Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 19 juin 2008

jeudi 19 juin 2008

Affaire du mariage annulé à Lille : l'exécution provisoire a été suspendue

Une brève (je suis charette, comme on dit) pour expliquer une info qui n'a guère d'importance en réalité : le premier président de la cour d'appel de Douai a suspendu l'exécution provisoire du jugement du tribunal de grande instance de Lille du 1er avril 2008 ; annulant le fameux mariage pour erreur du mari sur une qualité (pour lui) essentielle (ce que savait son épouse), ces parenthèses sont devenues hélas indispensables.

Explications : À la demande de l'épouse, j'insiste là dessus : à la demande de l'épouse, le jugement du 1er avril a été assorti de l'exécution provisoire, c'est-à-dire que le juge a ordonné qu'il soit exécuté même si une partie faisait appel.

Cette faculté est prévue par l'article 514 du Code de procédure civile (CPC), qui pose le principe que l'appel est suspensif de tout jugement, sauf ceux pour lesquels l'exécution provisoire a été ordonnée par le juge ou est de plein droit (par exemple, les ordonnances de référé[1], art. 489 du CPC). L'exécution provisoire signifie que le jugement doit être mis à exécution, même s'il y a appel.

Cependant, la partie qui succombe peut avoir de bonnes raisons de s'opposer à l'exécution provisoire, raisons qui en plus ont pu se révéler après que le jugement a été rendu. L'article 524 du CPC permet donc de saisir en référé le premier président de la cour d'appel pour qu'il suspende l'exécution provisoire en attendant que la cour d'appel statue sur le fond du litige. Ce “référé premier président” ne peut aboutir que dans les cas suivants, prévus à l'article 524 : si elle est interdite par la loi ou si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. Par exemple, vous avez été condamné à payer une somme à la société Untel S.A., mais vous avez de bonnes raisons de soupçonner que cette société va faire faillite : si vous la payiez et que vous gagniez votre appel, vous n'auriez aucune possibilité de récupérer cette somme indûment payée.

Dans notre affaire, pourquoi le tribunal a-t-il ordonné l'exécution provisoire ?

Ben… Parce que l'épouse, défenderesse, le demandait. Pour une fois que quelqu'un prêtait attention à ce qu'elle voulait, c'est ballot. L'épouse ayant exprimé son accord avec la demande du mari, le juge pensait, à raison, que ni le demandeur ni la défenderesse ne feraient appel de ce jugement leur donnant à tous deux satisfaction (il n'avait pas pensé au procureur général). Autant leur permettre de faire transcrire l'annulation du mariage le plus vite possible, sans même avoir à attendre les certificats de non appels ou l'échange des consentements, si on ose dire, sous la forme d'un acte d'acquiescement au jugement.

Et pourquoi le premier président de la cour d'appel a-t-il ordonné la suspension de l'exécution provisoire ?

Il l'a fait à la demande du parquet, qui a fait appel de cette décision dans les circonstances que l'on sait. L'argument est facile à deviner et est difficilement contestable : permettre la transcription de l'annulation permettrait aux époux de se remarier, au risque de voir le premier mariage rétabli si la cour d'appel fait droit à la demande du parquet. La situation ne serait pas « inextricable » comme le dit un magistrat cité par Le Monde (inextricable s'entendant au sens de : “difficile à expliquer en peu de mots”). Il faudrait dans cette hypothèse une nouvelle action en annulation de mariage, portant sur le second pour bigamie, mais cette fois ci la morale serait sauve, le fondement ne serait plus l'article 180 du Code civil mais l'article 147 du Code civil. Permettre un mariage potentiellement nul est une conséquence manifestement excessive. Il est temps qu'on signifie clairement à ces époux qui se croient on ne sait où que leur bonheur conjugal regarde la Nation toute entière.

Ce qu'il faut retenir est que cette décision ne préjuge absolument pas du fond, qui sera tranché en septembre, si les avoués le veulent bien. Enfin, c'est l'audience qui se tiendra le 22 septembre. L'arrêt sera plus probablement rendu en octobre-novembre. En attendant, le jugement reste valable, mais il est privé provisoirement d'effet.

Donc, de facto, nos mariés sont de nouveau mariés, avec les compliments de la République, qui fera leur bonheur de gré ou de force. Laissez le champagne au frais, quel que soit votre opinion du jugement, il est trop tôt pour le boire. Rendez-vous à la rentrée.

Notes

[1] Rappelons que les demandes en référé sont des demandes qui sont examinées dans un délai relativement bref par un juge unique, qui peut prendre des mesures provisoires, soit urgentes soit ne se heurtant à aucune difficulté ou contestation sérieuse, et ne préjugent pas de la décision sur le fond d'un litige.

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