ont effectué encore aucune démarche, mais qu'il faut bien motiver la demande de placement en rétention pour obtenir le maximum légal, certains juges un peu trop sourcilleux prenant au pied de la lettre la loi qui prévoit « qu'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet. » (art. L.554-1 du CESEDA) Figurez-vous (vous allez rire) qu'ils pensent que cela signifie que la rétention de l'étranger doit être limitée au temps strictement nécessaire à son départ, et que l'administration doit exercer toute diligence à cet effet. Il y en a même, du Syndicat de la Magistrature, assurément, qui osent demander que l'administration justifie de ces diligences, sous prétexte que la loi l'exigerait. Vraiment, il était temps de réformer le Conseil Supérieur de la Magistrature pour pouvoir sanctionner ces petits pois rebelles.

J'attends dans la salle d'audience le tour de mon client et assiste à quelques dossiers pour “sentir” le juge et voir comment plaide l'avocat de la préfecture. Quelques munitions de plus dans ma besace, ce n'est jamais de trop.

Les étrangers entrent un par un, l'audience est publique, il y a pas mal de monde aujourd'hui. C'est le début de l'audience, pensè-je, ils attendent tous un ami, un frère, un fiancé.

Le troisième étranger du jour entre. Je n'y prête pas attention au début, je relis mes notes, mon client est en cinquième position, et je me suis fait une idée du juge et de mon contradicteur.

C'est une voix d'enfant, d'une petite fille assise derrière moi, qui me tire de ma réflexion.

— « Papy ! » s'exclame-t-elle joyeusement.

Je lève les yeux. Un homme âgé, l'épuisement se lisant sur son visage, vient d'entrer. Je l'avais remarqué dans le local voisin où les étrangers attendent leur tour. Il avait tenté de s'allonger, avant de se faire engueuler par l'escorte. Il avait tenté d'expliquer qu'il avait des problème de cœur et devait se reposer, rien n'y a fait : pas assez de place, il faut laisser ceux qui arrivent s'asseoir. Il y a vingt et un dossiers aujourd'hui. Il a passé presque trois heures assis sur un banc en attendant son tour.

Son avocat a la mine défaite. Il explique que son client est de nationalité algérienne. Il est en France depuis dix ans, preuves à l'appui. Il a six enfants, tous en situation régulière, sauf deux, qui sont Français. Il a neuf petits-enfants, tous Français, dont la petite fille derrière moi qui, rappelée à l'ordre par sa mère, ne cesse de murmurer le plus fort possible « Papy ! Papy ! », désolée que son grand-père ne l'ait pas vu pour répondre à ses signes de main.

Le juge jette un regard mi-étonné mi-réprobateur à l'avocat de la préfecture, dont les yeux ne quittent pas le dossier devant lui.

Un confrère, assis non loin de moi, me regarde avec un petit sourire en coin, que je lui rends. Nous nous sommes compris. Cet arrêté de reconduite est d'une illégalité évidente. Un Algérien avec dix années de présence en France a droit à un titre de séjour (Accord Franco-Algérien du 27 décembre 1968, art. 6,1°[1]), et même si la préfecture conteste les preuves de présence, 15 membres de sa famille proche en situation régulière en France lui assurent en tout état de cause la protection de la Convention Européenne des Droits de l'Homme. Bref du pain béni.

Sauf que…

Son avocat explique que l'arrêté de reconduite à la frontière a été pris antérieurement au placement en rétention. Son client n'a pas jugé utile de consulter un avocat et a laissé s'écouler le délai de 48 heures pour former un recours (écrit en Français et motivé en droit) devant le tribunal administratif. L'avocat de la préfecture confirme, toujours sans lever les yeux du dossier, que l'arrêté est définitif, et que dans ces conditions, il demande le maintien en rétention, la préfecture ayant réservé un billet pour le vol Paris-Alger de dans quinze jours.

Mon confrère assis non loin de moi ne sourit plus. Moi non plus. Le délai de recours ayant expiré, l'arrêté, tout illégal qu'il soit, est définitif et ne peut plus être attaqué, en tout cas pas dans des délais utiles.

« Le passeport est-il au dossier ? » demande le juge, qui ne cache pas son malaise.

— Non, répond l'avocat de la préfecture, décidément passionné par son dossier, car il ne relève toujours pas les yeux.

— Mon client n'a pas fait renouveler son ancien passeport, et se l'est fait voler lors du cambriolage de son studio il y a deux ans. J'ai une copie de la plainte.

— L'article L.552-4 du CESEDA prévoit que l'assignation à résidence ne peut être prononcée que si le passeport a été remis en original aux services de police, réplique l'avocat de la préfecture, toujours les yeux dans son dossier. Une plainte ne peut suppléer à cette absence.

Le juge regarde sa copie du dossier. « Maître ? » demande-t-il enfin à l'avocat de notre Algérien.

— Je m'en rapporte.

Après quelques secondes de réflexion, le juge explique que dans ces conditions, il n'a pas d'autre choix que de faire droit à la demande de la préfecture. L'arrêté de reconduite est définitif, il n'y a pas de passeport. La rétention est prolongée pour quinze jours. Seul petit geste que peut faire le juge, il demande que l'escorte remette les menottes en dehors de la salle d'audience. La fillette derrière moi a fini par attirer l'attention.

Long moment de malaise, le temps que le greffier imprime le procès verbal d'interrogatoire, l'ordonnance de prolongation, la notification de l'ordonnance et des voies de recours, et fasse signer tout cela à l'étranger.

Puis celui-ci se lève et se dirige vers la sortie ; avant de franchir la porte, il se tourne vers le fond de la salle et fait un petit signe à sa famille présente.

Je sors derrière lui, il faut que je me reconcentre sur mon dossier, et là, j'ai un peu de mal.

Au fond de la salle, j'entends la voix de la fillette qui dit « Ne pleure pas, maman : il nous a vu, tu sais. »


À ceux qui m'accuseront de faire du pathos sur cette histoire, deux mots. J'y étais, à cette audience. Rien n'est inventé. La fillette, elle était juste derrière moi. J'en ai été malade toute la journée. Le pathos, tous ceux qui étaient dans la salle se le sont pris dans la figure. Moi le premier. Je ne fais que rendre compte.

Et à ceux qui se demandent si la place d'un malade du cœur est en Centre de Rétention, je leur répondrai : mais que voulez-vous qu'il leur arrive ?


Deuxième apostille : ce billet a été rédigé avant l'annonce de l'incendie du CRA de Vincennes. Cette histoire est trop ancienne pour que la personne dont je parle ait pu être encore dans le centre lors de cet incendie.

Notes

[1] Les Algériens ne sont pas soumis, pour les conditions du regroupement familial et pour les titres de séjour, au droit commun du CESEDA mais à une convention bilatérale ; ils n'ont donc pas subi la disparition en 2003 du droit à la carte de séjour pour dix années de présence en France.

dimanche 22 juin 2008

Vous avez un message

par Dadouche et Fantômette


De : Dadouche à : Fantômette
le 19 juin à 00 h 18
Objet : Calendrier à revoir

J'en ai marre ! Pendant que les garçons dissertent sur la virginité des anges et la non-rétroactivité des lois, je suis engloutie sous les audiences à cause des vacances. Deux mois à caser en un, j'ai l'impression de travailler à la chaîne.
Tu crois qu'on pourrait lancer un referendum pour supprimer le mois de juin du calendrier ?


De : Fantômette à : Dadouche
le 19 juin à 9 h 14
Re : calendrier à revoir

Et encore, toi, tu restes à ton bureau - même si quinze heures d'affilée. Pense à ces armées de collaborateurs qui hantent les couloirs des tribunaux, hagards, et la robe à l'envers, un gobelet vide à la main. Tous exténués, tous.

Tiens, hier j'avais un train à 6h00, pour une audience à Farandole-sur-Mer. Je me suis plantée, j'ai fait l'aller-retour avec mon billet pour Frénésie-les-Neiges, où je plaidais aujourd'hui. Pas de contrôleur sur l'express de Farandole-sur-Mer, heureusement, je ne suis pas sûre que l'amende passait en note de frais. Et j'ai du longuement argumenter avec le contrôleur sur le train de Frénésie-les-Neiges pour lui faire admettre que si, pour être valable, un billet doit avoir été composté une fois, rien dans le règlement ne l'obligeait à considérer qu'un billet composté deux fois, dans deux gares différentes, soit moins valable.

Tous nos dossiers de postulation viennent pour clôture dans les quinze jours qui viennent. A la seule idée que mes patrons vont m'envoyer demander un renvoi à septembre pour au moins un dossier sur cinq, la faiblesse me gagne.

Dadouche, tu as raison. Il faut supprimer le mois de juin. Mais pas par référendum.
Par pitié.

Ce qu'il nous faut, c'est une bonne loi rétroactive d'application immédiate (en plus ça nous fera gagner du temps).

Qu'en penses-tu ?


De : Dadouche à : Fantômette
le 19 juin à 23 h 24
Objet : ménage d'été

Non, la rétroactivité immédiate aussi c'est déjà pris. Il faut trouver autre chose d'innovant, une vraie-réforme-que-les-Français-attendent.

Remarque, je me plains du mois de juin, mais quand je regarde mon programme de l'été...
Quand je pense qu'on appelle ça la période de service allégé !
Moi je le trouve en général aussi léger qu'une tartiflette. Une fois j'étais en même temps juge d'instruction, juge des enfants, juge de l'application des peines, le tout sur fond de comparution immédiate. Un peu plus et je faisais concierge.

Et c'est pas cet été qu'on devait repeindre le séjour que les garçons ont laissé tout dégueulassé après un France-Angleterre ? On s'était juré de profiter du "service allégé" pour faire tout ce qu'on peut pas faire pendant l'année parce qu'on a jamais le temps.

En fait plus j'y pense, plus je trouve que le pire c'est septembre, quand tu as le teint cireux trois jours après le retour.
Des fois on se demande si c'est la peine de partir.

Renseigne toi auprès de tes patrons sur les mythes et légendes du barreau, je vais en faire autant à la cour d'appel, on entendra peut être parler d'un artefact ancestral secret pour éviter le syndrome de la pile-du-retour-de-vacances-plus-grosse-que-celle-qu'on-s'est-échiné-à-écluser-avant-de-partir.

Ou sinon Véronique va nous expliquer comment nous organiser pour que ça n'arrive plus.

PS : j'espère qu'au moins tu as pris une glace sur la plage à Farandole-Sur-Mer ?


De : Fantômette à : Dadouche
le 20 juin à 23 h 04
Objet : RE : ménage d'été

Bon sang, oui, la peinture du séjour. On avait dit, finalement, on peindrait tout en pourpre.

Ah, les vacations judiciaires. "Tu verras, au mois d'août, c'est mort, il ne reste aucune affaire Fantômette." Aucune affaire, ha ha ha. Sauf les urgences.

Mon contrat de collaboration prévoit que je dois prendre quatre semaines de congé pendant les vacations judiciaires d'été, mais une règle implicite, d'une valeur manifestement supérieure, prévoit a) qu'un patron, qu'il soit n°1 ou 2, prend tous ses congés au mois d'août, et b) qu'un avocat au moins doit rester au cabinet en permanence.

Depuis deux ans, tout le mois d'août seul maître à bord, j'ai droit aux immeubles qui s'effondrent, enlèvements internationaux, divorces avec mesures urgentes, saisie sur compte bancaire du client institutionnel (qui ne peut plus payer ses salariés)... Naturellement, il faut y rajouter les comparutions immédiates... Les permanences garde à vue où tu tentes de trouver le commissariat dans un paysage dantesque, qui n'est plus qu'un immense chantier de travaux public...

L'année dernière, un client m'a appelée en catastrophe pour m'apprendre qu'il soupçonnait son débiteur d'organiser son insolvabilité. Il m'a demandé de bien vouloir mettre en place une procédure de saisie sur son navire (Oui. Un navire. Le type n'avait apparemment pas de compte en banque mais il avait un stupide bateau). J'ai cru que j'allais mourir ensevelie sous l'encyclopédie Jurisclasseur Huissiers de Justice et qu'on ne retrouverait mon corps qu'en septembre, quand Patron n°1 se rendrait compte que nos dossiers de postulation sont clôturés ou radiés les uns après les autres parce que personne n'a été demander de renvoi.

Au sujet de la pile-du-retour-de-vacances mystérieusement réévaluée à pile-de-départ-de-vacances fois deux, mes patrons me confirment l'existence d'une astuce, mais à l'effet rebond redoutable, qui consiste à repousser le mois de septembre au mois d'octobre. Ils disent : dis à ton amie d'embaucher un collaborateur et qu'il aille demander des renvois (ils n'ont pas du retenir que t'étais magistrate).

Que dit la Cour d'Appel ?

Re : PS : J'ai pas eu le temps de prendre de glace à Farandole-sur-Mer. Comme d'habitude dès que je me déplace à plus de 200 km de Framboisy, je tombe sur un bataillon de confrères parisiens qui me démontrent par a + b que compte tenu de la configuration du terrain, des mouvements de tectonique des plaques et de la courbure de la terre, Paris est plus éloigné de Farandole-sur-Mer que Framboisy, et ils me passent devant.


De : Dadouche à : Fantômette
le 21 juin à 00 h 12
Objet : Eurêka

Bon, à la Cour d'appel je suis tombée pendant la sieste (ils sont au chômage technique à cause du corporatisme-égoïste-des-avoués-qui-veulent-protéger-leur-monopole), personne n'a pu me renseigner.

Mais j'ai une autre idée : l'alcool.
On est un peu vieilles pour se lancer selon les critères ministériels, mais si je demande ma mut' à Reims et que tu poses ta plaque là bas, on devrait se dégoter un bon petit producteur de Champagne pour trinquer au mariage de Raymond Domenech et oublier le calendrier.

Au fait, bonnes vacances.


De : Fantômette à : Dadouche
le 21 juin à 00 h 54
Objet : sous les Palais la plage

Excellente idée. On m'a justement recommandé un petit producteur très bien - celui qui vient de décrocher le marché des cantines scolaires, tu en as peut-être entendu parler.

Bonnes vacances à toi. Je te rejoins dès que j'ai terminé de poser les jauges sur la pile de dossiers-à-voir-en-septembre.

samedi 21 juin 2008

Cachez moi ce despote que je ne saurais voir

Jacques Chirac a fait savoir qu'il boycotterait les cérémonies du 14 juillet, probablement à cause de la présence de Bachar Al-Assad, Satrape de Syrie.

Il est vrai que du temps de sa présidence, jamais il ne se serait permis d'accueillir un dictateur en France.

Au fait, c'était quoi, déjà, le nom de ce grand démocrate, reçu à Paris en février 2003 ?

Jacques Chirac sert la main à Robert Mugabe, lors du sommet Franco-Africain de Paris, en février 2003(Photo AFP)

Oh. Oups.


Mise à jour 23h37 : Il risque de faire frisquet, ce 14 juillet. La promotion de l'École Militaire Interarmes (EMIA) de Coëtquidan qui défilera sur les Champs-Élysées est baptisée Lieutenant de la Bâtie, du nom d'Antoine de la Bâtie, officier parachutiste mort à 28 ans lors de l'attentat contre le Drakkar, du nom de l'immeuble qui abritait les soldats français à Beyrouth, détruit lors d'un attentat suicide commis le 23 octobre 1983. Attentat commandité par le papa de notre nouvel ami au Moyen-Orient, qui avait fait 58 morts. C'est un pur hasard, le nom de la promo ayant été choisi il y a deux ans. Notons qu'Al Assad se tiendra à quelques dizaines de mètres de l'ambassade des États-Unis, qui a perdu le même jour dans un autre attentat du même type 248 Marines.

Oh, oui, qu'il va faire froid, ce matin là.

(Source)

vendredi 20 juin 2008

Brice l'Haruspice

Il m'épatera toujours.

Brice Hortefeux, notre Ministre de tout ce qui flotte (que ce soit dans notre cœur, en haut d'une hampe ou dans la Marne), annonce triomphalement que le nombre d'étranger clandestins a diminué de 8% en un an. Pas 7%, pas 9% : 8%.

Le nombre de clandestins. Peste. J'ignorais qu'on avait fait un recensement. Y a-t-il aussi un annuaire ?

J'adore quand le gouvernement annonce sans rire des résultats que nul ne peut vérifier : ils sont toujours à sa gloire, comme le monde est bien fait.

Mais il y a plus drôle encore : c'est quand il essaie de donner sa méthode pour sonder l'insondable.

Un chiffre qu'il obtient à partir de quatre indicateurs.

Il observe d'abord que le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat (AME), de septembre 2006 à mars 2008, a reculé de 6,2 %. Ensuite, le nombre de reconduites à la frontière s'est accru en un an, du 1er juin 2007 au 31 mai 2008, de 31 %, atteignant 29 729. Par ailleurs, sur la même période, 22 403 personnes ont été refoulées à l'entrée du territoire, soit une diminution de 3 %, "signe que notre politique de dissuasion commence à porter ses fruits". Enfin, 26 400 demandeurs d'asile ont été déboutés en 2007 contre 32 000 en 2006.

Mettez tous ça dans un marmite, ajoutez de la bave de crapaud mort d'insolation et trois feuilles de mandragore, laissez mijoter, et abracadabra : vous avez 8%, un beau chiffre, meilleur résultat “depuis une génération”, ajoute le ministre, qui décidément s'est dit que si on peut jouer du pipeau, on peut aussi bien jouer du tuba.

Parce que déduire de la baisse d'attributions de l'AME qu'il y a moins d'étrangers, c'est déjà audacieux en soi. On fera remarquer que la seule déduction qui peut en être faite est… qu'il y a moins d'étrangers qui la demandent, et que le fait de donner son nom et une adresse à une administration, dans le sain climat qui règne ces temps-ci a de quoi décourager même des étrangers bien malades. La peur est une explication tout aussi valable que l'absence. Et pour parler chiffres, l'AME, c'est 192.000 bénéficiaires. 6,2%, c'est 11.900 personnes. Ces 192.000 excluent les étrangers présents depuis moins de trois mois, ceux qui ne peuvent prouver trois mois de séjour (les SDF, par exemple) et ceux qui gagnent leur vie et payent des impôts (les salariés clandestins par exemple, et ceux qui travaillent avec la carte de séjour d'un autre).

En outre, le nombre de reconduites à la frontière aurait augmenté, et le nombre d'étrangers refoulés à la frontière aurait diminué. Que l'augmentation du nombre de reconduites fasse baisser le nombre de clandestins, je l'admets volontiers. Mais le fait qu'on refoule moins d'étrangers à la frontière peut aussi vouloir dire qu'il y en a plus qui entrent. Le nombre global d'étrangers se présentant à la frontière a-t-il diminué ? On ne le sait pas. Ce n'est cependant pas impossible car, il faut lui rendre cet hommage, la Police aux Frontières déploie en effet un zèle remarquable pour dissuader les étrangers de venir en France. Même les scientifiques. Même les touristes.

Le Monde a fait un remarquable travail en analysant la méthode de calcul des certains chiffres. La conclusion est impitoyable : Brice Hortefeux a gonflé les chiffres de l'immigration de travail. Méthode bien connue pour le chômage : si on ne peut changer la réalité, on change de formule de calcul.

Bref, ce n'est plus du tuba, c'est de la fanfare.

Mais bon, après tout ce n'est qu'une question de vase communiquant : on baisse artificiellement des chiffres pour en faire augmenter d'autres, ceux des sondages. Communication, tout n'est que communication. La preuve : notre président, quand il fait son mea culpa, reconnaît des erreurs… de communication. Et que dit l'entraîneur de l'équipe de France de football après une humiliante élimination, dernière de son groupe ? Qu'il a commis une erreur… je vous laisse compléter la phrase.

Après la rétroactivité d'application immédiate, l'inconstitutionnalité à effet différé

Le Conseil constitutionnel a validé hier la loi relative aux organismes génétiquement modifiés (décision n° 2008- 564 DC du 19 juin 2008). L'humanité vit donc ses dernières heures avant l'anéantissement, ce qui n'empêche pas le Conseil d'innover juste avant le Maïs de l'Apocalypse.

Première innovation : la Charte de l'Environnement, intégrée à la Constitution en mars 2005, a pleine valeur constitutionnelle, et s'impose donc au législateur :

Ces dispositions, comme l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, ont valeur constitutionnelle ; … elles s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif ; … dès lors, il incombe au Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 61 de la Constitution, de s'assurer que le législateur n'a pas méconnu le principe de précaution et a pris des mesures propres à garantir son respect par les autres autorités publiques. (§18)

Affirmation tempérée par le fait que ce principe de précaution n'est pas absolu (c'est à dire qu'il ne suppose pas la certitude de l'absence de tout risque, comme l'espéraient certains parlementaires) :

Le fait que les conditions techniques auxquelles sont soumises les cultures d'organismes génétiquement modifiés autorisés n'excluent pas la présence accidentelle de tels organismes dans d'autres productions, ne constitue pas une méconnaissance du principe de précaution. (§21)

Deuxième innovation, qui est une pure création du Conseil, est l'inconstitutionnalité à retardement, ou loi-Cendrillon.

Le Conseil a en effet décelé une inconstitutionnalité dans le texte qui lui était soumis : un renvoi à un décret en Conseil d'État pour fixer des règles (les informations du dossier constitué par l'exploitant d'OGM qui doivent être accessibles au public) alors que la Constitution confie à la loi seule le pouvoir de définir les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, et les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement. C'était de fait permettre au Gouvernement d'agir dans le domaine de la loi. C'est contraire à la Constitution. Enfin, pas tout de suite.

Car face à cette incompétence négative (le refus du législateur de légiférer, laissant ce fardeau au gouvernement), le Conseil se trouvait face à un dilemme. Il faut légiférer sur ce point, sinon la loi perd tout son sens. Annuler cette délégation anticonstitutionnelle ne suffit pas à régler la question, puisque ces règles doivent être posées par le pouvoir législatif.

Dès lors, la seule solution était de déclarer en l'état toute la loi contraire à la Constitution, pour l'empêcher d'entrer en vigueur tant qu'elle n'aura pas été à nouveau examinée par le législateur.

Ou d'improviser.

C'est cette deuxième voie qui a été choisie :

La déclaration immédiate d'inconstitutionnalité des dispositions contestées serait de nature à méconnaître une telle exigence (de transposition de directives européennes qui auraient dû l'être depuis longtemps, ça alors, la France, en retard ?) et à entraîner des conséquences manifestement excessives ; … dès lors, afin de permettre au législateur de procéder à la correction de l'incompétence négative constatée, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2009 les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. (§58)

Bref, cette loi est conforme à la Constitution jusqu'au douzième coup de minuit de la Saint Sylvestre ; après quoi, telle une loi-Cendrillon, elle deviendra… une citrouille ?

Sauf erreur de ma part, c'est une première.

À ma droite, on louera le pragmatisme du Conseil et son inventivité pour étendre ses capacités de décision (après l'invention des réserves d'interprétation qui sont des déclarations de conformité sous condition, voici la déclaration de conformité à durée déterminée, qui s'auto-détruira dans six mois), et applaudira cette décision qui évite d'envoyer au pilon une loi accouchée dans la douleur et permet au Gouvernement de faire l'économie d'un nouveau concours de lâcheté (non que les candidats manquent, cela dit), à charge pour lui de faire voter en vitesse un amendement (au pif, dans le projet de loi "responsabilité environnementale" qui arrive mardi prochain ? Je rejoins Authueil dans ses prédictions. ).

À ma gauche, on se scandalisera des libertés prises par la Conseil avec la Constitution, qui ne prévoit nulle part cette possibilité de “retenez-moi ou j'annule cette loi”, et y verront un cadeau fait au pouvoir en place, une annulation totale de la loi étant une gifle pour le Gouvernement, et aurait été immanquablement présenté par l'opposition comme une victoire contre les OGM, ce qui eût été une manipulation des faits, certes, mais politiquement exploitable ; un peu comme un non irlandais en somme.

En attendant, nos campagnes reverront bientôt refleurir le MON810. Ça tombe bien l'action n'a fait que +25% depuis le début de l'année (contre +111% sur un an), je me demandais si je ne devais pas vendre. Comme le Conseil constitutionnel, j'ai bien fait de différer.

Rebondissement dans l'affaire Placid

Piqûre de rappel ici.

La cour de cassation a cassé le 17 juin cet arrêt de la cour d'appel de Paris. Cette cassation ne concerne que l'éditeur et l'auteur, le dessinateur de la couverture, qui a donné son nom à cette affaire, ayant renoncé à se pourvoir en cassation.

Après avoir écarté trois arguments inefficaces (le refus de la cour de réentendre les témoins cités devant le tribunal, ce qui est effectivement autorisé par le Code de procédure pénale ; l'amnistie des faits alors que la loi d'amnistie de 2002 excluait ces faits du bénéfice de l'amnistie ; la diffamation n'aurait pas été assez caractérisée alors que la cour avait bel et bien relevé l'imputation de pratique à grande échelle de contrôles “au faciès”), la cour retient le quatrième, sur l'exception de bonne foi.

La cour de cassation rappelle d'abord le raisonnement de la cour d'appel : « l'arrêt, après avoir admis que l'auteur de l'ouvrage poursuivait un but légitime en informant les lecteurs de l'état de la législation régissant les contrôles d'identité et des droits des citoyens en cette matière, et qu'aucune animosité personnelle à l'égard de la police nationale n'était démontrée, retient que “les éléments versés aux débats par Michel S… et Clément X…, s'ils illustrent l'existence d'un débat sur la pratique des contrôles d'identité, n'établissent pas pour autant ni l'augmentation de pratiques discriminatoires en ce domaine, ni même la part très significative que représenteraient, selon ce passage, les pratiques illégales de la police, pratiques dont Clément X... lui-même prétend qu'il ne peut pas en rapporter la preuve, ni dès lors les chiffrer” ; que les juges ajoutent que les pièces produites “n'apportent aucun élément démontrant la réalité et l'ampleur du phénomène dénoncé” ».

Les choses ainsi posées, la cour de cassation pulvérise cet arrêt par un bref attendu : « en subordonnant le sérieux de l'enquête à la preuve de la vérité des faits, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ». Fermez le ban, et envoyons les parties respirer l'air frais de la Normandie pour y recevoir justice (l'affaire est renvoyée devant la superbe cour d'appel de Rouen, je conseille aux parties d'emporter avec elles leur appareil photo le jour de l'audience, le palais est un bijou, notamment la salle des pas perdus).

La cour d'appel s'est en effet un peu mélangé les pinceaux, en confondant l'exception de vérité et la bonne foi, qui ne suppose pas la preuve de la vérité des faits, mais la poursuite d'un but légitime, l'absence d'animosité personnelle, la prudence dans l'expression, et la possession d'éléments lui permettant de s'exprimer ainsi.

Placid doit-il se mordre les doigts de ne pas s'être pourvu ? Non, et, chers lecteurs vous aurez déjà deviné pourquoi. Sinon, relisez mon indispensable Blogueurs et Responsabilité Reloaded, vous avez un bon cas pratique.

Vous avez trouvé ? Hé oui : Placid était poursuivi pour injure, et non diffamation, et l'exception de bonne foi ne joue pas pour l'injure (seule la provocation excuse l'injure).

Et pour répondre à la dernière question que vous vous posez : oui, on en est bien à sept années de procédure pour 800 euros d'amende.

jeudi 19 juin 2008

Affaire du mariage annulé à Lille : l'exécution provisoire a été suspendue

Une brève (je suis charette, comme on dit) pour expliquer une info qui n'a guère d'importance en réalité : le premier président de la cour d'appel de Douai a suspendu l'exécution provisoire du jugement du tribunal de grande instance de Lille du 1er avril 2008 ; annulant le fameux mariage pour erreur du mari sur une qualité (pour lui) essentielle (ce que savait son épouse), ces parenthèses sont devenues hélas indispensables.

Explications : À la demande de l'épouse, j'insiste là dessus : à la demande de l'épouse, le jugement du 1er avril a été assorti de l'exécution provisoire, c'est-à-dire que le juge a ordonné qu'il soit exécuté même si une partie faisait appel.

Cette faculté est prévue par l'article 514 du Code de procédure civile (CPC), qui pose le principe que l'appel est suspensif de tout jugement, sauf ceux pour lesquels l'exécution provisoire a été ordonnée par le juge ou est de plein droit (par exemple, les ordonnances de référé[1], art. 489 du CPC). L'exécution provisoire signifie que le jugement doit être mis à exécution, même s'il y a appel.

Cependant, la partie qui succombe peut avoir de bonnes raisons de s'opposer à l'exécution provisoire, raisons qui en plus ont pu se révéler après que le jugement a été rendu. L'article 524 du CPC permet donc de saisir en référé le premier président de la cour d'appel pour qu'il suspende l'exécution provisoire en attendant que la cour d'appel statue sur le fond du litige. Ce “référé premier président” ne peut aboutir que dans les cas suivants, prévus à l'article 524 : si elle est interdite par la loi ou si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. Par exemple, vous avez été condamné à payer une somme à la société Untel S.A., mais vous avez de bonnes raisons de soupçonner que cette société va faire faillite : si vous la payiez et que vous gagniez votre appel, vous n'auriez aucune possibilité de récupérer cette somme indûment payée.

Dans notre affaire, pourquoi le tribunal a-t-il ordonné l'exécution provisoire ?

Ben… Parce que l'épouse, défenderesse, le demandait. Pour une fois que quelqu'un prêtait attention à ce qu'elle voulait, c'est ballot. L'épouse ayant exprimé son accord avec la demande du mari, le juge pensait, à raison, que ni le demandeur ni la défenderesse ne feraient appel de ce jugement leur donnant à tous deux satisfaction (il n'avait pas pensé au procureur général). Autant leur permettre de faire transcrire l'annulation du mariage le plus vite possible, sans même avoir à attendre les certificats de non appels ou l'échange des consentements, si on ose dire, sous la forme d'un acte d'acquiescement au jugement.

Et pourquoi le premier président de la cour d'appel a-t-il ordonné la suspension de l'exécution provisoire ?

Il l'a fait à la demande du parquet, qui a fait appel de cette décision dans les circonstances que l'on sait. L'argument est facile à deviner et est difficilement contestable : permettre la transcription de l'annulation permettrait aux époux de se remarier, au risque de voir le premier mariage rétabli si la cour d'appel fait droit à la demande du parquet. La situation ne serait pas « inextricable » comme le dit un magistrat cité par Le Monde (inextricable s'entendant au sens de : “difficile à expliquer en peu de mots”). Il faudrait dans cette hypothèse une nouvelle action en annulation de mariage, portant sur le second pour bigamie, mais cette fois ci la morale serait sauve, le fondement ne serait plus l'article 180 du Code civil mais l'article 147 du Code civil. Permettre un mariage potentiellement nul est une conséquence manifestement excessive. Il est temps qu'on signifie clairement à ces époux qui se croient on ne sait où que leur bonheur conjugal regarde la Nation toute entière.

Ce qu'il faut retenir est que cette décision ne préjuge absolument pas du fond, qui sera tranché en septembre, si les avoués le veulent bien. Enfin, c'est l'audience qui se tiendra le 22 septembre. L'arrêt sera plus probablement rendu en octobre-novembre. En attendant, le jugement reste valable, mais il est privé provisoirement d'effet.

Donc, de facto, nos mariés sont de nouveau mariés, avec les compliments de la République, qui fera leur bonheur de gré ou de force. Laissez le champagne au frais, quel que soit votre opinion du jugement, il est trop tôt pour le boire. Rendez-vous à la rentrée.

Notes

[1] Rappelons que les demandes en référé sont des demandes qui sont examinées dans un délai relativement bref par un juge unique, qui peut prendre des mesures provisoires, soit urgentes soit ne se heurtant à aucune difficulté ou contestation sérieuse, et ne préjugent pas de la décision sur le fond d'un litige.

mercredi 18 juin 2008

On n'a plus tous les jours trente ans

Ça y est, la loi sur la prescription en matière civile est au J.O. du jour. C'est, dans l'indifférence générale, une des plus importantes réformes du droit civil depuis l'adoption du Code civil qui vient d'entrer en vigueur. Et elle entre en vigueur demain.

Version : “les juristes parlent aux juristes”.

En matière mobilière et personnelle, le délai de prescription extinctive de droit commun passe à cinq ans, contre trente ans auparavant.

Les prescriptions particulières prévues par le Code civil sont ainsi modifiées :

— La responsabilité des avocats se prescrit par cinq ans (contre dix auparavant pour l'assistance en justice et trente pour le conseil : on va faire des économies en stockage d'archives). La prescription de deux ans pour nos émoluments disparaît : elle s'aligne sur la prescription quinquennale de droit commun. Art. 2225 nouveau du Code civil.

— La responsabilité pour dommage corporel (uniquement corporel) se prescrit par dix ans, vingt ans en cas de crime commis sur un mineur, du jour de la survenance du dommage. Oui, ce ne sont pas les mêmes règles pour la prescription de l'action publique, on va s'amuser. (art. 2226 nouveau)

— La prescription acquisitive de droit commun en matière immobilière reste à trente ans, l'imprescriptibilité extinctive est réaffirmée. Art. 2227 nouveau.

— La prescription acquisitive abrégée par vingt ans disparaît. Désormais, on usucape par trente ans, ou par dix ans en cas de possession de bonne foi et par juste titre.

— Enfin et surtout c'est un monument qui déménage. En fait de meubles, possession vaut titre, NOTRE en fait de meubles possession vaut titre n'est plus l'article 2279 du Code civil. Désormais, il sera l'article 2276. Vous, je ne sais pas, mais moi, j'ai l'impression de voir un ami d'enfance déménager. Même s'il ne va pas loin, ce ne sera plus jamais la même chose.

Version : les juristes parlent aux mékéskidis.

La prescription désigne le fait d'acquérir ou de perdre un droit en raison de l'écoulement d'un laps de temps. Si le droit s'éteint, on parle de prescription extinctive. Si on acquiert le droit, on parle de prescription acquisitive, ou usucapion, du latin usus capio, “je prends par l'usage”.

Depuis le Code civil de 1804, le délai de droit commun pour la prescription était de trente ans. Votre médecin vous ampute de la mauvaise jambe (ne riez pas, ça arrive), vous aviez trente ans pour lui faire savoir que non, ça ne vous en faisait pas une belle, de jambe. C'est la prescription extinctive. Si des squatteurs occupent pendant trente ans votre villa dans le Lubéron, au bout de trente ans, si vous n'avez rien fait, elle est à eux. C'est la prescription acquisitive.

En matière mobilière (tout bien meuble, c'est à dire que l'on peut déplacer : une table comme un animal), une autre règle s'applique : le possesseur de l'animal est présumé en être le propriétaire. C'est le sens de la formule en fait de meubles, possession vaut titre, cauchemar des étudiants de 1re année de droit.

Je vous fais grâce de la définition de la possession, qui est autre chose que le fait d'avoir la chose dans la main. Les plus curieux peuvent se référer à l'entrée correspondante de l'indispensable dictionnaire du droit privé.

À partir de demain, les droits s'éteindront au bout d'un délai d'inaction de cinq ans.

À qui cela bénéficie-t-il ?

Certainement pas au citoyen lambda. Une longue prescription le protège au contraire, lui donnant le temps de réagir, de rechercher les preuves de son droit, de ne plus être sous influence. Ce sont tous les notables et professionnels qui se frottent les mains : médecins, avocats, notaires, chefs d'entreprises et mandataires sociaux, dont les activités les exposent à engager leur responsabilité personnelle (et c'est d'ailleurs ce qui justifiait en partie des traitements pouvant paraître démesurés : il sera intéressant d'observer l'évolution des rémunérations des grands chefs d'entreprise après ça : on parie qu'ils ne vont pas baisser pour autant ?).

Notons, on n'est jamais mieux servi que par soi-même, que les règles de prescription concernant l'État sont inchangées : si vous ne payez pas un impôt, c'est pendant dix six ans que l'État pourra vous le réclamer[1].

Cette évolution est d'ailleurs symbolique d'un changement de valeur de la société que je trouve préoccupant.

Lors de la naissance du droit français moderne, au début du XIXe siècle, la principale action de l'État sur les citoyens, outre l'action fiscale, était l'action pénale. Or l'État, estimant que le trouble à l'ordre public finit par s'éteindre avec le temps, avait fixé des délais de prescription assez courts : un an pour les contraventions, trois ans pour les délits, dix ans pour les crimes. Les actions des citoyens, en revanche, étaient protégées par la loi car c'était les droits des individus qui étaient concernés : dans le doute, c'était trente ans.

Or un mouvement récent tend à allonger le délai pendant lequel l'État peut poursuivre une infraction. Les crimes contre l'humanité ont été déclarés imprescriptibles, même si l'affaire Boudarel a révélé que cela ne pouvait s'appliquer, pour les faits antérieurs au 1er mars 1994, qu'aux crimes commis par les puissances de l'Axe, et non aux crimes contre l'humanité commis au nom du communisme, par exemple[2]. La prescription des crimes sur mineurs a été rallongée en 1998 pour être fixée en 2004 à vingt ans, à compter de la majorité de leur victime, c'est à dire jusqu'au jour de ses trente huit ans. Pour les délits, il a été porté à dix ans à compter de la majorité pour les mineurs, et à vingt ans à compter de la majorité pour certains délits comme, les agressions sexuelles, mais aussi tenez-vous bien, les violences ayant entraîné plus de huit jours d'incapacité totale de travail (vous vous souvenez de Thomas, qui vous a poussé dans les escaliers en 6e, vous vous étiez fait une entorse : faites-vous plaisir, faites-le citer devant le juge des enfants pour vos 37 ans), ou l'atteinte sexuelle sans violence ni contrainte ni surprise (vous vous souvenez de Julien, 18 ans, qui au Camping du Beau Rivage, vous avait embrassé quand vous aviez quatorze ans ? Il vous a mis la main aux fesses et vous a plaqué quand vous lui avez dit non ? Citez-le en correctionnelle pour vos 37 ans, vous aurez de ses nouvelles, comme ça, et il sera inscrit au FIJAIS comme délinquant sexuel à 41 ans après une vie sans histoire, il devra aller pointer chaque année au commissariat, imaginez la tête de son épouse et ses enfants, quelle douce vengeance…).

Bref, alors que sous Napoléon, que nul n'accusera d'avoir traité à la légère les intérêts de l'État, l'action du citoyen était mieux protégée que celle de l'État, c'est à un renversement des valeurs que nous assistons, dans une société se disant pourtant libérale (oui, Bertrand, au sens politique, bien sûr). À tel point d'ailleurs que dans certains cas, l'État garde le pouvoir de poursuivre alors même que la victime a perdu ce pouvoir par la prescription (cas des violences sur mineurs, l'action de la victime s'éteindra le jour de ses 28 ans, alors que l'État peut poursuivre l'auteur des coups jusqu'aux 38 ans de la victime, quand bien même elle aura perdu le droit de réclamer réparation). À croire que c'est l'État qui est la vraie victime, comme si au fond, le corps de ses citoyens lui appartenait plus qu'à eux-même.

J'exagère ? Vraiment ? Rapprochez cela d'infractions comme le défaut de port de la ceinture de sécurité ou de défaut de casque à moto, qui est une infraction qui ne peut faire de mal… qu'à celui qui le commet. Idem pour la consommation de stupéfiants, quand ces substances sont produites par leur propre consommateur. Se ruiner la santé, est-ce un délit contre la chose publique ?

Napoléon ne l'aurait même pas rêvé, nous l'avons fait. Ça vaudrait parfois le coup de s'interroger, non ?

Mais je m'égare, terminons-en avec la prescription.

Quelles sont les règles d'entrée en vigueur ?

Pour les prescriptions extinctives en cours, on distingue deux hypothèses.

1°) Les prescriptions auxquelles il reste moins de cinq ans à courir.

Pas de changement : elles se prescriront à la date initialement prévue.

2°) Les prescriptions en cours auxquelles il reste plus de cinq ans à courir.

Un nouveau délai de prescription de cinq ans partira à compter de l'entrée en vigueur de la loi.

Exemples : Une action se prescrit par trente ans depuis le 1er janvier 1980 : date d'exctinction le 1er janvier 2010, elle reste inchangée. Une action se precrit par trente ans depuis le 1er janvier 2000, date d'extinction le 1er janvier 2030. Un nouveau délai de cinq ans courra à partir du 19 juin 2008, extinction le 19 juin 2013.

C'est à dire que le 19 juin 2013, c'est 25 années de prescription qui vont tomber le même jour. Chers confrères, révisez vos dossiers, l'année 2013 risque sinon de coûter bonbon à notre assureur. Merci pour lui.

Pour mémoire, la prescription par trois mois en matière de presse est inchangée.

Notes

[1] En fait, six ans en cas de défaut de déclaration, et trois ans en cas de déclaration inexacte.

[2] Crim., 1er avril 1993, Boudarel, bull. crim. n°143

Les avoués anticipent leur disparition…

… en cessant d'exercer leurs fonctions.

La chambre nationale des avoués a annoncé, lors d'une conférence de presse qui s'est tenue hier, que les avoués “cesseraient d'apporter leur concours au bon fonctionnement de la justice” et ce dès aujourd'hui.

Pour bien connaître et (donc, ajouterais-je) apprécier les avoués, je rends hommage à leur rigueur, même dans la colère : le mot grève, qui serait ici totalement abusif, est soigneusement évité. Si une chose devait résumer les avoués, c'est bien ça.

Une chose qui surprendra ceux qui les connaissent est la violence du communiqué, hélas introuvable à un format numérique (le site de la chambre nationale a comme dernière actualité un avis du 10 avril annonçant les épreuves orales de l'examen d'aptitude aux fonctions d'avoués pour le 20 novembre prochain…). Les avoués accusent directement le Garde des Sceaux de mentir, d'agir de manière irréfléchie, de faire preuve d'inconséquence, et de mépris à leur égard. Oui, je sais, ça fera rire dans les cités de Seine Saint Denis, mais de la part d'une profession qui a fait de la délicatesse et du tact une de leur plus hautes vertus, je vous assure qu'on a jamais vu cela de mémoire d'avocat.

Si le mouvement est suivi, c'est toute la procédure d'appel en matière civile et commerciale (y compris de référé) qui menace d'être paralysée : sans avoué, une procédure ne peut avancer, hormis les dossiers d'ores et déjà en état d'être plaidés. Les affaires sociales et surtout pénales, qui sont dispensées du ministère d'avoué, ne sont pas affectées.

Ça donne quoi, dans vos cours d'appel respectives ?

mardi 17 juin 2008

Devine qui rentre à la maison ce soir ?

La France renoue avec son glorieux passé de campagnes éclairs, et a décidé unilatéralement de mettre fin à sa participation à l'Euro 2008.

Drapeau Français

Le drapeau français est tricolore, bleu, blanc et rouge, de proportion 2:3, aux trois bandes égales. C'est la Constitution qui le consacre comme symbole de la République, article 2. Depuis la loi du 18 mars 2003, l'outrage au drapeau au cours d'une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques est puni de 7500 euros d'amende, et de 6 mois d'emprisonnement et 7500 euros d'amende s'il est commis en réunion. Le parquet enquête pour savoir si la prestation de l'équipe de France ne constitue pas un tel outrage… Ce délit n'a à ma connaissance jamais été poursuivi, ce qui pour notre amie Véronique indiquera que cette loi a été rudement utile et efficace, je suppose.

Si le drapeau tricolore s'est très vite répandu, son origine exacte est méconnue. La version la plus couramment acceptée est que le rouge et le bleu sont les couleurs de Paris insurgée, auxquelles Lafayette a ajouté le blanc royal, pour tenter de réconcilier la Révolution et la Royauté. Une autre interprétation est que les trois couleurs de taille égales symbolisent la devise de la République : liberté, égalité, fraternité, ou les trois ordres de l'ancien régime. La théorie de la devise est battue en brèche par le pavillon français, où la bande rouge est plus large que la bande blanche qui est plus large que la bande bleue (cf. ci-contre).Pavillon français 

Le drapeau tricolore a succédé au drapeau blanc sur champ de fleur de lys, drapeau de l'ancien régime, et au pavillon blanc, symbole de la Royale. Drapeau blanc au champ de lys

C'est à ce drapeau que nous devons de vivre en République. En effet, aux débuts de la IIIe république, après la chute du Second Empire, un gouvernement d'Union nationale a été proclamé. Léon Gambetta en a profité pour proclamer la République aux Tuileries le 4 septembre 1870. Mais aux élections du 8 février 1871, les royalistes sont largement majoritaires (400 sièges contre 200 républicains et 30 bonapartistes) à la première chambre des députés. Mais ils sont divisés en deux camps irréconciliables : les légitimistes (180 députés) d'un côté, qui veulent rétablir sur le trône le descendant des Bourbons, Henri d'Artois, duc de Bordeaux, comte de Chambord, et les orléanistes, qui veulent continuer la dynastie inaugurée par Louis-Philippe Ier, roi des Français, en la personne de Philippe D'Orléans, Comte de Paris. Les royalistes sont trop heureux de laisser Thiers s'occuper du sale travail : négocier la capitulation, écraser la Commune de Paris.

Les deux camps tentent une fusion, qui échouera en décembre 1871 face à l'intransigeance du comte de Chambord qui refusera de recevoir le comte de Paris et proclamera son attachement au drapeau blanc :

La France m'appellera et je viendrai à elle tout entier avec mon dévouement, mon principe et mon drapeau. (…) Non, je ne laisserai pas arracher de mes mains l'étendard d'Henri IV, de François Ier et de Jeanne d'Arc. C'est avec lui que s'est faite l'unité nationale ; c'est avec lui que vos pères, conduits par les miens, ont conquis cette Alsace et cette Lorraine dont la fidélité sera la consolation de nos malheurs. (…) Je l'ai reçu comme un dépôt sacré du vieux roi, mon aïeul, mourant en exil ; il a toujours été pour moi l'inséparable souvenir de la patrie absente ; il a flotté sur mon berceau, je veux qu'il ombrage ma tombe. Dans les plis glorieux de cet étendard sans tache, je vous apporterai l'ordre et la liberté. Français, Henri V ne peut abandonner le drapeau blanc d'Henri IV. »

Drapeau que ni les Républicains ni les Orléanistes ne peuvent accepter (Louis-Philippe avait adopté le drapeau tricolore). Et voilà le retour de la monarchie retardé. Aux élections suivantes, les républicains gagnent 99 sièges. Les bonapartistes se rallient aux monarchistes pour contrer la menace républicaine. Thiers a laissé la place à Mac Mahon comme président de la République, qui ne cache pas que sa seule ambition est d'occuper le poste jusqu'à ce qu'un roi lui demande de le quitter. Mais une nouvelle tentative de rapprochement des deux camps royalistes échoue à nouveau sur l'exigence du drapeau blanc. Les royalistes vont alors décider de temporiser en attendant très cyniquement la mort du comte de Chambord. Ils vont donc voter une loi qui va fixer à sept ans la durée du mandat présidentiel, durée supérieure à l'espérance de vie estimée du comte. Vous voyez donc que le septennat avait une origine monarchiste…

Mais rien n'y fera : le camp républicain progressera et, victime de leur désunion, les royalistes laissent passer la loi qui proclame définitivement la République le 30 janvier 1875 (amendement Wallon) à une voix près, et aux élections de 1876, les royalistes sont balayés (323 sièges aux républicains, 40 aux orléanistes, 24 aux légitimistes, et 74 aux bonapartistes).

Les couleurs que nous utilisons actuellement ne sont pas tout à fait celles d'origine : elles ont été éclaircies lors de la présidence de Valéry Giscard d'Estaing (mais j'avoue ne pas avoir retrouvé les textes officiels sur la question).

Ironie de l'histoire, les trois pays qui ont partagé notre groupe ont tous un drapeau qui doit quelque chose au nôtre : la Roumanie a un drapeau s'inspirant du nôtre (le blanc est remplacé par l'or, symbole de prospérité et des champs de blé roumains), l'Italie également, et le drapeau des Pays-Bas a remplacé l'Orange de la famille royale par le rouge lors de l'occupation française de 1794, et l'a conservé car il est plus visible en mer (et les Néerlandais sont un peuple de marins s'il en est).

Allez, vivement le Tournoi des Six Nations.

Images wikipédia.

lundi 16 juin 2008

Merci Bernard

Par Dadouche



Rachida Dati était ce matin l'invitée du 7/10 de France Inter, où elle a répondu aux questions d'auditeurs (après avoir peu répondu à celles de Nicolas Demorand).

A 8 h 48, Bernard, de l'Eure, lui a tenu à peu près ce langage : "pourquoi cet acharnement contre les jeunes ? L'aménagement de la majorité pénale, le nouvelle révision de l'ordonnance de 45, la multiplication des CEF, la construction d'EPM qui sont pleins à peine terminés de construire... N'est-ce pas là qu'il faut donner la priorité à la réinsertion ?

Dans la réponse de la Ministre, les informations suivantes, qu'il ne paraît pas inutile de compléter :

-il n'y a aucune surpopulation carcérale des mineurs

C'est vrai (au plan national, parce que localement ça dépend où).
Encore heureux, compte tenu du nombre de places ouvertes cette année. En effet, 4 établissements pénitentiaires pour mineurs ont été ouverts, chacun d'une capacité d'environ 60 places.

- depuis un an le nombre de mineurs détenus a diminué de près de 4 %

Si l'on observe ici les dernières statistiques mensuelles relatives aux mineurs écroués, on constate que le nombre de mineurs détenus a oscillé entre 600 et 825 durant les deux dernières années. Au 1er mai 2008, ils étaient 771, soit dans la moyenne. Au 1er mai 2007, ils étaient 712.

- la plupart des mineurs considérés comme primo-délinquants, quand ils sont jugés pour la première fois, ont en réalité déjà commis des infractions, majoritairement 20, 30 ou 40 affaires.

J'aimerais connaître les statistiques qui permettent cette affirmation, qui contredit complètement l'expérience de nombreux juges des enfants. Les Parquets n'ont pas attendu la circulaire prise en 2007 par Mme la Ministre pour poursuivre les mineurs auteurs d'infractions pénales.
J'ai pris mes fonctions de juge des enfants en 2006 et, dans la juridiction où j'exerce, les mineurs étaient déjà systématiquement poursuivis s'ils avaient déjà fait l'objet d'une ou deux mesures alternatives, voire immédiatement pour les faits d'atteintes aux personnes.

- le taux de réponse pénale [1] est passé de 87 à 92 % depuis 1 an.

C'est vrai. Et ça ne fait que suivre l'évolution constatée depuis plusieurs années.
On apprend en effet dans l'annuaire statistique de la justice 2007 que ce taux a progressé pour les mineurs de 77, 1 % en 2001 à 85, 5 % en 2005.
Précisons que dans le même temps le taux de réponse pénale général (majeurs et mineurs confondus) est passé de 67, 3 à 77,9 %.

- la délinquance des mineurs a diminué depuis 1 an, parce que dès la première infraction il y a une réponse.

En valeur absolue, le nombre d'affaires poursuivables impliquant des mineurs a augmenté entre 2001 et 2006, passant de 139 579 à 148 592.
Mais dans le même temps, la part des mineurs dans la délinquance n'a cessé de diminuer, passant de 10,5 % en 2001 à 9,7 % en 2006, comme on l'apprend dans le passionnant rapport de l'Assemblée Nationale sur l'exécution des décisions pénales concernant les mineurs.
Que les plus matheux d'entre vous me corrigent si je me trompe, mais cela signifie me semble-t-il que la délinquance des mineurs, et ce depuis plusieurs années, progresse moins vite que la délinquance des majeurs.

Si on rajoute une autre variable, celle de la part d'affaires poursuivables dans le nombre d'affaires traitées chaque année par les parquets, qui ne fait que croître (26, 9 % en 2001, 30,2 % en 2005) notamment grâce à un meilleur taux d'élucidation, on a le sentiment que la délinquance n'augmentait pas tant que ça, notamment celle des mineurs.

Encore faut-il définir ce que l'on entend par "réponse". Là encore, le très fouillé rapport de l'Assemblée Nationale sur l'exécution des décisions pénales concernant les mineurs démontre qu'aucune évaluation qualitative de l'effet de cette réponse n'est actuellement possible. La réponse ne peut pas simplement consister à passer devant le juge et attendre 2 mois que la mesure éducative décidée soit mise en place. Mais c'est un autre débat...

- les mineurs qui sont dans les CEF ne sont pas des enfants comme on peut les imaginer dans l'inconscient des uns et des autres mais ont pour la plupart commis des actes de nature criminelle

D'après les chiffres de l'édifiant rapport de l'Assemblée Nationale sur l'exécution des décisions pénales concernant les mineurs, 722 mineurs ont été pris en charge dans des CEF en 2006. La même année, 729 mineurs ont été incarcérés.
Sachant que ce sont environ 500 mineurs qui sont chaque année condamnés pour crime en France (529 en 2005), que ceux poursuivis pour les crimes les plus graves sont incarcérés et que bon nombre de ceux qui restent ne font pas l'objet d'un placement en CEF , peut on raisonnablement soutenir que la majorité des mineurs placés en CEF le sont à la suite d'actes criminels ?
Non. Cela contredit par ailleurs complètement mon expérience de terrain : parmi tous les mineurs que je suis qui ont eu à séjourner dans un CEF, aucun n'avait commis de faits criminels. La grande majorité sont en réalité des multiréitérants de délits du type extorsion, vol avec violences, violences aggravées, trafic de stupéfiants etc...
Il y a dans les CEF des mineurs poursuivis pour des actes criminels. Ce ne sont pas "la plupart" des mineurs placés dans ces établissements.

- la plupart des mineurs pris en charge dans les CEF sont alcooliques depuis l'âge de 8 ans ou 11 ans

Bon ben là, je ne sais pas quoi dire, les bras m'en sont tombés (il faut dire qu'ils ne tenaient déjà plus très bien après tout ça)...
De nombreux mineurs (et pas que des délinquants) ont des consommations abusives d'alcool et de toxiques. Le rapport de la Défenseure des Enfants "Adolescents en souffrance : plaidoyer pour une véritable prise en charge" fait ainsi état des statistiques suivantes : 22 % des 15-16 ans consomment du cannabis une fois par mois ; à 15 ans un jeune sur trois déclare avoir déjà été ivre ; 28 % des 15-19 ans disent avoir été ivres quatre fois dans l'année ; 30 à 40 % des premières relations sexuelles ont lieu sous alcoolisation.

Là encore, je ne peux faire état que de mon expérience personnelle (cela dit, des mineurs délinquants, je pense que j'en ai croisé plus que la Ministre), mais si effectivement de nombreux mineurs placés en CEF ont des consommations d'alcool et de toxiques, parler d'alcoolisme dès 8 ou 11 ans pour la plupart d'entre eux me paraît une généralisation pour le moins surprenante.

En cette saison du bac, c'était mon commentaire composé de la parole ministérielle.
Sujet de philo de l'année prochaine : "Peut-on croire n'importe qui ou dire n'importe quoi ?"

Merci Bernard (de l'Eure).

Notes

[1] rapport entre le nombre d'affaires effectivement poursuivies ou faisant l'objet d'une alternative aux poursuites et celui des affaires poursuivables, c'est à dire des infractions pénales caractérisées dont l'auteur a été identifié

Nouveau prix Busiris à Rachida Dati

S'il fallait un récidiviste du prix Busiris, ça ne pouvait être qu'elle : madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, reçoit ce jour un deuxième prix Burisis, qui lui aurait échappé l'Académie n'eût-elle été particulièrement vigilante. Rachida Dati, cachant avec difficulté sa fierté pour sa deuxième récompense.

Après plusieurs jours de débats bien arrosés acharnés, l'Académie lui décerne ce deuxième prix pour avoir tenu, sur l'intranet du ministère de la justice, donc inaccessible au public, EDIT : lors de la réception des intervenants du procès Fourniret les propos suivants :

« La loi sur les peines planchers a déjà été appliquée : 9250 décisions ont été rendues par les tribunaux, c'est la preuve que cette loi était nécessaire et attendue ».

Rappelons que le principe posé par cette loi est qu'en cas de récidive, une peine plancher (de un à quatre ans pour les délits selon leur gravité) s'applique automatiquement et s'impose au juge, sauf à ce qu'il motive, c'est à dire explique, sa décision de ne pas y recourir, cette motivation ne pouvant selon la loi que porter sur les circonstances de l'infraction, la personnalité de son auteur ou les garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci. En cas de deuxième récidive, le juge ne peut écarter l'application des peines plancher que si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion, garanties qu'il doit expliciter dans son jugement (art. 131-19-1 du code pénal).

Tout d'abord, le caractère juridiquement aberrant saute aux yeux : le fait qu'une loi prévoyant une peine automatique et s'imposant au juge est appliquée n'est pas la preuve que celle-ci était « nécessaire et attendue » : c'est au mieux la preuve… qu'elle est automatique et s'impose au juge. Ce d'autant qu'avant la loi sur les peines plancher, aucun obstacle juridique n'empêchait les juges de prononcer des peines égales voire supérieures à ce plancher.

Voyons à présent le caractère contradictoire et la mauvaise foi.

D'après l'annuaire statistique de la justice, chaque année, c'est un peu plus de 50.000 délits qui sont jugées en état de récidive[1]. C'est à dire que la récidive est mentionnée dans la citation en justice du prévenu, ou que le juge décide au cours des débats de relever cet état s'il n'était pas mentionné dans la citation (ce qui arrive fréquemment, l'extrait de casier judiciaire n'étant généralement commandé qu'au moment de la comparution devant le tribunal). Ce chiffre de 50.000 ne tient donc pas compte des prévenus en état de récidive pour lesquels cette circonstance aggravante n'a pas été mentionnée.

La loi sur les peines planchers est en vigueur depuis 10 mois. Au prorata temporis, c'est environ 42.000 décisions portant sur des délits commis en état de récidive qui ont dû être jugés (c'est sûrement plus, les mois de juillet et août connaissant une baisse d'activité, seules les comparutions immédiates et les procédures urgentes ou soumises à délai étant jugées). Sur ces 42.000 affaires, 9.250 ont vu l'application de la loi sur les peines plancher, soit de l'ordre de 22%.

Donc la loi sur les peines plancher, voulue automatique et s'imposant au juge, ne s'applique que dans à peine 20% des cas où elle est censée l'être. Bref, écarter la peine plancher est devenu le principe, et l'appliquer l'exception (état de fait confirmé par mes impressions de prétoire, Fantômette ayant également ce sentiment, mais nous reconnaissons le caractère non scientifique de l'Eolassomètre® et du Pifafantômètre™). Faire de ce qui devrait être un constat d'échec un bilan triomphal démontrant que la loi était « nécessaire et attendue » est contradictoire et caractéristique de la mauvaise foi.

Enfin, faire ce bilan volontairement triomphal d'une année de son, heu… activité, appelons ça comme cela, à la Chancellerie au mépris de la réalité des faits, alors même qu'elle semble perdre le soutien de son seul et unique protecteur, le président de la République, caractérise le mobile d'opportunité politique dit de “danse du ventre”.

Ajoutons à cela la circonstance aggravante de récidive, qui, on ne cesse de nous le répéter, doit faire l'objet d'un traitement sans faiblesse, et voici un prix qui, décidément, a trouvé en la personne du garde des sceaux une deuxième famille.

L'Académie présente toutes ses félicitations à la récipiendaire.

Notes

[1] Je ne tiens pas compte des crimes commis en état de récidive, la loi ne s'applique qu'aux crimes commis à partir du 12 août 2007, et les délais de procédure font qu'aucun de ces crimes n'a été jugé à ce jour.

vendredi 13 juin 2008

Avis de Berryer : Philippe Chevallier

Peuple de Berryer, sèche tes larmes irlandaises, et viens t'esbaudir au palais ! Et un vendredi, par dessus le (libre) marché, si tu habites par quelque idée saugrenue hors du ressort de notre bien-aimé tribunal. Philippe Chevallier

La prochaine conférence BERRYER aura lieu le vendredi 27 juin à 21h15, l'invité sera Monsieur Philippe CHEVALLIER comédien.

Monsieur Jean François Pédinelli, 7ème secrétaire, se chargera du rapport.

Deux sujets seront proposés aux candidats :

1er Sujet : Un chevalier surgit il hors de la nuit?

2ème Sujet, qui pourrait être un de mes titres de billet, mais je ne sais si c'est un compliment : peut-on être un chevalier hélas pas leste?

Je vous rappelle que les réservations ne sont pas possibles et qu’il est préférable d’arriver de bonne heure, compte tenu de nombre très limité de places assises.

Reddition

Un petit mot à tous mes lecteurs, un peu en forme de capitulation, je le crains.

Depuis quatre ans, ce blog connaît un succès croissant et constant. De plus, il connaît de temps en temps des pics d'audience, qui, s'ils retombent rapidement, ne retombent jamais au même niveau qu'avant, signe que des lecteurs attirés par un événement ponctuel se plaisent et restent.

J'en suis ravi, mais depuis l'affaire du mariage annulé, un cap a été franchi. Outre des billets à 1500 (j'ai fermé les commentaires à ce chiffre), 700, 400 commentaires (le précédent record était à 370 environ), quasiment plus aucun ne reçoit moins de 100 notules.

Je m'efforce de tous les lire et, pour participer à la discussion qui se crée ainsi, qui est parfois plus intéressante que le billet, d'y répondre par insertion dans le commentaire.

Mais c'est désormais impossible face à un tel volume de commentaires, sauf à consacrer à ce blog un temps tel que cela nuirait à ma pratique ; et de cela il n'est pas question.

Je vous demande donc de me pardonner de ne pouvoir vous répondre à tous et de devoir donner l'impression d'abandonner une discussion en plein milieu. Comprenez que tous les billets vivant simultanément, quand je reviens d'une audience, c'est par dizaines que se comptent les messages à lire, quand ce n'est pas au-delà de la centaine. Et j'ai une épouse et des procureurs qui se languissent tous de moi et me le font sentir, chacun à leur façon (et je ne sais lesquelles des deux convocations sont les plus dirimantes).

Ma vigilance s'en ressent aussi, et si vous estimez qu'un commentaire n'est pas à sa place, n'hésitez pas à me le signaler via ce formulaire.

Mes excuses vont tout particulièrement aux nonistes venus se faire fesser sous mes billets sur l'Europe : je ne puis satisfaire tout le monde et en suis fort marri.

Je ne suis qu'un homme.

Référendum irlandais : premiers résultats en faveur du Níl

La participation a été plutôt faible hier, de l'ordre de 50% des trois millions d'électeurs sont allés voter.

Les premiers résultats (à prendre avec des pincettes, tous les dépouillements n'avaient pas commencé lors de la publication de ces chiffres et portent sur un faible nombre de bulletins) sont les suivants : sur Dublin, 60% pour le non, 40% pour le oui (dans les quatre districts, Sud-Ouest, Nord-Ouest, Central et Nord-Est). Dublin sud-est est encore plus en faveur du non, c'est de l'ordre de 70%. Limerick publie une première tendance à 59-41.

Tipperary Sud est pour le oui, mais à 50,3% : c'est un long chemin à parcourir. Tipperary nord est à 50-50.

Galway Ouest est à 56% pour le non. Galway Est est à 50-50. Mayo penche pour le oui à 60%.

Sligo-Leitrim est à 66% pour le non, Roscommon-Sud Leitrim à 55%, Donegal Sud-Ouest à 55% aussi, Donegal Nord-Est à 63%. La tendance est donc généralisée.

Les nonistes peuvent mettre le champagne au frais pour aller trinquer avec leur nouveaux amis anti-avortement. On a les amis qu'on peut.

La crise institutionnelle n'est pas finie, semble-t-il.


EDIT 15h00 Mon avant-dernière phrase (« Les nonistes peuvent mettre le champagne au frais pour aller trinquer avec leur nouveaux amis anti-avortement. On a les amis qu'on peut. ») a provoqué des réactions étonnées, disant que de tels propos n'étaient pas dignes de moi. Ma tête ayant un peu refroidi, et après une relecture distanciée, je dois reconnaître que c'est exact et que je me suis un peu laissé emporter par ma déception face au probable succès du Non en Irlande.

Je retire ces propos, et présente mes excuses aux partisans de l'avortement que j'aurais insulté par mes propos maladroits. Je respecte votre combat, même si je ne le partage pas ; vous ne méritez pas d'être ainsi traités.

jeudi 12 juin 2008

En V.O. pour le moment

Billet rapide pour mes lecteurs anglophones. Mais c'est tellement beau et tout frais, je ne veux pas vous en priver.

(…)Our basic charter cannot be contracted away like this. The Constitution grants Congress and the President the power to acquire, dispose of, and govern territory, not the power to decide when and where its terms apply. Even when the United States acts outside its borders, its powers are not “absolute and unlimited” but are subject “to such restrictions as are expressed in the Constitution.”

(…) Because our Nation’s past military conflicts have been of limited duration, it has been possible to leave the outer boundaries of war powers undefined. If, as some fear, terrorism continues to pose dangerous threats to us for years to come, the Court might not have this luxury. This result is not inevitable, however. The political branches, consistent with their independent obligations to interpret and uphold the Constitution, can engage in a genuine debate about how best to preserve constitutional values while protecting the Nation from terrorism. (…).

(…)We hold that petitioners may invoke the fundamental procedural protections of habeas corpus. The laws and Constitution are designed to survive, and remain in force, in extraordinary times. Liberty and security can be reconciled; and in our system they are reconciled within the framework of the law. The Framers decided that habeas corpus, a right of first importance, must be a part of that framework, a part of that law.

The determination by the Court of Appeals that the Suspension Clause and its protections are inapplicable to petitioners was in error. The judgment of the Court of Appeals is reversed. The cases are remanded to the Court of Appeals with instructions that it remand the cases to the District Court for proceedings consistent with this opinion.

It is so ordered.

Supreme Court Of The United States, 553 U. S. (2008), Boumediene v. Bush, 12 juin 2008. (PDF)

Pollution

Ça commence à devenir irrespirable, Paris. On avait déjà eu droit à Khadafi, aux services secrets chinois, et maintenant, lui ça, et avec les honneurs en prime. Ah, ça, le parti Baas ne peut pas nous compter parmi ses ennemis.

Le rapport Lamanda publié

C'est sur le site de la Documentation Française.

Rapport Lamanda.

Merci qui ? Merci Aliocha !

L'Europe a-t-elle imposé la semaine de 65 heures ?

C'est ce que ne craint pas d'affirmer l'Humanité à la Une. Une de l'Humanité du 10 juin 2008 : L'Europe vote la semaine de 65 heures ! Sous mon billet allusif au référendum irlandais qui se tient aujourd'hui (fingers crossed), quelques nonistes ont repris l'antienne de l'Europe fossoyeuse des droits sociaux, quitte à m'interpeller en Espagnol :

[¿] creo que ent[i]ende el castellano, que piensa usted de este art[í]culo? no [h]e encontrado ning[ú]n articulo en Le Monde [ó] Le Figaro.[1] On ne doit pas faire peur à populace?

El Gobierno califica la jornada de 65 horas de "agresión"

L'argument du «on nous cache tout on nous dit rien» a fait long feu, car Le Monde avait publié un article à ce sujet dans la langue de Molière 10 heures avant el grito escandalisado de mi nonisto. Pas grave. Quand on a raison, il ne faut pas se laisser décourager par les faits :

Il n'était placé ni en première page, ni en page Europe. Quant au second auquel il se réfère, daté de hier matin, il n'était pas visible en page Europe hier soir. Remarquez qu'aucun des articles n'est encore placé, (il est 13h41) en première page.

Puisqu'on vous dit que c'est un complot et qu'on vous cache tout, ne laissez pas une vulgaire publication dans un quotidien comme Le Monde vous faire changer d'avis : le peuple ne lit que la première page et le Sudoku, c'est pour ça que les nonistes pensent à sa place.

Et pendant cette démonstration du complot des élites médiatiques, la nouvelle principale, la semaine de 65 heures n'est pas discutée. Parlons plutôt de la minute de publication de l'article et du numéro de la page dans Le Monde, c'est bien plus intéressant. Vive les écrans de fumée.

Bon, arrêtons-là le noniste-bashing, si je m'écoutais, je ne ferais que ça du matin au soir tellement c'est drôle.

Alors, ce crime contre la démocratie et les 35 heures, cet assassinat de l'Europe sociale, cette victoire du dumping social, ça donne quoi en fait ?

Comme d'habitude en ce qui concerne le processus législatif européen, tous les documents sont disponibles, gratuitement. Encore faut-il aller les voir.

L'article 137 du traité instituant la Communauté Européenne prévoit que la Communauté soutient et complète l'action des États membres en vue d'améliorer le milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Parmi les objectifs de l'Union se trouvent la croissance et l'emploi. Oui, je sais, quelle horreur. Un plan quinquennal, appelé “agenda social” fixe régulièrement les axes de la politique sociale de l'Union. Le dernier agenda, adopté en 2006, a posé deux axes prioritaires : le plein-emploi et l'égalité des chances. Oui, c'est affreux.

Afin de favoriser la réalisation de ces objectifs tout en évitant une distorsion de la concurrence par du dumping social, l'UE fixe par voie de directive des normes minimales à respecter. Minimales, on ne parle pas d'harmonisation.

La dernière directive en date est la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Ce qui signifie que le projet a été adoptée en 2003, que c'est la 88e directive de cette année, qu'elle a été prise en application du Traité instituant la Communauté Européenne (nom actuel du Traité de Rome de 1957), et qu'elle a été adoptée selon la procédure de codécision, c'est à dire votée par les deux organes législatifs de l'Europe, le Conseil qui réunit les ministres compétents des 27 États membres (15 à l'époque) et le Parlement Européen.

Cette directive fixe un maximum du temps de travail hebdomadaire, heures supplémentaires comprises, à 48 heures ; plus exactement, elle reprend cette limite qui résultait d'une précédente directive de 1993 (93/104/CE). Elle a également instauré (art.3) un temps de repos minimum de onze heures entre deux périodes de travail que notre droit si progressiste ne connaissait pas (j'ai une copine qui travaillait à la Poste qui a dit merci à cette directive qui a mis fin à des journées qui finissait à minuit et reprenaient à 8 heures lors des changements de service de jour et de nuit). En tout état de cause, la directive précisait bien (art. 24) que :

Sans préjudice du droit des États membres de développer, eu égard à l'évolution de la situation, des dispositions législatives, réglementaires et contractuelles différentes dans le domaine du temps de travail, pour autant que les exigences minimales prévues dans la présente directive soient respectées, la mise en oeuvre de la présente directive ne constitue pas une justification valable pour la régression du niveau général de protection des travailleurs.

Bref : vous restez libre de vous organiser comme vous voulez, mais primo, vous respectez les normes minimales de cette directive, et deuzio, si votre législation actuelle est plus favorable pour les travailleurs, vous ne pouvez pas invoquer cette directive pour détériorer leur situation. Le dumping social de l'UE dans toute son horreur, le voilà.

Toutefois, l'Angleterre avait obtenu une clause d'opt-out (art. 22 de la directive) exemptant de cette durée hebdomadaire maximale en cas d'accord du salarié, le royaume de Sa Très Gracieuse Majesté ignorant cette barbarie continentale qu'est la durée maximale du travail.

L'UE est en train d'adopter la future directive qui remplacera celle de 2003. Cette procédure porte le nom de COD/2004/0209 : C'est une procédure de CODécision (vote du Conseil ET du parlement), lancée en 2004, c'est la 209e de l'année. La fiche Pre-Lex n'est pas à jour du Conseil du 10 juin au moment où j'écris ces lignes.

Le projet de directive a été adopté en première lecture par le parlement en mai 2005. Le Parlement a voté la suppression de la clause d'Opt-out.

Cependant, le Royaume-Uni a réussi à rallier à sa position des pays de l'Est, et le Conseil a rétabli sa clause d'Opt-out. Néanmoins, les pays opposés à cette clause d'exemption (parmi lesquels la France, l'Espagne, la Suède) ont obtenu que même en cas d'accord de dépassement des 48 heures posés par la directive, un maximum de 65 heures soit respecté, si le salarié donne son accord, et à condition que la loi garantisse que le salarié ne subira pas de préjudice sur sa carrière s'il ne donne pas son accord, qu'un registre soit tenu de ces périodes de travail et puisse être communiquées aux autorités à leur demande, et que la période de onze heures entre deux périodes de travail soit respectée. Le projet va repartir au Parlement européen (session de décembre 2008), ce qui promet des débats animés.

En outre, cette directive vise à tenir compte de deux arrêts de la CJCE : les arrêts SIMAP (2000) et Jaeger (2003), qui qualifiaient le temps de garde des médecins interne de temps de travail.

Le projet de directive prévoit donc de distinguer selon que la période de travail est continue ou comporte des périodes d'inactivité, ces dernières pouvant ne pas être décomptées du temps de travail maximal (mais sont néanmoins rémunérées).

Bref, on n'en est qu'au stade de l'adoption. L'Europe n'a rien voté, c'est un des deux organes législatifs qui a adopté un texte qui n'est pas définitif. J'ajoute que la mention des 65 heures comme maximum figure déjà dans le document initial qui date du 22 septembre 2004, le pseudo-scoop de l'Huma est un peu faisandé.

Enfin, la question que tout le monde se pose ici : les 65 heures en France , c'est pour quand ?

C'est pour jamais.

Il s'agit ici d'un maximum que la directive interdit de dépasser. Mais elle n'interdira pas aux États membres d'adopter des dispositions plus favorables, et elle ne touche pas à l'actuel article 24 de la directive qui interdit aux États d'invoquer cette directive pour aggraver la situation des travailleurs. Et d'ailleurs, quelle est la position du gouvernement français ?

«La France n’a pas l’intention d’abandonner la moindre de ses garanties sociales», a dit Xavier Bertrand, indique Libération, organe pro-sarkoziste s'il en est. Bref, si vous voulez travailler 65 heures, il vous faudra aller en Angleterre ou en Estonie.

— Oui, dira un noniste (une fois n'est pas coutume), mais il est là le dumping social européen : les ouvriers lituaniens… non, pas les lituaniens, on n'en a rien à foutre de ceux-là[2], même si j'en connais un, moi, de lituanien ; si les ouvriers estoniens et granbretons travaillent 65 heures, comment nos braves ouvriers aux 35 heures pourront-ils faire face ? C'est la fin de nos usines, elles vont toutes partir pour Riga ou York !

Alors que précisément, l'UE impose des limites : durée maximale, et surtout accord du salarié sans conséquence en cas de refus. Sans l'UE, vous croyez qu'on pourrait obtenir de telles garanties contre le dumping social ? Comparez avec le droit social chinois, pour voir. Pourtant, c'est un gouvernement de gauche qui est au pouvoir, là-bas…

Bref : un énième mensonge noniste, ou la énième preuve qu'ils ne comprennent rien à ce qu'ils jugent et condamnent, je ne sais pas lequel est le pire (au moins, un menteur peut s'arrêter de mentir, de temps en temps). L'Europe veut nous soumettre pieds et poings liés à l'ultralibéralisme ? Non, c'est tout le contraire. Mais que vaut un argument face à un cliché ?

Mais voyez : leur message a pris quelques minutes à être proféré. Entre convaincus, pas besoin de démonstration. Il m'a fallu près de deux heures pour rédiger ce billet et faire les recherches pour vous mettre les liens vers les documents pertinents. Vous voyez pourquoi c'est un combat perdu d'avance ? Parce que mes adversaires ne s'adressent pas à la raison, mais à la peur, à l'inquiétude, donnent quelques liens vers un article en langue étrangère et hop le tour est joué.

Mais ce n'est pas grave, je ne baisserai pas les bras, tout simplement parce que ce combat, je m'en fiche. Ce n'est pas à mes adversaires que je m'adresse. Ces billets s'adressent à mes lecteurs de bonne foi qui veulent comprendre l'Europe et ne gobent pas les couleuvres nonistes. Comptez sur moi pour vous mettre au régime sec.

Et maintenant, place aux complaintes des Caliméro du Non qui vont se plaindre de mon ton à leur égard et se garderont bien d'expliquer en quoi si si si, cette directive va bien imposer les 65 heures demain en France. Spanking time !

Notes

[1] Je crois que vous comprenez l'espagnol ?Que pensez vous de cet article ? Je n'ai pas trouvé un article dans Le Monde ou Le Figaro. Titre de l'article : Le Gouvernement qualifie la semaine de 65 heures «d'agression».

[2] Quelqu'un sait-il où on peut trouver une vidéo de ce grand moment de socialisme internationaliste ? Je n'ai pas réussi à la dénicher.

mercredi 11 juin 2008

Brèves de justice

Deux nouvelles rapides pour cause d'agenda chargé :

Suite de l'histoire des gendarmes qui ont assigné en référé le ministre de la défense :
Le divorce de 1790 ne sera pas annulé cette fois ci, les gendarmes ont fait une erreur sur les qualités essentielles de la juridiction judiciaire. Le juge des référés s'est déclaré incompétent, estimant que la mise en demeure faite aux gendarmes d'avoir à démissionner sous peine de sanctions n'était pas une voie de fait. Les gendarmes ont de toutes façons d'ores et déjà démissionné. Du coup, un référé administratif pour que les gendarmes se refassent une virginité judiciaire me paraît avoir peu de chance d'aboutir, faute d'urgence, et la décision attaquée ayant déjà épuisé ses effets. Défaite judiciaire, mais victoire médiatique.

On ne peut être juge et partie, mais peut-on être juré et partie ?
C'est la question que se pose un peu hâtivement la presse en relatant l'histoire d'un homme a été tiré au sort pour être juré d'assises… à la session qui le jugera pour une accusation de meurtre. Un peu hâtivement car comme d'habitude, lire mon blog aurait évité une dépêche qui présente comme insolite et cocasse une situation impossible puisque la loi a prévu depuis longtemps cette hypothèse. J'ai déjà parlé de la désignation des jurés d'assises dans un vademecum en trois parties (et un, et deux et trois, c'est tout). Mes lecteurs ont donc pu s'esclaffer face à un emballement médiatique, car ils savent que nous sommes au mois de juin. Dès lors, ils ont immédiatement compris que le tirage au sort ne concernait que la liste préparatoire, faisant suite à l'arrêté préfectoral pris au mois d'avril par le préfet pour fixer le nombre de personnes devant être tirées au sort dans chaque commune. Chaque citoyen tiré au sort a reçu une lettre lui demandant sa profession. C'est cette lettre qui est à l'origine de la dépêche.

Mes lecteurs savent aussi qu'en septembre se réunira la commission de révision de la liste, qui écartera les tirés au sort inaptes à être jurés.

Et enfin mes lecteurs, qui sont fort doctes, savent également que la loi exclut de la liste les personnes devant elles même comparaître devant une cour d'assises (on parle d'état d'accusation), ou qui font l'objet d'un mandat de dépôt ou d'arrêt.

Bref, que cette affaire n'en est pas une et n'atteindrait même pas le stade de l'anecdote si les journalistes avaient fait leur travail (en l'espèce lire l'article 256 du CPP ou à défaut mon blog) et avaient recherché une autre source que le propre avocat de l'accusé (on ne peut être juge et partie, remember ?). L'avocat de l'accusé, ravi de l'aubaine, en a profité pour former une demande de renvoi du procès et de remise en liberté au nom de la présomption d'innocence et afin de permettre à son client d'assumer ses obligations civiques. Demande qui va immanquablement se fracasser sur les récifs de l'article 256 du Code de procédure pénale. Avec en prime une formule choc qui a fait florès : sa chance sur un milliard, alors que dans les Bouches du Rhône, les probabilités d'être juré sont de l'ordre de 2000 (nombre de jurés tirés au sort dans le département, arrêté préfectoral du 7 mars 2007) sur 1.260.808 (nombre d'inscrits sur les listes électorales en 2007, source : ministère de l'intérieur) soit… 0,16% chaque année ; plus en fait car il faut exclure les électeurs de moins de 23 ans et ceux qui sont détenus (les mauvaises langues diront que dans ce département, ce sont bien souvent les mêmes).

Une non affaire qui a fait l'objet à ce jour d'une reprise dans 48 organes de presses à en croire Google actualité. Mention spéciale à 20 Minutes qui ne se pose pas de questions et affirme qu'il sera même juré à son propre procès. Ce n'est pas parce qu'on est gratuit qu'on doit ne pas valoir grand chose.

Que des journalistes trouvent l'histoire amusante et décident d'en faire un article pour boucher un trou, je peux le comprendre. Mais là où je peste et je trouve qu'on en arrive à la faute, c'est que reprendre des histoires pareilles sans se poser de questions contribue à donner l'impression que vraiment, la justice, c'est n'importe quoi, puisqu'un homme peut être juré à son propre procès. Et une goutte d'eau dans la mer des clichés sur la machine stupide qui fonctionne en vase clos sans qu'un gramme de “bon sens” ne vienne humaniser tout ça etc. etc.

Alors que le Code de procédure pénale, et avant lui le Code d'instruction criminelle de 1810 avaient prévu cette hypothèse. Ce qu'ils n'avaient pas prévu, c'est que les journalistes puissent s'abandonner à la facilité.

Projet de loi pénitentiaire : Chéri, j'ai inventé l'eau tiède ?

Par Gascogne


J'ai entendu et lu dans de nombreux média, ce matin, que le projet de loi pénitentiaire, serpent de mer que les professionnels attendent depuis des décennies, serait dans les tuyaux. Des fuites savamment orchestrées ont permis à l'AFP d'avoir une copie du projet, qui s'est ainsi retrouvé dans la plupart des journaux. Aucun avant projet n'a bien sûr été communiqué aux syndicats professionnels, la presse restant le principal contact du Ministère.

J'ai tout d'abord tiqué lorsque j'ai entendu à la radio que l'objet principal de la loi était une extension du placement sous "bracelet électronique" afin d'éviter la détention provisoire. Renseignements pris sur le site du Nouvel Observateur, qui en publie les principaux points, le nouveau texte reprendrait le principe que "toute personne mise en examen doit demeurer libre", lequel existe déjà dans le Code de Procédure Pénale. Il ajouterait que la personne mise en examen pourrait toutefois être assignée à résidence sous surveillance électronique.

Pourtant, lorsqu'on lit l'actuel article 138 du Code de Procédure Pénale, on peut y découvir que la loi du 9 septembre 2002 a prévu l'assignation à domicile sous surveillance électronique comme une obligation du contrôle judiciaire : "Le contrôle judiciaire astreint la personne concernée aux obligations suivantes : 2° Ne s'absenter de son domicile ou de la résidence fixée par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention qu'aux conditions et pour les motifs déterminés par ce magistrat ; L'obligation prévue au 2° peut être exécutée, avec l'accord de l'intéressé recueilli en présence de son avocat, sous le régime du placement sous surveillance électronique, à l'aide du procédé prévu par l'article 723-8. Les articles 723-9 et 723-12 sont applicables, le juge d'instruction exerçant les compétences attribuées au juge de l'application des peines."

Donc, sauf disposition dont les journalistes ne parlent pas, ce qui reste tout à fait possible, il s'agit là d'un effet d'annonce. La seule disposition intéressante consiste en une "simplification" du placement sous bracelet électronique, qui est il est vrai un peu compliqué actuellement (enquête sociale, accord obligatoire de l'intéressé et des personnes vivant au foyer, vérifications tenant à la ligne téléphonique...). Reste à savoir ce que cela recouvrira.

Il est ensuite indiqué que les possibilités d'aménagements de peine sont étendues aux peines ou reliquats de peine allant jusqu'à deux ans d'emprisonnement, contre un an actuellement (art. 723-15 du CPP). L'objectif est louable, bien qu'il fasse partie de ces injonctions contradictoires que le législateur lance de plus en plus souvent aux juges pénaux : incarcérez toujours plus (lois sur la récidive, peines planchers), mais éviter une exécution pure et simple de ces peines. J'y vois tout de même une réserve de taille. Tous les travailleurs sociaux et les JAP vous diront qu'un aménagement de peine au delà de six mois est très difficile à tenir pour le condamné. En effet, autant la personne incarcérée subit passivement sa peine en prison, autant dans le cadre d'un aménagement de peine, par exemple une semi-liberté ou un placement sous surveillance électronique, le condamné doit faire l'effort de participer à sa restriction de liberté, en rentrant tous les soirs dans son quartier de semi-liberté, ou en ne sortant pas de chez lui. Ce qui, au bout de quelques mois, peut devenir très difficile, participer à son propre enfermement n'étant pas nécessairement très naturel.

Autre nouveauté : l'obligation, sauf opposition du condamné ou risque de récidive, d'exécuter sous forme de placement sous bracelet électronique les peines inférieures ou égales à six mois et dans les cas où il reste quatre mois à exécuter (a priori, ce ne sont pas des conditions cumulatives, qui seraient difficiles à remplir). Une fois de plus, on ne fait pas confiance au juge qui doit décider sans possibilité de choix. Une "compétence liée" de plus. Peut-être bientôt le transfert de ce genre de mesures à l'administration.

Au titre des mesures tenant au fonctionnement des prisons, on trouve une limitation des jours de placement en cellule disciplinaire à 21 jours, et jusqu'à 40 jours pour les violences physiques, contre 45 jours actuellement pour les fautes du premier degré (art. D 251-3 du CPP).

Enfin, la loi pénitentiaire reviendrait une fois de plus sur l'encellulement individuel, principe qui s'est transformé en exception depuis de nombreuses années, ce qui ne devrait pas changer puisque la nouvelle loi prévoit, tout comme la précédente du 12 juin 2003 (art. 716 du CPP), une possibilité de dérogation pour les cinq années à venir. La France devrait encore écoper de quelques condamnations devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme.

Je passe sur les dispositions concernant la prise en charge des détenus à leur arrivée, ainsi que les missions du personnel pénitentiaire, lesquelles, de ce que je peux en lire, ne bouleversent en rien ce qui existe actuellement.

Au final, je ne doute pas que la grande loi pénitentiaire prévoira surtout plus de moyens pour faciliter la réinsertion, et donc l'absence de récidive, des détenus. Actuellement, un Conseiller d'Insertion et de Probation, élément central de la prise en charge des détenus, gère entre 120 et 150 dossiers de personnes condamnées.


Mise à jour du 12 juin 2008 :

La Chancellerie est réactive : un décret vient d'être publié au JO de ce jour concernant l'encellulement individuel et l'allongement des durées de parloir, deux dispositions qui doivent il me semble faire partie de la loi pénitentiaire. Les textes d'application avant les textes à appliquer, si ça ce n'est pas de l'efficacité...

Décret n° 2008-546 du 10 juin 2008 relatif au régime de détention et modifiant le code de procédure pénale

lundi 9 juin 2008

Rachida Dati, dans la bibliothèque, avec le chandelier

C'est fait, et cela devrait être annoncé dans deux jours. Les avoués vivent leurs dernières mises en état : la profession disparaîtra le 1er janvier 2010, les avoués deviendront avocats. Rachida Dati l'a annoncé au Président de la chambre nationale des avoués.

Bienvenue dans notre profession, chers maîtres.

dimanche 8 juin 2008

The Big Picture

Le quotidien américain The Boston Globe propose sur un blog des photos en grand format pris par des professionnels, grands reporters, sur le terrain, comme aux riches heures du photojournalisme (sauf pour mon premier exemple).

Chaque jour pour le moment (le rythme de croisière sera de 2-3 billets par semaine), une série d'une douzaine de photos sur un événement. Les commentaires sont en anglais, mais les photos sont magnifiques. Un des plus beaux blogs que j'aie vus. Régalez-vous, et merci au Boston Globe de montrer comme le photo-reportage reste extraordinairement moderne.

Ci-dessous, trois photos (format réduit) à titre d'exemple de ce que vous pouvez voir.

Photo prise par la sonde Cassini : on voit la lune de Saturne Janus, toute petite au centre, devant les anneaux de la planète. Au fond, la lune géante Titan (qui fait 40% de la taille de la terre) Photo NASA/JPL-Caltech. Extrait de cette note.

Cassini

Un Marine, de la 24e Unité Expéditionnaire des Marines, pris sous le feu des Talibans, comprend le sens de l'expression “c'est pas passé loin”, le 18 mai 2008 près de Garmser, province d'Helmand, en Afghanistan. Le Marine n'a pas été blessé. Notez qu'il a une alliance. Pourvu que son épouse ne voie jamais cette photo. Extrait de cette note (REUTERS/Goran Tomasevic)

Oups

Le volcan Chaiten, au Chili, endormi depuis des milliers d'années, vient de se réveiller. Il existe un phénomène connu quoiqu'inexpliqué d'orages se déclenchant dans le panache. De nuit, c'est spectaculaire. Welcome to Mordor. Extrait de cette note (REUTERS/Carlos Gutierrez)

Mordor

Et en 990 pixels de large, ça en jette encore plus.

Via Embruns.

samedi 7 juin 2008

Teachtaireacht pearsanta

Le do thoil, abair is ea.

Et pour les Irlandais qui ne parlent qu'anglais :

Si avec tout ça vous n'avez pas compris…

A trop vouloir bien faire...

Par Gascogne


Je n'ai jamais été un grand adepte de la théorie du complot. Tout au plus mon pessimisme naturel me fait-il voir le mal là où il n'est pas forcément. Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'à tout le moins, à vouloir jouer avec le feu, on finit par se brûler.

M. WARSMANN, député UMP fort au fait de la chose judiciaire, a introduit dans le texte soumis au parlement, dans le cadre de la réforme des institutions, un amendement visant à modifier l'article 11 de ce texte. Cet amendement a été adopté.

En voici la teneur : « Sauf motif déterminant d’intérêt général, la loi ne dispose que pour l’avenir. »

Comme son nom l'indique si bien, l'exposé de la motivation de cet amendement est plus que sommaire : « Trop souvent, les textes de loi adoptés par le Parlement ont une portée rétroactive. Ceci ne facilite ni la sécurité juridique ni la stabilité de notre droit. Il convient donc ici de reprendre la proposition formulée par le « comité Balladur » en érigeant en principe constitutionnel la non-rétroactivité de la loi. »

D'un point de vue législatif, c'est l'article 2 du Code Civil qui pose le principe : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif. »

Le Code Pénal n'est pas en reste et prévoit les principes d'application de la loi pénale dans le temps dans ses articles 112-1 à 112-4.

Le droit conventionnel prévoit également le principe général de la non rétroactivité des lois pénales, notamment la convention européenne des droits de l'homme, dans son article 7.

Inscrire dans la constitution, norme supérieure, le principe de non rétroactivité de la loi n'est donc pas en soi choquant. Même le grand Jean Carbonnier dans son introduction au droit civil indiquait que le législateur pouvait bien défaire se qu'il s'était imposé par le biais de la loi. Le problème est que l'ouvrage de Carbonnier date de 1955, avant la mise en place du Conseil Constitutionnel dans le cadre de la constitution de 1958.

Et si l'on s'en réfère à de récentes décisions dudit Conseil, Le principe de non rétroactivité de la loi pénale a une valeur constitutionnelle. Quel est donc dés lors l'intérêt de l'amendement Warsmann ?

Peut-être tient-il dans la formulation de cet amendement, qui est tout sauf neutre (« Sauf motif déterminant d'intérêt général... »), le droit étant, on le sait bien, la science des exceptions.

Comme on a pu l'entendre encore et encore depuis quelques temps, l'intérêt des victimes ne serait-il pas justement un « motif déterminant d'intérêt général » ?

Une loi comme celle sur la rétention de sûreté ne pourrait-elle ainsi devenir rétroactive ?

Et, ce que le rapport Lamanda ne pouvait faire, le législateur constitutionnel n'est-il pas en train d'y parvenir, sans trop de bruit ?

Je ne fais bien entendu que me poser des questions. Mais je crains d'en connaître les réponses.

vendredi 6 juin 2008

Comment la liberté est cachée dans le jugement de Lille

Par Equével, magistrat du siège.


—Dialogue—

Taton: Groscrate, je t’ai entendu hier défendre l’annulation par nos juges du mariage d’une jeune fille à qui son mari ne pardonnait pas de lui avoir caché qu’elle avait accordé les dernières faveurs à un autre, avant le mariage. Je ne comprends pas que tu défendes cette décision qui me rappelle les temps anciens et barbares où les jeunes filles étaient strictement surveillées, avant d’être livrées à un mari qu’on avait choisi pour elle, quand elles n’étaient pas en plus cruellement mutilées dans leur intimité. Approuverais-tu ce jugement liberticide si on reprochait à la jeune épouse dissimulé à son mari qu’elle n’était pas excisée?

Groscrate: Excisée! Je reconnais bien là ton goût pour la dialectique de l'extrême, Taton. Ton argument frappe, il est vrai, mais il frappe à coté de sa cible. Ce qui est excessif n'est il pas insignifiant ? Ce qui aboutit à des résultats choquants dans de rares hypothèses doit-il être rejeté même s'il est utile dans la majorité des cas? Faut-il abattre la forêt lorsqu'un seul arbre menace ta maison?

Taton: Tu dis vrai, Groscrate, mais nos juges peuvent-ils s'appuyer sur la barbarie pour détruire les mariages formés selon les lois de la Cité?

Groscrate: Prends patience, Taton, et examine plutôt ceci: conviendras-tu que les époux doivent pouvoir se choisir librement et que leur union doit être assise sur leur assentiment éclairé?

Taton: Oui, j'en conviens aisément.

Groscrate: Conviendras-tu qu'un époux trompé par l'autre sur ses qualités doit pouvoir être délié d'un engagement qu'il n'aurait pas donné si on ne lui avait masqué la vérité?

Taton: J'en conviens aussi, cela est juste, à condition toutefois que le mariage soit protégé du caprice d'un époux et ne puisse être annulé que pour des raisons sérieuses.

Groscrate: C'est pour cela, Taton, que nos lois ne permettent d'annuler le mariage que pour une erreur sur les qualités essentielles de l'autre époux.

Taton: Cela est bon, Groscrate, mais qui va décider ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas?

Groscrate: Tu poses la question dont tout dépend, Taton. Avant d'y répondre, ceci : n'est-il pas bon que les lois de notre cité reconnaissent aux citoyens la liberté de gouverner leur vie comme bon leur semble, à condition toutefois qu'ils n'en n'usent pas pour nuire à autrui?

Taton: Oui, cela ne doit pas être autrement.

Groscrate: Dans le cas du mariage, ne penses-tu pas qu'un époux doit être libre de chercher l'époux qui lui convient selon sa propre fantaisie?

Taton: Assurément!

Groscrate: Et ce même si cette fantaisie apparaît ridicule ou condamnable aux autres citoyens?

Taton: Même dans ce cas, Groscrate ! Mais à condition, comme tu me l'as enseigné, que cela ne nuise pas à autrui.

Groscrate: Penses tu alors que la loi doit interdire aux citoyens de rechercher une femme vierge?

Taton: Cela ne se pourrait ! Vouloir une vierge est un désir bien étrange. Mais l'interdire serait une autre étrangeté! Qu'un homme veuille une vierge n'oblige nulle femme à le rester pour lui!

Groscrate: Tu veux dire, Taton que vouloir une femme vierge ne peut être condamné car c'est faire usage de sa liberté sans nuire à autrui?

Taton: Oui, Groscrate, la femme doit être libre d'user de son corps avant le mariage si elle le trouve bon, comme l'homme doit être libre de pouvoir s'en renfrogner. L'inverse est vrai aussi. Et ce n'est pas au législateur, ni au juge de nous dire qui nous voulons épouser ou ne pas épouser, selon notre fantaisie.

Groscrate: Mais ne diras-tu pas que la liberté ne peut exister sans la connaissance?

Taton: Oui, Groscrate, nous le savons depuis longtemps.

Groscrate: Mais ne dira-tu pas aussi que la connaissance vraie suppose la loyauté?

Taton: Oui, Groscrate, nous le savons depuis longtemps. Comment prendre une décision libre si on nous a menti?

Groscrate: Et ne diras-tu pas alors que le futur époux qui trompe l'autre sur une qualité essentielle selon sa fantaisie, manque à la loyauté, prive son futur époux de la connaissance vraie, et lui retire la liberté qu'il doit avoir pour consentir valablement au mariage?

Taton: Oui Groscrate, je pense comme toi qu'un mariage ne saurait prospérer lorsqu'il est bâti hors de la liberté. Je comprends maintenant que chacun doit être libre de se marier ou pas, et d'épouser tel ou telle, selon son goût et sa fantaisie, selon sa morale ou sa religion. Nos lois ne doivent pas commander ou prohiber les critères dont l'époux et l'épouse font dépendre leur choix, même si ce critère heurte notre entendement. Vouloir la liberté de tous, n'est-ce pas accepter d'être heurté par l'usage qu'en peuvent faire les autres. Que la morale et la religion soient laissées aux philosophes et aux prêtres, que nous sommes libre d'écouter ou de fuir! Qu'en revanche ni la loi ni les juges, auxquels nous sommes soumis, ne s'en préoccupent autrement que pour garantir notre liberté de penser et de croire selon notre goût.

Groscrate: Tu veux-dire que lorsqu'un époux ment à l'autre sur une chose qu'il savait essentielle pour celui-ci, le juge saisi de l'annulation du mariage doit y faire droit sans se mêler de dire si l'époux trompé avait le droit de trouver cette chose essentielle?

Taton: Oui, Taton. La liberté de se marier selon notre fantaisie n'oblige personne à se plier à cette fantaisie. Cette liberté ne menace personne. Ce serait une mauvaise chose de la limiter en décidant à la place des époux ce qui doit présider à leur choix et ce qui ne doit pas y présider.

Groscrate: Je te quitte, Taton. C'est aujourd'hui qu'Elisabitha Badinthyos doit boire la ciguë et je ne veux pas rater ça.

jeudi 5 juin 2008

L'affaire de l'inhumé malgré lui

Lors de l'émission Du Grain À Moudre d'hier, Caroline Fourest a cité, comme preuve de la progression du communautarisme, une décision du tribunal de Lille ayant décidé qu'un musulman devrait être inhumé selon les rites musulmans alors qu'il avait déclaré vouloir être incinéré (ce que la religion musulmane ne permet point, pas plus que la chrétienne d'ailleurs je rectifie, elle le permet, mais ne l'encourage point, merci Vertex). C'est à la 14e minute de l'émission.

Je n'ai pu sur le coup apporter de contradiction, ne connaissant pas l'affaire. Elle me paraissait toutefois douteuse telle qu'elle était présentée. J'ai demandé à Caroline Fourest si elle en connaissait les références, et elle m'a juste indiqué que la décision finale avait été prise par la cour d'appel de Paris.

Une recherche m'a permis de retrouver mention de la décision, qui émane du premier président de la cour d'appel de Paris, le 3 juin 2005. Il s'agit de l'affaire Bergham.

Les faits ne sont pas exactement ceux présentés par Caroline Fourest sur un détail qui change tout, et elle en oublie un autre qui change tout aussi. Bref, comment, par des omissions que je pense faites de bonne foi (les détails qui comptent dans les décisions échappent souvent aux non juristes), faire d'une décision banale une attaque sournoise contre la République et une reddition des juges.

Les faits étaient les suivants. Un algérien de 55 ans meurt le 13 mai 2005 des suites d'un cancer. Contrairement à ce qu'avance Caroline Fourest, il ne laisse aucune trace de ses dernières volontés quant au sort de sa dépouille. Là est le nœud du problème : si cela avait été le cas, il n'y aurait eu aucune difficulté pour procéder à l'incinération, comme nous allons le voir.

Un conflit apparaît donc pour l'organisation des funérailles, entre ses trois enfants d'une part, qui disent qu'il voulait être incinéré car il avait apostasié, et sa veuve, qui toutefois l'avait quitté neuf mois plus tôt, qui disait qu'il n'en était rien et était resté musulman, sans être particulièrement dévot ni pratiquant, mais entendant être inhumé selon le rite musulman.

La loi prévoit ce cas de figure, plus fréquent qu'on ne le croit, surtout depuis la loi de 1905.

Une loi du 15 novembre 1887 prévoit dans son article 3 que :

Tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester[1], peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture.

Il peut charger une ou plusieurs personnes de veiller à l'exécution de ses dispositions.

Sa volonté, exprimée dans un testament ou dans une déclaration faite en forme testamentaire, soit par devant notaire, soit sous signature privée, a la même force qu'une disposition testamentaire relative aux biens, elle est soumise aux mêmes règles quant aux conditions de la révocation.

Ajoutons que le fait de ne pas respecter ces dernières volontés est un délit pénal puni de 6 mois d'emprisonnement et 7500 euros d'amende : art. 433-21-1 du code pénal.

Vous voyez donc que si le défunt avait exprimé sa volonté, il n'y aurait eu aucune difficulté. Mais voilà : il ne l'avait pas fait par écrit, et ceux ayant reçu ses confidences divergeaient sur le contenu de celles-ci.

En cas de litige, vu l'urgence à décider, la nature n'attendant pas pour prendre son dû, une procédure particulière est prévue à l'article 1061-1 du Code de procédure civile (CPC) :

En matière de contestation sur les conditions des funérailles, le tribunal d'instance est saisi à la requête de la partie la plus diligente selon un des modes prévus à l'article 829.

Il statue dans les vingt-quatre heures.

Appel peut être interjeté dans les vingt-quatre heures de la décision devant le premier président de la cour d'appel. Celui-ci ou son délégué est saisi sans forme et doit statuer immédiatement. Les parties ne sont pas tenues de constituer avoué.

La décision exécutoire sur minute est notifiée au maire chargé de l'exécution.

C'est à cette procédure que la famille va recourir, en se tournant vers les tribunaux de la République qui vont appliquer la loi de la République. Les trois enfants saisissent dont le tribunal d'instance de Lille qui leur donne raison le vendredi 21 mai 2005. La veuve souhaitant faire appel, elle se rend le lendemain à la cour d'appel de Douai. Fatalitas : on est samedi, tout est fermé. Elle y retourne le lundi, mais le premier président, statuant immédiatement, la déclare irrecevable pour appel tardif (on dit qu'elle est forclose). Ne se décourageant pas, la veuve va former un pourvoi en cassation.Je ne sais pas quel argument elle a soulevé mais la cour va trancher par un arrêt du 1er juin 2005 sur un moyen soulevé d'office (c'est-à-dire par elle-même) que la loi prévoyant que l'appel se fait sans forme et puisqu'il est établi que la veuve s'était présentée à la cour le samedi à 14h15, cette démarche est un appel sans forme et donc que le délai avait été respecté. Ah, merveilleux pragmatisme du droit qui fait que se heurter à une porte close devient une déclaration d'appel valable.

La Cour casse la décision de la cour d'appel de Douai et renvoie pour qu'il soit statué à nouveau (la cour de cassation ne juge qu'en droit, elle ne juge as les faits) devant le premier président de la cour d'appel de Paris.

Ce magistrat va renverser la décision du tribunal d'instance le 3 juin 2005 et, à défaut d'accord des parties, va considérer, je cite, qu'il convenait de rechercher par tous moyens quelles avaient été les intentions du défunt et, à défaut, de désigner la personne la mieux qualifiée pour décider des modalités des funérailles, avant de constater, d'abord, que Amar Bergham, s'il n'était pas un pratiquant régulier, était de tradition musulmane, qu'il avait manifesté le vœu d'être inhumé, et que rien ne permettait d'affirmer qu'il eût entendu rompre tous liens avec cette tradition ; et en conséquence va charger la veuve d'organiser les funérailles.

À leur tour, les trois enfants vont former un pourvoi en cassation, qui sera rejeté le 15 juin 2005, mettant un terme définitif à ce litige.

Les enfants reprocheront au premier président d'avoir désigné la veuve comme personne qualifiée alors qu'elle vivait séparée du défunt au moment du décès, affirmant qu'eux étaient restés des proches et savaient mieux ce que voulait le défunt. L'argument avait porté devant le tribunal d'instance de Lille, mais par la suite, il a pu être établi de manière certaine que le défunt voulait être inhumé. Les enfants ont alors changé leur fusil d'épaule et argué qu'il ne précisait pas s'il voulait être inhumé religieusement ou non. Las, après avoir affirmé haut et fort que leur père voulait être incinéré, ils avaient perdu quelque crédibilité aux yeux du juge qui a décidé souverainement que la veuve était la plus à même de décider. D'autant que le choix de l'inhumation étant à présent clairement connu, la seule différence était que le défunt allait être enterré dans le carré musulman du cimetière, dans un linceul blanc, la tête tournée vers la Mecque.

Je passe sur des complications annexes, la loi prévoyant des délais maximums pour procéder à des funérailles, l'incinération allait avoir lieu, mais le maire de Lille a pris un arrêté de suspension d'incinération avec l'aurotisation du parquet pour laisser le temps à la justice de trancher.

Dernier point : Caroline Fourest mentionne l'intervention de la Ligue Islamique du Nord qui aurait demandé qu'une autorité religieuse musulmane décide si le défunt était ou non apostat (sans préciser quels moyens ils auraient employé pour sonder s volonté post mortem). Elle oublie de mentionner que cette intervention (on appelle intervention le fait pour une personne de devenir partie à un procès en cours d'instance) a été jugée irrecevable, l'action en question ne concernant que la famille proche, et une autorité religieuse n'ayant aucune qualité à donner un avis à cette fin, dans le plus pur respect du principe de la laïcité. Vous noterez que le nom de la Ligue n'apparaît nulle part dans les décisions que je lie, et un article de l'époque du Figaro précise qu'Amar Lasfar, effectivement présent à l'audience, « n'a pas pu s'exprimer ». Vous voyez que loin de capituler, la République, en la personne de ces juges, a parfaitement résisté et repoussé l'assaut.

Loin de moi l'idée de nier qu'il y a une tentation par des communautés religieuses radicales d'imposer leurs règles de foi et leurs valeurs religieuses à la société en instrumentalisant le droit. L'islam radical n'est pas le seul (on peut aussi penser aux sectes). Mais la République ne cède pas. Les juges tiennent bon.

Croyant bien faire, ceux que cette situation préoccupe sonnent le tocsin à la moindre alerte, quitte à faire de décisions de justices banales des tumeurs malignes. Difficile de leur reprocher, quand faire peur attire les micros comme le miel attire les mouches, et ne prend que quelques minutes quand rassurer prend des heures.

Mais il est tout aussi difficile de les approuver. Quitte à parler comme un Tolkien, le combat des Lumières contre l'obscurantisme ne se doit pas se jouer avec les mêmes armes.

Notes

[1] Tester, en langage juridique, signifie rédiger son testament.

Le législateur récidive.

Loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive des infractions pénales. Limitation des possibilités de sursis, création du concept de réitération d'infraction pour permettre le cumul des peines même hors les cas de récidive, obligation de la prison ferme dans certains cas de récidive.

Loi n°2007-297 du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance. Obligation faite au juge de motiver son choix de ne pas recourir à l'emprisonnement en cas de récidive.

Loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs : instauration des peines plancher.

Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental : création de la rétention de sûreté permettant de garder un condamné enfermé au-delà de sa peine en cas de risque de récidive.

Devinez ce que le président souhaite pour lutter contre la récidive ? Vous avez gagné. Une loi.

Le Premier président de la Cour de cassation, M. LAMANDA a remis aujourd’hui au Président de la République son rapport "Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux".

Ce rapport dresse un tableau très complet du dispositif mis en place pour lutter contre la récidive mais en pointe également les lacunes.

Quatre lois en rafales, il y a encore des lacunes. On ne saurait imaginer plus bel hommage au travail législatif.

Pour y remédier, il fait au Président de la République 23 propositions qui sont pour partie législatives et pour partie liées à l’organisation des systèmes judiciaires et pénitentiaires.

S’agissant des propositions d’ordre législatif, elles ont pour objectif d’imposer des mesures de surveillance de sûreté aux sortants de prison ayant démontré leur dangerosité mais auxquels la loi relative à la rétention de sûreté ne peut être appliquée.

(…)

Le Président de la République souhaite que les propositions d’ordre législatif fassent rapidement l’objet d’un projet de loi.

En fait, l'idée est de lutter contre la récidive en ensevelissant les délinquants sous les J.O.

Et comme il n'est de bonne farce qui ne se termine sur une chute burlesque :

Le Chef de l’Etat a confirmé à M. LAMANDA, que la justice disposera des moyens nécessaires à la mise en œuvre des propositions du rapport.

Comme pour la mise en œuvre des propositions du rapport Attali ?

Via Jules.

Eolas vous donne du grain à moudre

J'ai accepté de participer mercredi à l'émission Du Grain à Moudre sur France Culture, de 17h00 à 18h00, qui abordera le sujet du jugement de Lille sur la perte de la virginité de l'épouse et des illusions de l'époux, où je porterai le fardeau de la défense de cette décision. Je ne sais pas qui seront mes contradicteurs, mais j'ai bon espoir que nous vous épargnerons un ton inutilement polémique.

Venez faire péter l'audimat.


(5 juin 2008) Débriefing de l'émission. Ravi de voir que les commentaires sont plutôt positifs. Le ton de l'émission reflète parfaitement l'ambiance qui a baigné cette réalisation : détendue et cordiale. Un très bon moment, et le personnel de France Culture est très sympathique. Je suis sorti de cette émission enchanté de son déroulement.

Brice Couturier était très remonté contre cette décision, ou plutôt contre ce qu'elle lui semblait révéler (à mon avis à tort) : une progression du communautarisme et un recul des valeurs républicaines face à des exigences culturelles, mélange de religieux et d'archaïque. Néanmoins, il était avant tout animé par le désir de comprendre, ce qui a permis un vrai débat qui a je pense fait évoluer sa position sur ce jugement. Cela se voyait dans le studio, car quand une personne parlait, il écoute, concentré, et n'a pas un œil rivé sur l'horloge et un autre vers la régie. Julie Clarini, quant à elle, semblait avoir dès avant l'émission compris que ce jugement ne disait pas tout ce qu'on lui faisait dire.

Les interventions de Sarah Mekboul on posé un problème technique : pour éviter un écho, il fallait couper les micros dans le studio, ce qui empêchait Brice Couturier d'intervenir pour recadrer la réponse quand elle commençait à dériver hors sujet.

Quelques détails que je n'ai pas eu l'occasion de donner à l'antenne :

- Sur la question : mais pourquoi n'ont-ils pas divorcé à l'amiable si elle était d'accord ? L'accord a été donné quinze mois après l'assignation après radiation de l'affaire. On est loin de l'accord parfait sur le divorce et toutes ses conséquences que suppose le consentement mutuel. De plus, un tel divorce nécessite impérativement que les époux soient tous deux présents dans le cabinet du juge, rencontre que ni l'un ni l'autre ne souhaitaient, et je pense tout particulièrement l'épouse.

- Sur l'emballement médiatique : je suis à présent convaincu que cette affaire est né du fait qu'un grand nombre de personnes ou d'associations guettait le premier symptôme de reconnaissance du fait communautariste en France, en allant des conservateurs comme Alain-Gérard Slama à la gauche intransigeante de Charlie Hebdo, en passant par les féministes historiques, les associations de défense des droits des jeunes filles des cités (les Ni Putes Ni Soumises, entre autres…), sans compter les partis politiques d'opposition aux aguets du premier fait divers pour attaquer le gouvernement. Et dès la dépêche AFP, le signal a été donné. Mais quand le contenu réel du jugement a commencé à circuler, la baudruche menaçait de se dégonfler. Alors, sur le mode de la rumeur, la présentation de la décision et même des faits y ayant donné naissance a commencé à évoluer et à être déformé. Cela va du : « le jugement dit que la virginité est une qualité essentielle de la femme » laissant entendre que désormais tout mariage d'une femme non vierge pouvait être annulé, à l'invention du drap taché de sang que l'époux devait présenter à la famille. J'ai contacté l'un des avocats de cette affaire, qui m'a très gentiment répondu, et m'a confirmé que jamais, ô grand jamais, il n'avait été question d'exhiber un quelconque drap. Quand la nouvelle de la rupture du couple est tombée, il était fort tard et la plupart des convives étaient déjà partis.

- Sur l'appréciation de la virginité par la justice : le 5 janvier 2005, le tribunal de grande instance de Lille avait déjà annulé un mariage en s'appuyant sur la question de la virginité et même la production d'un certificat médical à ce sujet. Mais dans ce jugement, le mariage a été annulé… parce que la mariée était vierge. Explication : l'épouse soulevait la nullité d'un mariage car son mari ne l'aurait épousée que pour pouvoir venir s'établir en France. Sa virginité intacte était la preuve d'absence d'intention matrimoniale du mari. Comme quoi.

- Sur la décision de 2005 sur l'incinération de l'algérien athée : je ne connais pas cette décision. Quelqu'un pourrait-il m'en donner les références ou idéalement me la communiquer ? Caroline Fourest en a hélas été incapable.

mercredi 4 juin 2008

SAV de l'instruction

Billet sans hymen juridiquement modifié dedans

Lire la suite...

mardi 3 juin 2008

Eolas sur France Info

Je suis invité sur France Info tout à l'heure à 18h45 pour un débat sur le fameux mariage annulé. Pour ceux qui ne connaissent pas le nouveau ton de France Info depuis la rentrée, les débats se veulent courts et polémiques.

J'ignore pour le moment quel sera mon contradicteur censé dire pis que pendre sur ce jugement. Si vous aimez le droit contre le bon sens, vous allez être servis.

Si vous avez des réactions, observations, questions, les commentaires sont à vous.

Mise à jour : mon contradicteur sera Madame Aurélie Filipetti, député SRC de la 8e circonscription de Moselle.

Le blog d'Aurélie Filipetti.


Bon, debriefing. Je m'attendais un peu à ce résultat, en moins pire, peut-être (c'est mon inébranlable foi dans l'homme)

Le “débat” médiatique n'a rien à voir avec le débat judiciaire. Le premier singe le second. La galanterie et la politesse qui veulent qu'on laisse parler son adversaire sont clairement des handicaps dans le premier, et l'ignorance du droit, un atout.

Mais je chicane sans doute : j'applique la loi, le député ne fait que la voter.

Difficile de réagir sous un tel déluge de sottises, avec tout le respect que je dois à madame le député. Tromperie sur la marchandise (qui insulte les femmes, là ?), clauses abusives (femmes, forfait millenium, même combat), parallèle sordide avec l'excision (qui est un crime passible de la cour d'assises dont les victimes sont de jeunes enfants et l'auteur leurs propres parents), et cerise sur le gâteau : la Convention européenne des droits de l'homme invoquée pour refuser la liberté de conscience (protégée par l'article 9 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme) et dire qu'on ne peut laisser dire des choses en République (comment ça, liberté d'expression, article 10 de la convention ?).

Je crois que ce qui m'agace le plus, au-delà de la démagogie du propos, est qu'au nom de la défense des femmes, on sacrifie une femme. Elle est débarrassée d'un mariage dont elle ne veut plus, elle en est soulagée ? Peu importe. On va la remarier ; pour le droit des femmes. Les féministes prêtes à sacrifier toutes les femmes une par une pour la Cause commettent pour moi le crime de Haute Trahison.

Hop, l'émission pour ceux qui veulent ré-écouter :

(Merci MsieurDams)


Mise à jour 23h30 : Une réflexion qui vient de me venir. oui, un peu tardivement, je sais, mais qui peut expliquer le fait que Catherine Pottier ne m'ait posé que des questions fermées et ait volontiers repris la parole. Un incident m'est revenu en mémoire.

Alors que j'ai été contacté en début d'après midi par l'assistant de Catherine Pottier et que rendez-vous avait été pris, quand je l'ai eu au téléphone pour la préparation technique, il m'a demandé de lui confirmer que j'étais bien avocat. Ce que j'ai fait. Il m'a alors demandé si je voulais bien donner mon nom. Ce que j'ai fait. Merci soulagé, et c'était presque l'heure du débat.

Je me demande dans quelle mesure Catherine Pottier n'a pas découvert à la dernière minute que l'un de ses invités était en fait un anonyme bloguant comme avocat, et qu'il allait passer en direct sans qu'on ait vérifié son sérieux, et que ça ne lui plaisait pas. Je la comprendrais tout à fait, surtout avec les récentes affaires Delarue et Elkabach. Elle réagirait en journaliste en vérifiant ses sources. D'où sa présentation : «maitre Eolas qui se présente comme avocat au barreau de Paris» ; le fait qu'elle ne me pose que des questions fermées (Combien de recours en annulation ? Est-ce le rôle du juge de statuer là dessus ? Faut-il légiférer ?) qui évitent de m'inviter à donner une opinion, de peur que je sois un farfelu, alors qu'en plus en face elle a une personne nommée, connue, et légitime (élue du peuple ET porte-parole du groupe SRC) - la tolérance n'étant pas une exigence à ce niveau.

Si tel est le cas, comment lui en vouloir ? Elle n'aurait pas été professionnelle si elle n'avait pas été prudente.

Dati en shorter

Shorter : « La justice permet aux jeunes filles d'être libres, il faut donc faire appel de ce jugement. »

NB : Humour inside.

Assignation en référé du ministre de la défense

Oh ! Un billet où on ne parle pas de virginité !

Hervé Morin, ministre de la défense (qui serait vierge s'il était né une semaine plus tard), va être assigné aux côtés du général Parayre (cinq étoiles au-dessus de sa pucelle) devant le tribunal de grande instance de Paris par huit gendarmes en exercice.

— Pourquoi le tribunal de grande instance de Paris ?

Parce que l'État major de la gendarmerie, où se trouve le bureau du général, est à Paris, dans les locaux du ministère de la défense.

— Mais pourquoi le tribunal de grande instance ? Je croyais que depuis un divorce (ou était-ce une annulation de mariage ?) de 1790, le juge judiciaire ne mettait plus son nez dans les affaires de la chose publique ?

Certes, mais c'est là un principe juridique. Or le droit est la science où les concepts immaculés sont souillés d'exceptions. Et il en est une née pour garantir les libertés, et que nous devons, que l'Histoire aime l'ironie, à l'Action Française, connue pourtant pour ne guère aimer celles-ci : c'est l'exception de la voie de fait.

En effet, le 7 février 1934, le préfet de police a fait saisir d'autorité le journal l'Action Française, organe du mouvement éponyme. La société du journal a porté l'affaire devant les tribunaux judiciaires, arguant du fait que la loi du 29 juillet 1881 (toujours en vigueur aujourd'hui) permettait aux tribunaux d'ordonner la saisie des journaux, mais certainement pas au préfet d'y procéder de son propre chef. Le préfet de police estima qu'on ne pouvait poursuivre le préfet de police devant les juridictions judiciaires, au nom du respect de la loi qu'il venait de piétiner, et non pour mettre un obstacle sur la voie judiciaire de ses adversaires, bien entendu.

Le Tribunal des Conflits, juridiction dont le seul rôle est de dire quel juge est compétent, du judiciaire ou de l'administratif, par un arrêt[1] du 8 avril 1935 a donné tort au préfet de police, relevant qu'il n'était pas justifié que la mesure ordonnée, portant atteinte à la liberté de la presse, ait été indispensable pour assurer le maintien ou le rétablissement de l'ordre public, et que dès lors elle constituait non un acte légitime de l'administration mais une voie de fait : le préfet était donc abandonné au bras séculier de la justice judiciaire.

La théorie de la voie de fait pose, comme le dit le site du Conseil d'État, que l’action de l’administration, qui s’est placée hors du droit, étant en quelque sorte dénaturée, il n’y a plus matière à en appeler à la séparation des fonctions administratives et judiciaires pour limiter la compétence de l’autorité judiciaire. Le juge judiciaire est ainsi investi d’une plénitude de juridiction : il a compétence tant pour constater la voie de fait, que pour enjoindre à l’administration d’y mettre fin et pour assurer, par l’allocation de dommages et intérêts, la réparation des préjudices qu’elle a causés. Bref, l'administration doit être une rosière pour rester à l'abri de la concupiscence judiciaire.

Revenons en à nos gendarmes : ceux-ci estiment que la lettre du chef d'État-Major de la gendarmerie les enjoignant de démissionner de l'association qu'ils ont créée, et ce sous huit jours à peine de sanctions, constitue une atteinte manifestement illicite au droit d'association et d'expression, et constitue donc une voie de fait entraînant compétence judiciaire.

J'avoue être réservé sur ce raisonnement (mais j'ignore tout du dossier, la réserve est importante). Le Monde est équivoque en écrivant que « Le président du tribunal de grande instance de Paris a décidé, lundi 2 juin, d'autoriser l'association "Forum gendarmes et citoyens" à assigner en référé le directeur général de la gendarmerie nationale (le général Guy Parayre), ainsi que le ministre de la défense (Hervé Morin), en fixant au jeudi 5 juin la date de cette audience, où les deux parties seront représentées par leurs avocats », ce qui peut laisser croire que la question a été tranchée.

Visiblement, il s'agit d'une simple autorisation d'assigner en référé d'heure à heure : quand un demandeur estime avoir des motifs légitimes d'obtenir très rapidement une décision de justice eu égard à l'urgence (un jugement de fond peut tarder un à deux an, un référé un à trois mois), il peut demander au président du tribunal l'autorisation de doubler tout le monde. Pour un jugement au fond, on parle d'assignation à jour fixe[2], et pour un référé, d'heure à heure[3] (la loi prévoit même que l'audience peut se tenir au domicile du magistrat, toutes portes ouvertes jusqu'à la rue pour respecter la publicité de la procédure). Cette autorisation se sollicite par requête, que l'on va présenter au président dans son bureau (à Paris, un magistrat délégué est à notre disposition). Il lit la requête, écoute nos explications, nous pose des questions, et s'il accepte, nous indique quand aura lieu l'audience, et jusqu'à quand nous avons pour faire délivrer notre assignation, à peine de caducité de son autorisation.

C'est cette étape là qui vient d'être franchie : le président a estimé que les gendarmes ayant huit jours pour obtempérer à peine de sanctions, ils sont légitimes à demander une décision avant l'expiration de ce délai. C'est tout : le juge n'a pas encore défloré la question de la compétence judiciaire : elle le sera à l'audience jeudi, soit par le ministre ou le général, soit d'office par le juge, la question étant d'ordre public. Si le juge se reconnaît compétent, le préfet de police pourra exercer une voie de recours spéciale, en prenant un arrêté de conflit, qui porte l'affaire devant le Tribunal des Conflits. S'il se déclare incompétent au profit de la juridiction administrative, les demandeurs devront former leur recours de l'autre côté de la Seine (en vélib', il y en a pour cinq minutes à peine).

M'est avis, amis juristes, vu la jurisprudence postérieure à Action Française, notamment l'arrêt Tribunal de grande instance de Paris du 12 mai 1997, et la création des référés administratifs comme le référé-suspension et le référé liberté, que la compétence judiciaire en raison de la voie de fait est ici plus que douteuse. La voie de fait est un tendron pour les professeurs de faculté, mais on ne la voit plus guère danser dans le bal des prétoires.

Réponse bientôt. En tout cas, ça fait du bien un post sans mention de virginité, non ?

Notes

[1] Le tribunal des conflits est le seul tribunal de France à rendre non pas des jugements mais des arrêts.

[2] art. 788 et s. du Code de Procédure Civile (CPC).

[3] Art. 485 alinéa 2du CPC

lundi 2 juin 2008

Affaire du mariage annulé : la Chancellerie demande au Parquet général de faire appel

Tout est dans le titre. Sombre jour pour la liberté, qui voit l'État intervenir dans une affaire strictement privée à cause de l'émoi de l'opinion publique. Parlez-moi d'archaïsme, d'idées d'un autre temps, de piétinement des valeurs de la République, et je vous parlerai de cet appel, ordonné par une Garde des Sceaux qui approuve pourtant elle-même ce jugement. La République marche sur la tête, et la foule crie sa joie comme si on venait de libérer Barabas.

La loi garde la tête froide, cependant, et je me demande si cet appel est seulement recevable.

Le droit d'appel du parquet est essentiellement jurisprudentiel, jurisprudence qui l'a élargi bien au-delà des seules mentions textuelles (comme l'article 1055 du Code de Procédure Civile sur les rectifications des actes d'état civil). Il peut faire appel comme toute partie quand il est partie principale (c'est à dire qu'il a saisi le tribunal), c'est acquis. La jurisprudence a, si mes souvenirs sont exacts, étendu cette faculté aux cas où il était partie jointe (il n'a pas saisi le tribunal mais s'est invité à la fête) mais aurait pu être partie principale (bref, quand l'ordre public est concerné), mais je ne crois pas qu'elle le dispense de respecter le délai d'appel d'un mois de l'article 538 du CPC. Or le jugement date du 1er avril 2008, il a deux mois. Mais y a-t-il une condition de signification au parquet pour faire courir le délai à son égard ? J'avoue mon ignorance.

Y a-t-il un avoué ou un parquetier du service civil dans le blog qui pourrait m'éclairer sur les probabilités de voir en appel le triste spectacle des deux époux réconciliés dans le malheur supplier les Conseillers de confirmer ce qui n'avait pas chagriné le parquet du tribunal avant que la catin de Moro-Giafferi ne s'intéresse à leur bonheur quitte à le faire contre leur gré ?

Car si l'appel était irrecevable à cause d'un délai, quelle éclatante démonstration de ce que la procédure est le siège des libertés, comme le savent les avocats et les magistrats; mais personne ne les croit jamais.

Commentaires sur l'Asile du droit

Comme promis, pour ceux qui auront réussi à échapper à l'avalanche de commentaires sous le billet sur la nullité du mariage prononcé par le tribunal de grande instance de Lille, j'ouvre un billet pour commenter le documentaire de Henri de Latour, l'Asile du droit.

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