Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 20 juin 2008

vendredi 20 juin 2008

Brice l'Haruspice

Il m'épatera toujours.

Brice Hortefeux, notre Ministre de tout ce qui flotte (que ce soit dans notre cœur, en haut d'une hampe ou dans la Marne), annonce triomphalement que le nombre d'étranger clandestins a diminué de 8% en un an. Pas 7%, pas 9% : 8%.

Le nombre de clandestins. Peste. J'ignorais qu'on avait fait un recensement. Y a-t-il aussi un annuaire ?

J'adore quand le gouvernement annonce sans rire des résultats que nul ne peut vérifier : ils sont toujours à sa gloire, comme le monde est bien fait.

Mais il y a plus drôle encore : c'est quand il essaie de donner sa méthode pour sonder l'insondable.

Un chiffre qu'il obtient à partir de quatre indicateurs.

Il observe d'abord que le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat (AME), de septembre 2006 à mars 2008, a reculé de 6,2 %. Ensuite, le nombre de reconduites à la frontière s'est accru en un an, du 1er juin 2007 au 31 mai 2008, de 31 %, atteignant 29 729. Par ailleurs, sur la même période, 22 403 personnes ont été refoulées à l'entrée du territoire, soit une diminution de 3 %, "signe que notre politique de dissuasion commence à porter ses fruits". Enfin, 26 400 demandeurs d'asile ont été déboutés en 2007 contre 32 000 en 2006.

Mettez tous ça dans un marmite, ajoutez de la bave de crapaud mort d'insolation et trois feuilles de mandragore, laissez mijoter, et abracadabra : vous avez 8%, un beau chiffre, meilleur résultat “depuis une génération”, ajoute le ministre, qui décidément s'est dit que si on peut jouer du pipeau, on peut aussi bien jouer du tuba.

Parce que déduire de la baisse d'attributions de l'AME qu'il y a moins d'étrangers, c'est déjà audacieux en soi. On fera remarquer que la seule déduction qui peut en être faite est… qu'il y a moins d'étrangers qui la demandent, et que le fait de donner son nom et une adresse à une administration, dans le sain climat qui règne ces temps-ci a de quoi décourager même des étrangers bien malades. La peur est une explication tout aussi valable que l'absence. Et pour parler chiffres, l'AME, c'est 192.000 bénéficiaires. 6,2%, c'est 11.900 personnes. Ces 192.000 excluent les étrangers présents depuis moins de trois mois, ceux qui ne peuvent prouver trois mois de séjour (les SDF, par exemple) et ceux qui gagnent leur vie et payent des impôts (les salariés clandestins par exemple, et ceux qui travaillent avec la carte de séjour d'un autre).

En outre, le nombre de reconduites à la frontière aurait augmenté, et le nombre d'étrangers refoulés à la frontière aurait diminué. Que l'augmentation du nombre de reconduites fasse baisser le nombre de clandestins, je l'admets volontiers. Mais le fait qu'on refoule moins d'étrangers à la frontière peut aussi vouloir dire qu'il y en a plus qui entrent. Le nombre global d'étrangers se présentant à la frontière a-t-il diminué ? On ne le sait pas. Ce n'est cependant pas impossible car, il faut lui rendre cet hommage, la Police aux Frontières déploie en effet un zèle remarquable pour dissuader les étrangers de venir en France. Même les scientifiques. Même les touristes.

Le Monde a fait un remarquable travail en analysant la méthode de calcul des certains chiffres. La conclusion est impitoyable : Brice Hortefeux a gonflé les chiffres de l'immigration de travail. Méthode bien connue pour le chômage : si on ne peut changer la réalité, on change de formule de calcul.

Bref, ce n'est plus du tuba, c'est de la fanfare.

Mais bon, après tout ce n'est qu'une question de vase communiquant : on baisse artificiellement des chiffres pour en faire augmenter d'autres, ceux des sondages. Communication, tout n'est que communication. La preuve : notre président, quand il fait son mea culpa, reconnaît des erreurs… de communication. Et que dit l'entraîneur de l'équipe de France de football après une humiliante élimination, dernière de son groupe ? Qu'il a commis une erreur… je vous laisse compléter la phrase.

Après la rétroactivité d'application immédiate, l'inconstitutionnalité à effet différé

Le Conseil constitutionnel a validé hier la loi relative aux organismes génétiquement modifiés (décision n° 2008- 564 DC du 19 juin 2008). L'humanité vit donc ses dernières heures avant l'anéantissement, ce qui n'empêche pas le Conseil d'innover juste avant le Maïs de l'Apocalypse.

Première innovation : la Charte de l'Environnement, intégrée à la Constitution en mars 2005, a pleine valeur constitutionnelle, et s'impose donc au législateur :

Ces dispositions, comme l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, ont valeur constitutionnelle ; … elles s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif ; … dès lors, il incombe au Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 61 de la Constitution, de s'assurer que le législateur n'a pas méconnu le principe de précaution et a pris des mesures propres à garantir son respect par les autres autorités publiques. (§18)

Affirmation tempérée par le fait que ce principe de précaution n'est pas absolu (c'est à dire qu'il ne suppose pas la certitude de l'absence de tout risque, comme l'espéraient certains parlementaires) :

Le fait que les conditions techniques auxquelles sont soumises les cultures d'organismes génétiquement modifiés autorisés n'excluent pas la présence accidentelle de tels organismes dans d'autres productions, ne constitue pas une méconnaissance du principe de précaution. (§21)

Deuxième innovation, qui est une pure création du Conseil, est l'inconstitutionnalité à retardement, ou loi-Cendrillon.

Le Conseil a en effet décelé une inconstitutionnalité dans le texte qui lui était soumis : un renvoi à un décret en Conseil d'État pour fixer des règles (les informations du dossier constitué par l'exploitant d'OGM qui doivent être accessibles au public) alors que la Constitution confie à la loi seule le pouvoir de définir les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, et les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement. C'était de fait permettre au Gouvernement d'agir dans le domaine de la loi. C'est contraire à la Constitution. Enfin, pas tout de suite.

Car face à cette incompétence négative (le refus du législateur de légiférer, laissant ce fardeau au gouvernement), le Conseil se trouvait face à un dilemme. Il faut légiférer sur ce point, sinon la loi perd tout son sens. Annuler cette délégation anticonstitutionnelle ne suffit pas à régler la question, puisque ces règles doivent être posées par le pouvoir législatif.

Dès lors, la seule solution était de déclarer en l'état toute la loi contraire à la Constitution, pour l'empêcher d'entrer en vigueur tant qu'elle n'aura pas été à nouveau examinée par le législateur.

Ou d'improviser.

C'est cette deuxième voie qui a été choisie :

La déclaration immédiate d'inconstitutionnalité des dispositions contestées serait de nature à méconnaître une telle exigence (de transposition de directives européennes qui auraient dû l'être depuis longtemps, ça alors, la France, en retard ?) et à entraîner des conséquences manifestement excessives ; … dès lors, afin de permettre au législateur de procéder à la correction de l'incompétence négative constatée, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2009 les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. (§58)

Bref, cette loi est conforme à la Constitution jusqu'au douzième coup de minuit de la Saint Sylvestre ; après quoi, telle une loi-Cendrillon, elle deviendra… une citrouille ?

Sauf erreur de ma part, c'est une première.

À ma droite, on louera le pragmatisme du Conseil et son inventivité pour étendre ses capacités de décision (après l'invention des réserves d'interprétation qui sont des déclarations de conformité sous condition, voici la déclaration de conformité à durée déterminée, qui s'auto-détruira dans six mois), et applaudira cette décision qui évite d'envoyer au pilon une loi accouchée dans la douleur et permet au Gouvernement de faire l'économie d'un nouveau concours de lâcheté (non que les candidats manquent, cela dit), à charge pour lui de faire voter en vitesse un amendement (au pif, dans le projet de loi "responsabilité environnementale" qui arrive mardi prochain ? Je rejoins Authueil dans ses prédictions. ).

À ma gauche, on se scandalisera des libertés prises par la Conseil avec la Constitution, qui ne prévoit nulle part cette possibilité de “retenez-moi ou j'annule cette loi”, et y verront un cadeau fait au pouvoir en place, une annulation totale de la loi étant une gifle pour le Gouvernement, et aurait été immanquablement présenté par l'opposition comme une victoire contre les OGM, ce qui eût été une manipulation des faits, certes, mais politiquement exploitable ; un peu comme un non irlandais en somme.

En attendant, nos campagnes reverront bientôt refleurir le MON810. Ça tombe bien l'action n'a fait que +25% depuis le début de l'année (contre +111% sur un an), je me demandais si je ne devais pas vendre. Comme le Conseil constitutionnel, j'ai bien fait de différer.

Rebondissement dans l'affaire Placid

Piqûre de rappel ici.

La cour de cassation a cassé le 17 juin cet arrêt de la cour d'appel de Paris. Cette cassation ne concerne que l'éditeur et l'auteur, le dessinateur de la couverture, qui a donné son nom à cette affaire, ayant renoncé à se pourvoir en cassation.

Après avoir écarté trois arguments inefficaces (le refus de la cour de réentendre les témoins cités devant le tribunal, ce qui est effectivement autorisé par le Code de procédure pénale ; l'amnistie des faits alors que la loi d'amnistie de 2002 excluait ces faits du bénéfice de l'amnistie ; la diffamation n'aurait pas été assez caractérisée alors que la cour avait bel et bien relevé l'imputation de pratique à grande échelle de contrôles “au faciès”), la cour retient le quatrième, sur l'exception de bonne foi.

La cour de cassation rappelle d'abord le raisonnement de la cour d'appel : « l'arrêt, après avoir admis que l'auteur de l'ouvrage poursuivait un but légitime en informant les lecteurs de l'état de la législation régissant les contrôles d'identité et des droits des citoyens en cette matière, et qu'aucune animosité personnelle à l'égard de la police nationale n'était démontrée, retient que “les éléments versés aux débats par Michel S… et Clément X…, s'ils illustrent l'existence d'un débat sur la pratique des contrôles d'identité, n'établissent pas pour autant ni l'augmentation de pratiques discriminatoires en ce domaine, ni même la part très significative que représenteraient, selon ce passage, les pratiques illégales de la police, pratiques dont Clément X... lui-même prétend qu'il ne peut pas en rapporter la preuve, ni dès lors les chiffrer” ; que les juges ajoutent que les pièces produites “n'apportent aucun élément démontrant la réalité et l'ampleur du phénomène dénoncé” ».

Les choses ainsi posées, la cour de cassation pulvérise cet arrêt par un bref attendu : « en subordonnant le sérieux de l'enquête à la preuve de la vérité des faits, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ». Fermez le ban, et envoyons les parties respirer l'air frais de la Normandie pour y recevoir justice (l'affaire est renvoyée devant la superbe cour d'appel de Rouen, je conseille aux parties d'emporter avec elles leur appareil photo le jour de l'audience, le palais est un bijou, notamment la salle des pas perdus).

La cour d'appel s'est en effet un peu mélangé les pinceaux, en confondant l'exception de vérité et la bonne foi, qui ne suppose pas la preuve de la vérité des faits, mais la poursuite d'un but légitime, l'absence d'animosité personnelle, la prudence dans l'expression, et la possession d'éléments lui permettant de s'exprimer ainsi.

Placid doit-il se mordre les doigts de ne pas s'être pourvu ? Non, et, chers lecteurs vous aurez déjà deviné pourquoi. Sinon, relisez mon indispensable Blogueurs et Responsabilité Reloaded, vous avez un bon cas pratique.

Vous avez trouvé ? Hé oui : Placid était poursuivi pour injure, et non diffamation, et l'exception de bonne foi ne joue pas pour l'injure (seule la provocation excuse l'injure).

Et pour répondre à la dernière question que vous vous posez : oui, on en est bien à sept années de procédure pour 800 euros d'amende.

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