Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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octobre 2008

vendredi 31 octobre 2008

Mis en détention par un correcteur d'orthographe ?

J'apprends à l'instant que l'homme libéré à la suite d'une erreur de rédaction de la chambre de l'instruction de Paris a été remis en détention par icelle. Si quelqu'un peut me procurer une copie de la décision, je suis très curieux de savoir comment la cour motive son arrêt, et surtout ordonne le retour en détention alors que le juge d'instruction a, postérieurement à l'arrêt rectifié, pris une ordonnance de remise en liberté sous contrôle judiciaire qui à ma connaissance n'a pas été frappée d'appel.

La cour de cassation va être saisie par l'avocat de la défense, et on le comprend. S'agissant d'un pourvoi en matière de détention, elle doit statuer dans le délai de trois mois. On sera vite fixé.

Le communiqué triomphant de la Chancellerie est en cours de rédaction à l'Élysée.

jeudi 30 octobre 2008

im“média”teté judiciaire

Par Jean-Michel Malatrasi, magistrat, ancien juge d'instruction, ancien président de cour d'assises, et président du tribunal de grande instance de Digne.


Je reviens volontairement à l’affaire de Sarreguemines, dont l’actualité s’estompe (heureusement...), car elle revêt à mon sens une portée vraiment symbolique : il s’agit en effet d’une mise en cause, non plus uniquement de la responsabilité du juge, mais de l’essence même de sa mission, (à savoir l’application des règles générales fondées sur la loi, à la situation particulière d’une infraction ou d’un litige) : il est désormais acquis que le contenu même d’une décision de justice, pénale ou civile, peut être publiquement incriminé, mais non point en fonction des faits objectifs et de leur cadre légal, ni même au regard de notions morales : la décision est critiquée uniquement selon l’intensité de l’émoi collectif qu’un événement médiatiquement rapporté aura causé dans l’opinion : dans un tel contexte, est forcément regardé comme « injuste » tout ce qui choque l’émotion du moment , et comme « juste » toute réaction à chaud visant, en apparence au moins, à « réparer » « les conséquences du drame » et à « éviter qu’un tel fait divers ne se reproduise ! »

A ce stade, l’existence même de la décision de justice, avec la procédure qui y conduit est gênante ! Peu importent les éléments du dossier qui ont emporté la conviction, peu importe le travail de fond complexe ( et toujours collectif d’ailleurs ), des enquêteurs, experts, éducateurs , greffiers, avocats, magistrats ou jurés. Ce qui est recherché, ce n’est plus d’assurer la pérennité d’une justice impartiale, dans un état de droit . C ‘est l’émergence d’une im “média” teté judiciaire, une justice virtuelle confiée à l’arbitrage soudain de l’opinion, au vu des bribes d’information toujours parcellaires, sinon partiales, qui émergent au hasard des infos.

Rien d’étonnant alors que chacun d’entre nous se trouve désormais placé dans une situation Kafkaïenne, proprement inextricable : que le mineur récidiviste et justement condamné, soit incarcéré et se suicide, et c’est bien la responsabilité du magistrat qui est en cause (et peut-on contester que le décès d’un jeune en prison soit, en effet, toujours « injuste » ?) ou bien que, finalement laissé en liberté, il atteinte à la vie d’un tiers, et c’est encore le juge qui, par sa mauvaise appréciation, l’aura laissé dans la nature, qui devra « payer » ! (...et chacun conviendra que l’agression violente d’une victime par un récidiviste est en effet et à chaque fois “scandaleuse” ).

Dans les deux cas, d’ailleurs, la recherche “du” responsable solitaire, (version outreau) ne suffit plus désormais : ce sont “ les juges” ou le “système judiciaire” ( toujours et par définition corporatiste), incapables de suivre, voire d’anticiper les émois et les retournements de l'opinion d'un moment, qui, par leur résistance aux réformes ( sans qu’on sache très bien lesquelles d'ailleurs...) génèrent des "dysfonctionnements" : il en existe, bien sûr, et il faut y réfléchir sans cesse ! mais ceux-ci se révèlent curieusement bien plus nombreux lorsque s’élèvent, de la part du monde judiciaire, des protestations visibles...

Rien d’étonnant non plus, et très symbolique aussi, l’accroissement significatif du personnel des services de communication, notamment au ministère de la justice, tandis que baisse inexorablement le recrutement à l’école de la Magistrature...

C’est pourquoi, dès lors qu’il n’existe plus, au sommet de l’administration judiciaire, de recul suffisant à l’égard de cette prééminence absolue donnée au "temps médiatique" sur le "temps judiciaire" ce sont tous les défenseurs de l’état de droit, et pas seulement les juges, mais aussi les avocats, universitaires, et même les journalistes spécialisés (qui réfléchissent à la portée éthique de leur métier), qui doivent se mobiliser pour éviter une dérive aussi préoccupante de nos institutions.

Car, il ne faut pas s'y tromper : le "malaise" de la justice ne vient pas seulement de la pénurie des moyens : il a pour origine la "délégitimisation" insidieuse mais croissante, de l'autorité judiciaire dans la conscience collective ! Et lorsqu'une autorité constitutionnelle n'est plus considérée comme suffisamment légitime, ni l'indépendance, ni la cohérence du système de séparation des pouvoirs en démocratie ne sont plus garantis : il est vraiment temps d'en prendre conscience !

mardi 28 octobre 2008

La vie du blog

Bonjour à tous.

L'exposition médiatique récente de ce blog entraîne une affluence telle que T-Rex, mon serveur dédié, fait une dépression. D'où de fréquentes erreurs 503 que vous avez subies, j'en suis désolé.

Typhon, mon hébergeur, a aussitôt mis ses esclaves meilleurs ingénieurs sur l'affaire, et nous allons passer au modèle T-Rex 2.0, élevé aux OGM et aux anabolisants. Une coupure d'une dizaine de minutes à plusieurs heures est à prévoir, loi de Murphy oblige, pendant la migration. Aucun commentaire ne devrait être maltraité au cours de cette opération. C'est des pros, chez Typhon. Ensuite tout devrait aller mieux côté stabilité et délai de réponse.

Pour ma part, je vais être un peu plus discret pendant quelques jours. Je viens de me prendre une claque judiciaire qui m'a laissée sonné, et j'en redoute une seconde dans les heures à venir ; et dans ces moments là, non seulement je ne suis pas drôle, mais en plus je peux être franchement désagréable. Je ne voudrais blesser personne et vous n'êtes pas là pour que je me passe les nerfs sur vous (sauf clems, qui est le bouffon officiel de ce blog). Si vous voulez comprendre, lisez ce billet.

Et je profère les pires malédictions sur les rejetons des lois Clément et Dati. Je vous laisse deviner ce que donne l'accouplement d'une loi scélérate et d'une loi imbécile. C'est pas beau à voir.

Quant à toi, à qui je pense sans cesse en ce moment, je ne t'abandonne pas, et je te sortirai de là le plus vite possible. Tiens bon et pense à ta fille, elle a besoin de toi.

lundi 27 octobre 2008

Au secours ! Un homme libre s'est évadé !

Deuxième volet de la contre-attaque médiatique à la Jacquerie des Parlements, l'affaire de cet homme jugé à Montpellier pour viol, et qui a déguerpi avant la fin de l'audience à l'issue de laquelle il a été condamné à 10 ans d'emprisonnement.

Et là, je vais devoir critiquer la presse, même si ça me coûte, vous le savez, et qu'elle fait tant pour ma notoriété ces derniers temps. Car si je ne lui fais dans son ensemble aucun reproche pour avoir traité l'affaire de la faute de frappe (sauf pour les organes de presse qui ont parlé de récidiviste ou de multirécidiviste, surtout en citant le nom de la personne concernée au mépris de la présomption d'innocence), là, il y a une insuffisance de sa part.

Il est facile de deviner pourquoi ce qui relève de l'anecdote a tant fait parler : après l'erreur de jeudi, cela peut paraître comme une nouvelle bévue, un nouveau violeur remis en liberté par erreur.

Peut paraître. Et là est l'origine de mon mécontentement : le rôle de la presse, plutôt que de s'empresser de relayer une information qui accessoirement est si opportune pour le gouvernement dans sa contre-offensive médiatique à l'égard de la magistrature, est de rechercher où est l'anomalie, quelle erreur a été commise, et qui l'a commise. Cela fait partie intégrante de l'info qui ne peut être comprise sans cette mise en perspective. Sinon, c'est une information partielle qui est relayée et qui peut alimenter les préjugés des lecteurs. Or le rôle de la presse est, par l'information, l'analyse, l'éclairage qu'elle fournit, entre autres d'aider le citoyen à lutter contre ces préjugés.

Car je ne peux pas croire que ce que je vais expliquer soit si difficile à trouver pour un journaliste. Un homme libre est, comment dirais-je ? Libre. Donc un homme libre ne peut pas s'évader, et il n'y a nul dysfonctionnement, nulle faute à l'empêcher d'aller et venir. Et que le priver de cette liberté serait d'ailleurs un délit. C'est la loi qui le dit.

Détaillons.

L'accusé dans cette affaire comparaissait libre. C'est depuis 2000 de plus en plus fréquent.

Avant la loi du 15 juin 2000, le principe était que tout accusé devant la cour d'assises comparaissait détenu. Il devait se constituer prisonnier la veille des débats. C'est ce qu'on appelait la prise de corps. L'avocat de l'accusé pouvait, dès le début des débats, demander à la cour de remettre son client en liberté pour la durée des débats. La sanction était que l'accusé qui ne s'était pas constitué prisonnier n'avait pas le droit d'être défendu par un avocat.

La cour européenne des droits de l'homme n'a pas compris cette marque du génie français d'obliger un homme libre et présumé innocent à se constituer prisonnier sous peine de ne pas être défendu et a trouvé que décidément, cela ne paraissait guère compatible avec la présomption d'innocence. Elle a donc condamné à plusieurs reprises la France, la dernière fois dans un fort humiliant arrêt Papon, car être condamné pour violation des droits de l'homme d'un homme poursuivi pour complicité de crime contre l'humanité peut paraître, d'un point de vue d'exemplarité, quelque peu contre-productif.

Depuis la loi du 15 juin 2000, une personne accusée devant la cour d'assises et qui n'a pas été maintenue en détention à la fin de l'instruction ou remise en liberté entre l'ordonnance de mise en accusation et le jugement comparaît donc libre. Elle entre par la même porte que le public, et le soir rentre chez elle. Et lors des suspensions d'audience, elle peut aller fumer dehors ou boire un café au bistro en face.

C'était le cas de ce monsieur.

Ce n'est qu'à la clôture des débats, après la plaidoirie de l'avocat de la défense et que l'accusé a eu la parole en dernier, que l'accusé est momentanément privé de sa liberté.

L'article 354 du Code de procédure pénale (rédaction issue de la loi du 15 juin 2000) dispose :

Le président fait retirer l'accusé de la salle d'audience. Si l'accusé est libre, il lui enjoint de ne pas quitter le palais de justice pendant la durée du délibéré, en indiquant, le cas échéant, le ou les locaux dans lesquels il doit demeurer, et invite le chef du service d'ordre à veiller au respect de cette injonction.

Avant cela, l'accusé libre est… libre.

Or dans l'affaire de Montpellier, l'accusé, secoué semble-t-il par des réquisitions virulentes de l'avocat général, est sorti de la salle, et après avoir dit à son avocat qu'il ne se sentait pas bien, est parti et n'est pas revenu.

Nul n'avait à ce moment là le pouvoir de l'empêcher de partir. Sauf à violer la loi. Mais ça, ce n'est pas aux juges qu'il faut le demander. Je le sais, j'ai déjà essayé quand je débutais. J'ai arrêté, ça marche pas.

Cet homme ne s'est donc pas évadé, il n'a lui-même violé aucune loi.

Qu'a fait le président de la cour ? Vous ne devinerez jamais. Il a appliqué la loi.

L'article 379-2 du Code pénal, rédaction issue de la loi Perben II du 9 mars 2004 qui a abrogé la procédure de contumace en matière criminelle parce que devinez quoi ? Oui, elle n'était pas conforme à la Convention européenne des droits de l'homme. Cet article dispose que :

L'accusé absent sans excuse valable à l'ouverture de l'audience est jugé par défaut conformément aux dispositions du présent chapitre. Il en est de même lorsque l'absence de l'accusé est constatée au cours des débats et qu'il n'est pas possible de les suspendre jusqu'à son retour.

La cour pouvait aussi tout arrêter et reprendre à zéro à une session ultérieure : même article, alinéa 2.

Toutefois, la cour peut également décider de renvoyer l'affaire à une session ultérieure, après avoir décerné mandat d'arrêt contre l'accusé si un tel mandat n'a pas déjà été décerné.

Elle n'a pas décidé de le faire, car il y avait d'autres accusés, présents, eux. Elle a donc prononcé une peine par défaut, c'est à dire en l'absence de l'accusé.

S'agissant d'une peine de prison ferme, la cour a décerné mandat d'arrêt, comme la loi lui en fait l'obligation :

Art. 379-3 du CPP :

En cas de condamnation à une peine ferme privative de liberté, la cour décerne mandat d'arrêt contre l'accusé, sauf si celui-ci a déjà été décerné.

Mandat d'arrêt que le parquet général a transformé en mandat d'arrêt européen conformément à l'article 695-16 du CPP.

Que va-t-il se passer par la suite ? Le condamné par défaut ne peut pas faire appel (art. 379-5 du CPP). C'est l'article 379-3 qui règle la question :

Si l'accusé condamné dans les conditions prévues par l'article 379-3 se constitue prisonnier ou s'il est arrêté avant que la peine soit éteinte par la prescription, l'arrêt de la cour d'assises est non avenu dans toutes ses dispositions et il est procédé à son égard à un nouvel examen de son affaire par la cour d'assises conformément aux dispositions des articles 269 à 379-1.

En effet, l'accusé même couard a droit à deux procès en entier. Il faudra donc le rejuger, et il pourra faire appel s'il le souhaite. Toutefois, il comparaîtra détenu pour ce nouveau procès, le mandat d'arrêt délivré par la cour valant mandat de dépôt jusqu'à sa comparution devant la cour (art. 379-5 alinéa 2), comparution au cours de laquelle son avocat pourra détendre l'atmosphère en présentant une demande mise en liberté qui devrait bien faire rire la cour.

Comme vous le voyez, dans cette affaire, il n'y a eu aucun dysfonctionnement, mais l'application rigoureuse de la loi, votée faut-il le rappeler par l'actuelle majorité.

D'où mon agacement à l'égard du traitement de cette affaire qui est une non affaire. Je ne demande pas à la presse de connaître les subtilités du défaut criminel que je viens de vous expliquer, bien sûr. Vous l'expliquer, c'est mon rôle. Mais avant de se jeter sur l'info en se disant : « Tiens ? Un nouveau dysfonctionnement ! Hop, un article ! », se demander tout simplement : c'est quoi, le dysfonctionnement, au fait ? Car rechercher la réponse, c'était découvrir qu'il n'y en avait eu aucun. Et que les mécontents ne peuvent s'en prendre qu'au législateur ; à tort à mon sens, la loi actuelle sur le défaut criminel est très bien comme ça, c'est avec la réforme de l'application des peines le meilleur de la loi Perben II.

Je ne crois pas être trop exigeant en demandant cela à la presse.


Un petit post-sciptum inspiré par Raven-hs qui me dit que oui, tout cela est bel et bien bon, mais qu'il faut comprendre que l'on peut s'émouvoir de ce qu'une personne, placée en situation d'accusé, puisse lors de son procès disposer pleinement de sa liberté d'aller et venir au point de partir tranquillement du palais de justice.

Je me souviens d'une autre affaire de viol, plus grave, car les faits avaient été commis en réunion, les victimes étaient mineures, et les accusés étaient leurs ascendants. Pourtant, la moitié des accusés avait comparu libre. Et dans cette affaire, ce qui a posé finalement problème, c'est que l'autre moitié ne l'était pas.

C'était l'affaire d'Outreau.

Et je ne me souviens pas, lors de l'audition du juge Burgaud, ou lors de la comparution du procureur Lesigne devant le CSM, qu'une seule voix se soit élevée dans l'opinion publique pour dire : il faut comprendre que l'on aurait pu s'émouvoir que ces personnes, placées en situation d'accusés, pussent disposer de leur liberté d'aller et venir.

Elle est là, la schizophrénie dont se plaint la magistrature.

Libéré par une faute de frappe ?

Il fallait s'y attendre. À l'offensive des magistrats devait répondre une contre-offensive, médiatique bien entendu, puisque sur le terrain de l'argumentation, le général Lefèbvre a démontré que la position était imprenable.

Et quel bonheur d'avoir cette affaire qui tombe à point nommé, d'une personne libérée contre la volonté du juge car celui-ci aurait commis une erreur de rédaction dans son jugement. Cela tombe tellement à point nommé qu'on pourrait croire que c'est fait exprès, mais vous le verrez, je suis convaincu qu'il n'en est rien.

Que s'est-il donc passé ?

N'ayant eu accès à aucune des pièces du dossier, je me fonde sur les éléments donnés par la presse, qui me semblent assez convergents pour en tirer des conclusions fiables. J'insiste sur cette réserve, mes déductions s'étant parfois révélées en partie erronées. Je suis avocat, pas devin.

Une personne était mise en examen pour des faits de viols, l'un accompagné d'une séquestration de la victime et l'autre sous la menace d'une arme.

Le juge d'instruction de Créteil en charge du dossier a estimé début octobre avoir fini son instruction : tout le monde a été interrogé, au besoin confronté, les expertises ont été rendues, le dossier est selon lui prêt à être jugé. Il a donc rendu un avis à partie[1] les informant de cela, ce qui leur ouvre un délai d'un mois pour demander des actes complémentaires qu'elles estimeraient utiles, ou pour présenter des observations sur le sort à réserve à ce dossier (non lieu, mise en accusation devant les assises, requalification en délit et renvoi devant le tribunal correctionnel). Cette phase finale de l'instruction s'appelle le règlement.

Aussitôt, l'avocat de la défense a présenté une demande de mise en liberté. C'est un réflexe. L'article 175 notifié fait disparaître des arguments qui avaient pu justifier la détention provisoire : le risque de concertation frauduleuse, puisque les mis en cause ont été interrogés et confrontés, est moindre voire inexistant ; le risque de pression sur les victimes aussi puisqu'elles aussi ont été entendues, leur témoignage figure au dossier. Bref, tout ce qui consiste à permettre à l'instruction de se dérouler en toute sérénité ne tient plus. L'avocat de la défense provoque donc un débat sur la nécessité de continuer à détenir son client.

Le juge d'instruction qui reçoit la demande la transmet d'abord au procureur de la République, mais il doit donner sa réponse dans un délai de cinq jours, que le procureur ait ou non donné son avis. Puis le juge peut soit remettre en liberté, soit, s'il n'est pas d'accord avec cette mesure, transmettre la demande au juge des libertés et de la détention (JLD) avec son avis motivé, expliquant pourquoi selon lui la détention provisoire s'impose. Le JLD doit statuer dans les trois jours : lui seul peut ordonner le placement, le maintien ou la prolongation en détention provisoire.

L'ordonnance, prise sans débat oral pour aller plus vite, puisque chacun a donne son avis par écrit, peut faire l'objet d'un appel devant la chambre de l'instruction.

C'est précisément ce qui s'est passé. Le juge d'instruction s'est opposé à la libération, a transmis au JLD, qui a rejeté la demande, et l'avocat a fait appel.

L'appel d'un refus de mise en liberté ou de prolongation de la détention doit être examiné dans des délais stricts : 15 jours en principe, porté à 20 jours si le détenu a demandé à comparaître devant la cour (ce délai est de dix jours, porté à 15 en cas de demande de comparution, pour le placement en détention). Le non respect de ce délai entraîne la remise en liberté d'office.

Dans notre affaire, le délai a été respecté, et le 17 octobre, l'arrêt a été rendu. Et c'est là que l'affaire se noue.

La cour d'appel, ce n'est pas contesté, avait décidé de rejeter l'appel. Le mis en examen devait rester détenu jusqu'à son procès.

Pour comprendre ce qui s'est passé ensuite, une brève explication de ce à quoi ressemble une décision de justice.

Elle se décompose en trois parties : le chapeau, les motifs, le dispositif.

Le chapeau (peut-être les greffiers utilisent-ils un autre terme ?) contient les informations sur la décision et la procédure : la désignation de la juridiction (Cour d'appel de Paris, 5e chambre de l'instruction), le numéro d'enregistrement de l'affaire (n°2008/XXXXX, XXXXX étant le numéro d'ordre de l'affaire ; on approche la 5700e à ce jour), la date de la décision, le nom des parties, des avocats, des magistrats ayant pris la décision, de l'avocat général ayant requis, du greffier rédigeant la décision, et un bref rappel de la procédure (date des demandes et décisions du juge d'instruction et du JLD, dépôt de mémoires par les parties, nom des avocats présents à l'audience).

Les motifs rappellent dans une première partie, le “rappel des faits”, les faits motivant l'instruction, puis dans une deuxième, la “discussion”, expose les arguments des uns et des autres avant d'y répondre et de donner l'opinion de la cour.

Le dispositif clôt la décision. Elle est introduite par les mots « Par ces motifs », et expose en quelques phrases ce qu'ordonne la cour.

Ainsi, tout avocat qui reçoit une décision de justice saute à la dernière page pour lire le « par ces motifs » et savoir s'il a gagné ou perdu. S'il a gagné, il bondit sur son dictaphone pour informer son client. S'il a perdu, il lit les motifs pour voir où le juge s'est trompé.

Un arrêt de chambre d'instruction rendu en matière de détention provisoire peut avoir deux dispositifs (trois, si la demande est irrecevable, si l'appel a été fait hors délai par exemple).

Soit la cour maintient en détention. Le dispositif sera :

PAR CES MOTIFS, Dit l'appel recevable, Confirme l'ordonnance du juge des libertés du …

Soit la cour décide de remettre en liberté :

PAR CES MOTIFS,
Dit l'appel recevable,
Infirme l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du …,
Ordonne la remise en liberté de Monsieur LANDRU Henri Désiré,

La plupart du temps, la mise en liberté s'accompagne d'un placement sous contrôle judiciaire dont les modalités sont énumérées :

Place LANDRU Honoré Désiré sous contrôle judiciaire sous les obligations ci-après :
- Se présenter périodiquement à la gendarmerie de Gambais (Yvelines) ;
- S'abstenir de recevoir ou de rencontrer de riches veuves, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ;
- Ne pas détenir de cuisinière ou de poêle à bois.

Dans notre affaire, l'arrêt rejetant la demande de mise en liberté aurait dû être rédigé comme le premier modèle : par ces motifs, confirme l'ordonnance.

Or à la suite d'une erreur, c'est infirme qui a été écrit. Mais sans plus.

Le greffier n'a pas vu l'erreur et a signé l'arrêt, le président a fait de même, et l'arrêt a été notifié. En effet, pour un œil distrait ou fatigué, le dispositif court, les lettres -nfirme qui le composent, tout cela a l'apparence d'un arrêt de rejet, comme la cour a dû en rendre une dizaine identique le même jour.

Le parquet général, à qui l'arrêt est également notifié, n'a rien vu non plus.

Les parties civiles, à qui l'arrêt est notifié, n'a rien vu non plus (ce qui explique peut-être le ton rageur de leur avocat).

L'avocat de la défense, lui, l'a vu. Et il a fait ce que j'aurais fait, ce que tout avocat de la défense aurait fait : il a serré les fesses pendant cinq jours.

Pourquoi cinq jours ? C'est le délai de pourvoi en cassation contre cet arrêt. Un éventuel pourvoi aurait été incontestablement couronné de succès puisqu'il y a contradiction entre les motifs et le dispositif.

Une fois ce délai expiré (soit : le 17 octobre + 5 jours = 22 octobre, dernier jour pour se pourvoir, +1 = le 23 octobre, la journée d'action des magistrats, par le plus grand des hasards, j'en suis convaincu), il est allé voir le juge d'instruction pour lui faire remarquer qu'il avait une décision définitive infirmant l'ordonnance du JLD. Donc le titre de détention a disparu. Son client est arbitrairement détenu. Soit le juge le remet en liberté, soit il se rend pénalement complice de séquestration arbitraire, et on renvoie des procureurs en correctionnelle pour ça.

Le juge d'instruction n'avait donc pas d'autre choix que d'ordonner la remise en liberté, qu'il a assorti d'un strict contrôle judiciaire.

Quelques questions qui se posent désormais :

Comment une telle erreur a-t-elle pu se produire ?

Je ne sais pas. Ce genre d'erreur est hélas rarissime (il y a un précédent en 1994, c'est tout à ma connaissance), et s'explique en partie par le rythme de galérien imposé aux chambres de l'instruction, qui doivent faire face à un contentieux sans cesse grandissant (il y a des instructions aux parquets leur imposant de requérir la détention dans de plus en plus de types d'affaires, tandis que la loi a élargi les possibilités de recours des détenus, toujours cette schizophrénie dont parlent les juges).

Les jugements et arrêts ne sont-ils pas relus ?

Si, en principe deux fois avant la signature, par le président et le greffier, qui signent la décision, le greffier l'authentifiant en y apposant le sceau de la cour, et plein de fois avant l'expiration du délai de pourvoi, par l'avocat général, les avocats des parties, le juge d'instruction, et le directeur d'établissement à qui la décision est notifiée, qui tous auraient pu tiquer et déclencher le pourvoi. Une enquête administrative s'impose pour identifier l'erreur et éviter qu'elle ne se reproduise. L'Inspection Générale des Services Judiciaires va pouvoir servir à quelque chose.

Pouvait-on éviter cette mise en liberté ?

À partir du 23, à mon sens non. L'arrêt était définitif, et réduisait à néant le titre de détention. Garder cet homme prisonnier, c'était le séquestrer. Or séquestrer, c'est mal, d'ailleurs cet homme était mis en examen pour avoir commis de tels faits, entre autres. J'ai rappelé qu'un magistrat, et pas n'importe lequel, est renvoyé en correctionnelle pour avoir peut-être commis de tels faits.

Le parquet général pouvait former un pourvoi en cassation (suspensif) dans le délai de 5 jours, il ne l'a pas fait. Les parties civiles le pouvaient aussi (art. 568 du CPP), mais elles ne l'ont pas fait.

Et la rectification d'erreur matérielle ?

L'USM prétend que là est le salut. Je disconviens respectueusement.

L'article 710 du CPP prévoit que l'on peut saisir à nouveau la juridiction ayant statué pour « procéder à la rectification des erreurs purement matérielles contenues dans ses décisions. »

Purement matérielles. Or la jurisprudence de la cour de cassation en la matière est très claire, transposant d'ailleurs les règles appliquées en matière de rectification d'erreur matérielle en procédure civile : l'erreur purement matérielle ne peut aboutir à changer le sens de la décision. La contrariété entre un dispositif et les motifs d'une décision de justice ne sont susceptibles que de la voie de la cassation, en aucun cas cela ne peut constituer une "erreur matérielle". Le dispositif est la seule partie du jugement qui fait foi jusqu'à inscription de faux et la seule qui a l'autorité de la chose jugée. Voir l'arrêt Crim. 26 juin 1984, solution maintenue lors d'une affaire similaire à celle qui nous occupe le 9 février 1994 et inconfirmée le 17 juin 2003. Un exemple d'erreur matérielle dont la rectification est admise est un jugement qui condamne à payer 1000 au titre du préjudice matériel, 42 millions au titre du préjudice moral et 500 au titre des frais d'avocats alors que le dispositif ne reprend qu'une condamnation totale de 1500 : il s'agit d'une simple erreur d'addition (voir par exemple, pour des montants un peu inférieurs, cet arrêt du 25 février 1991).

La cour, saisie d'une telle requête par le parquet sur instructions expresse du Gouvernement, risque fort de refuser de rectifier son erreur, ce qui permettra une fois de plus de taper sur les magistrats qui osent refuser de violer la loi pour rattraper leurs bévues.

N'est-ce pas scandaleux, horrible, un déni de justice, un nouvel Outreau, un dysfonctionnement sans précédent, comme je l'ai lu dans les commentaires des lecteurs du Figaro.fr ?

Non, loin de là.

Que s'est-il passé ? Un homme, accusé d'avoir commis deux viols, mais toujours présumé innocent faute d'avoir été condamné (Ça ne vous rappelle rien ? Je vous aide : article 9), a été remis en liberté. Je vous la refais en plus court. Un présumé innocent a été remis en liberté. Je voudrais que ça arrive plus souvent, surtout concernant mes clients. Mais ce n'est pas sexy, alors voyez comment on vous le présente.

Un récidiviste, voire un multirécidiste pour 20 minutes (qui à sa décharge semble reprendre le texte d'une dépêche d'agence) a été remis en liberté par erreur. Sous-entendu en ce moment même il doit être en train de violer jusque dans vos bras vos filles et vos compagnes.

NON, NON et NON : il n'est pas récidiviste, faute d'avoir été condamné une deuxième fois, et la première condamnation ne porte pas sur des faits de viols. De plus, cette condamnation antérieure daterait de 2007, soit postérieurement aux faits de viols commis en 2006. Il ne peut donc pas être légalement considéré comme récidiviste. Il n'a JAMAIS réitéré son comportement criminel après avoir été condamné. Il est même parfaitement possible que la condamnation de 2007 ait mis fin à son comportement, et qu'il solde ses dettes pénales.

Ce n'est pas un violeur en série, rien ne permet d'affirmer qu'il va récidiver, même si des expertises médico-psychologiques soulignaient sa dangerosité : on parle de risques, pas de certitudes, et en l'occurrence, ce monsieur n'ayant pas été déclaré dément, la perspective de devoir passer un jour prochain aux assises a de quoi le décourager à passer à nouveau à l'acte.

Y a-t-il faute lourde de l'État engageant sa responsabilité ?

C'est ce que pense l'avocat d'une des parties civiles, qui compte agir très bientôt, annonce-t-il. Mieux vaut tard que jamais. Je me demande toutefois quel préjudice vont invoquer les victimes. La liberté est-elle un préjudice ? La peur des victimes ? Mais si la cour avait décidé de le remettre en liberté, ce préjudice aurait tout autant existé. En fait, il s'agit de la déception de ne pas obtenir ce que l'on souhaite ; ce n'est pas indemnisé par l'État.

En conclusion

Comme je l'ai dit en introduction, ce haro sur le baudet est de bonne guerre, même si l'exploitation qui en est faite, et qui consiste à amplifier les faits (c'est Hannibal Lecter qu'on a libéré…) pour exciter le peuple contre ses juges est infiniment regrettable. Tout comme le sont les propos du président de la République, qui depuis la Chine, a déclaré « Je n'ai pas l'intention qu'on laisse libérer un violeur récidiviste simplement parce quelqu'un a fait une erreur matérielle ». Atteinte à la présomption d'innocence, atteinte à la séparation des pouvoirs, complicité de séquestration arbitraire par instructions… Ah, l'immunité pénale du président, ça a du bon.

Et cette attaque tous azimuts contre la magistrature rebelle fait flèche de tous bois, y compris s'il le faut de manière totalement infondée. Je parle de l'affaire de « l'évadé » de Montpellier.

Mais cela fera l'objet d'un prochain billet, je suis en code jaune.

Notes

[1] Les praticiens disent : “le juge a notifié l'article 175”, car c'est l'article 175 du CPP qui prévoit cela.

dimanche 26 octobre 2008

Vous en reprendrez bien une petite part ?

Deux derniers (?) témoignages viennent se joindre à la liste : un juge administratif et un directeur de prison suisse viennent apporter leur témoignage pour montrer qu'ailleurs, ça ne se passe pas très bien non plus. je ne sais s'il faut en tirer une consolation. Billets ci-dessous.

Au Bal des Hypocrites

Par Persifleur, directeur d'établissement pénitentiaire en Suisse


Comme il est souvent édifiant de voir ce qui se passe chez le voisin et de découvrir, ou feindre de découvrir, qu'il rencontre les mêmes difficultés que nous. La surpopulation carcérale a atteint en France un record en cette année olympique. Selon un scénario désormais rôdé, on a assisté à des déclarations pseudo-intelligentes des uns sur la nécessité « de repenser globalement le système pénitentiaire », incantatoires des autres sur « la diminution urgente du nombre de détenus » ou encore dilatoires sur la nécessité de « mener une étude sur les causes de la surpopulation carcérale ». Puis, dans la foulée, vous assistez à des visites de ministres sur des chantiers de prisons modèles en construction, de promesses de voir les peines de substitution - vous savez les « bracelets électroniques » - comme remèdes miracle aux maux des prisons surpeuplées. Ou poudre de perlimpinpin c'est selon.

Billevesées que tout ceci. Depuis presque 10 ans, la France et les pays qui l'entourent, ont adopté le mode de la jérémiade humanitaire sous forme de diarrhée textuelle - rapports, rapports dits « d'experts » - pénétrées des hurlements outrés de milieux bien pensants, de fonctionnaires militants peu enclins à la réserve qui doit être la leur ou d'oligarques de l'Académie figés dans leurs certitudes d'antan. En 2000, un rapport vitriolé dénonçait, à grandes déclinaisons du mot scandale l'état des prisons dans ce pays. Dont acte et puis plus rien.

Passez la frontière et venez en Suisse. Vous ne serez pas dépaysés. Les problèmes sont identiques ou presque. Le néant des solutions entreprises par le pouvoir politique presque total. Les couinements plaintifs de ceux qui sont trop heureux d'exister à travers « les droits de l'homme en prison » lancinants. Vous êtes tétanisés devant les décisions que vous devriez prendre. Paralysés devant les responsabilités que vous devriez assumer, une fois achevée votre parade médiatique. Et pourtant est-ce si compliqué ? Soit vous êtes un partisan d'une ligne dure, répressive et vous l'assumez. Les lois sont appliquées, durcies et les prisons se remplissent. Vous ne voulez pas qu'elles débordent ? Vous en construisez des nouvelles. Vous pensez que les prisons surpeuplées sont encore trop confortables pour ces délinquants qui n'avaient qu'à bien se tenir ? Vous le dites et vous l'assumez. (vous serez difficilement réélu).

Vous êtes d'avis que la police arrête bien plus qu'elle ne devrait et que la justice est trop sévère. Eh bien soit. Vous donnez les instructions et les ordres nécessaires à la police - « fermez les yeux » ou « arrêtez d'arrêter », à votre guise - vous changez les lois et les prisons se videront sans doute assez vite. (vous ne serez sans doute pas réélu non plus mais au diable les détails).

Mais voilà. Vous devez adopter une ligne politique (c'est probablement possible). Vous devez mettre de côté votre penchant atavique pour une pensée crypto « humaniste » qui fait croire que des hommes politiques de droite sont atypiques lorsqu'ils se préoccupent du sort des plus démunis. Vous devez mettre de côté vos réflexes génétiquement inscrits de baba cool post sixty-height - figés - qui vous empêchent toujours d'imaginer que la liberté peut rimer avec l'ordre.

Seulement, comme disait Lénine, les faits sont têtus. Mettez en relation, dans le désordre, l'augmentation de la population, celle des délits commis, le débat pseudo académique entre les théoriciens des peines dites alternatives à l'emprisonnement, les héritiers au nom séculaire qui ne se sont donné que la peine de naître et qui, pénétrés de leur nullité, croient utile de donner des leçons à tout le monde. Vous obtenez une gigantesque cacophonie dont seuls les criminels et les délinquants profitent.

Et les TA ?

Par Conseiller de Base (un aristocrate), juge administratif dans un tribunal administratif d'Île de France, qui s'appellent conseiller dès le niveau du tribunal administratif pour compenser le fait qu'ils ne portent pas la robe (chez les juges judiciaires, ce n'est que dans les cours, d'appel ou de cassation, qu'un juge prend le titre de conseiller).


Cher maître, Puisqu'il semblerait que l'on puisse encore vous écrire et parce que je regrette qu'aucun juge administratif ne se soit encore exprimé, parce que je trouve incroyable que seule une courageuse assistante de justice ait eu le courage de dévoiler un peu de ce qui se passe dans les tribunaux administratifs aujourd'hui, je viens vous demander humblement de bien vouloir prendre en considération ce court billet.

Dans les TA[1] et les CAA[2] aujourd'hui, la seule chose qui compte, la seule chose qui importe vraiment, la seule chose qui régisse la vie des juridictions, ce sont les STATISTIQUES : délais de jugement, apurement des stocks anciens toutes matières confondues ... Pas un discours officiel, du président de juridiction ou du VPCE[3] qui ne commence par un rappel des chiffres, réputés bons ou mauvais de telle ou telle juridiction.

Je ne dis pas que les statistiques n'ont pas leur importance : oui, il est scandaleux de juger en quatre ans des affaires qui parfois touchent aux droits les plus fondamentaux de la personne humaine. Mais, d'une part, les données moyenne ne veulent rien dire et conduisent à juger au même rythme des contentieux aussi urgents que ceux qui portent sur des autorisations de licenciement de salariés protégés et des contentieux qui, ma fois, peuvent attendre un peu comme le contentieux fiscal (les requérants ont quasiment toujours obtenu le sursis de paiement), d'autre part, juger toujours plus à moyens constants, ne peut pas se faire sans casse.

Le résultat est là : ordonnances[4] à gogo, magistrats épuisés qui approfondissent de moins en moins les dossiers et présidents qui ne se préoccupent plus de la manière dont les dossiers sortent du stock du moment qu'ils en sortent. Après tout, si les requérants ne sont pas contents, pourquoi ne font-ils pas appel ? Parce que désormais, le ministère d'avocat est généralisé en appel et que les populations parfois défavorisées dont les requêtes sont rejetées par ordonnance ignorent souvent l'existence de l'aide juridique.

Notes

[1] Tribunaux administratifs.

[2] Cours administratives d'appel.

[3] Vice-Président du Conseil d'État, le plus haut magistrat administratif de France et le vrai chef du Conseil d'État. Le président du Conseil d'État est, de droit, le premier ministre en exercice, mais c'est un titre plutôt honorifique.

[4] En procédure administrative, on appelle ordonnance une décision rejetant une requête sans l'examiner selon la procédure de droit commun qui implique une phase préparatoire et un débat collégial avec intervention du rapporteur public. Si les ordonnances se justifient dans certains cas pour des recours irrecevables ou fantaisistes, la tentation est forte de gérer le stock en traitant ainsi des requêtes qui paraissent simplement douteuses dans leurs chances de succès. C'est la préoccupation des avocats : rédiger des recours qui passeront le stade de l'ordonnance. Cette procédure a été récemment étendue à la Cour Nationale du Droit d'Asile.

Quoi de neuf ?

Note aux nouveaux venus : il est de tradition que temps en temps, le dimanche, je m'autorise un billet léger, loin du thème du droit, destiné à émouvoir ou à faire rire, mais certainement pas édifier mes lecteurs (quoique…). Ce sont mes billets du dimanche. Ceci en est un.


Souvenez-vous.

En 2000, Budweiser®, une marque de bière bien connue qu'il faut boire avec modération, surtout si on aime la bière, lançait une campagne de pub qui allait connaître un succès… retentissant, c'est le mot. La campagne « Waaazaaa ».

Ne me dites pas que vous avez oublié.

Au cas où : piqûre de rappel.

Hé bien le mêmes acteurs ont été réunis pour la suite. Ça s'appelle huit ans plus tard.

Brillant.

vendredi 24 octobre 2008

Premier bilan

Je suis dépassé par le succès de mon initiative, et je suis ravi, on ne peut plus ravi, de cette libération de la parole des intervenants de la justice, magistrats en tête, mais aussi surveillants, CIP, experts, greffiers… Merci à tous ceux qui ont répondu à mon invitation. Je sais qu'eux même ont plutôt pris plaisir à l'exercice.

Mon blog a battu son record de fréquentation. La mariée de Lille peut aller se rhabiller. Mon site a enregistré plus de 53.000 visites (contre une moyenne de 30.000), dont au moins 23.000 visiteurs uniques (contre 15.000 d'habitude). Cela ne tient pas compte des lecteurs par flux RSS. Concrètement, c'est 33 Go de bande passante pour la seule journée d'hier.

Du coup, vous avez pu le constater, T-Rex, mon serveur dédié, a fait de l'hypoglycémie, d'où de fréquents Codes 503 qui vous ont accueilli. Typhon a fait face à un tsunami, mais ils travaillent d'arrache-pied pour que tout rentre dans l'ordre le plus vite possible. Qu'ils en soient remerciés, ça fait du bien d'être chez des pros de l'hébergement. Un peu de patience, ou revenez à trois heures du matin, c'est plus tranquille.

Je ne tiendrai pas mon silence annoncé jusqu'à dimanche : l'affaire de cette personne relâchée suite à une erreur de traitement de texte mérite un éclairage. Billet à venir dans la soirée ou demain. La justice est une machine qui ne s'arrête jamais…

Pour afficher tous les messages de la journée du 23 octobre, vous pouvez cliquer la catégorie "magistrats en colère" dans la colonne de droite.

La phrase du jour sera cette merveilleuse question d'une journaliste m'interviewant au téléphone : « Pouvez-vous me résumer, en une phrase, ce que disent les magistrats sur votre blog ? ». La presse, je l'aime aussi pour ça.

Et pour conclure, j'ai eu la démonstration la veille et le lendemain de cette journée que soit les magistrats ignorent effectivement mon identité, soit ils la connaissent mais ne me font aucun traitement de faveur. Et c'est très bien comme ça.

Je vous laisse, je dois faire appel.

jeudi 23 octobre 2008

52… Heu, non 57… Je voulais dire 61… Il fallait lire 63, bien sûr. Non, 64.

52 billets, que je livre à votre curiosité sans plus attendre. Des coups de gueule, des coups de blues, des chansons, des poèmes, des billets drôles, et d'autre comme des claques dans la figure.

La plupart étaient signés par un nom identifiable, mais tous ont demandé l'anonymat, certains par crainte, d'autre pour respecter l'esprit du blog.

Aucune tentative d'usurpation de la qualité de magistrat.

Les notes de bas de page sont de moi, sauf pour un billet, où je le précise. J'ai ajouté des liens vers le billet précédent et suivant en haut et en bas de chaque billet, pour faciliter votre navigation quand vous serez passé en ode d'affichage pour commenter.

Vu la longueur exceptionnelle de cette publication, je ne ferai aucun autre billet avant au moins lundi, pour vous laisser le temps de lire.

Vous pouvez tous les réafficher en cliquant sur la catégorie magistrats en colère, dans la colonne de droite.

Bonne lecture : vous avez une opportunité unique de découvrir ce qui se passe sous la robe. Merci aux magistrats ayant participé.

Et une dernière chose : c'est l'extraordinaire maladresse confinant à l'incompétence de l'actuelle garde des sceaux qui a conduit à ce projet un peu fou. Qu'elle en soit remerciée. Donner envie aux magistrats de s'exprimer ainsi, ce qui va tant contre leur culture, restera sa plus grande réussite. Il y a des fleurs qui poussent dans les cimetières.

Mais qu'une chose soit claire : si elle peut être critiquée, même durement, ce ne peut être que sur ses idées, sa méthode, ses réformes. Les attaques personnelels et notamment les allusions à sa vie privée sont grossières et déplacées, même si elle même a pu être tentée d'en jouer pour améliorer son image.

Tout propos déplacé sera immédiatement supprimé.


Mise à jour : Quatre billets avaient échappé à la mise en ligne, en raison d'une erreur de ma part (j'avais oublié de les affecter à la catégorie "Magistrats en colère", et c'est cette catégorie que j'ai mise en ligne d'un coup). C'est donc 56 billets que je mets en ligne, plus un de Dadouche qu'elle a directement mis en ligne. Soit un total de 57.

Ces billets rescapés se situent juste sous ce billet. Toutes mes excuses à leur auteur.

Pour les agrégés, j'ai également modifié mon fil RSS pour que les 60 derniers billets s'affichent dans les agrégateurs et les 100 derniers commentaires.


Mise à jour 17h27 : Et de 61. Des retardataires m'ont envoyé leurs contributions, je viens de les ajouter : ce sont les quatre billets ci-dessous.


Mise à jour 22h50 : J'ai été interviewé sur France Info à 22h20 (en fait à 20h20, c'est du faux direct). MP3 ci-dessous. Et j'ai ajouté deux trois billets reçus in extremis, qui sont juste ci-dessous. Il manquait un expert judiciaire, c'est fait.

Billet de dernière minute

Par Jojo, magistrate


Jeudi après midi, je lis les messages des collègues sur votre blog, les piles attendront, le week-end est long.

Je cherchais le message sur Monsieur F., vous aviez fait un tel buzz autour…

Les larmes montent aux yeux. Bon, je suis fatiguée mais je suis payée par l'Etat pour encaisser toute la misère du monde qui défile dans mon bureau.

Alors pourquoi ça coince ?

L'histoire de Monsieur F. met le doigt sur le fait que derrière nos dossiers, nos piles, nos mesures, il y a des gens, un monsieur, la dame, des gosses ...

J'ai choisi ce métier parce que j'aimais les gens justement, que je voulais les aider en servant l’Etat. J'avais 21 ans, j'étais dans la section "administration d'État" à ScPo et je me suis dit que je ne voulais pas être enfermée dans un bureau à rédiger des notes ou des rapports. Pour faire moins niais, je pourrais dire que j'ai choisi le métier de magistrat parce qu'il m'offrait l'opportunité d'exercer tout au long de ma carrière des métiers très différents, en restant indépendante, que j'y emploierais chaque jour mon sens de l'écoute en restant au contact des réalités sociales...

J'aime toujours mes semblables, passionnément, mais je ne suis pas sûre de réussir ce que je voulais en entrant dans la magistrature.

Pour nous titiller, Maître, vous nous demandez si nous sommes timides, oui, sans doute. Et pourtant chaque jour, nous devons prendre la parole, dans ce dossier de divorce très conflictuel, dans ce dossier de tutelles où aboutissent trente ans de tensions familiales... Les collègues ont raconté tout cela très bien.

Chaque jour nous devons parler, dire, expliquer, rappeler pour aider, dénouer, trancher.

J'ai souvent l'impression d'une justice bâclée, parce qu'on nous demande de recevoir les dossiers, situations, mesures, tous les quart d'heure au nom de la sacro-sainte statistique … de l'abattage, est-ce qu'on peut faire de l'abattage sur l'humain ?

Hier, les matinales de France culture et de France Inter étaient consacrées à la médecine. J'ai l'impression que le tribunal et l'hôpital sont tous les deux dans de beaux draps, au nom de l'efficacité, de la rationalité, de la rentabilité, on passe complètement à côté de l'humanité.

Je ne veux pas que les gens m'aiment mais je veux continuer à les aimer, à aimer mon métier, en préservant ma santé et ma dignité. Et pour cela, il faut commencer par conserver celle des justiciables. Parce que les victimes dans tout ça, ce sont certes celles qui sont si chères à notre Président mais c'est aussi ceux qu'on incarcère à trois dans 9m², ceux qui n'ont pas pu raconter l'histoire de leur couple parce qu'on ne leur a pas laissé le temps et qui vont garder ce divorce coincé en travers de la gorge pendant des années parce qu'on ne les a pas écouté, qui par conséquent reviendront une fois, deux fois, trois fois, ceux qui n'ont pas trouvé un fonctionnaire de l'accueil, disponible et formé, pour leur donner les renseignements nécessaires à la préparation de leur affaire, ceux qui tous les jours viennent dans les palais de justice pour attendre cette dernière mais la justice n'y est pas.

Fenotte propose une grève du zèle, la machine ne tournera pas longtemps, elle ne tourne de toutes façons que grâce à toutes les petites mains et les bonnes volontés qui l'habitent, fonctionnaires, greffiers, magistrats, partenaires. Aucune logique de gestion ne pourra jamais rendre la justice plus juste parce que la justice est rendue par des hommes pour des hommes.

Je ne veux pas le pouvoir ou l'argent, je veux continuer à aimer les gens, pour lesquels je travaille, et au nom desquels, chaque jour, je tâche de rendre la justice.

Je suis expert judiciaire…

Par LEF, expert judiciaire


... et je soutiens les magistrats en colère. Soutien inconditionnel.

De par mon travail, je suis un témoin privilégié des conditions de travail des magistrats instructeurs, de leurs greffiers et des magistrats du Parquet. Je vis à leur rythme depuis une quinzaine d’années (en moyenne 120 expertises par an), je suis témoin de leur implication, de leur abnégation, de leurs horaires au-delà du raisonnable, de leur souci permanent de recherche de la vérité et de leur désarroi face au manque de moyens qui s'aggrave de plus en plus.

Le code de procédure pénale change, mais les moyens mis à la disposition des magistrats pour appliquer ces changements ne suivent pas. J’ai lu avec intérêt le papier d’un magistrat sur le blog de Maître Eolas, concernant les moyens techniques déployés pour l’enregistrement des auditions. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres : le politique a fait son effet médiatique, le politique a annoncé à tout le monde avoir fait, mais ce n’est ni fait ni à faire. Les moyens techniques mis en place ont été choisis et distribués à la-va-vite ; ils sont d’une qualité aussi médiocre que celle de leur ancêtre le videogav. Les décideurs ne sont pas les utilisateurs ; les utilisateurs ne sont jamais consultés en amont ; et les utilisateurs ne sont pas écoutés en aval, parce qu’il ne faut pas vexer les décideurs et parce qu’il est trop tard, « on a déjà dépensé trop d’argent ». Et je ne parle pas de la solution qui ne résout rien : ceux qui contestaient l'authenticité des procès verbaux, contesteront l’authenticité des enregistrements. De qualité médiocre, ils sont quasi inaudibles et toute « pause » ou tout « arrêt » dans l’enregistrement sera source de doute (« c’est pendant l’arrêt d’enregistrement que le Juge m’a torturé, m’a extorqué un aveu, m’a menacé de ceci ou de cela ».

L’opinion publique pense que la Justice est lente. Alors le politique met la pression sur les magistrats pour clôturer vite les dossiers, quitte à les bâcler.

L’opinion publique n’a pas confiance en sa Justice. Alors le politique met la pression sur les magistrats pour qu’ils communiquent. Ils mènent déjà un rythme infernal pour le traitement de leurs dossiers, je ne sais pas quand ils trouveraient le temps de communiquer.

L’opinion publique accuse les magistrats d’instruire à charge. Je suis témoin que jamais un magistrat ne m’a demandé d’occulter dans mon rapport d’expertise les éléments à décharge, bien au contraire. Je suis témoin que les éléments à décharge trouvés lors de mes travaux d’expertise ont toujours intéressé au plus haut point les magistrats qui me demandaient de développer plus, le tout versé à la procédure comme il se doit.

L’opinion publique croit que les magistrats sont à la merci des experts, car ils subissent leurs rapports sans rien y comprendre. Je suis témoin qu’un très grand nombre de magistrats me harcelait de questions dès la réception de mon rapport pour comprendre ou pour vérifier tel ou tel point. Je suis témoin qu’un très grand nombre de magistrats est venu me voir spécialement pour constater de visu le déroulement et les résultats de l’expertise.

J'atteste que plusieurs Juges m'ont donné leur téléphone portable pour que je leur annonce le résultat des analyses, quelle que soit l'heure de la nuit. J'atteste que plusieurs Juge m'ont dit "y a pas de petites affaires ! vous y mettez les moyens qu'il faut !" Un jour où j’étais ébranlée par la mauvaise foi d’un avocat de la défense qui m’avait malmenée de façon indigne et injuste, le Juge d’Instruction m’a dit « vous savez, madame, vous et moi, nous sommes destinés à recevoir des coups bas dans l’exercice de notre métier. Il faut le savoir et il faut faire avec. Quoi qu’il arrive, nous devons continuer à faire notre travail selon notre conscience ». Ce Juge et beaucoup d’autres m’ont marquée à tout jamais.

J’ai voulu témoigner pour eux. J’ai voulu leur rendre hommage. J’ai voulu leur dire mon soutien. J’ai voulu leur dire tout le respect que je porte à leur travail. J’ai voulu leur dire mon admiration.

Je parle des magistrats instructeurs, de leurs greffiers, et des magistrats du Parquet, c'est à dire ceux que j'ai côtoyés au quotidien. Mon soutien s'étend à tous les magistrats et à tous leurs colaborateurs.

Quand je n'étais pas magistrat…

Par Drôle de Drame, magistrat


Oui, car figurez vous que je ne suis pas née magistrat. J'ai même fait un autre métier avant. Pas de magistrat dans ma famille, même pas mon conjoint.

J'écris cela car, à lire divers commentaires sur internet, je constate que nous sommes perçus comme "une caste", "corporatistes", "tous les mêmes", "endogames", et pourquoi pas des "petits pois", tant qu'on y est ? Alors, avant, je n'étais pas magistrat, et, jeune, pleine de fougue, utopiste, je croyais dur comme fer que les magistrats étaient une classe bourgeoise, des gens soumis au pouvoir (de droite, bien entendu), conservateurs, attachés à leurs privilèges, peu humains... Mon père, lui, pensait qu'ils étaient tous gauchistes, payés à rien faire, et surtout à faire ce qu'ils voulaient, au mépris des lois votées. La preuve, ils l'avaient débouté de sa demande contre un locataire et condamné aux dépens ! C'est donc bien qu'ils étaient contre les propriétaires et pour les locataires.

Et puis j'ai grandit, j'ai fait du droit, j'ai compris que la justice, ça ne devait pas être aussi simple. J'ai fait aussi de l'économie et j'ai vu que le budget de la justice était particulièrement ridicule.

Mais je n'étais pas encore magistrat. Je continuais quand même à penser que, probablement, certains ne faisaient pas bien leur métier, avaient envie de condamner les jardiniers marocains parce que c'était bien d'avoir un coupable sous la main et moins fatiguant que de vouloir en chercher un autre. Mon oncle, condamné pour une conduite en état d'alcoolémie, me dit pourtant que les magistrats sont racistes, la preuve il condamnent plus les bons français alcooliques qui conduisent alors qu'ils ont juste un peu bu et ont la malchance de se faire prendre, que les petits voleurs des cités. Et puis, je suis devenue magistrat. Parce que je voulais faire un métier plus varié. J''étais professeur, j'avais bataillé contre un certain Claude Alègre, je me sentais dévalorisée, et j'en avais assez d'annoner la théorie keynésienne ou le droit de la preuve. J'ai gardé de mon ancien métier une indéfectible admiration pour les professeurs car je considère que ce métier est encore plus difficile que le mien. Je suis beaucoup moins fatiguée après une audience, même longue, qu'après 4 heures de cours.

Donc, je suis devenue magistrat. Je n'ai pas beaucoup aimé la scolarité à l'ENM, que j'ai trouvée certes intéressante, mais un peu trop théorique. Je crois que j'aime mieux le terrain. Alors, je me suis régalée lors du stage en juridiction, et j'ai su que j'avais fait le bon choix. J'ai eu des maîtres de stage qui aimaient leur métier, le trouvaient passionnant, trouvaient qu'ils travaillaient beaucoup, sans moyens suffisants, et m'ont donné hâte de prêter serment d'être "un digne et loyal magistrat".

Premier poste, quel vertige, quelle angoisse aussi. J'ai mis quelques mois à trouver mes marques, ne plus m'affoler quand je recevais un coup de fil "Mme le Juge, qu'est ce qu'on fait ?". On a pas toujours les réponses dans les Codes ! Ce métier nécessite un solide sens pratique.

Il faut aussi savoir s'adapter : réforme de l'application des peines, réforme du divorce. Tiens, qui a dit qu'on ne voulait jamais de réformes dans la magistrature ? Si, on veut bien, quand elles sont réfléchies sur la durée, préparées, cohérentes, accompagnées de moyens suffisants. Bon, pour l'application des peines, il y a eu des efforts, mais ça aurait pu être bien mieux.

Les collègues ? Oui, il y a des cons, des hautains, des méprisants, des paresseux, des nuls, des francs mac, des malhonnêtes, des réacs, des idéologues... On en parle, on le déplore car ils nous font du tort, on regrette que les chefs de juridiction ne prennent pas toujours leur responsabilités. Mais ils sont vraiment peu nombreux. J'ai surtout rencontré des gens humains, à l'écoute, altruistes, intelligents, cultivés, drôles, voire tout ça à la fois. Des bon juristes aussi ! Cela va de soit, mais je pense que parfois, certains commentaires perdent de vue que pour être magistrat, il faut avant tout faire du droit, appliquer la loi au cas soumis.

Ce que j'aime le plus dans ce métier, c'est me dire que chaque jour, j'en ai appris un peu plus, soit sur le droit, soit sur la nature humaine. C'est certainement cela le plus passionnant. J'ai aussi développé une capacité d'écoute et de compréhension de plus en plus grande, je me suis enrichie. Je suis certainement moins naïve aussi, plus méfiante.

Ce que j'ai appris aussi, c'est qu'il y a loin entre la réalité d'un dossier et ce qui en est dit, ce que l'on en croit dans l'opinion publique. Je travaille actuellement sur une affaire assez médiatisée localement, et je suis sidérée de l'écart entre la réalité du dossier, ce que j'en lis dans les journaux, et ce que m'en disent les gens. J'ai appris qu'un juge, ça rend un non lieu, ça relaxe ou ça acquitte parce qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments dans le dossier, et que ça renvoie ou ça condamne .... parce qu'il y en a !

Ce qui est dur, c'est toutes ces questions, ces doutes, cette impression parfois d'être sur des sables mouvants. Je viens de recevoir une victime de viol, lequel est totalement nié par l'auteur. Et je me dis qu'ils sont bien malins ceux qui, derrière leur clavier, savent ce que devait faire mon collègue Burgaud.

Alors, quand est ce que tout ça s'est gâté ?

Il y a eu "le juge doit payer", l'empilement de modifications incohérentes, les réactions très émotionnelles à certains faits divers, la mise en cause de ces irresponsables, tantôt trop laxistes, tantôt trop prompts à embastiller.

Nous aussi, nous sommes dans la société, nous pouvons imaginer ce que ressent une victime. Je n'ai jamais oublié ce jeune homme qui avait une mise à l'épreuve pour agression sexuelle, que j'ai suivi strictement car je le sentais dangereux, que j'ai reçu pour lui rappeler ses obligations et qui quelques jours après a violé. Peut être qu'elle m'en veut cette victime, de ne pas avoir révoqué la mise à l'épreuve au premier incident (il n'était pas allé chez le psychiatre et chez le conseiller d'insertion). Pourtant, j'ai beau y réfléchir, je ne vois pas comment j'aurais pu traiter le dossier autrement.

Ce que je n'aime pas, c'est cette charge de travail parfois démente (je me suis surprise à dire à une collègue que je n'étais pas si mécontente de la mutation prochaine de mon conjoint car j'aurais plus de temps pour mes dossiers) et qui crée une insatisfaction permanente.

Ce que je déteste depuis quelques années, c'est ce tourbillon de "réformes" qui ne sont que valses hésitations, brouillonnes, incompréhensibles, allant dans tout les sens, au moindre fait divers. Et surtout la défiance envers le juge, dont les peines plancher sont l'exemple. Je n'ai jamais hésité à être sévère, stricte, "mère tape dur" quand il le fallait, mais je pense que je suis à même d'appréhender chaque situation, sans qu'on me dise ce que je dois faire.

Mme Dati ? Je crois qu'elle n'est que le symptome le plus voyant de cet emballement politique, toujours plus irréfléchi, toujours plus spectaculaire. Les caisses sont vides, on ne peut pas faire, alors faisons croire qu'on fait. Et tant pis pour les dégâts collatéraux, la justice bafouée, et la démocratie en danger. Et tant pis pour les détenus. Le plus grand hôpital psychiatrique de France, ce sont les établissement pénitentiaires désormais.

La personnalité de Mme Dati ? Je me fiche de ses origines, de ses robes, de sa vie privée. Personne en juridiction ne lui en veut pour ce qu'elle est. Les réformes de Mme Dati ? ... les réformes .... mais au fait, quelles réformes ? Oui, elles sont où, les réformes en profondeur, issues d'une large et réelle concertation, visant à apporter un changement profond ? Je n'en ai pas encore vu. Qu'on ne me parle pas de la carte judiciaire, qui aurait pu être l'occasion d'un réflexion sur le métier, le recours au judiciaire, le territoire ... et s'est transformée en un vague brouillon, consistant uniquement à supprimer quelques tribunaux, sans vraiment de cohérence.

Je veux bien toutes les réformes, toutes les lois nouvelles, les appliquer, mais que cela ait un sens !

J'ai été trop longue.

J'aurais voulu aussi parler des gens extraordinairement dévoués et intelligents avec qui je travaille ou j'ai travaillé : travailleurs sociaux, surveillants pénitentiaires, greffiers, policiers, gendarmes, avocats ... je dois en oublier.

Je m'amuse encore de ce que me disait mon conjoint sur les magistrats avant de me connaître, de connaître mes collègues, de comprendre notre métier. Alors, je pense souvent à la phrase d'un de mes professeurs : "Avant, j'avais trois théories sur les enfants, maintenant j'ai trois enfants". Je pourrais dire qu'avant, j'avais des idées reçues sur les magistrats, maintenant, je le suis. Et je voudrais continuer à l'être.

Merci maître Eolas, et désolée du retard.


Post scriptum : Quand j'ai eu fini d'écrire mon message, tout à l'heure, j'ai quitté le palais, plongé dans l'obscurité comme souvent quand je pars, en veillant à ne pas tomber, déséquilibrée par mon gros sac qui contient le dossier que je vais étudier ce week-end. Et je suis passée devant le palais, devant les marches sur lesquelles j'étais avec mes collègues cet après midi. Je me suis rendu compte que j'avais oublié quelquechose : de dire à quel point j'étais fière cet après midi !

Ensuite, j'ai pris le bus, un type défoncé est monté, une bière à la main, je ne sais pas ce qu'il avait pris d'autre. Il s'est assis à côté de moi et il m'a dit "je suis révolté, on est tous des révoltés, hein Madame ?"

Oui.

Qui suis-je ou vais-je et dans quel état j'erre ?

Par Petit Pois, substitut


Depuis huit ans, je suis une petite main de la Justice pénale. Substitut du procureur dans une ville moyenne du sud de la France qui figure régulièrement au bas des hit-parades des villes criminogènes comme on dit dans les gazettes, je tente, à mon petit niveau et avec mes petits moyens d'apporter une réponse à une délinquance de masse que ni moi, ni mes collègues, ni la police, aussi nombreuse et équipée soit elle, n'endiguerons pas. C'est la délinquance de la misère et du malaise social. Eh oui, dans le sud on a du soleil, mais contrairement à ce que chantait Aznavour, la misère n'est pas moins pénible au soleil.

La misère elle est aussi dans mon tribunal, comme dans tous ceux que j'ai fréquentés jusqu'ici : plein comme un oeuf, des cartons d'archives jusque dans les couloirs. Dans les réunions auxquelles j'assiste à la Mairie, à la préfecture, on me demande les coordonnées de mon secrétariat et je suis obligé d'expliquer que ma secrétaire, c'est ma main droite parce qu'il n'y a que le procureur qui a une secrétaire.

Mais ça, ce n'est pas le problème. Quand j'ai passé le concours d'entrée dans la magistrature, le budget de la Justice était déjà parmi les derniers d'Europe et, comme la plupart de mes collègues, je n'ai pas décidé de devenir magistrat pour m'enrichir, simplement pour essayer d'être utile. Utile à ces victimes dont parle si souvent Rachida Dati mais que, contrairement à elle, je croise tous les jours dans les salles d'audience. Utile à la société en essayant de trouver dans l'arsenal législatif les moyens d'éviter que l'auteur d'une infraction en commette une autre. Utile à mon prochain en essayant de contribuer à lui permettre de vivre en sécurité dans la même ville que moi.

Pendant la moitié de ma carrière, j'ai été substitut des mineurs. Parce que c'est usant, qu'il faut beaucoup de patience pour ne pas mettre des claques, aux mineurs parfois, à leurs parents souvent, c'est un contentieux dont les anciens se débarassent souvent au profit des jeunes magistrats. J'ai croisé beaucoup de gamins paumés, laissés à eux même par des parents absents ou inexistants, d'autres qui reproduisaient dans la rue la violence de la maison, quelques uns qui relevaient déjà plus du psy que du juge et beaucoup qui avaient besoin qu'on leur donne un cadre, qu'on jugule une crise d'adolescence.

J'en ai fait envoyer en prison, comme ma collègue de SARREGUEMINES, et je ne le regrette pas parce qu'à un instant T, dans la vie d'un adolescent qui accumule les actes de délinquance c'est quelque chose qui peut avoir un sens. Un sens parce que ce n'était pas une décision prise à la légère. Parce qu'avant de demander qu'on les emprisonne j'avais demandé qu'on les condamne à de la prison avec sursis, le plus souvent avec une mise à l'épreuve, pour qu'on leur donne ce cadre qui leur manquait. je les ai prévenus, d'audience en audience, que, s'ils recommençaient, la prison les attendrait et que je n'hésiterais pas à les y envoyer. Et l'enseignement essentiel de quatre ans au parquet des mineurs, c'est qu'il ne faut jamais avoir de paroles en l'air. Ma ministre n'a pas dû rester assez longtemps au parquet pour retenir cette leçon. Tous ces gamins dont j'ai requis l'emprisonnement, savaient pourquoi je le demandais et s'ils étaient peut être étonnés de s'apercevoir que ça tombait, ils savaient pourquoi ça tombait.

Puis vint l'ère des injonctions paradoxales. Ca a commencé par une loi sur les peines plancher qui ne m'a pas dérangé parce qu'elle permet aussi de déroger au plancher quand la situation l'exigeait, bref de faire du sur mesure éclairé et pas du prêt-à-condamner aveugle. Alors, légaliste, j'ai appliqué cette loi, TOUTE cette Loi. Puis on a commencé à fliquer l'application des peines plancher, à nous faire remplir une fiche pour chaque condamnation pour alimenter les stastistiques du Ministère. Sur cette fiche, il n'y avait pas de case pour expliquer pourquoi il était juste, et parfaitement légal, de prononcer une peine inférieure au plancher en raison des faits ou de la personnalité de l'auteur. Parce qu'il faut vous dire que, tant qu'ils ne se suicident pas, les mineurs (et les majeurs) dans les prisons, place Vendôme on s'en contre fiche. Ce ne sont que des statistiques.

Comme ces statistiques étaient trop hautes, et que nos prisons sont dans le même état d'indigence et d'indécence que nos palais de Justice, on nous a ensuite vanté les mérites des alternatives à l'incarcération... Magnifique mais pour ça il faut des hommes pour suivre les condamnés en semi-liberté, des bracelets électroniques qui coutent cher, quand ils marchent. Et malgré tout son entregent, notre ministre n'a pas réussi à faire réaliser ce genre de bracelets chez Dior.

A côté de ça, la police de terrain, avec laquelle les magistrats du parquet travaillent tous les jours, est démotivée parce qu'au ministère de l'intérieur, on ne raisonne aussi qu'en statistiques et que pour être bien vu, un commissaire préfère 15 arrestations de petits dealers, qui sont remplacés le lendemain, parce que c'est facile et rapide. Tandis qu'enquêter pour identifier les réseaux qui alimentent ces dealers depuis l'étranger, ça demande du temps et des moyens et que le gros dealer, dans les stats, il compte autant que le petit.

Moralité : substituts de base et flics de base deviennent désabusés parce qu'on ne leur donne pas les moyens humains, matériels et juridiques de faire appliquer efficacement la Loi.

Et quand, en plus, on convoque et traite comme une... (ne soyons pas aussi vulgaire que ceux qui nous gouvernent) une substitut de base qui n'a fait qu'appliquer la Loi à la lettre , je craque.

Je sais que Napoléon a organisé les parquets comme il organisait son armée : en pyramide avec un seul chef en haut. Mais quand le chef est atteint de schyzophrénie, donne ordres et contre-ordres à des troupes qu'il méprise profondément, il ne faut pas qu'il s'étonne de provoquer un grand désordre.

Plaidoyer pour la justice

Par Casamayor, parquetière


Il est difficile de parler d'un métier qu'on exerce à des lecteurs qui n'ont qu'une image de la justice tronquée et une méconnaissance du fonctionnement de nos juridictions.

C'est vrai qu'il y a un profond malaise dans la magistarture, nous en parlons ,nous essayons de comprendre et d'analyser pourquoi.

Non pas avec le garde des Sceaux qui n'en a cure, mais très régulièrement en fait à chaque fait divers qui est repris dans la presse.

J'étais magistrat en 2000, comme notre garde des sceaux avec plus d'ancienneté, la différence entre hier et aujourd'hui c'est qu'hier il y avait l'espoir d'être entendu et de la courtoisie à notre égard.

Aujourd'hui il y a quelque chose de l'ordre du désespoir face aux demandes folles de la société que nous représentons. Je suis au parquet.

Aujourd'hui réulièrement, je me demande si je resterai jusuq'au bout pour exercer un métier qui pourtant est exceptionnel, non pas par la théatralité de l'audience mais par la réalité du quotidien.

Nous exerçons notre métier sur des concepts qui sont très éloignés de ceux qui prédominent dans l'ère médiatique actuelle:Pour illustrer ce que je veux dire je tire quelques lignes d'un livre d'Al Gore que je transpsoe à la justice "A mesure que la prédominance de la télévision s'est accrue, les éléments extrêmements importants de la démocratie sont devenus marginaux. Mais la perte la plus grave est de loin est celle du terrain même où elle s'exerçait. le "forum des idées", était un lieu dans lequel "les vérités"pouvaient être découvertes et perfectionnées grâce à la comparaison la plus complète et la plus libre des opinions contradictoires".

la Sphère publique fondée sur l'écrit, qui avait émergé des lumières, a fini en l'espèce d'une génération par sembler aussi obsolète qu'une voiture à cheval.

Tout cela a fait place à une mise en place d'une politique de la peur."

Politique délibérémment mise en oeuvre depuis 18 mois maintenant.

Les magistrats respectent le contradictoire ,il y a toujours au moins deux points de vue dans un procès, nous savons que nous ne pouvons pas être aimés et nous ne devons pas l'être.

Notre devoir et de faire appliquer la loi dans sa rigueur et son humanité.

Nous respectons les personnes qui ont à faire à la justice, mais pour moi fondmentalement respecter un individu n'est nécéessairment pas faire droit à toutes ses demandes.

Requérir de l'emprisonnement n'est pas chose facile, nous le faison parce qu'il faut le faire parce que c'est pour cette mission sociale que nous sommes payés.

Nous savons ce que représente une peine d'emprisonnement pour un enfant ou un adolescent.

Nous savons aussi ce que ressentent les victimes de viols ou autres crimes .A l'audience et dans nos bureaux, nous les rencontrons quotidiennement.

Nous ne sommes pas dans une bulle à l'extérieur des murs de la Cité nous en sommes au coeur.

J'invite les citoyens à venir aux audiences.

Souvent à la fin des procès d'assises, les spectateurs venaient me parler pour discuter de ce qui s'est passé à l'audience ou du contenu de mes réquisitions. J'acceptais cet échange. Je ne requiers plus aux assises.

Comment faire comprendre que dans ce métier le plus souvent les décisions sont sur le fil ,que nous optons non pas, pour la meilleure mais pour la moins mauvaise décision.

Que quoi qu'on fasse surtout au pénal on fera mal.Mais qu'il n'y a que nous pour ça.

Nous ne pouvons et ne devons pas être dans la dégoulinence démagogique parce que cela ne rend pas service aux individus qui sont sous main de justice et à la société toute entière.



Oui nous doutons, mais il nous faut trancher.

Nous sommes avant tout contairement à ce qui se dit des professionnels de l'humain, nous connaissaons les hommes leurs faiblesses, leurs passions, leurs perversions, nous faisons avec.Nous agissons dans un cadre professionnel.



Les magistrats ne sont pas des fonctionnaires: la magistrature et une Autorité.

Les démocraties sont fondées, toutes sans exception, sur trois entités: le l'égislatif, l'éxécutif et le judiciaire, c'est l'équilibre entre ces trois pouvoirs qui assoie la démocratie. C'est là que doit résider l'indépendance de la magistarture du siège comme du parquet.

Briser l'un des trois, et l'éxécutif et le législatif se confondent en une seule voix.

Bien sûr nous ne sommes pas parfaits mais nous n'avons collectivement aucune arrogance, ni prétention à l'être. Dans les périods de crise, et de doute sur l'engagement professionnel, je pense aux écrits religieux qui fondent notre culture.

Aujourd'hui, je pense à Ponce-Pilate face à la foule qui demandait la tête du Christ. Ponce-pilate était magistrat. Il connaissait les hommes et je me dis "toujours la foule libérera Barrabas", il y deux mille ans comme aujourd'hui les hommes n'ont rien appris de leur histoire.

Mais pour le moment, trève de philososphie, il nous faut continuer pour les justiciables qui attendent que leur situation soit traitée, et qui heureusement pour un certain nombre nous en remercie.

Merci de cet espace de parole. bien cordialement à tous.

Malaise...? vous avez dit “malaise”...?

Par Pacifique en colère, magistrat


Magistrat depuis plus de trente ans, j’avais pour ambition d’être un “gardien de la paix”, qui tente, avec humanité et par une application adéquate du droit, de régler les conflits, de répondre avec justesse à la délinquance, de préserver ou rétablir, au moins devant la loi, l’égalité des citoyens, de garantir leur liberté dont la sécurité est une condition.

Aujourd’hui, la politique judiciaire m’atterre, m’inquiète car elle assigne au juge, un rôle qui n’est pas celui que je décris. C’est beaucoup plus qu’un “malaise”.

Notre ministre, vient clamer sur les ondes, sa compassion pour toutes les victimes d’injustices etc. alors que la réforme brouillonne et politicienne de la carte judiciaire, par la suppression des tribunaux d’instance, interdit à nombre de citoyens, le simple accès au juge.

L’orientation pénale est désastreuse et incohérente. D’un côté on oblige le juge à incarcérer - et les prisons n’ont jamais été aussi surpeuplées - de l’autre on lui demande des comptes lorsqu’un détenu se suicide, et que la presse en parle...

En matière judiciaire, la démagogie gouverne ce pays.

- Par de multiples biais, on accroît le sentiment d’insécurité - distinct des données objectives -, et l’on y répond ( à la délinquance la plus visible, celle des jeunes...) par des lois de plus en plus répressives, où le tout carcéral devient l’unique peine possible pour le juge, avec, le résultat, inéluctable pour demain, de voir augmenter et s’aggraver la criminalité. Ayant été pendant quelques années juge d’application des peines, j’ai constaté - et un audit du CNRS l’a confirmé - que la prévention de la récidive était bien mieux obtenue, par l’exécution rigoureuse des peines de milieu ouvert (obligations d’indemniser les victimes, de travailler, de soigner les addictions à l’alcool ou au drogue , d’accomplir un travail d’intérêt général etc.), de semi-liberté et autres alternatives à l’incarcération, que par celle-ci. Il ne s’agit pas d’être laxiste, mais efficace. Il est plus productif de mettre un jeune au travail, que de le laisser des mois dans une cellule à ne rien faire . Que prépare-t-on pour demain, si l’on enferme inconsidérément le jeune adulte, à l’âge où bien souvent il pourrait se stabiliser sur le plan affectif et social?

- L’on prétend lutter contre l’insécurité, mais on veut dépénaliser la délinquance financière, envers laquelle on est si peu sévère, alors qu’elle peut ébranler un pays, qu’elle s’alimente d’argent parfois fort sale récolté dans les trafics qui créent tant de violence dans nos banlieues,

- On rafle les étrangers en situation irrégulière, mais, de fait on tolère qu’on les (sous?) emploie, sans régulariser leur séjour...

- On demande au juge toujours plus de productivité, de rapidité, d’humanité et l’on restreint ses moyens... En 2008, le recrutement a diminué des deux tiers. Evalués par conseil de l’Europe les moyens donnés à la Justice placent la France au 39ème rang... (cf rapport du CEPEJ). Et c’est ainsi que nombre de magistrats font un travail de nuit... Citoyens, fréquentez les audiences correctionnelles et restez jusqu’au bout, vous apprécierez.... comment voulez-vous qu’il n’y ait pas d’erreurs...Quand je présidai une chambre pénale, dans un grand TGI, j’avais trois audiences par semaine, commencées à 13h, nous étions contents lorsqu’elles se terminaient à 22h... Entre temps, il fallait étudier les dossiers (“gros dossiers”...essentiellement d’affaires économiques et financières), rédiger (ou bâcler) les jugements, assurer les permanences de semaine ou week end, (juge des liberté et de la détention, rétention ou maintien en zone d’attente des étrangers). J’ai souvenir d’un joli premier mai de labeur, commencé dès 8h, achevé vers 1h (du matin) dans les embouteillages de rentrée de week end... sans récupération aucune le lendemain bien sûr...

Il faut donc comprendre qu’il y a plus qu’un “malaise” dans la Justice Française... C’est bien qu’il y ait colère, je crains que cela devienne une lassitude et un découragement déprimant...

Profession : juge

Par Profession : juge, vice-présidente en charge d'un tribunal d'instance


La version initiale de ce texte a été rédigée au moment où la commission Outreau procédait à ses auditions. Vice-présidente chargée du service d’un tribunal d’instance, j’ai peu à faire avec les mécanismes de la procédure pénale sur lesquels elle se penchait pour rechercher les erreurs et dysfonctionnements à l’origine du résultat que l’on sait. Il m’a semblé important d’essayer de faire comprendre que, quoique les litiges du quotidien qui forment l’ordinaire des tribunaux d’instance aient peu de chances de faire la une des médias, les évolutions actuelles favorisent, là comme ailleurs, la multiplication de minuscules Outreau dont seules les victimes s’indigneront. Quand les syndicats, dans la justice comme ailleurs, se plaignent que “l’exigence d’une justice de qualité est trop souvent sacrifiée au nom du productivisme”, on y voit au mieux une sempiternelle revendication de moyens, respectable mais secondaire. Je voudrais modestement essayer de faire comprendre comment l’exigence du productivime, désormais au centre du fonctionnement d’un tribunal d’instance, pèse au quotidien sur ses magistrats. Un juge des enfants, un juge d’instruction, un procureur, pourraient en dire tout autant sur les effets, dans leur sphère respective, de cette révolution copernicienne.

La LOLF, mode d’emploi

Le Parlement a voté à l’unanimité la LOLF (loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001), appliquée depuis 2006 sur tout le territoire. Désormais, les moyens de chaque juridiction - moyens humains aussi bien que matériels - sont attribués en fonction d’objectifs à préciser dans la demande annuelle de crédits. L’activité des tribunaux d’instance relevant pour la plus grande part du contentieux civil, nous devons nous placer dans le cadre de l’objectif stratégique n° 1 retenu dans le projet annuel de performance du programme “justice judiciaire” (PAP) issu de la loi d’orientation et de programmation pour la justice (LOLP) du 9 septembre 2002: “rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables en matière civile”.

Le principe étant posé que “la performance est au coeur du dispositif de la LOLF”, des indicateurs ont été mis en place pour mesurer cette performance. Ils sont au nombre de 8:
1) délai moyen de traitement des procédures (4,7 mois en 2003 et 2004, prévision 4,5 mois en 2005 et 2006, objectif-cible: 3 mois),
2) durée maximum nécessaire pour évacuer 75 % des affaires civiles (5,8 mois en 2003, 5,8 mois prévus en 2005 et 2006, objectif-cible: 4 mois), 3) ancienneté moyenne du stock, mesurée au 31 décembre de chaque année: cet indicateur sera disponible au plus tôt en 2008,
4) délai moyen de délivrance de la copie exécutoire,
5) taux de requêtes en interprétation, rectification d’erreurs matérielles et omission de statuer,
6) taux de cassation des affaires civiles (critère peu pertinent pour une juridiction du premier degré, la plupart des décisions rendues par les tribunaux d’instance étant susceptibles d’appel et non soumises directement à la Cour de Cassation),
7) nombre d’affaires traitées par magistrat du siège,
8) nombre d’affaires traitées par fonctionnaire.

On voit que, sur le double objectif “décisions de qualité - délais raisonnables”, le second est infiniment plus aisé à mesurer le premier. C’est à quoi s’attachent les 4 premiers indicateurs, les deux derniers mesurant la productivité des personnels en termes de flux. Le seul indicateur pouvant se rattacher à une notion de “qualité”, le n° 5, désavantage le tribunal d’instance, qui traite des contentieux dits “de masse”: problèmes locatifs, crédit à la consommation, paiement de factures... Depuis l’introduction de l’informatique, les juges sont fortement incités à utiliser le procédé du “copié/collé”: en reproduisant la motivation-type, on modifie uniquement les éléments relatifs à l’identité des parties, aux dates, aux chiffres, aux circonstances. Le risque est beaucoup plus grand de laisser passer, à la relecture, un élément provenant du jugement d’origine, que de se tromper dans une décision qu’on rédige entièrement. Plus généralement, apprécier la qualité d’une production judiciaire en se référant à la seule absence d’erreurs matérielles ne peut manquer d’être perçu, par un magistrat consciencieux, comme singulièrement réducteur, voire outrageant.

Alors cette fameuse qualité, que je revendique lorsqu’on me parle délais et stocks, en quoi consiste-t-elle si ce n’est pas un cache-sexe voilant l’inefficience ? Aux trois mots qui me viennent pour la définir, le découragement me gagne, car rien n’est plus antinomique à l’esprit de la LOLF: prendre le temps.

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Lutter contre le côté obscur de la Force

Par Lolotte au pays des petits pois, substitut, qui semble oublier que le côté Obscur, c'est elle.


Je pense au poème de Mallarmé qui évoque l'histoire de ce cygne dont les ailes sont prises dans les eaux gelées d'un lac et dont il ne peut se libérer, sauf à se mutiler lui même.

Adolescente, à la lecture de ce poème, j'avais peur d'entendre, un jour, le requiem de ce cygne à l'agonie.

La justice se trouve aujourd'hui prisonnière des mêmes glaces.

Et adulte, à l'évocation de cette idée, j'ai peur d'entendre, un jour, le sombre requiem de cette justice à l'agonie.

En fonction depuis 2 ans, je suis passée de l'écœurement à la révolte, de la colère à l'indignation.

On m'oblige aujourd'hui à requérir les peines planchers. Pas seulement contre ma liberté de parole à l'audience, mais aussi en contradiction avec une loi qui m'autorise à ne pas les requérir. Pourtant ma fonction n'est-elle pas de faire appliquer la loi?

Je ne sais pas, je ne sais plus... je suis perdue.

Manifestement la lecture de mon code, que j'irai bien jeter place Vendôme, ne suffit plus.

Mais ce que je sais, c'est que je ne peux accepter ce que la "haute sphère du pouvoir" cherche à m'imposer. La conviction que j'ai pour ma fonction est aux antipodes de cet automatisme qui consisterait à requérir sans raisonner, sans humanité et sans cœur et à considerer que derrières les dossiers, il n'y à que des numéros de parquet que l'on sanctionne et non pas des hommes et des femmes fussent-ils délinquants.

On me demande d'anticiper les conséquences de mes décisions, comme si de magistrat je serais devenue Medium. comment expliquer à Notre Ministre que je ne suis pas Madame Soleil? Je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdue.

On me convoque, on me demande des comptes, et accessoirement on me demande de me taire. Moi ça me donne envie de crier encore plus fort.

Je ne renoncerais pas aux convictions qui sont les miennes. Je refuse d'être un petit lieutenant ou une baïonnette aux ordres. Je me battrai pour cette justice en laquelle je crois, celle que nous nous efforçons de rendre tous et dans les conditions qui sont les nôtres. Et si je dois me mutiler et y perdre des plumes, me faire convoquer ou réprimander, soit.

Parce que personne ne parviendra jamais à mutiler les convictions qui sont les miennes.

Réflexions désabusées d'un juge d'instance

Par Truffe, juge d'instance


Je suis devenu juge parce que j'ai voulu mettre ma pierre dans l'édifice, pour permettre au faible de faire entendre ses droits, ne pas laisser la loi du plus fort s'installer, ramener un équilibre entre les parties.

Je crois en l'idée d'une justice accessible à tous, égaux devant la loi, à une justice rendue sans arrière pensée, à des juges impartiaux.

Aujourd'hui, ce en quoi je crois s'effondre comme un jeu de cartes.

Je suis dans un tribunal qui va disparaître. A titre personnel, je ne vais pas en souffrir : que je fasse mon trajet dans un sens ou dans un autre pour m'y rendre le matin, cela a peu d'importance, mais pour nos justiciables, il n'en est pas de même.

Dans un tribunal d'instance, on se défend sans avocat et souvent pour des petits montants.

Cela sera il encore envisageable de réclamer un paiement pour 150 euros quand il faudra faire 50 minutes de route en hiver en rase campagne et autant au retour pour, peut être, plusieurs audiences ? on y réfléchira à deux fois ...

Comment feront les personnes placées sous mesure de protection (tutelle, curatelle) dont les ressources tiennent souvent plus du RMI[1]. ou de l'AAH[2] que de la grosse fortune et qui bien souvent n'ont pas de permis et de véhicule pour rencontrer le juge ?

On nous répond qu'on tiendra des audiences foraines[3]...Peut-être en théorie, mais à l'heure où à effectifs constants, on se retrouve à devoir mettre en application la réforme des tutelles[4] et ré-auditionner ainsi tous les 5 ans tous les majeurs protégés, moi, je ne pourrai me permettre le luxe d'aller consacrer une après midi par semaine dans une salle de mairie.

On nous répond aussi qu'ils peuvent bien se déplacer dans certaines grandes enseignes suédoises, alors ils pourront bien faire l'effort de venir au tribunal...j'ai un gros doute que ceux qui nous disent cela aient déjà foulé le sol de ladite grande enseigne, ou alors, ils ne savent pas à quoi ressemble une personne sous tutelle, car moi, je n'y ai jamais croisé aucun majeur protégé de ma connaissance.

Comment feront ces gens surendettés qui viennent aux audiences de rétablissement personnel expliquer pourquoi ils ne parviennent plus à joindre les deux bouts et qui la plupart du temps sont soit venus à pied, soit par les transports en commun. Par manque de personnel, ils n'ont pas eu la chance de rencontrer quelqu'un à la Commission de la Banque de France qui a statué "sur pièces" et pour la première fois, ils rencontrent un juge auquel ils vont pouvoir expliquer leur situation, poser leurs questions et comprendre à quelle sauce ils vont être mangés...ce temps sera bientôt révolu.

Nul doute en tout cas sur une chose, je vais y gagner en temps d'audience : des audiences civiles avec moins de dossiers (moins de petites sommes en jeu en tous cas), des audiences de saisies des rémunérations auxquelles les débiteurs ne pourront plus avoir le luxe de se présenter, moins de tentatives de conciliation (difficile avec des absents), moins de déficients mentaux sous tutelle qui viendront demander des explications ou tout simplement exprimer leur état d'esprit au greffier...

Avec cette nouvelle version de la justice, je ne m'inquiète plus trop de n'être que 8000 pour réussir à faire tourner la boutique...

Une certaine maxime d'un certain La Fontaine ne disait elle pas déjà « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour ...».

Nous sommes 4 siècles après et, dans le pays des droits de l'Homme, ce brave Jean est plus que jamais d'actualité...

Quel gâchis !

Notes

[1] Revenu Minimum d'Insertion. Une sorte de RSA en moins bien, mais financé, lui. Pour 2008 : 447,91 EUR mensuels pour une personne seule, 671,87 EUR pour un couple. NdEolas.

[2] Allocation Adulte Handicapé : complément de revenus pour atteindre 652,60 EUR mensuels, déduction faite des salaires, pensions d'invalidité, rentes d'accident du travail, etc. NdEolas.

[3] Des audiences foraines sont des audiences qui se tiennent dans des locaux autres que le tribunal habituel : salle municipale, locaux administratifs, etc. Une grande part des anciens TI fermés sont censés recevoir des audiences foraines, ce qui exclut que ces locaux soient cédés. Bref, avec la réforme de la carte judiciaire, on va entretenir des locaux vides la plupart du temps. NdEolas

[4] Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qui entre en vigueur le 1er janvier 2009. NdEolas

CIP, un métier d'avenir

Par WK, Conseiller d'Insertion et de Probation (CIP). Fonctionnaire relevant de l'Administration Pénitentiaire, il est l'auxiliaire du Juge d'application des Peines (JAP) et du service de l'exécution des peines du parquet. Il effectue des enquêtes en vue de l'aménagement de peines et suit l'exécution des peines aménagées.


Je suis CIP. Ce n'est pas un métier fort connu du grand public. Laissons la description d'une semaine de travail classique vous mener sur la voie de ce que je suis.

Lundi : de permanence en milieu ouvert[1], je reçois les personnes sortant de l'audience du Tribunal de Grande Instance condamnées à une peine d'emprisonnement avec sursis et une mise à l'épreuve ou à un Travail d'Intérêt Général. Ce jour là, je reçois également les "sortants" de prison qui n'ont pas de suivi, dans un délai de 6 mois après leur libération. Pour finir, je vérifie auprès du Parquet qu'aucune comparution immédiate n'a lieu cette après-midi. A toutes ces personnes, je leur expliquerai leurs droits et leurs devoirs dans le cadre judiciaire.

Mardi : de permanence en milieu fermé, je reçois les nouveaux "arrivants" à l'établissement pénitentiaire dont je dépend. Je m'occupe de prévenir les familles, de leur expliquer les mandats, les parloirs, le dépôt du linge, la peine, etc etc. Je m'occupe également ce jour là des prévenus qui nous ont envoyé un courrier : "prévenir mon avocat que...", "mes papiers ne sont pas à jour..." , "je voudrai participer à l'activité de...", "il faut retrouver mon chien, je n'ai pas de nouvelles depuis mon incarcération...". Bref, du tout venant.

Mercredi : une (voire deux) enquête(s) aménagement de peine sur mon secteur géographique, à ¾ d'heure de route de mon service. Le magistrat qui me mandate, le Juge d'Application des Peine (JAP), veut que je vérifie la faisabilité de l'aménagement de peine demandé. Rentrée, je tape mon rapport, le fait valider par mon chef. L'après-midi, j'ai une réunion partenariale avec au choix : l'ANPE, une association d'insertion, des éducs de tout poil, un lieu de TIG[2], des JAP, la direction de l'établissement pénitentiaire.

Jeudi, Vendredi et parfois Samedi : je reçois mes 165 suivis. 165 personnes à qui il faut que j'explique leur mesure de justice (Sursis Mise à l'Epreuve, TIG et sursis-TIG[3], PSE[4], Libération Conditionnelle[5], Semi-Liberté[6]). 165 personnes qui ne doivent pas récidiver ni manquer au respect de leurs obligations. 165 personnes qui me sont confiées par la Justice et qui doivent, à la fin de leur mesure, seulement aller mieux. Ces 165 personnes, au mieux je les vois tous les mois et demi. Parce que le temps me manque...un peu.

Entre temps, les demandes de rapports tombent : rapports semestriels sur la mesure, rapports d'audience lors d'une nouvelle comparution, rapports d'enquête ceci, rapports d'enquête cela.

S'il y avait un autre jour dans la semaine, je pourrai aussi m'occuper d'un de mes "champ d'intervention transversal" au choix : problématique du logement, maintien des liens familiaux, les ressources d'emploi, l'implantation de la culture en milieu carcéral...

Alors, qui suis-je ? Je suis travailleur social de l'Administration Pénitentiaire. Fonctionnaire de catégorie B+ ou encore Cii (recruté à Bac + 2, mais payé catégorie B). Nous sommes 3000 en France. Nous suivons les quelques 60 000 détenus en plus des 100 000 mesures de milieu ouvert. Nous sommes soumis au devoir de réserve, sans droit de grève. Nous nous sommes mis en mouvement en juin 2008 suite à un retocage indiciaire du revenu de nos supérieurs. Parce que nous avions été oubliés. Encore.

Nous ne sommes plus des Éducateurs depuis 1999, date de la création de notre corps. Nous sommes maintenant des Conseillers d'Insertion et de Probation. Conseiller quoi, insérer comment ? La politique du chiffre nous touche également et rend notre métier incohérent, impossible parfois.

On crie que nous n'arriverons à rien et que la société toute entière en paye les pots cassés. On hurle que nous mettons, au mieux, des pansements sur des jambes de bois bouffées par des termites. Nous étions 1000 devant le ministère en juin dernier, on voulait juste avoir les moyens humains, logistiques et financiers de faire notre métier correctement. Nous avons été accueillis par des CRS. Nous avons eu des 1/30 prélevés sur notre salaire. Parce que nos supérieurs estimaient que lorsque nous dénoncions notre situation nous n'assurions plus le service public. Parce qu'ils sont comme ça, nos supérieurs, ils aiment bien l'ironie.

Nous ne sommes pas connus du grand public et parfois c'est douloureux.
Nous ne sommes pas reconnus par notre ministre et toujours c'est affligeant, frustrant, déprimant.

Merci de m'avoir lue.


Postface d'Eolas : merci à vous et à tous vos collègues. J'ai beaucoup de clients, d'ex-clients devrais-je dire mais je vous pardonne, qui s'en sont sortis grâce à vous. Parce que vous avez cru à ce dossier de libération conditionnelle monté en catastrophe qui a permis à ce père de retrouver ses enfants la veille de Noël. Parce que cette tête à claque qui ne savait que piquer des chéquiers a senti le vent du boulet avant qu'il n'obtienne in extremis une prolongation de délai d'épreuve qui lui a remis les pieds sur terre. Un bon CIP, ça vaut toutes les peines planchers pour lutter contre la récidive.

Notes

[1] Milieu ouvert : les condamnés ne sont pas incarcérés. Milieu fermé : ils le sont.

[2] Travail d'intérêt général, une activité non rémunérée effectuée à titre de peine, assortie d'une peine de prison mise à exécution si le TIG n'est pas effectué dans le délai fixé par le tribunal, 12 mois au maximum.

[3] Le TIG peut assortir une condamnation avec sursis ou être prononcée à titre de peine principale ; les modalités d'exécution varient légèrement, mais là n'est pas le sujet.

[4] Placement sous Surveillance Électronique, le “bracelet électronique”, qui permet de s'assurer que le condamné est présent chez lui aux heures déterminées par le JAP. Une sorte de détention à domicile.

[5] Généralement à mi-peine, le détenu qui présente des gages de réinsertion peut obtenir une libération conditionnelle, très encadrée par le JAP et suivi par un CIP. Il doit avoir un logement, un travail, un bon dossier disciplinaire, etc. Les libérés conditionnels sont ceux qui récidivent le moins.

[6] Régime d'exécution d'une peine d'emprisonnement : le condamné sort dans la journée de l'établissement pénitentiaire pour suivre une formation ou travailler ; il revient dormir en prison le soir. Les semi-libertés sont exécutées dans des établissements spécialisés pour éviter le contact avec les détenus : vous imaginez la source de trafic.

Le Raconteur

Par Anonyme, juge depuis 5 ans dans un tribunal de taille moyenne, en province


(Sur l'air du “Déserteur ”, lecteur Deezer en bas de page)

Madame le Garde des Sceaux,
Je vous fais cette lettre
que vous lirez peut-être,
je veux vous dire deux mots.

Je viens de recevoir
la dernière circulaire
sur la carte judiciaire
et j’ai perdu l’espoir.

Madame le Garde des Sceaux,
je ne veux plus me taire,
d’être juge, je suis fier,
mais maintenant c’en est trop.

C’est pas pour vous fâcher
il faut que je vous dise
ma décision est prise
je vais tout raconter.

Depuis que je fais ce métier
j’en ai vu des réformes
et pas toujours les bonnes
je les ai appliquées.

Au service de la loi
Avec humilité,
avec humanité,
au service du droit.

Vous étiez magistrat,
avez-vous donc tout oublié ?
Le pouvoir vous a changé ?
Essayez de vous rappeler.

Un jour trop cléments
le lendemain trop sévères,
Pour vous un seul repère,
la presse et l’air du temps.

Paris-Match, Closer, Gala,
Sous toutes les coutures,
Êtes-vous vraiment sure,
que votre place est bien là ?

Justice et politique
ne font pas bon ménage,
Mais qui donc est victime,
Ce sont les justiciables !

Je suis magistrat,
Madame le Garde des Sceaux,
Pas votre ennemi juré,
mais je suis écœuré...

Si vous me poursuivez,
appelez vos gendarmes,
mais rappelez-vous Madame,
Nous sommes des milliers.


D'après une chanson de Boris Vian, musique Harold Berg, © Ed. Aznavour Charles Editions Music, 1954.

Garde des souris

Par e**, substitut


Quelques réflexions sur ce que pourrait voir tous les jours un Garde des sceaux transformé en petite souris curieuse de parcourir les couloirs et salles d’audience d’un tribunal...

Commençons par l’audiencement d’un dossier devant le tribunal correctionnel :

- lorsqu'un prévenu est placé sous le régime de la détention provisoire, il doit comparaître devant le tribunal correctionnel dans les deux mois de son renvoi, une année pour la cour d'assises ;

- si aucun détenu ne figue au dossier, alors, comptez.... comptez comme vous voulez, dans de nombreux cas le futur condamné gagnerait devant la cour européenne des droits de l'Homme en poursuivant la France sur le fondement du droit à être jugé dans un délai raisonnable...

Une ordonnance d’organisation des services fixe dont les jour et heure des audiences. Et les journées ne faisant que 24 heures et les années que 365 jours, il devient difficile de créer une nouvelle audience correctionnelle. Sauf à supprimer l’audience du JAF de lundi après-midi. Et expliquer aux justiciable qu’ils divorceront dans huit mois parce que d’ici-là toute les audiences sont remplies.

La justice est en effet confrontée à un petit problème : pour tenir une audience, il faut un ou trois magistrats qui, précisément, n’ont pas d’autre audience ce jour-là, qu’elle soit pénale, civile, commerciale ou autre.

Il faut aussi un greffier, soumis au même aléa de disponibilité. Un huissier d’audience, c’est mieux.

Une présence policière pour intervenir lorsque le public est véhément, c’est un plus également.

Quand l’audience aura eu lieu, il faudra matérialiser le jugement.

Sa motivation relève du magistrat, qui la plupart du temps la dactylographie lui-même.

Ne mentons pas : si la motivation est obligatoire, elle se résumera très très très (trop...) souvent : “attendu qu’il ressort des éléments de la procédure et des débats que l’infraction est constituée ; que les faits sont d’une gravité telle qu’ils justifient le prononcé d’une peine d’emprisonnement non assortie du sursis”.

La décision ne sera réellement motivée au fond qu’en cas d’appel, afin que la cour puisse confirmer ou infirmer le raisonnement des juges correctionnels.

N’allez pas croire qu’il en est ainsi parce que les magistrats sont des fainéants... Non, ils n’ont juste pas le temps de motiver une décision qui n’est pas contestée et qui a été acceptée par le condamné. S’ils le faut, ils prennent ce temps. Mais ils rendront leur délibérés civils vendredi prochain au lieu de lundi.

Qu’il y ait ou non motivation au fond, le greffe devra mettre en forme la décision.

Le greffier l’aurait bien fait cet après-midi mais, hasard de l’activité pénale du ressort, il est appelé à assister à l’audience de comparutions immédiates. Elle débutera à 14 heures. Le temps d’examiner les trois dossiers, il sera peut-être 17 heures 45.

Mince, voilà des heures supplémentaires que le greffier va pouvoir récupérer. Il en avait déjà quelques unes sous le coude et, ainsi, ne viendra pas travailler vendredi prochain. C’est dommage, il aurait justement pu avancer à ce moment-là dans la dactylographie de l’audience d’il y a trois semaines. Allez, ce n’est que partie remise.

Dommage, comme vous dites mon bon monsieur. Mais si le greffier ne prend pas ses heures de récupération, personne ne les lui paiera. Donc il a bien raison de les prendre. Où est son sens du service public, me demanderez-vous ? La première année, il devait être là, sans aucun doute. La deuxième aussi. La troisième, il commence à se demander si on ne le prendrait pas un peu pour une poire. Il se rend compte que s’il reste au delà de son temps de travail prévu, non seulement il ne sera pas payé, mais encore personne ne lui dira merci

Ayant entendu parler du juge d’instruction, cet homme le plus puissant de France, la souris est bien curieuse d’entrer dans sa zone. Si ce magistrat a de la chance, il se trouve derrière une porte sécurisée, à l’abri des intrus vindicatifs. S’il exerce dans un tribunal plus ancien ou moins bien équipé, il est en libre accès, susceptible d’être pris à parti par la famille de la personne qu’il vient justement de recevoir avant de solliciter son incarcération.

Mais voici justement cette personne, gardée sous bonne escorte. Ils sont arrivés ce matin à 08 heures 30. Le temps que le parquetier prépare l’ouverture de l’information judiciaire, que le juge d’instruction prenne connaissance du dossier et réalise l’interrogatoire, il est 11 heures 30, au mieux. On attend que le juge des libertés et de la détention (le fameux JLD) vienne statuer son sort : maison d’arrêt ou contrôle judiciaire ? Ah, j’apprends que le JLD était ce matin à l’annexe du tribunal, à trente kilomètre d’ici, où il statuait sur la procédure relative aux étrangers en situation irrégulières placés au centre de rétention. Aujourd’hui, vingt-trois personnes lui sont présentées; L’audience se finira vers 13 heures 45. Le temps d’avaler un sandwich, de faire pipi et de prendre la route, le JLD sera au tribunal vers 15 heures. Il prendra connaissance du dossier et recevra la personne vers 15 heures 30, au mieux.

L’ex-gardé-à-vue désormais mis en examen et bientôt détenu sera donc resté, ainsi que son escorte, environ huit heures dans les couloirs de l’instruction. Son avocat, s’il na pas la chance d’avoir ses locaux professionnels à deux pas, aura perdu une grande partie de son temps lire les vieux magasines déposés par les uns ou les autre, comme chez le dentiste.

Essayons de pénétrer dans l’antre du magistrat, son cabinet. Un bureau, grand, petit, fonctionnel, mal fichu, définitif, temporaire, vue sur la mer, sur les montagnes, aveugle, allez savoir sur quoi vous allez tomber...

Tiens, le greffier.

Bon, moins bon, expérimenté ou non, comme le magistrat peut l'être. De leur alchimie dépendra la réussite du cabinet. Inutile de penser qu’il tournera correctement si le juge prend son greffier pour un moins que rien. Malheureusement, certains magistrats sont ainsi. Il faut être objectif, c’est parfois justifié (il y a des greffiers mauvais et caractériels), parfois non (il y a des juges caractériels et mauvais).

Tiens, ici, c’est un fonctionnaire de greffe fraîchement sorti d'école. Le juge dit de celui-ci (en réalité celle-ci) qu’il n'est rien d'autre qu'un pur bijou. Oui, on a parfois de la chance...

Tiens, un ordinateur. Patience, madame le juge, il sera renouvelé dès qu'il aura atteint le barre stratégique, comptable et administrative des cinq années. Comment ça celui-ci n’est pas équipé du port USB qui vous permettrait d’utiliser la clé que VOUS vous êtes achetée ? Patience, ma chère : cinq années, qu’ils disaient !

Tiens, le placard à fournitures. Oh, une congénère ! Pas vivante, non, vous savez ces objets en forme de souris qui déroulent une bande de correcteur. Ça a l’air d’être d’une bonne contenance. Comment ça, au bout de quelques décimètres la bobine n’enroule plus rien, le correcteur n’adhère plus au papier et il faut jeter ce qu’il reste de ce malheureux objet... Mince, quel gâchis. Peut-être croyait-on que l’administration ferait des économies en achetant cette marque ? Certes, s’il faut les jeter à mi-course, on n’est peut-être pas si gagnant que ça...

Ha, la boîte à stylos. Ils ont l’air chouette ceux-là, de type roller ou ink-gel. Tiens, justement, voici que le greffier en parle avec son collègue d’un autre cabinet. Que disent-ils ? Non, ce n’est pas possible ? Ces stylos sont justement réservés au magistrat, il est hors de question qu'un simple greffier les utilise. Parole du responsable des fournitures. C’est vrai qu’après tout, un greffier peut très bien se contenter d'un "Bic".

Voici la bible du magistrat : ses codes. À jour, bien entendu. Mais j’apprends qu’il a reçu les derniers courant novembre, quand ils sont en librairie fin août ou début septembre.

La curiosité nous pousse à jeter un œil, par exemple ce code pénal 2008.

Mince!, lorsqu'il est sorti, il n'était déjà plus à jour puisque n'y figuraient pas les dispositions nouvelles sur la récidive.

Tiens, les greffiers poursuivent leur conversation. J’apprends qu’alors qu’ils sont garants de l'authenticité de la procédure et, à titre totalement accessoire, tenus au respect de délais aussi peu importants que ceux de durée de détention, notification d'expertises ou ordonnances, de convocation etc.., qu’il n’auront pas eu le loisir de consulter leur code nouveau. En effet, seul le magistrat y a droit, à charge pour lui de donner ses exemplaires, très souvent périmés, à son greffier. C'est bien connu, un greffier d'instruction ne fait pas de procédure pénale...

D’ailleurs, le voici se dirigeant vers la salle des photocopieuse, ou il va réaliser la copie du dossier pour le double gardé au cabinet et une autre pour un avocat qui vient de la solliciter. Ah bon, pas de service de reprographie ? C’est le greffier qui fait cela tout seul ? C’est dommage, il a peut- être mieux à faire dans son cabinet, comme trier le courrier du jour, mettre en forme les derniers dossiers etc.

Tiens, voici le juge, en conversation avec des enquêteurs. Ils ont l’air motivés, ne comptant pas leurs heures. Ah, je crois comprendre que leur direction ne souhaite pas qu'ils aillent à Cuges les Pins entendre ce témoin pourtant capital, qu'il va donc falloir donner commission rogatoire au service d'enquête local pour procéder à cette audition capitale, qui sera donc réalisée par quelqu'un qui ne connaît pas complètement le dossier, son ambiance, ses à-cotés.

Qu’en penser ? Une seule chose : un bâton statistique est un bâton, résoudre une affaire de chat écrasé compte autant qu'un gros dossier de stupéfiants, et coûte beaucoup moins cher...

Ah j’entends l’enquêteur quémander, et être ravi d’obtenir de sa part, le vieux code de procédure pénale 2006 du juge (hé oui, nous somme en 2008 mais le 2007, c’est le greffier qui l’a). C’est vrai que ces pauvres enquêteurs doivent se contenter, à sept ou huit dans l'unité, d'un millésime 2004.

Nouveau coup de fil, cette fois à un expert. Contrit, le juge doit lui dire que, non, ce n'est pas normal qu'il ait dépassé le délai qu’il lui avait fixé pour rendre son rapport. Que, oui, c'est comme ça, rapport rendu dans les délais ou non, il ne sera payé que dans quatre ou cinq mois, voire plus parce que vous comprenez mon bon monsieur (cela vaut aussi pour les dames), nous sommes fin septembre, il n'y a plus d'argent dans les caisses et on n'aura de nouveaux crédits que début janvier.

Tiens, une question ? Si la justice était une entreprise privée, ne serait-elle pas réduite à déposer son bilan tous les ans à la fin du troisième trimestre, les actifs mobilisables étant insuffisants pour couvrir le passif exigible ?

Tiens, voilà qu’on parle des enquêteurs de personnalité, appartenant au service pénitentiaire d'insertion ou de probation ou relevant d'associations spécialisées. Il se dit qu’ils font ce qu'il peuvent avec ce qu'ils ont : toujours beaucoup de motivation et souvent aucun autre moyen matériel que leur huile de coude pour vérifier la véracité de ce que la personne mise en examen leur affirme.

Tiens, voici que l’interprète sort du bureau du JLD et vient saluer le juge d’instruction. Il a assisté les enquêteurs en garde-à-vue. Pendant 48 heures. Il est intervenu auprès du juge lors de l’interrogatoire de première comparution. Il sera convoqué ultérieurement pour une nouvelle audition de la personne mise en examen. Ah, il habite à trois heures de route de Paris, seul endroit où vous avez pu trouver un interprète parlant la langue qui vous intéresse ? Peu importe, il a l’air motivé, a le sens du devoir et de sa fonction. Il viendra. Et si l’interrogatoire va dure en tout et pour tout 15 minutes parce que la personne refuse de s’exprimer , le juge remerciera l’interprète qui sera renvoyer chez lui. Il expliquera que bien entendu il va être rémunéré pour l’interprétariat qu’il vient de faire (rassurez-vous, il y a un forfait pour la première heure). Que, bien entendu, il sera indemnisé de ses frais de déplacement (forfait kilométrique). Que, non, son temps de trajet (6 heures aller et retour pour une heure d’interprétariat rémunérée), ne peut être pris en compte... Que non, il est impossible de tricher (on appelle cela un faux) et d’ajouter une ou deux tranches horaires pour compenser cela. Je crois comprendre que la prochaine fois, l’interprète convoqué répondra que ça aurait été avec plaisir, mais que ce jour-là, justement, il a piscine...

Et voici l’armoire des dossiers. En moyenne, 80 à 90 par juge d'instruction en France. Dans ce tribunal en particulier, jusqu'à 180...

Certes, sa conscience commande au juge de faire au mieux, d'essayer de participer d'une justice bonne, correcte, lisible, fière d'elle. Mais, parfois, il devra seulement survoler des dossiers plus qu’il ne les ai instruira. Faisant toujours le maximum pour "sortir" les dossiers en cours dans des délais corrects, donnant systématiquement la priorité aux dossiers dans lesquels des personnes avaient été placées en détention provisoire. Mais parfois, souvent, en étant noyé sous le flot des nouveaux dossiers ouverts à l'occasion d'une permanence qui reviendra une semaine sur trois...

Tiens, suivons le substitut du procureur de la République, qui sort du débat devant le JLD.

La souris apprend que, pour simplifier, ce magistrat représente la société et en défend les intérêts, tant en matière pénale que civile ou commerciale, et exerce, au nom du procureur, l'action publique.

C'est à lui que les enquêteurs, tous les jours, rendent compte des affaires en cours, des garde-à-vues qu'ils ont décidées. C'est lui qui va devoir prendre la bonne décision, choisir la bonne voie de poursuite, souvent dans l'urgence des nombreux coups de fil qu'il va recevoir de nuit comme de jour.

C'est lui qui va aller requérir à l'audience correctionnelle. Pour cela, il aura préalablement examiné les dossiers, quand il aura eu le temps de le faire, et découvert le contenu de la plupart d'entre-eux, les poursuites ayant été ordonnées par son collègue de permanence au moment des la garde-à-vue. Comme ses collègues juges correctionnels, comme le greffier, comme l'huissier d'audience, comme les avocats et surtout comme les prévenus, il sera présent à 08h30 pour l'ouverture de l'audience et sera encore là à 19h00, quand elle se terminera.

Celui-ci vient d’arriver dans la juridiction. Son constat est globalement positif : nouvelle juridiction, nouveaux locaux (neufs) pour exercer ce nouvel aspect de sa profession.

Mais légère amertume quand la photocopieuse est en panne depuis trois semaines, qu’elle n’est plus sous garantie, qu’elle n’a pas encore cinq années d’ancienneté...

Quand les écrans plats, neufs, qui équipent la salle d’audience, ne fonctionnent pas et que vous ne pouvez pas montrer les photographies de cette pauvre dame qui s’est faite tabasser par le prévenu.

Quand la permanence revient une semaine sur trois, parce qu’un poste est vacant. Certes, on ne dit plus vacant, mais on compte en activité par magistrat. À ce jeu-là, certes, ce tribunal est mal loti mais les magistrats ont appris que, non, il ne fait pas partie des priorités et n’aura pas de renfort dans l’immédiat. Qu’importe, il manque un magistrat dans ce parquet depuis quatre ans, alors le procureur fait alors avec les moyens du bord, et notamment en comptant sur le renfort d’un collègue mis à sa disposition par le procureur général.

Ces quelques réflexions ne sont pas de la fiction. Elles synthétisent des événements vécus dans plusieurs tribunaux. Et qui pourraient sans doute être relevé par de nombreux collègues. Globalement, nos juges et procureurs vont bien. Mais notre justice va mal.

Je me suis concentré sur des aspects purement matériel qui grèvent le fonctionnement du tribunal et ralentissent le cours de la justice. Je laisse à d’autres le soin d’aborder les problèmes rencontrés dans des fonctions que je n’ai pas exercées en dehors de mon stage en qualité d’auditeur de justice. Je laisse à d’autre le soin d’aborder le parfois incompréhensible amoncellement de textes qui fait que le juriste n’y retrouve pas ses petits.

Il me semble que la mobilisation du 23 octobre sera un O.V.N.I. dans le monde du travail français. Personne ne va demander d’augmentation, personne ne va demander de partir plus tôt à la retraite, personne ne va demander de nouveaux avantages sociaux, personne ne va demander plus de jours de congés...

Non, il va seulement être fait ce constat : nous devons rendre la justice au nom du peuple français. Ce serait peut être faire justice à ce peuple que de nous donner les moyens de le faire correctement.

Nous ne demandons pas du luxe, non. Nous nous contenterions bien volontiers de pouvoir avoir la satisfaction d’avoir des moyens matériels corrects pour rendre la justice et donner autre chose qu’une obole, qui plus est bien tardive, aux services et personnes qui y contribuent.

J’exerce un très beau métier.

S’il ne fait pas rouler sur l’or (il reste sous l’égide de la grille des rémunérations de la fonction publique), il me donne largement les moyens de vivre.

J’ai la chance de l’avoir choisi.

J’ai la chance de l’aimer.

Madame le Garde des sceaux, Mesdames et Messieurs les prochains Garde des Sceaux, laissez-moi l’aimer encore.

Cher Justiciable…

Par Titi et Grosminet, magistrats placé (magistrats non affecté à un poste mais chargé de remplacer un magistrat absent ou d'apporter du renfort temporaire à une juridiction submergée. Les intermittents du spectacle de la magistrature).


Paris, le 23 octobre 2008, une paire de juges placés énervés et égarés au milieu de la place Vendôme.

Cher justiciable,

Aujourd’hui, nous le savons, tu n’es pas content.

Je l’avais pressenti en croisant ton regard dans la salle des pas perdus. Tu nous attendais au tournant. Tu t’étais préparé à cette audience, tu avais pris ta journée, cela faisait des mois que tu attendais une décision et voilà patatra ! Alors que nous n’avons pas le droit de grève et que nous savons que tu te fais un sang d’encre depuis des mois à l’idée de nous voir, nous avons renvoyé ton affaire à plus tard, dans trois mois, et ce pour faire un sitting sur les marches du palais. Tu ne comprends pas ?

Ravale ta colère un instant, s’il te plaît, juste le temps d’écouter nos explications, après tu pourras nous juger, en ayant tous les éléments en main.

Sois rassuré, nous savons bien que nous ne sommes pas irréprochables. C’est d’ailleurs pour cela aujourd’hui que nous t’écrivons à deux ces quelques lignes, et crions discrètement notre ras le bol dans la rue. Nous avons des torts mais nous implorons ton aide et ton soutien, il en va de la sauvegarde de ta justice.

Nous sommes une paire de juges placés. Des juges placés ? tu t’interroges... Non, il ne s’agit pas d’un nouveau pari proposé par le PMU, quoique l’idée de voir courir nos collègues en robe à Auteuil ou à Longchamps n’est pas sans nous rappeler les longues années de préparation au concours de l’Ecole de la magistrature.

On dit “juge placé” mais dans nos jugement, tu liras “juges placés auprès du Premier Président de la cour d’appel de Nerverland”. Tu te dis que notre titre est bien pompeux. Nous te l’accordons et la plupart de nos collègues placés sont d’ailleurs bien jeunes pour des magistrats de cour d’appel, même pas trente ans...

Les juges placés sont les bouche-trous de la magistrature assise et crois-nous, nous qui voyageons beaucoup, il y en a des trous dans les cours d’appel françaises.

Nous sommes itinérants, flexibles, adaptables, roue de secours ou pompier selon l’état dans lequel se trouve le tribunal où nous oeuvrons, pour quelques jours ou de nombreux mois.

C’est nous que tu as rencontré lorsque “ta Juge des enfants” est tombée malade. Tu étais en colère car nous avons mis tes enfants dans une famille d’accueil, et tu ne comprends pas comment un juge qui ne connait rien de ton histoire et de ta famille a pu maintenir le placement en toute connaissance de cause. Pourtant sache que j’ai passé plusieurs heures à relire l’intégralité des rapports depuis le signalement, que j’ai passé mon dimanche après-midi avec tes difficultés et celles de tes enfants et qu’avec le temps dont je disposais, je me suis imprégné autant que j’ai pu de votre histoire.

C’est également nous qui, après plusieurs mois de vacance de poste non pourvu par la Chancellerie, avons repris les rênes de ton tribunal d’instance, isolé et agonisant dans l’attente de sa fermeture.

Tu étais colère quand j’ai pris la décision de réouvrir les débats, alors que cette société de crédit menaçante te harcèle et a même osé t’appeler sur ton lieu de travail devant tous tes collègues et ton patron...Tu ne comprends pas ces délais intolérables mais sache que c’est pour lui rappeler la loi, constater qu’elle est en délicatesse avec le code de la consommation, et la priver ainsi des intérêts qu’elle te réclame chaque jour indûment.

C’est aussi nous qui vidons les placards remplis de vieux dossiers, et convoquons ton petit dernier qui a maintenant dix neuf ans et demi et qui travaille, pour un vol de scooter commis en 2006, dans une autre vie...

Nous sommes juge des tutelles, puis juge d’instruction, juge d’application des peines, juge aux affaires familiales, juge à tout faire. C’est une nouvelle politique des ressources humaines du Ministère de la Justice, tu dois le savoir, alors qu’on te parle de spécialisation des juges pour plus de sécurité juridique. Alors que, comme dans tous les milieux, beaucoup de magistrats partent à la retraite, les promotions nouvelles qui sortent de notre Ecole sont de plus en plus petites. Notre espèce de juge caméléon n’est pas près de disparaître...

Nous errons de tribunal en tribunal, de contentieux en contentieux, nous passons des heures sur les routes, dans les trains, à l’hôtel. A chaque nouvelle délégation, c’est une situation de crise à laquelle nous devons nous adapter, pour laquelle nous nous mettons au fait des lois applicables qui ne cessent de changer.

Nous ne sommes pas des héros et nous ne recherchons pas l’apitoiement. Nous avons choisi d’être magistrat par vocation, pour être ton serviteur et serviteur de la loi.

Nous reconnaissons que nous avons des torts. Nous sommes juges depuis peu de temps, et pourtant nous avons constaté que nous ne pouvons pas toujours exercer notre métier avec autant de perfection que nous l’avions imaginé en sortant de l’Ecole. Nous aurions tant aimé mieux t’expliquer pourquoi nous n’avons pas retenu la légitime défense plaidé un peu maladroitement par ce jeune avocat, ou mieux motiver cette ordonnance de non-conciliation. Nous aurions tant aimé être plus humain et plus patient avec toi, le jeune délinquant multi-récidiviste qui comparaissait à 23 heures devant nous, après 48 heures de garde à vue pour toi, et 10 heures d’audience pour nous...

Il nous en coûte de te faire cet aveu car nous aimerions tellement mieux faire. Ces imperfections habitent nos pensées de tous les jours, je te prie de nous croire, et il n’est pas rare qu’elles nous infligent des insomnies.

Nous aimerions tant être de justes juges.

Cher justiciable, nous le savons, tu n’es pas content, nous non plus. N’oublie pas, nous partageons un même objectif et c’est pour lui que nous reportons ton dossier aujourd’hui : disposer en France d’une Justice dont tu serais fier.

Point de vue d'une petite main

Par Sharl Dalauz, assistant de justice


Assistant de justice au sein du parquet d'un tribunal de taille relativement conséquente (considérant que cette juridiction est devenue un pôle de l'instruction, qu'elle compte une dizaine de parquetiers et qu'elle va bientôt subir une augmentation d'activité consécutive à la réforme de la carte judiciaire), je suis attaché au service du Substitut du Procureur de la République en charge des mineurs.

En fonction depuis deux ans et demi, j'ai assisté à la grande valse des magistrats, ceux qui nous quittent et ceux qui les remplacent, rencontrant en grande majorité des gens formidables. Je tiens d'ailleurs à profiter de cette tribune pour faire une véritable déclaration d'amour mêlée d'admiration aux parquetiers avec lesquels je travaille.

Je fais partie d'une équipe composée de substituts dynamiques dont la moyenne d'âge est approximativement d'une trentaine d'années. Il s'agit d'individus faisant preuve d'un grand professionnalisme et dotés, pour ceux que je connais, d'une éthique sans failles. En dépit de la masse décourageante de dossiers à traiter et de l'urgence perpétuelle dans laquelle ils œuvrent, ils prennent le temps nécessaire pour peser leurs choix et prendre la bonne décision. Ils suivent chaque cas avec soins, coordonnent l'action des enquêteurs en même temps qu'ils rendent des comptes à leur hiérarchie. Mes substituts sont courageux.

Que celui qui n'a jamais passé une journée dans le bureau jouxtant celui du substitut de permanence ne prétende pas avoir une idée de l'intensité de leur mission. La sonnerie du téléphone retentit sans interruption toute la journée durant, sans compter celle du portable réservé aux cas d'urgence qui vient souvent, et parfois même lorsqu'il n'y a pas urgence, se greffer sur la première pour former une mélodie assourdissante et épuisante. Les heures passées au bout du fil par un parquetier en 24 heures feraient pâlir de jalousie toute adolescente qui se respecte. La permanence, c'est une semaine, jour et nuit, quand vous déjeunez, quand vous dormez, mais aussi pendant que vous gérez vos dossiers. (car la pile de courrier ne se fige pas par magie pendant cette période) Et dire qu'ils sont encore courtois avec leur 46 ème interlocuteur... si si je vous assure je les observe et les écoute!

Je pense que le mythe du fonctionnaire plus occupé à compter ses heures de travail qu'à les accomplir n'est pas applicable aux magistrats. Le magistrat sait précisément l'heure à laquelle commence une audience mais un peu moins celle à laquelle elle se terminera. Cette considération en entraîne une autre, celle de la vie de famille. Ce métier demande une disponibilité et une flexibilité importantes et il faut savoir qui ira chercher le marmot à la crèche en cas d'imprévus.

Les exemples de ce type sont nombreux. Je me fais le défenseur de « mes magistrats » car ce sont des gens biens qui ont pris le temps, au milieu de ce tumulte quotidien, de m'apprendre beaucoup de choses qui me seront précieuses. Aujourd'hui, leur indépendance est menacée et la garantie de pouvoir exercer leurs fonctions correctement n'est plus assurée. Je ne ferai pas le procès de la personne (la nommer serait lui faire honneur) qui a mis le feu aux poudres mais je n'en pense pas moins et cette mobilisation générale constitue la plus belle des sanctions.

Le rassemblement qui aura lieu demain sera beau et il a demandé une nouvelle fois des efforts. « Mes magistrats » ont pris sur le temps pour sonner la révolte et tenter de faire passer le message en sollicitant les médias locaux, afin de relayer leur message. Ils aiment ce qu'ils font et sont prêts à se défendre pour continuer à le faire du mieux qu'ils peuvent. Ils ne se laissent pas gagner par le découragement et n'attendent plus depuis bien longtemps des remerciements. Ils accomplissent simplement leur tâche.

Je n'ai témoigné qu'en faveur du parquet car je ne peux pas parler de ce que je ne connais pas. J'apporte également tout mon soutien à tous les autres corps. Je pense toutefois que la cause est commune dans ces moments-là, sans distinction.

Pour ceux qui pourraient penser que le jeune assistant que je suis est trop passionné pour être objectif, caressant certainement le doux rêve de devenir un grand Procureur de la République, je puis vous affirmer que vous vous trompez. Je ne serai pas magistrat, ce n'est pas ma voie. Je respecte leur travail mais ce ne sera pas le mien. J'ai simplement donné un avis sur des gens que je côtoie et que je respecte.

23 octobre

Par le Bureau national du Syndicat des Greffiers de France ; j'ai écarté les textes syndicaux et communiqués officiels, préférant les billets personnels ; mais ce texte n'est pas un communiqué, il m'est adressé, et la voix des autres serviteurs de la justice doit aussi s'élever aujourd'hui. Sans les greffiers, nous ne serions rien, magistrats et avocats. C'est avec plaisir que je les accueille. Eolas.


Le Syndicat des Greffiers de France (SDGF) ne peut qu’abonder dans votre sens et vous propose sa contribution sur nos conditions de travail.

A l’heure où l’on prône un dialogue social de qualité, encore faudrait-il que le mot dialogue soit une réalité.

Or, les greffiers, « travailleurs de l’ombre » et véritables « petites mains » de la justice, sont, la plupart du temps, ignorés, voire pire, du genre « Un Greffier ?ça sert à quoi ! ».

Dans les médias, pour le grand public, la justice n’est généralement représentée que par les magistrats et les avocats.

Or si les jugements sont tapés, exécutés, en bref si la Justice fonctionne …c’est bien grâce aux Greffiers.

Pour autant, nos conditions de travail sont déplorables tant au niveau effectif qu’au niveau matériel et ne cessent de se dégrader.

De nombreux collègues sont partis à la retraite sans que l’Administration ait anticipé leur départ, en matière de recrutement, ou plus exactement, ait décidé de ne pas les remplacer.

De ce fait, les greffiers ne gèrent plus seulement leur service mais doivent faire face à une multitude de tâches supplémentaires.

Au niveau matériel, les logiciels sont totalement archaïques. Certains services dont l’exécution des peines ne sont même pas informatisés. Les temps préhistoriques sont toujours d’actualité.

Néanmoins, si le système judicaire continue de fonctionner, c’est grâce au sens du devoir du service public, au dévouement et à la conscience professionnelle des greffiers.

Mais, rappelons- nous que « tout être humain a ses limites, et celles des greffiers sont aujourd’hui atteinte » .

Il n’est plus possible d’exiger de nos collègues, sans aucune contrepartie, de poursuivre voire d’accroître les sacrifices qui leur sont demandés.

A titre d’exemple, les nombreuses heures supplémentaires effectuées ne sont pas payées et peu de greffiers peuvent les récupérer sinon les services accumuleraient un retard tel qu’il deviendrait ingérable.

De même, alors que les magistrats bénéficient mensuellement d’une prime modulable dite « prime au mérite », le greffier, binôme de celui-ci n’a rien, (sauf les greffiers affectés à la centrale).

Les jugements sont-ils fait par le seul et unique magistrat ? Pourquoi cette discrimination ?

Quant aux locaux, la situation n’est pas meilleure. La création de nouvelles fonctions (BEX ou pôle d’instruction, notamment) est une catastrophe en terme d’espace. On n’hésite plus à loger les greffiers dans les archives, ou, les uns sur les autres, dans les mêmes bureaux, dans des conditions qui entraîneraient, dans le privé, une intervention des Services de L’Inspection du Travail …

La réforme de la carte judiciaire et sa prochaine application vont encore aggraver une situation déjà intenable. Les greffiers des juridictions supprimées vont être répartis dans les juridictions maintenues, sans qu’évidemment les capacités d’accueil des locaux soient augmentées.

Certes on nous dit que « les caisses sont vides ». Si l’on en croit les décisions prises récemment en matière de crise financière, elles ne sont pas vides pour tout le monde …..

Le sentiment général de nos collègues aujourd’hui peut se résumer ainsi. : « Assez de promesses non tenues, assez de mépris. Nous voulons enfin que l’on nous donne les moyens de travailler et les moyens de vivre décemment.

Témoignage de juge

Par Tarrega, magistrat


Dans le cadre des travaux du Conseil Supérieur de la Magistrature en vue de l'élaboration d'un Code de déontologie, un institut de sondage a questionné un nombre important de magistrats, leur demandant quelles sont les principales qualités requises à leurs yeux pour exercer cette fonction.

La compétence, l'impartialité, l'honnêteté, l'intégrité, l'indépendance, le respect de la loi, la capacité de décision, la capacité à douter, le respect du justiciable, la capacité d'écoute, la compréhension de la société, la capacité de travail, le respect des autres professionnels du droit, le respect du secret professionnel. Tels étaient les questions posées.

Je connais un vieux magistrat qui voulait dit-il répondre à une questionnaire de ce genre: "avoir une bonne vessie" mais cet item n'était pas proposé. Et il n'était pas possible de modifier en ce sens la question qui portait sur cet aspect particulier de la capacité de travail. Peut être entrait-il dans cette anecdote une réflexe désabusé de sa part alors que son souci était d'écluser ses piles de dossiers.

Ce trait d'humour faisait allusion à la longueur de certaines audiences. En collégialité, quand on juge à plusieurs mais toujours en nombre impair, le Président peut toujours effectuer une suspension lorsque le besoin se fait sentir. Mais comme le disait Woody Allen, l'infini, c'est long, surtout vers la fin; Et que dire du Greffier, de son indispensable patience, du Procureur bien seul sur son coin de l'estrade? Et de ceux dont l'affaire va passer, et qui se fait parfois rappeler à l'ordre du fait du bruit causé par ses déplacements dans une salle où l'acoustique est souvent défectueuse? La justice, réceptacle de bien des drames individuels, n'a pas le pouvoir d'agir sur les causes du mal-vivre ensemble. J'ai le sentiment qu'elle en limite seulement les effets par son action quotidienne,

A d'autres, notamment surveillants pénitentiaires, travailleurs sociaux, SPIP et PJJ... de contenir ou d'attendrir la matière vivante que les juges leur confient, aprés avoir écouté les uns et les autres pendant de trop courtes minutes. Quelle tâche difficile! ( je parle de celle de ces gens qui ont pour métier de surveiller, punir, éduquer, contrôler, par mission judiciaire) Je ne parlerai pas des avocats, peut être parce que je les fréquente trop. Si l'un ne vous plaît pas, allez donc en voir un autre. La Justice est une institution qui porte le nom de la plus haute des vertus (il en est d'autres, et pas des moindres: Santé, Education...) Par la même elle n'est jamais à la hauteur de ce que les gens attendent d'elle.

Les politiques dont la mission est capitale dans notre démocratie ( les partis concourent à l'expression du suffrage, ce sont les élus qui font la loi) devraient se pencher plus dignement sur certaines fonctions de péristaltisme et d'urologie, si j'emploie des mots compliqués, c'est pas ma faute c'est que je suis bac+6 donc s'il vous plait regardez n'importe quel dictionnaire. Et aussi ce qu'on appelait dans un mot vieillot : « rééducation » Bref de défense sociale. Car la société défend ses valeurs.

La pancarte "chien méchant" n'a qu'une utilité modérée. Surtout lorsque le chien est pelé, que sa gamelle est vide et que sa laisse est trop courte. Et que le politique le traite moins qu'un chien (Le bassiste de jazz américain Charlie Mingus a écrit un livre qui porte ce titre, j'ai pas supporté la moitié de la lecture).

Le citoyen a surtout besoin d'avoir confiance dans la capacité du juge à peser avec concentration le pour et le contre.

Disons plutôt: la justice n'est pas une chienne. Car contrairement à la gent canine qui hérite sans doute là du loup des steppes, elle n'obéit à aucun chef de meute.

C'est constitutionnel, naturel. La justice est humaine. Je la crois prête à mieux répondre à ce que la société, c'est à dire les gens comme moi qui ont eu et peuvent avoir des conflits avec leur entourage, qui ont eu dans leur poche une main qui n'est pas la leur, ont eu un proche tué, un voisin abusif...Et même à ceux qui espèrent obtenir d'elle un gain mieux qu'au loto, en piquant dans la poche d'un autre. Je vous assure que j'ai rencontré ça. Rarement, mais ça existe. Ca fait parfois du bien lorsqu'on est sûr de son coup de régler son compte à ce genre de personnage.

Bref, je suis dans ma tête comme mon corps comme tout le monde. Je fais un métier. C'est un peu compliqué mais je voudrais surtout qu'on me le laisse faire dans un minimum de tranquilité. Sinon, il y a peu de risques que ce soit moi qui paye. Mais plutôt pas mal d'entre vous. Et cette seule idée me rend malade.

Si je porte une robe, à peu près identique à celle des avocats, c'est pour que les excentricités de ma personne ne soient pas perçues comme un parti-pris par quiconque. Et soyez assurés que je me méfie comme du SIDA de ce que je peux penser des uns et des autres avant d'avoir examiné l'affaire. Donc la robe: une sorte de préservatif?

Paranoia

Par karc'hariad, surveillant de prison




Bonjour, à défaut de la parole d'un Magistrat, je vous propose ici celle d'un autre acteur de la Justice : le Surveillant Pénitentiaire.

Paranoïa. C'est ce que je ressent dès que je franchi les grilles de la détention. Etre toujours sur le qui-vive. Se méfier de tout et de tous. Des détenus, tout d'abord. Ne jamais leur tourner le dos. Si on a de la chance, il nous font remarquer notre étourderie gentiment, sinon ... Les détenus passent beaucoup de temps à nous tester, à déterminer quel niveau de "liberté" chaque Surveillant peut leur accorder. Car dans le monde carcéral, "la liberté" peut prendre des aspects très différents : être le dernier à sortir de sa cabine de parloir et avoir ainsi 5 minutes de plus avec sa femme et ses enfants que la 1/2 heure réglementaire, aller en dernier à la douche et y être presque seul, bénéficier d'un poste "d'auxi" et ainsi pouvoir sortir plus souvent de sa cellule pour les tâches quotidiennes d'entretien, passer tel ou tel objet à la cellule d'à coté lors de la distribution du repas ...

Mais il faut aussi se méfier des autres : visiteurs, aumôniers, service de santé, éducation nationale, ... Non pas qu'il représente un même danger que nos hôtes, mais dès qu'ils posent le pied sur la coursive, c'est sous ma responsabilité. Les dernières prises d'otages sont toujours en mémoire. De plus, leur perception du monde carcérale est différente de celle des Surveillants, ils n'ont pas forcement les "reflexes sécuritaires" comme on dit. Mais voici un Officier sur ma coursive. Allons bon, que me veut-il ? Je recompte mentalement mon nombre de détenus "en stock" et fait le point sur la position théorique des autres. L'Officier vérifie, j'ai bon. Ouf. De la hiérarchie aussi il faut se méfier. Véritables champions du parapluie. Là, c'est ce qui est arrivé aux Collègues d'Amiens que j'ai en mémoire.

Je contrôle à nouveau le cahier de consignes de mon aile. Qui l'a rédigé au service précédent ? A t il bien noté tout ce qui était important ? N'a t il pas oublié les demandes de changement de cellule ? Les changements de comportements remarqués ? Les locaux fouillés ? De mes propres Collègues aussi, il faut que je me méfie : une information omise, et un détenu peut faire une TS, une overdose, se faire racketter ou frapper, voir y rester durant mon service, alors que l'alerte aurait pu être donnée bien avant. un bip retenti faiblement à mon ceinturon : c'est ma radio dont la batterie vient de rendre l'âme : Du matériel aussi, il faut se méfier. D'ailleurs, la moitié des ampoules de la coursives sont mortes depuis longtemps, il faudrait les changer, mais plus d'argent pour cela. L'hiver approche, il fera de plus en plus sombre et si il y a une agression, les Collègues ne le verront pas forcement dans la pénombre du couloir. Seul mon sifflet d'alarme est fiable : je l'ai acheté. Celui en plastique fourni avec l'uniforme n'a pas bonne réputation, et je ne veux pas que ma vie en dépende.

Je m'apprête à effectuer ma fouille de cellule quotidienne pendant que ses occupants sont en promenade. Un coup de pied dans la porte pour déloger les cafards nichant entre celle-ci et le chambranle afin qu'ils ne me tombent pas dans l'encolure lorsque j'ouvrirai. 9 m², un WC avec lavabo dont la porte a disparu depuis longtemps, quelques étagères saturées, une armoire (pour trois) bondée, une petite table (boite en carton retournée) avec deux tabourets, une télé sur applique murale, trois lits superposés : comment ont-ils fait, il ne peut en tenir que deux en hauteur !? Ah oui, les pieds de celui du bas ont été sciés afin d'en empiler un troisième : idée de génie de la Direction. Du coup, celui qui dort en bas est presque au niveau du sol, et celui qui dort en haut n'a pas intérêt à se relever trop brusquement. Et il reste même de la place pour poser un matelas par terre et ainsi rajouter un quatrième locataire. Je me rappelle de me méfier de la prise électrique car elle est souvent trafiquées pour pouvoir y brancher plus qu'un appareil : "toto" (résistance électrique) pour réchauffer le café ou chargeur de portable improvisé. Je regarde les murs, couverts de photos de familles ou de femmes nues couvrant à peine la peinture écaillée et des générations de graffitis laissés là par tous les anciens occupants, y compris quelques messages destinés à ceux de ma profession. Les parois de l'armoire n'y ont pas échappées. La fouille continue, je confisque le "yoyo" (sorte de corde artisanale fabriquée avec un drap [et permettant de se passer des objets d'une cellule à l'autre par la fenêtre - ajout d'Eolas]) et note sur mon carnet qu'il faudra le signaler à mon supérieur : encore un compte rendu à faire. J'ai de la chance, ces détenus ont un bonne hygiène et font le ménage. Ce n'est pas le cas de tous, beaucoup de cellules sont d'une insalubrité exceptionnelle. J'examine la fenêtre dont certains carreaux manquent et aperçois au pied du bâtiment d'en face les impressionnants monceaux de détritus que les détenus jettent complaisamment par les fenêtres. Pourtant, les poubelles des cellules sont ramassées tous les jours. Le bon coté des choses, c'est que cette manne permet de bien nourrir les chats errants qui ont envahi la prison : ils sont tellement replets qu'ils ne courent même plus après les corbeaux, les mouettes et les pigeons qui partagent leur pitance.

Je m'interroge : comment faire pour supporter cela ? Environ 21 heures d'enfermement par jour en Maison d'Arrêt. Je sais ce que l'on dit : ce ne sont pas des anges si ils sont ici, mais en Maison d'Arrêt, il y a aussi des prévenus supposés innocents jusqu'à preuve du contraire. Des prévenus attendent leurs jugements parfois deux ans, pour s'entendre confirmer leur innocence. Qu'ont-ils subi en attendant ? Là, c'est Outreau que j'ai en mémoire. Certains détenus "s'évadent" dans des activités fournies par l'Administration Pénitentiaire (cours, formations, travail pénitentiaire, ...), mais il n'y en a pas assez pour tous. C'est même le signe d'un privilège exceptionnel que d'y avoir accès. Pareil pour le sport : pas assez de moniteurs, pas assez de matériel. D'autres (la majorité en fait) le font par l'oisiveté, devant la télé ou sur la console de jeux. D'autres encore s'enfuient dans un monde de léthargie ou de sommeil fourni par des stupéfiants ou des psychotropes. Mais est-ce pour cela qu'ils sont enfermés à l'écart de la société ? Ne doivent-ils pas mettre ce temps à profit pour "réfléchir aux conséquences de leurs actes et aux moyens de s'amender" ? Quand je parle avec eux, beaucoup (mais pas tous) se placent plutôt en victime de la société et/ou des circonstances, minimisant voir reniant complètement les tors éventuels à autrui. D'aucun jure qu'il ne remettra plus jamais les pieds en prison, mais au fil des ans les habitués reviennent toujours.

Mais surtout, qu'elle est ma place ici ? En fait je fais ce métier à défaut d'autre chose, non par vocation mais par besoin, pour payer mon loyer. J'ai tout de même appris à l'aimer ce métier. Je suis Gardien de prison, et ma tâche est de protéger les citoyens de ce pays en assurant la surveillance des détenus durant leur incarcération. De même, j'ai le devoir de restituer à la société ces détenus dans un bon état : c'est à dire que je dois veiller à ce qu'ils aient accès aux soins, à l'éducation, à l'emploi, à leurs familles, à leurs avocats. Ce sont les droits fondamentaux des détenus. Bref, tout ce qu'il faut pour aider à leur réinsertion sans récidive. Je sais, je suis un idéaliste. Comment est-ce possible dans de telles conditions ? Sur ma coursive, 42 cellules, 95 détenus et je suis seul face à eux. La surpopulation et le manque de moyens, tant humains que matériels, tuent dans l'œuf la moindre tentative de travail de réinsertion, et ce ne sont pas mes Collègues Conseillers d'Insertion et de Probation qui diront le contraire, avec leurs 175 dossiers à suivre chacun.

Faute de places, les mélanges de détenus, prévenus et condamnés, jeunes ou vieux, délinquants et criminels, transforment les prisons en viviers de la délinquance et de la criminalité. C'est cela aussi, la surpopulation carcérale.

De fait, je me sens frustré de n'être qu'un porte-clefs, juste bon à ouvrir et (surtout) fermer des portes. Ce n'est pas vraiment ce qui est "vendu" dans la publicité du Ministère de la Justice pour mon métier. D'ailleurs, je n'ai jamais bossé dans une taule aussi immaculée. On pourrai presque manger par terre tellement elle est clean. Elle est tellement propre qu'elle ne doit pas servir, c'est pas possible. Ceux qui entrent dans la profession d'après cette pub vont être sacrément déçus... Ainsi que les futurs détenus qui ne connaissent pas encore la prison, d'ailleurs. J'espère sincèrement que cette publicité n'est pas l'exacte vision d'une prison qu'ont nos dirigeants de la Pénitentiaire, car si c'est le cas, je crains le pire pour l'avenir.

Là, c'est de mon Ministère que je me méfie.

Une semaine habituelle, ou : le journal d'un juge d'instruction

Par Annette, juge d'instruction et soutier de la justice


LUNDI

8h30 les gendarmes de la section de recherches m’appellent pour me tenir informée de l’avancée d’une commission rogatoire que je leur avais confiée en mars dernier. Le spécialiste des abus de biens sociaux est parti en mutation, l’enquête est restée en rade, ils me promettent de s’en occuper à partir de décembre quand le remplaçant (non spécialiste) arrivera.

9h30 je mets en examen l’ex-compagne d’un monsieur mort dernièrement de la maladie d’Alzeimer. Les enfants du monsieur la soupçonnent de lui avoir soutiré de l’argent. Cette dame très digne me dit qu’elle a vécu pendant plus de 10 ans avec son ex-compagnon, qu’elle l’a beaucoup aimé, qu’elle l’a soigné, lavé et habillé alors que la maladie s’aggravait, qu’il avait des moyens financiers beaucoup plus importants qu’elle et qu’il payait toutes les factures. Elle reconnaissait avoir signé des chèques à sa place, en sa présence et avec son accord car il avait de moins en moins de force. Elle explique que les enfants avaient toujours soutenu leur mère et lui avait interdit d’aller rendre visite à leur père quand il avait été, à leur demande, admis en maison de retraite. Il est mort trois mois après son admission. L’infraction de faux est constituée, j’espère que le tribunal sera très indulgent.

14h30 encore une affaire de viols et agressions sexuelles. 1/3 des dossiers de mon cabinet. La victime de 26 ans porte plainte contre son beau-père. Elle se trompe dans les dates et les lieux mais qui est capable d’être précis quand les faits remontent 15 ans en arrière? L’auteur présumé ne comprend pas ce qui lui arrive et crie au complot. Que vais-je trouver comme preuves pour des faits aussi anciens?

MARDI

Je me suis accordé la journée pour préparer l’audience à juge unique que je dois présider dans deux jours. 25 dossiers. En commençant à 8h30, j’espère finir à 15h. Il faut se méfier de la simplicité des dossiers qui passent dans ces audiences. Les enquêtes sont parfois sommaires, les affaires souvent contestées, les victimes tendent parfois à vouloir obtenir beaucoup d’argent. Il ne faut pas oublier d’expliquer, expliquer et encore expliquer. Tout le monde n’a pas d’avocat et on peut être perdu dans une salle avec trois personnes en robe sur une estrade (procureur, juge, greffier) et plein de gens avec la même robe qui circulent, parlent entre eux et passent en premier (les avocats). De plus, le droit est un jargon pour le commun des mortels, un langage entre initiés qui se comprennent.

Je ne dois pas oublier d’organiser le transport de plusieurs scellés au laboratoire d’expertises génétiques pour recherche D’ADN dans une affaire de meurtre ni de téléphoner aux experts psychiatres pour leur rappeler une expertise confiée depuis 6 mois. Etre diplomate au téléphone, les experts sont rares sur le ressort et il faut les ménager si on veut continuer à pouvoir faire appel à eux. D’autant qu’ils ne sont plus payés depuis le 15 septembre car la caisse des frais de justice est vide. Il faudra attendre janvier. Je parie que l’année prochaine, vu le rattrapage à faire et l’absence de revalorisation, les caisses seront vides fin juillet. Je veux bien, comme on me le demande, dépenser moins mais cela veut dire que je ne mets pas tous les moyens en oeuvre sur les affaires. Cela veut dire que j’engage ma responsabilité. Est-ce que ma ministre viendra me soutenir parce que je lui aurais permis de faire des économies ce qui est très bon pour son image auprès de Bercy?

MERCREDI

9H30 J’ai 110 dossiers dans mon cabinet dont 20 en fin d’instruction pour lesquels je n’ai plus d’acte à faire. Le plus ancien a été ouvert en 2003, le dernier date de hier. Il y a au moins 20 dossiers qui attendent que je trouve le temps de les lire et de leur donner une orientation après le retour des enquêtes. J’espère en lire un ce matin. Pas trop gros. Je ferai une audition dans deux mois vu mon emploi du temps. J’ai refermé la porte de mon armoire où dort un dossier de 5 tomes sur des abus de confiance et prises illégales d’intérêts de la part d’un gérant de tutelle. Il est technique et délicat, il y a plus de 350 victimes. Il faut que je trouve le temps de m’y replonger dedans mais quand? Les week-ends? Si la Justice est lente pour les justiciables, c’est parce qu’elle est pauvre pour les juges. D’après les prévisions, on devrait être 2000 en moins en 2012 (il faut dégraisser la fonction publique) sur 8000 actuellement. A ce rythme, on va tomber dans les profondeurs des classements européens. Mais je ne devrais pas me plaindre, c’est pire dans d’autres tribunaux.

JEUDI

14H30 j’ai gagné une demi-heure sur mes prévisions. J’ai juste mangé une barre de céréales et une pomme. Je vais aller à la boulangerie pour un, non deux pains au chocolat. Je me ferais un thé en rédigeant l’ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel dans une affaire de vols de plusieurs boulangeries. Une histoire de toxicomanes en manque d’argent. Dans les boulangeries, les caisses sont tenues par des femmes, en général plutôt âgées et donc plus faciles à braquer avec un pistolet factice.

Un avocat vient me parler d’un dossier de coups mortels ayant donné la mort sans intention de la donner. La mise en examen, qu’il défend, est en détention provisoire depuis 8 mois. Il veut savoir si j’envisage de la placer sous contrôle judiciaire dans les prochaines semaines. Je lui dis que j’attends encore des informations et que cela me paraît prématuré. Je ne m’interdis pas de discuter avec les avocats sur les dossiers. Je choisis ceux avec qui je peux le faire, ceux qui sont honnêtes, sérieux et francs, qui respectent ma fonction et le rôle de chacun. Ce ne sont pas forcément les plus médiatiques, ceux qui font la Justice non dans les tribunaux mais dans les journaux ni les plus chers, ceux qui voient dans le justiciable d’abord un client.

VENDREDI

9H30 En parlant d’avocat médiatique, voilà un type d’affaires qui les attire: les homicides involontaires. Porter plainte contre le docteur du SAMU qui n’a pas diagnostiqué l’embolie pulmonaire, contre l’hôpital qui n’a pas gardé le jeune homme qui s’est enfui après avoir été admis après une tentative de suicide et qui ne rate pas la seconde, contre l’infirmière qui s’est trompée de perfusion. Je n’aurais pas dû programmer cette audition de partie civile en fin de semaine. Il est impossible d’expliquer à des parents ayant perdu leur enfant que le risque zéro n’existe pas, que tout incident n’est pas pénalement répréhensible. Je ne serais à leurs yeux qu’une juge sans sentiment, inhumaine, sans compassion. Je ne supporte plus ce mot. Est-ce de la compassion que de mettre sur la sellette un médecin qui a des conditions de travail aussi difficiles que les miennes et dont les décisions ont autant d’impact sur la vie des gens que les miennes seulement pour faire plaisir à des victimes qui veulent un coupable à tout prix? Mais leur avocat le leur a dit et il a raison.

14h30 quelques signatures, quelques courriers et je m’accorde une heure pour envoyer ce mail à Maître Eolas Pour dire que je fais mon travail avec conscience, responsabilité, en essayant d’avoir le même respect pour une victime ou un prévenu, que je tremble parfois devant les difficultés, que j’hésite souvent avant de demander une détention provisoire, que je sais ce qu’est une victime puisque j’en vois toutes les semaines Pour affirmer haut et fort que si, comme dans toutes les professions, il y a des cons et des incompétents dans la magistrature, il n’y en a pas plus qu’ailleurs et qu’il y a (voir les statistiques) plus de sanctions disciplinaires qu’ailleurs. Qu’on me parle d’Outreau mais qu’on me parle aussi de ce qui marche Pour râler contre mes conditions de travail Pour refuser la Justice émotionnelle et coup de pub voulue par nos politiques Pour refuser d’être un bouc émissaire. Que chacun prenne ses responsabilités.

« Vous nous demandez si nous sommes timides, timorés… »

Par Damoclès, magistrat


Maître eolas,



Vous nous demandez si nous sommes timides, timorés...peut être simplement résignés. 8000 robes noires comme autant de personnes endeuillées, pleurant un idéal enterré, l'idéal de justice. L'homélie sera brève et sévère.

On martèle que les juges ont démissionné sans connaître vraiment leurs missions et le contexte difficile dans lequel elles sont remplies. Garants des libertés individuelles, ils tranchent les litiges et se prononcent sur les affaires pénales en statuant sur la culpabilité et la peine. Le volume des affaires a explosé, signe d'une société qui ne sait plus s'autoréguler et cherche à tout prix des coupables expiatoires. De loin nos robes noires impressionnent;, de près elles sont mitées tant notre justice est miséreuse. Nos concitoyens savent-ils seulement que notre grand pays compte 11, 2 juges et 2, 9 procureurs pour 100 000 magistrats, se classant ainsi au 35è rang européen pour les juges et au 42 è pour les procureurs sur une échelle de 43 pays ? Le nombre de magistrats est sensiblement le même que sous Napoléon. Alors oui, les magistrats sont fatigués, épuisés, maltraités, y compris parfois par leur hiérarchie. Les lois s'empilent et même les magistrats ne peuvent plus affirmer pour eux-mêmes que "nul n'est sensé ignorer la loi".

Etre magistrat, c'est tout le contraire du chercher à plaire..."Qui vous savez" a sans doute oublié que l'inconfort de cette position contribuait aussi à la légitimité de notre fonction. L'impartialité et l'indépendance commandent en effet d'être au-dessus pour décider loin du tumulte, sauf que ce tumulte vient de nous rattraper. Crise de confiance ou crise de défiance ? On lance des sondages de satisfaction en oubliant ou en faisant mine d'oublier que le procès fait forcément un ou des mécontents : celui qui n'a pas obtenu gain de cause ou celui qui se dit injustement condamné. Sans sompter que depuis quelques années, aux cris à l'injustice du condamné, s'ajoutent les diatribes des victimes qui ne se satisfont jamais de la sentence...Le fameux Toujours plus ! gangrène aussi la justice.

Jeune magistrat, je suis révolté par la caporalisation de la justice mais aussi par la difficulté des hauts magistrats à protéger l'autorité judiciaire. Mais quelle capacité de résistance peut-on espérer de Procureurs généraux nommés en Conseil des ministres ? Au-delà de la justice, c'est la démocratie qui est en péril. Que penser en effet d'un pays dans lequel le Procureur et ses substituts ne sont pas considérés par la Cour européenne des droits de l'homme comme une autorité judiciaire ?

Face à toutes ces questions, épris de doutes, la tentation de faire simplement son travail en rentrant chez soi à des heures décentes (et non à 22, 23 heures ou minuit) est d'autant plus forte que la difficulté de ce métier n'est pas reconnue et que les attaques et destabilisations incessantes le rendent encore plus difficile. Que dire des nuits de permanence (payées 46 € brut non revalorisées depuis 2001 ah le pouvoir d'achat !!!), des week ends et jours fériés payés environ 30 € brut ? Nos concitoyens savent-ils que si un enfant est en fugue, errant ou maltraité, c'est la justice qui est saisie à tout moment du jour et de la nuit avec souvent un jeune magistrat au bout du fil ? Nos concitoyents savent-ils que l'on peut être réveillés plusieurs fois par nuit, se rendre sur les lieux et aller travailler le lendemain ? Nos concitoyens savent-ils qu'ils nous arrivent de pleurer sur des dossiers difficiles et de nous sentir tellement seuls face à une décision grave et lourde de conséquence pour les personnes ? Nos concitoyens savent-ils que parce que nous sommes à leur service jour et nuit, que le travail de la police et de la gendarmerie ne peut se réaliser sans le concours de la justice ? On félicite les enquêteurs mais rarement les procureurs alors qu'ils contribuent largement à la sécurité de nos concitoyens.

Nos concitoyens savent-ils que parce que leur rendre justice est une tache noble, nous prenons encore le chemin des palais de justice alors que de plus en plus souvent nous sommes tentés de les fuir...

Demain, nous lirons des communiqués que personne ne retiendra, demain nous nous rassemblerons sur les marches des palais et notre petit nombre pourrait laisser croire que ce sont les professionnels de la justice qui sont sortis fumer une cigarette...alors que ce sont nos idéaux que nous défendons avant qu'ils ne partent en fumée...Demain, nous rendrons encore la justice avec les épaules encore un peu plus lourde du fardeau des attaques répétées.

Alors, s'il est toujours légitime de se demander qui jugera les juges, le temps est venu de savoir qui rendra justice aux juges ?

Mon cher maître, merci de nous avoir accordé ce droit à la défense que bien peu nous reconnaissent aujourd'hui...

C'est aussi cela l'Etat de droit

Charger la mule ?

Par Fenotte, magistrat


C'est parce que depuis des années nous sommes de plus en plus productifs, que nous parvenons à rendre un nombre invraisemblable de jugements à des gens qui les attendent et que nous travaillons à ce rythme uniquement parce qu'il les attendent, c'est parce que nous terminons les audiences à pas d'heure que nous en sommes là.

Nous avons fait face à de nombreuses réformes, de la création du JEX à l'appel en cour d'assises en passant par l'explosion du contentieux familial.

Les politiques n'ont pas hésité à charger la mule.

Toujours plus de travail, avec des lois plus compliquées qui s'empilent et se contredisent, pour que les politiques se vantent : j'ai résolu le problème, j'ai fait voter une loi. De la com' en direction des électeurs.

Notre ministre a fait voter la réforme de la carte judiciaire. Beaucoup de com', là encore. Réforme nécessaire, certes, mais bâclée. On verra en décembre 2010 si elle se traduit vraiment dans les faits. Où mettra-t'on les juges et les greffiers dont les tribunaux seront supprimés ? Quand commencera-t-on à construire les nouveaux bâtiments nécessaires ? Aucun travaux en cours. 2010, c'est dans à peine plus d'un an. Et de plus, on n'a toujours pas supprimé une seule cour d'appel, si minuscule soit-elle, ni un des tribunaux d'instance de Paris, alors que les juges d'instance parisiens réclament leur regroupement depuis des années. Non, la vraie réforme de la carte n'est pas faite.

La ministre fait voter les peines planchers : pas besoin d'être un génie pour se douter qu'il faut prévoir des prisons pour mettre les futurs condamnés. Mais pour construire une prison, il faut des années. Pas le temps pour la ministre, il faut que tout soit fait tout de suite.

Bilan : aujourd'hui, la ministre qui ordonne aux procureurs généraux d'avoir des résultats en matière de peines plancher, les prisons qui débordent, et la même ministre qui, en même temps, prépare une loi pénitentiaire où il est prévu d'aménager (= de ne pas incarcérer) les délinquants qui ont une peine inférieure ou égale à 2 ans. Deux ans, ce n'est pas rien.

Mais si un condamné bénéficie d'un aménagement et récidive, ce sera la faute à qui ? Courageux collègues qui aménageront...

Donc, il faut incarcérer les délinquants, spécialement les mineurs. Mais attention, la ministre fait entendre une collègue en pleine nuit parce qu'elle a fait incarcérer un moineur condamné, ce qui est son boulot, alors qu'on lui aurait reproché de ne pas l'avoir fait si le mineur, laissé libre, avait récidivé.

La recherche permanente du juge bouc émissaire, c'est trop.

La com' quotidienne tous azimuts, les décrets , c'est trop.

Alors demain, je manifesterai. Pas pour avoir plus d'argent, plus de vacances ou un poste mieux rémunéré.

Je voudrais seulement que cesse ce mépris des politiques. Qu'on arrête de chercher systématiquement un juge bouc émissaire. Qu'on reconnaisse qu'avant d'instaurer les peines plancher, il fallait construire des prisons. Qu'on vote des lois simples, claires et dictées par le seul intérêt général. Qu'on cesse de communiquer pour s'attaquer aux problèmes de fond.

Et il ne faudra pas arrêter le mouvement le 23 octobre au soir.

Je propose qu'on prenne le temps qu'il faut pour toutes nos activités : la préparation des dossiers, l'audition des justiciables, des personnes poursuivies, des témoins, des avocats, aussi longtemps que nécessaire. MAIS qu'on ne travaille plus après 20 heures, ni le week-end (sauf pour nos astreintes JLD royalement payées 30 euros la journée, sans aucune récupération).

En trois mois, la machine est bloquée.

Chiche ?

Les juges et les médias

''Par une juge d'instance, qui précise qu'elle ne viendra pas lire les commentaires, « le contexte actuel est suffisamment fragilisant pour ne pas m'exposer en vain », dit-elle. Qu'un magistrat dise ça est terrible.''


Des juges ayant travaillé des années,

Se trouvèrent fort dépourvus

Quand une ministre fut promue.

Plus une seule réforme claire,

Réfléchie et cohérente.

Ils allèrent s'en émouvoir,

Auprès de leurs syndicats,

Les priant de s'offusquer,

Militer et informer

En se servant des médias.

Les médias sont peu curieuses,

C'est la leur moindre défaut.

"Quelle langue aride parlez-vous?"

Dirent-elles à ces démarcheurs.

"Nuit et jour, nous parlons droit

Et Justice, ne vous déplaise".

"La Justice, cette utopie,

Chantez là seuls maintenant".

D'après "La cigale et la fourmi" de Jean de la Fontaine.

Une mauvaise parodie pour un mauvais procès : les magistrats en colère sont souvent moqués et rapidement oubliés.

Après tout, a-t-on le droit de se plaindre quand on est fonctionnaire ? Les magistrats croient-ils avoir les plus mauvaises conditions de travail parmi les Français ?

Cela dit, dans quelle entreprise est-on obligé d'attendre une augmentation budgétaire pour se chauffer en hiver ? Dans quelle entreprise envisage-t-on parfois de demander aux clients d'apporter leur ramette de papier et leur stylo B billes pour pouvoir travailler ? Dans quelle entreprise doit-on faire face B une charge de travail infiniment lourde moralement tout en subissant des injonctions contradictoires incessantes ("incarcérez/libérez"; "faites du chiffre/économisez"...) sans pouvoir porter plainte pour harcèlement moral ?

Et si le problème ne résidait que dans un manque de moyens humains et financiers...

Mais être magistrat aujourd'hui, c'est constater chaque jour :

- l'insécurité juridique liée B des réformes incessantes, hâtives et mal réfléchies ;

- la menace qui pèse sur les libertés publiques avec la multiplication des tentatives de reprise en mains de la magistrature (réforme de l'Ecole nationale de la magistrature, convocations de magistrats en dehors de toute procédure...), les mécanismes visant à déresponsabiliser l'individu au profit d'automatismes dangereux (peines plancher)... ;

- le désengagement de l'Etat du tissu social, avec le transfert aux départements des responsabilités autrefois dévolues aux juges des enfants (maltraitance des mineurs) et aux juges de tutelles (mesures de protection civile des personnes fragilisées par leur parcours personnel ou la situation économique)... sans les moyens financiers et humains indispensables...

L'état des prisons est un scandale mais aucun objectif ambitieux n'est politiquement poursuivi. Combien de Français ont entendu parler du numerus clausus en dépit de l'action du collectif "Trop, c'est trop"?

C'est drôle de lire des magistrats qu'ils sont soit complètement grégaires soit furieusement individualistes. C'est assez incompatible quand on prend le temps d'y réfléchir.

En fait, les magistrats sont surtout prisonniers de leur devoir de réserve et de leur interdiction de se mettre en grève.

De surcroît, leurs syndicats n'ont aucune couverture médiatique même quand ils multiplient les communiqués de presse. Est-ce un manque d'incarnation personnelle ? Les médias aiment mettre en avant des personnalités. Dans la magistrature, elles sont statutairement obligées de se cacher...

C'est pourquoi nous avons besoin du soutien des médias et de la population.

« J'avais 20 ans… »

Par Léandre, Substitut général (parquetier de cour d'appel)


J’avais 20 ans. J’étais étudiant en droit. J’ai choisi de devenir magistrat parce qu’il me semblait que ce métier me permettrait d’allier mon goût pour le droit à la possibilité d’aller à la rencontre des hommes et de contribuer au bien public.

J’en ai un peu plus du double. J’ai exercé plusieurs fonctions, du siège et du parquet, toujours au pénal. Jamais je n’ai regretté ce choix.

Jamais je n’ai trouvé ce métier facile. Mais peu de métiers permettent d’entrer ainsi de plein fouet avec la vie de nos contemporains, leurs drames, leurs petitesses, leurs souffrances, leur mesquinerie, leur dignité. Pas par voyeurisme. Simplement pour maintenir et consolider ce ciment social qui permet d’éviter que tout explose ou que tout se délite.

Avec des outils qui ne sont pas la truelle, mais qui peuvent apparaître parfois bien artisanaux pour une si grande tâche. L’écoute et le respect de chacun, même si le devoir de neutralité nous oblige à garder une certaine distance, parfois interprétée à tort comme du mépris. La Loi comme guide et comme garde-fou, pour nous rappeler que nous ne sommes juge qu’en son nom. Le doute, bien-sûr. Un doute qui nous conduit à soupeser, analyser, réfléchir, mais qui ne doit pas nous paralyser ou nous empêcher de trancher. Sinon, nous ne remplirions plus notre mission.

Portrait d’un juge idéal, protesteront certains, bien loin de la réalité ? C’est en tout cas à ce modèle que presque tous les collègues rencontrés au cours de mes 20 ans de carrière m’ont paru s’efforcer de se conformer. Ce qui ne signifie pas qu’ils y soient toujours parvenus, parce que, voyez vous, dans la vie des juges, comme dans celle des autres humains, il y a toujours un écart entre les “bonnes résolutions” et la vie au quotidien.

Mais il faut aussi réaliser que le juge n’agit pas dans une sorte de monde idéal, qu’il est au contraire continuellement confronté à une réalité pleine de difficultés.

Prenons le cas d’un magistrat du parquet. Pour pouvoir faire face à un nombre toujours plus grand de dossiers à examiner, il faut nécessairement qu’il passe moins de temps sur chaque dossier. Pour pouvoir donner une réponse immédiate à tout acte de délinquance et décider de poursuivre un de ses concitoyens devant un tribunal, il ne disposera que de deux minutes à l’issue d’un compte-rendu téléphonique d’un policier, dix autres appels étant en attente sur son poste. Pour pouvoir donner une réponse à chaque violation de la loi et ne plus classer “en opportunité” un dossier comme par le passé, puisque telle est désormais la volonté du législateur, il devra nécessairement passer moins de temps sur l’analyse et la réflexion. Pour pouvoir tenir informé systématiquement les victimes de ses décisions, il devra gagner du temps sur d'autres tâches. La pression est permanente. Chaque minute compte. Les journées sont souvent épuisantes. Les erreurs sont inévitables.

Nous avons toujours travaillé en confrontant nos moyens limités aux contraintes de la réalité. Nous les comprenons. De la même façon qu’un médecin de famille fait de son mieux pour soigner son patient, même s’il ne dispose pas des moyens dont il aurait besoin pour le faire, nous avons fait face avec persévérance à ces difficultés, convaincus que notre intervention, même imparfaite, apporterait un mieux et, plus simplement, s’imposait en application de la loi que nous servons.

Le paradoxe est qu’aujourd’hui, ces contraintes externes sont de plus en plus fortes, les décisions sont prises de plus en plus vite, dans une approximation parfois inquiétante, et que les mêmes autorités politiques qui sont à l’origine d’une partie de ces contraintes imposent une obligation de “zéro défaut” qui n’est pas compatible avec cette situation, ni même avec la nature de la mission du juge.

Cette communication du pouvoir exécutif autour du thème “le juge doit payer” va beaucoup plus loin que la recherche du “zéro défaut”. Le juge est désormais responsable et jeté en pâture à l’opinion publique s’il n’incarcère pas assez, s’il y a trop de monde en prison, s’il remet en liberté quelqu’un qui récidive, s’il met en détention quelqu’un qui se suicide, s’il place un “innocent” en détention et s’il relâche un coupable...

On ne lui demande plus d’être un juge avec les limites humaines qui sont les siennes, mais d’être une créature capable de distinguer d’un regard la vérité du mensonge, de traiter un nombre croissant de dossiers avec le même sérieux que lorsqu’il en traitait dix fois moins, de montrer de la fermeté vis à vis du méchant et de la compassion vis à vis de la victime. On régresse dans un espèce de monde magique, dans lequel il serait doué de pouvoirs surnaturels et un autre personnage se verrait prêter des dons qu’il n’a pas, le psychiatre, qui sait tout, comprend tout et peut tout soigner, même les gens qui ne sont pas malades.

Un juge n’est pas d’être un personnage de conte de fée. C’est un homme chargé par la Loi de punir ceux qui la violent et d’apaiser les conflits entre les particuliers. Il doit le faire en respectant un certain nombre de règles claires : la loyauté, l’équité, le respect du contradictoire, l’impartialité, l’égalité des justiciables, la présomption d’innocence... Il a besoin, pour bien faire son travail, de prendre du temps et de la distance vis à vis des justiciables, de ne pas être obsédé par le souci de communiquer ou celui de devoir rendre des comptes à son ministre de tutelle.

On lui demande aujourd’hui tout le contraire : décider de plus en plus vite, si possible avant le journal de 20 heures, communiquer, montrer de la compassion à l’égard des victimes, rendre toujours la décision attendue par l’opinion publique, et préparer sa défense en vue de la menace de dénonciation publique.

La Garde des sceaux et la plupart de ses collègues ministres ont pour ligne de conduite de se montrer réactifs au moindre mouvement d’opinion, de donner l’illusion qu’ils ont pouvoir sur tout, de lancer tous les matins une nouvelle réforme, d’utiliser les médias pour “communiquer”, c’est à dire pour se forger une image plutôt que de convaincre du bien fondé d’une politique. Elle souhaiterait que nous suivions cet exemple et que nous sachions, comme elle, communiquer et être réactif...

Et si on inversait le processus ? Si les politiques (re)découvraient qu’il est utile de prendre le temps de la réflexion, que les décisions prises sur un coup de tête à la suite d’un fait divers dramatique sont rarement de qualité, que le respect et l’écoute dûs aux citoyens ne passent pas nécessairement par une proximité affichée devant les caméras de télé?

Nous serions sans-doute dans une société plus responsable, gouvernée par des adultes qui auraient le courage de dire qu’ils ne sont pas des magiciens, mais eux-aussi, des hommes et des femmes avec leurs limites, des hommes et des femmes qui feront le maximum en vue de rechercher le bien commun. Ils n’en seraient que plus respectables...

Amer

Par l'amer Michel, juge aux affaires familiales


Je suis JAF[1] depuis peu.

Je découvre de l’intérieur une justice pauvre, dont l’image dans l’opinion publique n’est pas à la mesure du réel.

Deux fois moins de magistrats en France qu’en Allemagne, ai-je entendu… Il faut demander avec insistance un code de procédure pénale à jour, parce que les budgets sont très serrés. Chaque année, 20 à 30 textes de procédure pénale (il suffit de regarder la table chronologique du code de procédure pour s’en convaincre) sont adoptés et ajoutent une strate supplémentaire à la complexité de l’ensemble, sans prise en compte systématique des moyens humains et matériels nécessaires à la mise en œuvre de telles réformes.

Les juges, à qui l’on demande le respect de la présomption d’innocence et la protection du citoyen contre chaque risque, sont montrés du doigt à chaque fait divers dramatique. Lors des libérations conditionnelles, on stigmatise les JAP. Pourtant les libérations conditionnelles, qui impliquent un suivi, sont globalement moins dangereuses pour la société que les « sorties sèches ».

Je travaille 70 heures par semaine. Vu la masse, je ne peux consacrer en moyenne qu'une heure à chaque dossier (et j'ai de la chance par rapport à certains collègues), c’est-à-dire pour la lecture du dossier et la rédaction du jugement, y compris dans les affaires délicates où il y a des violences, de l’alcool, voire des suspicions d’agressions sexuelles.

Je suis amer.

Notes

[1] Juge aux affaires familiales.

Manquer sa cible ?

Par BC, magistrat


Il me semble que si cette journée de protestation est nécessaire, elle vient bien tard et risque de manquer sa cible.

D'abord, les réformes, qu'elles portent sur l'institution elle-même (carte judiciaire, etc) ou sur le fond du droit, s'inscrivent dans une logique plus générale de démantèlement des services publics et d'exclusion des plus faibles (les pauvres, les éclopés de la vie, les étrangers, etc.) que nous aurions intérêt à ne pas négliger.

Critiquer Rachida Dati et sa politique (ou plutôt celle qu'elle accepte d'incarner), oui bien sûr, mais la révolte semble plus motivée par la protection des magistrats contre des attaques inacceptables, certes, que contre l'évolution générale de la justice, en marche depuis plusieurs années et dont nous sommes aussi responsables.

Qui refuse, dans sa pratique quotidienne, et pas seulement dans les discours, de siéger jusqu'à point d'heure ? De condamner sur des dossiers vides, ou presque ? Qui combat réellement la politique du chiffre, et refuse cette logique du toujours plus, même si c'est toujours plus vite, toujours moins bien ? Qui se souvent du débat autour des primes modulables ?

Qui s'élève contre les abus de pouvoir de certains chefs de juridiction soutenus par leur hiérarchie, au parquet comme au siège, qui écartent des responsabilités ceux qui ne sont pas "dans la ligne" ? Tant qu'ils ne sont pas personnellement concernés, "l'intérêt du service" justifie tout. Où sont les syndicats ?

Qui accepte sans broncher de devenir "chef de service", fonction qui n'existe que dans la pratique de certains présidents et qui équivaut à promouvoir des "petits chefs" ? La caporalisation n'existe pas qu'au parquet ...

Qui remet en cause (et les avocats sont concernés par ma question) les pratiques de tel ou tel président d'audience qui se permet de traiter les prévenus (et parfois les victimes) de façon méprisante, ou de faire de l'ironie, voire des jeux de mots sur leur dos dans la connivence avec le Barreau, ou de tel parquetier qui emploie des mots insultants ?

Qui, au delà de l'indignation exprimée verbalement, s'efforce de trouver des solutions pour éviter aux justiciables des attentes qui peuvent durer plusieurs heures, dans des conditions matérielles indignes ?

La liste serait longue, hélas !

Je suis magistrat depuis longtemps, j'ai exercé à peu près toutes les fonctions, j'ai adoré ce métier, et je ne voudrais pour rien au monde aujourd'hui que mes enfants le choisissent. Quel gâchis !

Certes, les politiques (de tout bord) nous haïssent, pour des raisons diverses, et peut-être surtout parce que nous sommes apparus à une certaine époque comme étant le seul contre-pouvoir. La reprise en main ne date pas d'aujourd'hui, et elle n'est que la conséquence logique d'un affaiblissement parfaitement orchestré de l'institution, à la fois dans l'opinion publique et à l'intérieur même du corps. Les magistrats courageux ont toujours été minoritaires (rappelez-vous le "Pinsseau Coudé", et quelques autres), et rien n'est fait pour modifier cet état de choses.

Bien sûr, il existe des gens remarquables dans la magistrature, comme ailleurs. Certains font sans bruit du travail de qualité. D'autres s'expriment, et leurs contributions, notamment lors de l'affaire d'Outreau, ou sur certaines listes de discussion, font chaud au coeur. Que faudrait-il faire pour dépasser le stade du discours ?

Je m'associerai à toute action qui ira dans ce sens, même si je suis pessimiste quant à son avénement.

«Les juges sont le dernier maillon de la chaine sociale.…»

Par Antigone, magistrat


Les juges sont le dernier maillon de la chaîne sociale.

C'est lorsque tout et tout le monde a échoué en amont qu'ils sont saisis: quand le couple craque, quand la famille n'élève plus, quand l'école ne transmet plus rien, quand les services sociaux perdent pied, quand la médecine a fait une erreur, grave, quand l'employeur exploite, quand le salarié triche, quand l'handicapé est maltraité, quand la grand-mère est dépouillée, quand l'immigré est refoulé, quand la femme est battue, quand le père est privé de ses enfants, quand le prisonnier est desespéré, quand les libertés fondamentales sont bafouées.

C'est quand tout fout le camp, et c'est le rôle de la justice de tenter de répondre à ces maux, d'écouter les souffrances et les révoltes, de mesurer les conflits, de discerner les responsabilités, pour tenter d'apporter une réponse juste, adaptée, motivée, compréhensible. Pas pour tout régler, pas pour compenser les insuffisances ou les absolues carences des autres acteurs sociaux, politiques ou institutionnels.

C'est un métier exigeant et ingrat, un métier discrédité parce que terriblement mal connu, c'est un métier où, comme chez les médecins, les profs ou les avocats, les personnalités ne sont pas toujours à la hauteur des attentes, les compétences à la mesures des enjeux, les décisions justifiées. Les juges ont leurs insuffisances, ils sont perfectibles, ils le savent, et aspirent à la collégialité pour apprendre et discerner, à la formation pour comprendre et acquérir, à la mobilité pour s'ouvrir et se renouveler.

C'est un métier passionnant, qui bouscule, dérange et peut faire grandir, qui exige à la fois humilité et dynamisme, sérenité et détermination, écoute et autorité. C'est un métier où l'autre est essentiel, argile imprévisible et vulnérable, ou roc inatteignable. C'est un métier que j'aime pour toutes ces raisons.

Et c'est pour toutes ces raisons que je serai mobilisée le 23 octobre. Pour dire que la justice mérite mieux, beaucoup mieux. Que pour l'améliorer, il ne faut pas une gouvernance fondée sur le mépris et la démagogie, l'ignorance des causes et la désignation facile de boucs-émissaires. Pour dire que la justice a besoin de juges qualifiés, outillés, disponibles. Et respectés.

Pour dire aussi que rien ne changera tant que la politique restera au service du politique et le politique au service de son image.

Un juge heureux mais pas content

Par Musashi, juge d'instance


Je suis un juge heureux, car je ne fais pas de pénal, ou très peu, 20 % de mon temps, parce que je ne connais pas de juge qui ne fasse pas un minimum de pénal.

Le pénal nous bouffe tous, nous prend de plus en plus de temps, 60 % de temps total des juges, le reste, c'est du civil.

Je suis juge d'instance. D'ou mon bonheur. Relatif quand même.

Assesseur dernièrement au tribunal correctionnel, on a dû mettre 2 ans ferme (4 ans dont 2 ans SME) à un toxicomane qui avait 4 condamnations à son casier judiciaire, dont 3 pour stupéfiants, et dont la récidive était visée. Il encourait 10 ans pour détention de 2 grammes de cannabis. La peine plancher était de 4 ans. Il sortait de prison, aucun projet, on a baissé à 2 ans avec difficulté. Avant, c'était il y a 18 mois, il aurait eu quelques mois fermes, voire un TIG. Ce n’est plus possible.

Bref, on me fait remplir les prisons. Je le fais, on l'a fait, nous les juges, ligotés par les textes législatifs, on perd de plus en plus de latitude. On applique la loi. Les gens ont voté pour ça aussi. La surpopulation des prisons, c’est aussi la responsabilité des électeurs.

On n'est pas content de faire cela. Mais si on plus on nous reproche les conséquences de l'application de ces textes, soit la surpopulation pénale et les conséquences que cela entraîne sur les prisonniers, alors effectivement on n’est pas content.

Je ne suis pas content.

On peut être heureux et pas content quand même.

Je ne suis pas content à cause de l’attitude de mon Ministre.

Je préférerais à tout prendre un ministre cynique qui assume les conséquences de sa politique pénale. Cela aurait le mérite d'être clair.

Je ne supporte plus les fausses concertations (sur la carte judiciaire dont l'idée n'était pas mauvaise mais dont l'application est désastreuse. Depuis un an, rien n’a avancé au niveau de la Chancellerie. On ne parle pas d’argent, surtout pas, et on fait des projets au niveau des Cours d’Appels sans connaître réellement nos possibilités d’action, surtout, qu’en plus, la commission Guinchart a conclu au transfert de certains contentieux des tribunaux d’instance vers les tribunaux de grande instance. Aller faire des projets avec ça!!!!!!!,.... mais on perd un temps fou quand même.......)

Je ne supporte plus non plus les "je vous soutiens" alors que tous les actes démontrent le contraire.

Je suis juge d'instance. Donc je suis quand même heureux. Je passe 80 % de mon temps à faire du civil. Essentiellement des jugements civils et des tutelles des majeurs.

Du contentieux et du gracieux. j'aime bien les tutelles des majeurs, le gracieux. Je suis là pour aider, pas pour sanctionner. Je rassure les filles (eh oui, c'est essentiellement les filles) qui culpabilisent de prendre les 1000 euros de retraite leurs mères qu'elles hébergent et que leur reprochent les autres membres de la famille, les autres filles, ou fils. Le calcul est vite fait de toute façon. une maison de retraite, c'est 1500 euros, minimum. 1000 euros pour s'occupe de la mère, c'est donné alors qu'il y a déjà pour 200 euros de couches par mois pour changer la mère et qu'il faut la supporter 24 heures sur 24, et ce même si elle ne vous reconnais pas.....oui, c'est ça la vie, ce n'est pas la misère, seulement la vie. J'en ai plein des situations comme ça.

Je rassure aussi le tuteur qui culpabilise de laisser la mère, âgée, veuve depuis peu et plus guère vaillante, et ses deux fils handicapés de 40 ans vivre dans une maison sans wc et douche. Je suis aller les voir. Ils étaient heureux ensemble. Je fais quoi ?, je les sépare pour qu'ils vivent au propre dans des maisons spécialisées.... mais séparées car aucune structure n'accueillera ensemble la mère et ses deux fils.... ou je fais tout pour les laisser ensemble.... j'ai ordonné de les laisser ensemble et je débloque 10000 euros de leurs comptes, car ils ont de l'argent, pour construire un wc et une douche. Les séparer les tueraient. C'est de ma responsabilité. C'est pour ça que je fais ce métier, pour être utile aux gens.

Ca ne va pas être simple d’être utile l’année prochaine quand je vais devoir revoir TOUTES les mesures que j’ai en stock en 3 ans et demi. Ce n’est pas compliqué, ma charge de travail pour les tutelles va doubler, et celle de ma greffière, bénie soit elle pour sa disponibilité et sa compétence, tripler. (J’ai bien écrit TRIPLER). On va se débrouiller, parce qu’on n’aura aucune (AUCUNE) aide.

Le parlement vote des lois sans s’inquiéter une seule seconde de leurs applications, c’est un autre débat qui fait quand même partie de ce débat.

Je me déplace une fois par mois pour les tutelles et je fais des vues des lieux dans les dossiers civils. Je fais de la proximité, et ce bien avant l'invention de ce mot. J'aime ça. Je met fin aux conflits. J’apaise.

Je suis heureux car je n'ai pas toujours été juge d'instance. Je connais donc mon bonheur actuel. J'ai été au parquet aussi, comme substitut. 60 heures par semaine, un travail de forçat, pas d'horaires, des contraintes énormes, mais tellement passionnant, tellement. on sent battre le pouls de la ville, en tout cas de sa délinquance, c'est déjà ça. Mais c'était il y a plus de 10 ans. Ca à changé, moins de latitude, plus de contrôle.

Ma charge de travail est correct et je sais que là aussi j'ai de la chance. Beaucoup de collègues gallèrent.

Plus le temps. Plus le temps de prendre le temps de la réflexion. D'ou certaines erreurs.

D'ou aussi les incompréhensions. Car plus le temps de motiver ses jugements. Et motiver, c'est expliquer, à soi et aux parties, pourquoi on prend telle décision, et pas telle autre.

Mais le temps de la réflexion ne se comptabilise pas et depuis quelques années, tout est comptabilisé. Chaque juge, pour être rentable, devra faire tant de jugements. Ce qu'il y a dedans, ca ne rentre pas dans la comptabilité.

Le métier se transforme et je suis certain que ce n'est pas dans l'intérêt du justiciable. D'ou ma révolte. Petite.

Pour la première fois, je serai sur les marches du palais jeudi, pour protester contre les doubles discours, les incohérences, les intimidations de mon Ministre.

Bon sang, ce n’est quand même pas trop demander d’avoir un Ministre qui ne dit pas tout et son contraire.....ça me paraît être le minimum...faut croire que non, en fait.

Je déclare quand même que je suis un juge heureux pour l’instant parce que c’est aussi mon tempérament et que tout n’est pas noir de mon métier. Mais je ne suis pas content parce que la place du noir augmente dangereusement. Je suis donc inquiet.

Voila, c’est un peu brouillon (même beaucoup en me relisant, mais je ne sais comment élaguer), mais comment tout dire en un billet . Je n’ai pas parlé de mes greffiers qui sont aussi une autre source de contentement. Tous ne sont pas greffiers, nombreux sont les “faisant fonctions” qui font le même travail, aussi bien, mais sont moins payés, mais tous font de leurs mieux, sincèrement. Dans mon petit tribunal, il y a une bonne ambiance, ça joue aussi.

En tout cas, merci à Me EOLAS et les colocataires d’essayer d’expliquer notre métier qui n’est pas simple, même si il en donne l’impression.

La dernière audience

Par Maboul Barburod…Z, magistrat et mélomane


La juge' revient déjà
Et l’audience est terminée
Je réveille mon voisin
Il dort comme un nouveau-né
Je me lèv' du strapontin
J'ai une envie de bailler
C'était la dernièr' audience
C'était la dernière audience
Et la porte du tribunal est fermée.

La photo sur le journal
Peut fair' sourire ou pleurer
Mais je connais le destin
D'un tribunal de quartier
Il finira en garage
En building supermarché
Il n'a plus aucune chance
C'était sa dernière audience
Et la porte du tribunal est fermée.

{Refrain1:}
Bye Bye les bavards que j'aimais
L'entr' acte es terminé
Bye Bye rendez-vous à jamais
Mes injonctions de payer

J'allais rue des solitaires
au Tribunal de mon quartier
A sept heures j'étais sorti
Mon greffier venait me chercher
On voyait Rachida D…
Qui défendait l'opprimé
C'était vraiment bien l'enfance
Mais c'est la dernière Audience
Et la porte du tribunal est fermée.

{Refrain2:}
Bye bye les racailles qui tremblaient
devant les jeunes parquetiers
Bye bye Rendez-vous à jamais
devant mes archives à ranger.

La lumière s'éteint déjà
La salle est vide à pleurer
Mon voisin détend ses bras
Il s'en va boire un café
Un avocat pleure dans un coin
Son tribunal est fermé,
C'était sa dernière audience
C'était sa dernière audience
Et la porte du tribunal est fermée.

D'après une chanson d'Eddy Mitchell, musique de Pierre Papadiamandis, © Éd. EM Productions 1977.

« Je voudrais m'excuser…»

Par Alma, juge d'instruction


Je pourrais témoigner de ce dont mes collègues témoigneront sûrement sur les conditions de travail parfois (heureusement pas toujours) honteuses dans lesquelles on nous contraint d'exercer notre mission : le manque de personnels judiciaires, les audiences interminables, les postes vacants et les magistrats "à tout faire", l'insécurité juridique dans laquelle nous plonge l'inflation législative sans relâche depuis des années, le budget minable de la Justice, les permanences de week-end royalement payées 60 euros (pour info : la demi-heure de main d'oeuvre du technicien qui entretient ma chaudière est de 74 euros), etc ...

Je pourrais dire à quel point je suis effrayée par les poncifs récurrents qui sont assénés à longueur de posts par les citoyens justiciables dans les commentaires de chaque article de presse concernant la Justice, écumant de haine et revendiquant la têtes des juges, ces notables trop bien payés, imbus de leur pouvoir dont ils abusent forcément, éloignés des réalités quotidiennes, toujours irresponsables ... A ceux-là, je pourrais parler de moi, dire que je suis une simple fille d'ouvriers, que mon frère est smicard dans un garage et peine à boucler les fins de mois avec ses trois gosses , que mon mari est de nationalité étrangère, que pour payer mes études j'ai récurré des pissotières et été caissière dans un supermarché ... mais je n'ai pas envie de me justifier ou de m'excuser d'avoir passé un concours et d'avoir été parmi les 17 personnes recrutées dans toute la France cette année-là ...

Je préfèrerais dire que si, pendant 3 ans, j'ai passé 12 heures par jour et quasiment tous mes week-end dans mon ancien bureau de juge d'instruction, je l'ai fait avec passion, jusqu'à l'épuisement quand c'était nécessaire, sans me plaindre et sans congés maladie. Parce que j'ai aimé cette fonction. Parce que le sort des mis en examen ne m'a jamais été indifférent, au point que j'assistais aux audiences où ils ont été jugés, et que parfois je souffrais avec eux. Parce que j'ai pesé en conscience chaque placement ou maintien en détention provisoire que j'ai demandé ou décidé. Parce que des victimes en souffrance étaient en attente, à défaut de réponse judiciaire, du moins d'une écoute.

Je préfèrerais expliquer aussi à quel point j'exerce actuellement avec appréhension mes fonctions de Juge de l'Application des Peine. Avec la même passion et le même investissement. Mais avec d'énormes difficultés à assumer la shizophrénie de la fonction qu'imposent les objectifs contradictoires imposés par le législateur : condamner sévèrement les récidivistes mais aménager systématiquement les peines d'emprisonnement ; octroyer des libérations conditionnelles mais ne pas libérer ceux qui peuvent un jour récidiver, au risque de devoir le "payer". Je suis JAP, je ne suis pas Madame Irma.

Je pourrais dire tout cela. Et encore combien je suis écoeurée et humiliée de subir, jour après jour, impuissante car lasse d'être taxée de corporatiste, les coups de boutoir assénés à l'Institution de la Justice, délégitimée, décrédibilisée, avilie.

Mais en fait, je voudrais simplement m'excuser.

M'excuser auprès de cette épouse aimante - dont le mari qui avait demandé à me parler "seul à seule" avait alors reconnu "hors procédure" la véracité des attouchements sur des gamines qui lui étaient reprochés - qui est passée un soir à mon bureau, sans rendez-vous et après une journée épuisante. Ce soir là, je l'ai reçue, excédée et fatiguée, et je lui ai dit que je croyais son époux coupable. Il a été condamné par la suite. Je n'avais pas à lui dire ça.

M'excuser aussi auprès de cet homme condamné à 7 ans d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants dans un dossier que j'ai instruit. Pas pour sa condamnation ni son quantum, cette décision là ne m'a pas appartenue. M'excuser simplement parce que je lui ai permis d'avoir avec moi des discussions très libres, "hors procédure", lors de sa garde à vue ou de ses interrogatoires, et même juste avant l'audience correctionnelle. Cette relation "humaine" (dans le sens de désinstitutionnalisée), il ne l'a évidemment pas retrouvée devant le Tribunal durant les quelques heures de débat d'audience, et s'est senti trahi par la Justice que j'ai, pour lui, essentiellement incarnée. Je n'aurais pas dû permettre cela.

Mais je ne suis pas qu'un juge. Je suis aussi une femme. C'est aussi pour cela que je serai marquée à vie par certains mis en examen, condamnés ou victimes auxquels je pense toujours des années plus tard, par les affaires que j'ai traitées et dont, dans mon intimité, je porte encore le poids, la douleur, les angoisses, parfois les doutes ... Elle est là ma responsabilité. Tous les jours.

Témoignage

Par juge en peine


Prolégomènes : Tout d'abord merci, merci d'alimenter ce site régulièrement en donnant un point de vue conforme à la réalité de notre travail au quotidien, de nos échecs et de nos réussites.
Comme l'a dit un collègue, il n'est pas dans nos habitudes de témoigner, et au delà de la forme de cette contribution, il m'importe de rappeler que comme tout témoignage, il est relatif, qu'il peut être déformé par mes croyances, ou ce que j'ai envie de voir, ou de ne pas voir. Ainsi en va-t-il de tout témoignage.


À l'appel de son nom, le témoin décline son identité :
Je suis un jeune magistrat de province, dans un petit tribunal occupant mes (premières) fonctions de juge de l'application des peines (et également de juge aux affaires familiales notamment) depuis plusieurs années.
Ce que je peux dire de la justice, et de la magistrature en particulier, c'est que la quasi totalité des magistrats que j'ai croisés ne fait pas ce métier, en tout cas sur le terrain (la cour d'appel ne m'intéresse pas) et à l'heure actuelle (les mentalités antérieures n'étaient peut être pas les mêmes), pour les honneurs ou la considération. On le fait par conviction de rendre l'un des premiers services publics relevant du contrat social. On y sacrifie parfois une partie de sa vie de famille, parfois une partie de ses nuits qui ne sont plus si paisibles. On en garde souvent des visages et des images en mémoire, un goût amer du gachis social ou familial que nous avons été amené à voir, ou à créer malgré nous.

Le président : Avez vous personnellement constaté les faits qui sont reprochés habituellement aux magistrats ?
Oui, bien sûr. j'ai connu des magistrats carriéristes, des magistrat qui ne se préoccupaient que de réduire leur quantité de travail au minimum qui ne les fasse pas remarquer par leurs supérieurs. J'ai aussi connu des magistrats qui dévoyaient leur fonctions, couvrant leurs erreurs par des pratiques encore plus malhonnêtes. Ces personnalités existent dans tous les corps de métiers. Encore plus dans la magistrature, ils font honte à la fonction qu'ils incarnent.
Je suis bien conscient que notre système disciplinaire est imparfait, qu'il doit être complété/amendé, j'en ai des exemples tous les jours.
Mais élevons le débat, ne faisons pas une réforme sur ce sujet sur le mode du faire valoir du monde politique. Et prenons garde de ne pas introduire au conseil supérieur de la magistrature, une politisation que l'on ne supporterait pas dans une salle d'audience.

Le Président : Que pouvez vous dire de vos conditions de travail ?
Eh bien, contrairement à ce que vous pourriez croire, je ne m'en plains pas particulièrement au niveau matériel. Je dispose d'un ordinateur fixe (je n'en avais pas en arrivant), d'un téléphone fixe, d'un bureau. Bon mon greffier est de l'autre côté du tribunal (mais j'ai dit qu'il était petit).
Quant à la quantité de travail, elle grossit, mais à tort ou à raison je juge que plus de 50 heures de travail dans une semaine (9h - 20h ts les jours) c'est du suicide (pour moi) et que je risque d'y entraîner quelques justiciables. Pour l'instant ça tient. Et je n'accuse pas (trop) de retard.

Le président : Vous pouvez donc accomplir vos missions correctement ?
Je n'ai pas dit cela non plus. D'abord parce que c'est oublier que ma mission dépend aussi de celle de mes greffiers qui sont elles aussi surchargés mais payées pour 35 heures.
Ensuite parce que ma mission c'est de prendre en compte chaque situation, et que de plus en plus on nous éloigne de ce travail de cas "particuliers". Je prend un exemple : l'application des peines. J'aurais pu prendre les peines planchers, mais c'est polémique, paraît qu'on est trop laxistes. Prenons les choses à l'envers.
En 2004, une réforme intelligente voit le jour (preuve que je ne tape pas sur toutes les réformes) : l'application des peines devient une procédure "judiciaire" à part entière, permettant une individualisation des peines, c'est à dire offrant à la justice toute une palette de possibilités pour que les peines s'appliquent tout en préservant les points positifs dans les situations des condamnés. Un travail passionnant auprès des condamnés, des victimes, pour faire du sur-mesure, parce que les études (oui, la réforme s'appuyait sur un travail scientifique) ont démontré qu'en faisant du sur-mesure, on évitait les récidives.
2008, chaque six mois, une conférence à la cour d'appel (!) fait le point sur les aménagements de peines. 2008, et notre ministre de la justice créé l'aménagement automatique en fin de peine sous forme de surveillance électronique (expérience à Lille ?). 2008 et lors de mes débats contradictoires, l'administration pénitentiaire m'indique être favorable à l'aménagement de peine, "compte tenu de la surpopulation carcérale dans la maison d'arrêt".
Vous avez dit individualisation ? Vous avez dit "accomplir ma mission" ?
La question sur ce sujet c'est de savoir si les réformes qui poussent à l'augmentation du nombre de détenu sont fondées sur des études scientifiques, ou même seulement sur une réflexion sérieuse, loin des effets d'annonce.

Le président : Comment voyez vous l'avenir ?
Sombre. Comme vous l'avez indiqué dans vos débats, nous sommes 8000 en France (et pas tous sur le terrain). Les départs en retraite pour mes collègues les plus âgés approchent et nous venons d'apprendre que nous n'aurons plus d'auditeur de justice l'an prochain dans notre tribunal. Et pour cause, ils ne sont plus que 80 à être recrutés chaque année au concours (contre 200 à 300 départs par an). Il faudra bien résoudre le paradoxe. Soit la quantité de travail s'alourdira tellement qu'il ne sera plus possible de rendre la justice dans les conditions actuelles (déjà critiquées). Soit une partie de notre travail ne nous sera plus confié. Dans l'un comme dans l'autre des cas, on brade ce qui constitue un des piliers de notre société, et cela me paraît très inquiétant, surtout quand c'est associé à des assauts politiques dévalorisant la fonction même de juger.

Le président : il doit bien y avoir des solutions ?
Bien sûr. Certainement dans un maintien des effectifs déjà et une sanctuarisation de la fonction de juger.
Je me pose deux ou trois autres questions d'ailleurs que je vous soumets (il parait que la chancellerie nous lira) : ne peut on pas valoriser, péréniser et augmenter les assistants de justice, qui disposeraient de compétences élargies, agissant sous le contrôle de magistrats, et qui ainsi pourraient constituer un corps au sein duquel les magistrats seraient recrutés (toujours sur concours, mais avec des épreuves plus pratiques et peut être un stage avocat en moins ;-) ?
Pourquoi ne pas réfléchir à une organisation plus homogène des juridictions avec des magistrats professionnels et non professionnels plutôt que de tomber dans les extrêmes avec toutes les questions de légitimité que cela entraîne (cour d'assises / tribunal correctionnel) ?

Notre travail est de réfléchir à des solutions (convenables pour la société) à des problèmes tous particuliers.
La justice a certainement également ses problèmes particuliers plus ou moins généralisés.

Nous devons dans notre travail refuser de réduire les solutions à nos préjugés et refuser de plaquer une vérité, mais trouver ces solutions par le bon sens et en respectant les valeurs que s'est donnée la société.

Il serait bon que l'on procède de même avec les problèmes que nous rencontrons ou que nous posons.

C'est somme toute la seule chose que je demande à travers le mouvement actuel des acteurs de la justice.

Merci de m'avoir laissé la parole.

Et de conserver mon anonymat (il parait que l'on serait susceptible de poursuite en témoignant de ce que l'on vit).

« Et le tribunal décerne mandat de dépôt »

Par Castor Masqué, juge d'instruction


Ça y est, je me lance. Pour témoigner de ce nos indignations silencieuses, à nous, juges, qui sommes plus à l’aise dans l’ombre de nos cabinets que sous la lumière des projecteurs. Nous ne sommes ni bons orateurs, ni bons pamphlétaires, mais nous n’en avons pas moins une conscience aiguë de l’état lamentable de la Justice.

Bien que je sois juge d’instruction (dans un grand tribunal), je voudrais vous entretenir de la correctionnelle, et de la honte que la Justice - oui, je tiens à la majuscule - qui y est rendue m’inspire. Plus particulièrement, que l’incarcération immédiate m’inspire. Asseyez-vous sur les bancs d’une audience correctionnelle, de préférence en comparutions immédiates, vous vous prendrez en pleine figure toute la violence des évolutions récentes.

Il n’est pas ici question de sensiblerie. Ce qui se joue est tout autre, c’est une inversion des principes fondateurs du droit, au nom de la lutte contre la récidive : automaticité des peines en lieu et place de l’individualisation, systématisation de la détention, abandon de la motivation des décisions. Comment, en modifiant les outils avec lesquels on rend une décision pénale, on en conditionne le résultat dans le sens de la détention immédiate. Comment on lie les mains, mais aussi l’esprit, des juges.

Traçons tout d’abord le portrait statistique du « récidiviste » tant honni, cible favorite des foudres ministérielles : quoi, ce n’est pas le profil du maniaque sexuel, du conjoint violent, du chauffard alcoolique qui se dessine, mais celui du voleur ? En 2006, le taux de réitérants (concept un peu plus large que celui de la récidive j’en conviens, mais je n’ai pas trouvé de chiffres plus ajustés) était le plus élevé en matière de vol et de recel ! 27,4% (contre 14,2% pour la conduite en état alcoolique, qui vient tout de suite après ; 10,9% pour les violences volontaires, 5,3% pour les atteintes aux mœurs, et 1,8% pour les viols…). Et parmi les vols délictuels, plus de 31% sont des vols simples… (source : Annuaire statistique de la Justice édition 2008).

Or, l’existence d’antécédents judiciaires détermine nos collègues du parquet à retenir la voie de la comparution immédiate. Il n’existe hélas pas de suspense en la matière sur l’issue, en tout cas pas de suspense statistiquement perceptible : c’est quasiment toujours une détention immédiate. En 2006, sur 19676 mandats de dépôt prononcés par les tribunaux correctionnels, 19212 l’ont été en comparutions immédiates (contre 464 dans le cadre d’autres procédures). Les dossiers peuvent pourtant être dérisoires, et plus souvent qu’on ne le croit. Qui n’a pas agoni le parquet d’injures silencieuses parce qu’on le fait siéger en « compa » pour une tentative de vol, de vélo du voisin ou de jeu vidéo à Auchan ? Cela laisse d’autant plus songeur qu’un système juridique comme celui de l’Espagne a par exemple choisi de ne faire du vol qu’une simple contravention, insusceptible d’une peine de prison, s’il est commis sans circonstance aggravante (violences, dégradation, réunion…) et si la valeur du bien dérobé est inférieure à un certain montant. Il n’est pas inutile de rappeler qu’en comparaison, des violences volontaires ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à 8 jours (un médecin légiste vous allouera royalement 1 à 3 jours d’ITT pour un nez cassé) ne relèvent que du tribunal de police, et ne déboucheront jamais sur une incarcération… Moralité : mieux vaut coller un œuf que voler un bœuf ? Quel renversement de valeurs opère un système qui réprime plus sévèrement des atteintes aux biens que des atteintes aux personnes ?

Les peines plancher, ensuite. Comment rendre la violence des ces dispositions, qui réduisent quasiment les juges à l’impuissance ? Qui aboutissent à ne faire aucun cas de la gravité de l’infraction, tout en feignant hypocritement de préserver le principe d’individualisation de la peine ? La première application à laquelle j’ai dû prendre part concernait un homme, condamné par le passé pour trafic d’héroïne, et qui avait été interpellé en possession d’une dizaine de grammes de résine cannabis. Ancien héroïnomane, il expliquait avoir mis un terme à sa consommation de drogues dures mais pas à celle de cannabis, dont il ne pouvait se passer et qu’il estimait être un moindre mal. Il n’était pas possible de faire échec à la peine plancher (de quelles circonstances de l’infraction arguer, de quels éléments de personnalité ?), sauf à créer de toutes pièces les garanties de réinsertion dont il était manifestement dépourvu. Les collègues avec qui je siégeais (en comparution immédiate) n’ont pas souhaité prononcer une faible peine d’emprisonnement ferme, assortie d’une longue peine d’emprisonnement avec sursis : ce sont donc quatre années dans toute leur rigueur qui sont tombées. J’aurais voulu ne jamais retourner dans la salle pour annoncer la décision. J’ai une amie qui, dans des circonstances similaires, en a pleuré. Moralité : changez de fonctions, passez au civil ? Un dernier exemple, issu de la pile de jugements à signer en souffrance sur mon bureau : un individu saisit, au moment de payer dans un supermarché, une poignée de billets dans la caisse ouverte. Il a été condamné à trois reprises, pour des faits de vol aggravé commis en 2004 sous la minorité (peine d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve), puis en 2005 pour deux faits de vol simple (une amende et 6 mois ferme, non exécutés). La peine plancher, c’est en l’espèce un an d’emprisonnement. Alors, ça les vaut ?

En comparaison, les peines que nous prononçons à l’audience sans les assortir de mandat de dépôt restent pour beaucoup d’entre elles lettre morte : elles ne sont soit tout simplement pas ramenées à exécution (en clair, le condamné n’est jamais convoqué pour se rendre à la maison d’arrêt), soit tout est mis en œuvre pour éviter d’avoir à les exécuter. Ainsi, pour toute peine ferme inférieure à un an d’emprisonnement (article 723-15 du code pénal), un aménagement sera au préalable systématiquement envisagé (conversion de la prison en travail d’intérêt général, exécution de la peine sous forme de bracelet électronique ou de semi-liberté…). Il est actuellement question d’étendre ce dispositif aux peines allant jusqu’à deux ans… Moralité : pour une peine prononcée, un mandat de dépôt offert ?

Il sera d’autant plus facile de prononcer une incarcération immédiate, prenant effet au sortir de l’audience, que les lois successives n’ont pas cessé de faciliter le recours au mandat de dépôt. Jusqu’à une date récente, le juge statuant seul, en formation de juge unique, pour les délits de faible et moyenne gravité, ne pouvait assortir sa décision d’un mandat de dépôt que si la peine d’emprisonnement qu’il prononçait atteignait un an (et c’était rare !). Depuis la loi du 12 décembre 2005, ce seuil a été supprimé pour les récidivistes, l’incarcération à l’audience étant même obligatoire pour les récidivistes auteurs de délits violents ou de nature sexuelle condamnés à une peine d’emprisonnement, sauf décision motivée. Les cas de récidive sont bien sûr étendus et les possibilités de prononcer de l’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve limitées… Quel système juridique démocratique fait de la détention la règle et de la liberté l’exception ? Je voulais laisser l’instruction de côté, mais je ne peux m’empêcher de signaler cette disposition (article 137-4 du code de procédure pénale) qui oblige depuis 2004 le juge d’instruction, dans l’hypothèse d’un dossier criminel ou correctionnel grave, où le parquet a manifesté sa volonté de voire la personne incarcérée quand bien même le juge d’instruction ne l’estimerait pas nécessaire, à motiver son refus de saisir le juge des libertés et de la détention, c’est-à-dire sa décision de laisser libre un mis en examen ?

Constatons par ailleurs que les magistrats correctionnels organisent leur propre déresponsabilisation. Les réformes intervenues dans le domaine de l’application des peines contribuent à endormir nos consciences : nous avons d’autant moins de scrupules à prononcer une peine d’emprisonnement immédiate que nous savons qu’elle donnera désormais lieu, tôt ou tard, à un aménagement (semi-liberté, libération conditionnelle à mi-peine, bracelet électronique…). Les juges d’application des peines sont en effet dotés de moyens législatifs croissants pour vider des prisons surpeuplées, et les instructions de la Chancellerie en ce sens abreuvent nos collègues du parquet.

L’engorgement de notre système judiciaire octroie même une prime à l’incarcération : mes dossiers d’instruction, pour peu qu’ils comportent des détenus, sont prioritaires et passent à l’audience en moins de deux mois (c’est l'article 179 alinéa 4 du code de procédure pénale qui l’impose), tandis que ceux, non moins graves, dans lesquels les mis en examen sont libres ou libérés, attendent actuellement entre 12 et 18 mois après la fin de l’instruction pour être audiencés…

Vous avez saisi que la question de la motivation n’était en réalité pas anodine : motiver, c’est ce qui rend la peine légitime. C’est expliquer au justiciable les raisons, en droit et en fait, qui nous ont conduit à adopter telle décision plutôt que telle autre. En correctionnelle, les motivations des jugements sont des insultes à la logique, réussissant le tour de force d’être à la fois dogmatiques et contradictoires dans leurs énoncés. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas le temps de motiver, surtout pas lorsque nous statuons en juge unique. Je siège une fois par mois en juge unique, pour 20 à 25 dossiers, ce qui représente une vingtaine de décisions rédigées. Là-dessus, j’en motive après-coup 2 ou 3, celles dans lesquelles les justiciables ont fait appel. Alors, vous comprenez mieux la raison d’être des jugements stéréotypés, que je signe par paquets en mettant ma conscience de côté : « il résulte des éléments du dossier et des débats à l’audience que M. X a bien commis les faits qui lui sont reprochés, il convient en conséquence d’entrer en voie de condamnation à son égard ». S’agissant des dossiers dans lesquels je prononce une peine ferme, on ajoute « Le prévenu a fait l’objet de multiples condamnations, demeurant insensible aux avertissements précédemment délivrés. Eu égard à ses antécédents et à la gravité des faits, il convient de le condamner à une peine d’emprisonnement dont le quantum soit de nature à dissuader la récidive » (remplir les cases vides SVP) ? Vous me ferez perfidement observer, et vous aurez raison : à quoi bon motiver lorsque le condamné a interjeté appel, dans l’hypothèse où il est détenu, puisque l’appel ne suspend pas l’exécution de la peine et que compte tenu des délais dans lesquels la Cour va examiner son dossier, il y a de fortes chances qu’il ait déjà purgé sa peine lorsque l'audience se tiendra ?

J’ai calculé qu’en Espagne, dont j’ai pu observer le fonctionnement de la Justice, un juge correctionnel traite 3 à 6 dossiers par audience, à raison de deux ou trois audiences par semaine, ne rend jamais de délibéré sur le siège (c’est-à-dire tout de suite), et motive sur plusieurs pages chaque jugement en citant la jurisprudence. J’ai un rendement bien meilleur : en une seule audience mensuelle je rends 50% des décisions de mon collègue ibère, et ce bien que la correctionnelle occupe moins de 5% de mon temps tandis que lui s’y consacre à temps plein. Moralité : le juge français, c’est mini-Mir, mini-prix, mais qui fait le maximum ?

Mon ennemi, mes satisfactions, mes peurs, mes rêves

Par Véro, juge aux affaires familiales


Dans une très grande juridiction du midi, j’assume avec 6,5 collègues l’ensemble du contentieux des affaires familiales (divorce, séparation de la famille en union libre ,délégation de l’autorité parentale, enlèvement international d’un enfant par l’un des parents , organisation des droits de visite des grands parents ou de tiers ayant eu des relations privilégiées avec un enfant) et celui de la liquidation des régimes matrimoniaux des couples qui divorcent .

Population concernée: 1 200 000 personnes .

MON ENNEMI :le manque de temps et la pression qu’il engendre . Nous rendons actuellement chacun 1000 décisions par an environ ; à l’exception des jugements constatant un accord des couples (30 % de notre contentieux).
Dans les 70 décisions restantes par mois, je statue sur un point de désaccord, mais plus souvent sur quelques points ( montant d’une pension alimentaire; organisation d’un droit de visite; attribution d’un domicile..); en fonction de la complexité du dossier, je consacrerai à chaque décision un temps d’examen variant d’une heure à une journée complète de travail .
Recevant et écoutant dans leurs demandes les couples ou leurs avocats une journée et demi par semaine (trois audiences par semaine), il me reste trois jours et demi pour examiner les documents qu’ils me remettent (de 15 à 50 documents par personne en moyenne), prendre ma décision et la rédiger sous la forme d’un jugement écrit .

Il m’ est donc habituel, pour ne pas prendre de retard, de travailler le 6ème jour (le samedi pour moi) ou (et) mes soirées; sur mes 9 semaines de vacances, deux ou trois sont systématiquement utilisées pour “ évacuer le stock” qui se constitue chaque trimestre.

Dans les périodes d’augmentation de contentieux ou de vacance temporaire de poste , nous sommes confrontés à cette alternative :prendre du retard dans les délais de convocation (ce qui inquiète et mécontente à juste titre les couples dans des situations où l’intervention du juge est souvent ressentie comme urgente et nécessaire) ou surcharger nos audiences déjà remplies .

MES SATISFACTIONS :

— dénouer parfois en profondeur un conflit familial : il m’arrive de consacrer à une seule famille ou à l’audition d’une enfant une heure de ma demie-journée d’audience .

— rester calme et à l’écoute alors que je reçois après quatre heures d’audience ininterrompue le 17 ème couple ( 20 dossiers en moyenne par audience); sentir une personne se détendre dans mon bureau alors qu’elle y est entrée très stressée .

— relire avec satisfaction un jugement difficile et bien motivé lorsque j’ai pu y consacrer le temps nécessaire .

MES PEURS:

— Le grain de sable qui enrayera la machine :congé de maternité de la collègue qu’il faudra remplacer aux audiences, problème familial personnel qui pourrait m’obliger à m’arrêter deux ou trois jours, pépin de santé...

— La situation familiale dont je n’ai pu appréhender toute la complexité ou évaluer le danger potentiel (parents violents ou atteints de troubles psychiques), et qui dégénére .

MES RÊVES:

— Disposer du temps nécessaire pour prendre avec mes collègues une demi-journée par mois de travail sur une jurisprudence commune et d’échange sur les situations difficiles ( les dossiers anxiogènes sont nombreux et nous les abordons dans une grande solitude) ;

— Pouvoir un jour m’appuyer sur un greffier rédacteur pour être déchargée de la mise en forme des jugements les plus faciles et consacrer mon temps aux situations complexes, nos greffiers, actuellement totalement absorbé par des taches de secrétariat, ne peuvent jouer ce rôle;

— Partir en formation continue (une semaine par an) sans devoir surcharger mes audiences des semaines précédente et suivante des affaires que je n’aurai pu étudier pendant mon absence ;

— Consacrer une heure d’audience à chaque famille: cette idée folle me vient de la lecture récente d’un jugement britannique, renvoyant une affaire et évaluant le temps d’examen du dossier à une heure .

En dépit de conditions de travail usantes, je demeure attachée à cette fonction, continuant de croire que je peux, dans certaines situations, limiter les difficultés sociales et humaines engendrées par la désunion ou restaurer un meilleur équilibre familial .

Lettre ouverte aux citoyens

Par Morgane, magistrat


Issue d’une famille modeste et d’un père immigré, je suis entrée dans la magistrature par vocation et grâce aux concours républicains.

Je ne m’attendais pas à ça.

Je ne m’attendais pas à être perçue comme un méchant, comme la bête à abattre. Qui plus est je cumulais les tares : jeune, femme et juge d’instruction en premier poste.

Oui, c’est vrai, l’institution judiciaire, c’est souvent dur pour les citoyens : une condamnation ne satisfait ni la victime ni le condamné ; un jugement de divorce ne satisfait ni l’époux ni l’épouse. Et quand on y pense, un bon jugement, c’est peut-être de trouver ce juste milieu entre les parties donc de ne donner raison ni complètement à l’un ni complètement à l’autre..Forcément, les gens ne sont jamais contents de nous.

Mais aujourd’hui, c’est plus grave. Et ce n’est pas du corporatisme. Et ce n’est pas un refus du changement. Et ce n’est pas un refus d’assumer nos responsabilités.

La Garde des Sceaux vous prend à témoin, vous citoyens, et vous ment. Elle vous donne des fausses indications sur le fonctionnement de la justice (elle s’est trompée plusieurs fois sur des fonctionnements judiciaires de base) et elle vous fait croire que les magistrats sont responsables de tous les problèmes et les drames judiciaires, par la stratégie du bouc émissaire. A chacune de ses apparitions, elle se montre en chevalier blanc, légiférant à tour de bras (médiatique). Mais à force de dire tout et son contraire, ses promesses sont du vent, elle vous ment.

Les paroles de la Garde des Sceaux sont tellement contradictoires et démagogiques, au fil des intérêts politiques et médiatiques, qu’elle n’a plus de parole. Elle n’a plus de parole pour nous à qui elle doit donner des indications de politique nationale. Elle n’a plus de parole pour vous à qui elle fait des promesses bling bling.

La mise au pas de la magistrature par la Garde des Sceaux, ça vous amuse peut-être parce que vous vous dîtes : ah, c’est l’arroseur arrosé, tant mieux si les juges en prennent pour leur grade, le dernier que j’ai vu m’a condamné et m’a retiré mon permis de conduire, tant mieux pour lui, il réfléchira à deux fois avant de juger n’importe comment…

Mais prenons du recul : les magistrats sous la coupe du politique, c’est quoi ? C’est un réel danger pour la démocratie, pour chacun d’entre nous. Ce sont des affaires qui s’étouffent d’autres que l’on privilégie par simple influence du politique… Une justice à deux vitesses.

La Garde des Sceaux, par ces artifices, vous dresse contre votre Justice.

Nous refusons le jeu de la Garde des Sceaux. Nous refusons d’être des boucs émissaires. Nous refusons d’être sous la botte du politique. Nous voulons une Justice forte et humaine.

Aujourd’hui, les magistrats sortent de leur réserve pour défendre le coeur de la Justice.

Avec vous j’espère,

En tous les cas pour le bien de tous.

Poème

Par Ada, magistrat et poète


Amères sont les pensées du magistrat entrant
Dans ce service public que personne ne défend.
L’heure est à la méfiance, mais comment vous blâmer,
lorsque l’on nous moque, qu’on ne sait rétorquer.

On vous parle de fautes, de mauvaises décisions,
Mais qui est l’oracle pour donner ce sermon?

Celui qui critique tout et son contraire
Alors que ses inspections ne sont qu’arbitraire!
Celui qui prône : “récidiviste, en prison!”
Puis se plaint au 20h “oh malheur, pendaison...”
Qui somme alors d’aménager les peines,
Et si le drame arrive: vise le juge, le malmène.

Nous ne sommes pas, sachez-le, des machines,
Et nos décisions, bien que pesées, nous minent.
Nous ne sommes pas plus maîtres de la nature humaine,
Nous ne pouvons contrer tout malheur qui s’amène...
Mais nous travaillons sans cesse à la paix sociale,
Aux libertés de l’homme qui ne veut pas à mal.

Tenter de faire le juste n’est pas toujours facile
Et votre confiance nous est plus qu’utile...

Que les coupeurs de têtes ne vous abusent pas!
Ayant pour seule mission de nous mettre à leurs pas
Pour alors bâillonner ce pouvoir qui fait peur
Et sans lequel pourtant la démocratie meurt.

Magistrat désabusé mais passionné

Par JB, juge d'instruction


Je suis magistrat depuis quelques années. J'ai commencé au parquet, avant de continuer à l'instruction il y a quelques mois.

Ma vocation - car c'est est une - est née alors que j'étais en CM2 et que j'ai assisté pour la première fois à une audience correctionnelle.

J'ai ensuite effectué un parcours classique, sans coups d'éclat : faculté de droit, préparation du concours d'entrée à l'ENM dans un Institut d'Etudes Judiciaires de province puis l'ENM. Je n'ai réussi le concours qu'à ma troisième tentative. Je me suis accroché car aucun autre métier ne me semblait plus intéressant à exercer.

La scolarité au siège bordelais de l'ENM durait à l'époque 8 mois. A l'euphorie des premières semaines (et des premières payes !) a succédé le commencement des désillusions. L'ENM était dirigée par une personnalité désormais haut placée à la Chancellerie, qui n'avait de cesse de transformer les étudiants que nous étions en moutons bien obéissants. Nous eûmes quelques visites politiques au cours de cette année et, avec le recul, je m'aperçois qu'elles n'avaient la couleur que de l'UMP. Un député, ancien magistrat, vint polémiquer sur "sa" loi instituant les juges de proximité, affirmant que c'était "une bonne loi parce qu'elle était populaire". Un ministre de l'intérieur, futur président de la République, vint nous faire un discours pré-électoral. Parlant des discriminations positives, il nous dit (et je me souviens très bien de ses termes précis) : « Moi aussi, j'ai ma Rachida ». A l'époque, nous ne savions presque rien sur cette magistrate devenue conseillère du ministre. Cela n'allait pas durer.

La visite du ministre permit d'instaurer une innovation : l'amphithéâtre préléable de recadrage. Toute la promotion fut réunie afin d'être avisée de ce que des questions gênantes ne seraient pas appréciées. L'effet ne tarda pas : aucune question ne fut posée au ministre, mise à part celle émanant d'un maître de conférences...qui effectivement, ne fut pas du goût du ministre !

L'année de scolarité se termina de cette manière. Un double sentiment m'envahit alors : celui d'exercer un fabuleux métier mais aussi celui d'avoir intégré un corps couard, conformiste et apeuré par le politique. Sur ce dernier point, à juste titre puisque le retour de manivelle faisant suite aux "petits juges "décomplexés des années 1990 commençait à se faire sentir.

Les 13 mois de stage en juridiction étaient surtout consacrés à l'apprentissage des métiers. Ils étaient aussi l'occasion de se faire une idée sur les composantes de ce corps. Avec, comme dans toutes les professions, des gens courageux, des gens travailleurs, des gens respectueux, des gens brillants, mais aussi des caractériels, des fous, des nuls, des fainéants, des irrascibles, etc.

A l'issue de cette longue formation juridique puis d'apprentissage professionnel de 31 mois, mon envie d'exercer ce métier était toujours présente.

Nommé substitut du procureur dans une région particulièrement éprouvante du point de vue de la délinquance et de la criminalité, j'ai eu à connaître en première ligne des incohérences des politiques pénales et de l'affaiblissement de la Justice.

Car il ne faut pas se leurrer : désormais, les procureurs généraux et les procureurs de la République ne sont que des exécutants de la Chancellerie, qui elle-même est sous la coupe du ministère de l'intérieur. Certains syndicats de magistrats parlent de préfectoralisation ou de caporalisation du parquet. Il y a du vrai.

Que penser de la convocation de 5 procureurs généraux qui doivent justifier leurs vilains "scores" de peines-plancher ? Que penser des circulaires et instructions qui descendent de la Chancellerie toutes les semaines, qui suivent un fait divers quelconque mais médiatisé et que nous n'avons même pas le temps de lire ? Que penser des rapports à rédiger à longueur de journée au procureur général (et à enovyer par mail, vous seriez gentil, comme ça nous n'aurons qu'à repomper. Vous, ça vous aura pris dans le meilleur des cas une demi-journée. Eux, 5 minutes, le temps de changer l'en-tête) ? Que penser de la pression qui entoure un fait divers ? Que penser de votre procureur qui vous incite à communiquer à la presse, de votre procureur général qui vous incite au contraire, de la presse qui vous somme de venir donner une interview un dimanche matin à 8 h, pour le journal de 9 h, alors même que votre permanence ne vous a laissé dormir que 4 heures ? Que penser de l'absence totale de considération de nos hiérarques, de notre ministre, de notre administration centrale (qui, décidément, depuis PARIS, ne comprend rien à rien), de notre président de la République, de la presse, de nos enquêteurs (eh oui, ils savent qu'en cas de conflit, faisons fi du Code de procédure pénale, et vive la supériorité de leur ministère) et finalement de l'opinion publique ?

Que penser de cette collègue de SARREGUEMINES, de son procureur, des enquêteurs, des fonctionnaires de l'Administration Pénitentiaire et du tribunal pour enfants, convoqués et enjoints à s'expliquer sur la façon dont ils ont juste fait leur travail ?

Que penser de ces lois d'apparât, toujours plus répressives et de ces circulaires qui suivent et qui nous "invitent" à privilégier autant que possible les aménagements de peine (pour être plus clair, la sortie de détention) ? Et s'il survient un drame, à qui la faute ?

Que penser d'un Garde des Sceaux qui n'entend exercer sa mission que dans le fracas et les effets d'annonce ?

Que penser d'un Garde des Sceaux qui réforme la carte judiciaire avec un simulacre de concertation, alors même que cette réforme apparaît évidente pour tout le monde ?

Que penser d'un Garde des Sceaux qui connaît aussi peu son ministère alors même qu'elle a été magistrate (certes, peu de temps) ?

Que penser de cette Justice fortement chahutée depuis l'affaire d'Outreau et qui n'arrive pas à remonter la pente ?

Que penser de toutes ces réformes qui viennent s'accumuler aux précédentes tous les ans, qui ne sont pas préparées et qui créent un sentiment d'insécurité juridique pour les magistrats ?

Que pnser de cette nouvelle commission à peine installée pour la réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, alors même que les réformes de procédure pénale sont de l'ordre de plusieurs par an ?

Que penser du budget misérable de la Justice, de ces locaux au mieux vieillots, au pire insalubres et insécurisants ?

Que penser du manque de greffiers et de fonctionnaires de Justice, sans qui les tribunaux ne peuvent pas fonctionner ?

Que penser de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et de l'Administration Pénitentiaire, totalement asphyxiées ?

Que penser du manque d'experts (que, de toute façon, nous ne payons plus et encore, à coups de pied dans le derrière) ?

Que penser des revalorisations salariales des magiatrats, toujours promises et jamais obtenues ? D'accord, les magistrats ne sont pas à plaindre, loin de là, mais les gens qui connaissent nos traitements s'imaginent toujours que nous gagnons le double.

La Justice parfaite n'existe pas. Mais la nôtre est mal en point.

La magistrature est tous les jours un peu plus attaquée de toute part. Et tout a commencé du sommet de l'Etat. Il faut croire que la Constitution ne s'applique pas à ceux qui se chargent de l'écrire.

Et malgré cela, j'ai toujours envie de faire ce métier. Je ne dis pas que chaque jour l'envie est là mais ce métier reste passionnant. Et si le mépris affiché par notre ministre de tutelle n'avait pas raison de notre passion ? Et si nous lui survivions au sein de ce ministère ?

Comme le disait Maître Eolas, les magistrats sont à peu près 8.000 sur tout le territoire et interdits du droit de grève. La mobilisation reste donc anecdotique. Mais voir les collègues de METZ, hier, faire un haie au Garde des Sceaux en arborant des pancartes "Justice bafouée, démocratie en danger", je me dis que quelque chose est peut-être en train de germer. A suivre.

De la formation emphytéotique des nouveaux magistrats

Par Mandret, parquetier dans un petit tribunal


Les atteintes répétées à l’institution judiciaire en général et à la magistrature en particulier ont souvent pris la forme de critiques acerbes à l’encontre de la formation des magistrats. Trop centrée sur elle-même, ne donnant pas assez “d’épaisseur humaine” à ses étudiants, parfois même comparée à une usine de petits poids, que n’a t’on pas entendu ?

Alors c’est fait, Mesdames, Messieurs, la formation nouvelle est arrivée

L’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) a récemment présenté le “nouveau séquençage” de la formation initiale des magistrats. Outre l’introduction en début de scolarité d’un stage avocat d’environ 6 mois, la formation des magistrats français durera désormais 36 mois (contre 31 précédemment, déjà l’une des plus longue de la fonction publique).

A la lecture de ce projet, la formation débute donc désormais par un grand stage avocat, puis par huit mois d’études à l’école de Bordeaux, se poursuit par un stage juridictionnel de dix mois, continue par un stage extérieur à l’institution de six semaines auquel s’enchaîne un stage de langue avec séjour à l’étranger d’environ cinq semaines pour se terminer enfin par un stage de préparation aux premières fonctions (ouf !). Soit trois ans de formation après l’entrée à l’école qui succède, rappelons le, à cinq années d’études universitaires et parfois une à deux années de préparation au concours.

Un magistrat cuit à point est donc un magistrat à bac + 10.

Rappelons également que cette réforme fait suite aux conclusions de la commission parlementaire suite à l’affaire dite d’Outreau qui avait recommandé un rapprochement des formations magistrats/avocats et proposé avec force d’allonger significativement la durée du stage avocat déjà présent dans la formation initiale.

Les attentes et exigences multiples auxquelles a du répondre l’ENM depuis quelques années et l’introduction dans son cycle de formation de stages supplémentaires l’a donc conduite à étirer la durée de cette formation initiale pour la porter à trois ans.

En dépit des pratiques de nos voisins européens, en dépit de ce qui se fait s’agissant des autres écoles de la haute fonction publique, c’est décidé, le magistrat passera trois ans à la Magistrat’Ac ou ne sera pas

En effet, même si la comparaison est peu aisée compte tenu de la variété des modes d’accession à la magistrature chez nos voisins, dans les pays qui recrutent les auditeurs de justice par concours, la durée est plus proche des deux années (Espagne et Portugal) et est même de 18 mois en Italie. D’ailleurs dans ces pays l’allongement interminable la formation n’a pas été privilégiée, mais l’exigence d’une expérience professionnelle préalable a prévalu.
De même assez peu de pays ont mis en place un tronc commun entre magistrats et avocats estimant que la faculté de droit jouait ce rôle.

Alors voilà, la mise en cause systématique de magistrats dans des faits divers plus médiatiques les uns que les autres justifie à peu près tout. Mais à y regarder de plus près, pourquoi faire passer 6 mois à un auditeur de justice chez un avocat ? Le stage précédent de 2 mois ne suffisait donc pas ? Etre élève pendant trois ans guérit donc de tous les maux de cette satanée jeunesse dont il faut absolument débarrasser les magistrats?

Il est absolument certain que le juge d’instruction ayant passé 4 mois de plus dans un cabinet d’avocat à rédiger des conclusions civiles sera plus à même de comprendre la situation de l’assassin ou de l'escroc qui lui fait face lors d'une mise en examen.

Il est tout aussi certain que le président correctionnel se souviendra de sa plaidoirie devant le tribunal de l’incapacité quand il aura à entendre une victime à la barre.

L’ouverture de l’école sur le monde extérieur et sur l’ensemble des acteurs qui font le monde judiciaire est essentielle. Mais pourquoi s’arc-bouter sur cette relation magistrats/avocats. Nos rapports sont ils si exécrables. Je ne le crois pas. Cette mesure a été prise pour contenter un petit nombre de parlementaires conseillés par une minorité d’avocats qui ne sont en rien représentatifs de la profession.

Tellement d’autres choses auraient pu être mises en place dans le cadre de cette réforme, qui n’était d’ailleurs pas indispensable, la formation de l’ENM (ancienne version) étant copiée dans de nombreux pays.

D’abord, l’idée d’une concertation européenne pour harmoniser les formations au sein de l’Union n’a jamais préoccupé nos dirigeants. L’idée de conditionner le concours à l’exercice d’une profession judiciaire préalable même de courte durée, de multiplier les stages dans des institutions ou entreprises totalement extérieures au monde judiciaire, ou tout simplement de mettre en place un système de parrainage en dehors de toute voie hiérarchique étaient sans doute trop simple pour être mise en place.

Enfin, il aurait été tellement plus naturel, pour répondre aux préoccupations visant le jeune magistrat esseulé face à son dossier, de tout simplement pourvoir des postes en sortie d’école dans de grands tribunaux, avec de nombreux collègues prêts à répondre à la moindre question du jeune arrivant plutôt que de faire, de ce bel outil qu’est l’ENM, une usine à gaz et de parsemer dans les barreaux de France et de Navarre de jeunes collègues en soif d’apprendre à devenir tout simplement ... Magistrats.

Du Parquet au Siège : la trajectoire d’un petit pois

Par Exkadis, ancien parquetier devenu juge dans un tribunal de grande instance


C’est avec un peu de gêne que je me permets aujourd’hui de répondre à l’invitation de Me Eolas. Mais ayant découvert récemment que mes concitoyens, sur ce blog, faisaient preuve d’une volonté de savoir quel était notre quotidien plus que de nous condamner d’avance, j’ai décidé de me lancer, en espérant ne pas trop rebuter.

Je me présente : Petit Pois n°6792, DEA de droit pénal, issu du 1er concours de l’ENM (celui des étudiants), trois ans de Parquet, deux ans et des poussières de siège civil. Un salaire actuel d’à peu près 3100 euros.

Une seule motivation en intégrant cette profession : utiliser les compétences acquises en fac de droit dans le cadre d’un service public, afin d’essayer de faire en sorte, à mon tout petit niveau, que les situations humaines que j’aurais à traiter aillent moins mal, à défaut d’aller mieux.

Une première orientation vers le Parquet donc, et trois ans d’exercice passionné des fonctions de substitut dans un TGI de taille moyenne :

- Le suivi des enquêtes, notamment dans le cadre de la permanence téléphonique ; soit une semaine par mois d’astreinte 24 heures / 24, WE compris (sans récupération mais avec indemnités) avec compte-rendu de toutes les enquêtes élucidées du ressort. Rarement moins de 40 appels par jour, généralement plutôt le double ;
- 7 à 8000 procédures par an à traiter par courrier ;
- 5 à 10 audiences correctionnelles et de police par mois ;
- 2 sessions d’Assises par an ;
- des horaires de travail quotidiens de type 8 h 30 – 19 h 30 ;
- une foultitude de rapports à rédiger à destination du Parquet Général, sur l’ensemble des faits pouvant faire l’objet d’un entrefilet dans les journaux locaux ou, pire, sur France 3 (ce critère de potentialité médiatique étant malheureusement devenu absolu) ;
- un grand nombre de réunions à « co-animer » avec le Préfet, les administrations diverses, les partenaires associatifs.

Et puis un jour, j’en ai eu assez.

Assez de passer mon temps à rédiger toujours plus de rapports au PG[1], faire des statistiques de rendement plutôt que d’aller à l’audience ou de traiter mon courrier pénal.

Assez aussi, je l’avoue, de donner à ma compagne (salariée du privé qui ne m’envie pas le moins du monde mon métier) l’impression qu’elle n’avait plus ou presque de conjoint.

Je suis donc passé au siège, où mon quotidien peut se décrire comme suit :
- quatre audiences civiles, soit une quarantaine de jugements à rédiger chaque mois ;
- une audience correctionnelle à présider ;
- quelques audiences de JLD[2] ;
- quelques audiences (tutelles, saisie des rémunérations, tribunal paritaire des baux ruraux) plus occasionnelles au tribunal d’instance, dont un poste de juge est vacant ;
- 50 à 55 heures de travail hebdomadaires.

En cinq ans, j’ai vu le pire comme le meilleur.

J’ai assisté à des délibérés correctionnels qui n’en étaient quasiment pas, le président imposant sa vision des faits à un collègue trop timide pour exprimer une opinion divergente.

J’ai vu un président de Cour d’assises commencer son délibéré par un péremptoire « Sur la culpabilité de l’accusé, je suppose que personne n’a de doute, nous allons donc passer à la détermination de la peine » avant qu’un assesseur n’exige fermement un vote à bulletins secrets[3].

J’ai vu des présidents de Tribunal correctionnel faire preuve de sévérité excessive (y compris envers les victimes), de façon quasi-irrationnelle. J’ai ainsi pu assister, dans un très gros tribunal, à un délibéré à l’issue duquel le prévenu a écopé de 18 mois d’emprisonnement sur des preuves plus que douteuses, et sans sursis, la vice-présidente également juge de l’application des peines ayant refusé « qu’un cas comme celui-là soit mis à l’épreuve », vu qu’elle en avait « plein ses tiroirs ».

J’ai vu un collègue substitut mettre plus bas que terre un enquêteur qui avait osé lui laisser un compte-rendu d’enquête sur sa messagerie vocale entre midi et 14 heures, l’enquêteur étant supposé savoir que le substitut n’admettait pas d’appels pendant sa pause-repas.

J’ai vu un JAF[4] finir à 20 heures ses audiences en expliquant aux futurs divorcés mécontents d’avoir été convoqués à 8 h 30 que si ça ne leur plaisait pas, ils n’avaient qu’à aller divorcer ailleurs. J’ai vu ce même collègue mettre sans sourciller ses affaires en délibéré à six mois.

J’ai vu des magistrats se montrer inutilement cassants, blessants, voire humiliants envers des prévenus comme envers des parents de mineurs délinquants.

Affligeant, je le sais.

Mais j’ai surtout rencontré des présidents d’audience qui se débrouillaient pour connaître parfaitement leurs 40 dossiers à chaque audience, des juges d’instruction convoquer des parties civiles pour leur expliquer calmement qu’un non-lieu allait être rendu et pourquoi, des juges des enfants rentrant chez eux à 20 heures avec en perspective deux heures de travail préparatoire pour leurs audiences du lendemain, des juges d’instance capables d’expliquer aux parties, directement au cours de l’audience, pourquoi leur procès risquait de ne pas aboutir.

Des juges et des parquetiers respectueux de la présomption d’innocence, qui ne se limitaient pas à essayer d’obtenir à tout prix des aveux, mais recherchaient toutes les preuves possibles en vue de présenter aux juridictions des dossiers complets, ou de prendre une décision de non-lieu en pleine connaissance de cause.

J’ai vu des juges de l’application des peines prendre (et gagner) des paris risqués en termes de libération conditionnelle.

J’ai vu des magistrats et des greffiers passer leurs appels professionnels depuis leurs portables, acheter leur propre matériel (ciseaux, stylos, ramettes de papier, agrafeuses …) après s’être vu signifier qu’on avait « épuisé les crédits pour l’année en cours ».

J’ai vu des policiers et des gendarmes payer de leur poche les cigarettes et les repas de leurs gardés à vue, après avoir estimé que lesdits repas étaient moins convenables que leurs sandwiches.

En cinq ans, j’ai probablement commis le pire et le meilleur.

J’ai commis moi-même mes « erreurs judiciaires » : poursuites mal exercées, jugements réformés en appel. Normal. J’ai essayé, et j’essaye encore de ne pas les réitérer.

J’ai toujours essayé, néanmoins, de ne pas encourir les principaux reproches qu’on peut aujourd’hui, sur le blog de Me Eolas ou ailleurs, diriger à l’encontre des magistrats, que l’on accuse d’être hautains, déconnectés de leurs concitoyens, trop sûrs d’eux, trop politisés ou trop revendicatifs.

- Hautains : c’est malheureusement une attitude trop répandue, mais pas universelle. En ce qui me concerne, je n’ai jamais refusé de serrer la main qu’un justiciable, prévenu, tutélaire ou autre, me tendait, et je continue de tendre la mienne à ceux qui n’osent pas me proposer la leur avant de quitter mes audiences de cabinet. Je les appelle Monsieur ou Madame. J’essaye de m’assurer qu’ils ne se sentent pas gênés d’avancer un argument par timidité ou gêne. Je ne leur parle pas comme à des imbéciles, ni comme à des juristes de haute volée capables de débattre de finesses juridiques. Et je ne me prévaux pas de ma qualité de président d’audience correctionnelle pour rabaisser les prévenus.
Il est cependant évident que la magistrature compte autant d’individus caractériels et mal éduqués que le reste de la population. J’ai eu à subir des maîtres de stage puis, plus tard, des collègues parfaitement odieux. Mais j’ai connu des avocats, des médecins, des professeurs et des commerçants qui l’étaient tout autant. Et même des justiciables.

- Déconnectés des réalités de leurs concitoyens : non, cent fois non. Rien ne nous met à l’abri des réalités sociales : ni nos origines (nous ne sommes pas tous nés avec une cuillère en or dans la bouche), ni notre expérience personnelle (je ne suis pas le seul à avoir travaillé pour financer partiellement mes études). Quand il s’agit par exemple de procéder à une saisie sur un salaire grevé de charges et de l’expliquer en face à la personne concernée, d’annoncer à une mère légitimement bouleversée qu’on va placer son enfant, ou de placer sous contrôle judiciaire un père de famille en lui interdisant d’exercer l’activité professionnelle à l’occasion de laquelle il a commis des infractions, je vous assure que l’on se sent très « connecté », au contraire.

- Trop sûrs d’eux : ah, le fameux « vous avouez tout de suite ou vous me faites perdre mon temps ? » … Mais là encore, si une partie de la magistrature (comme de l’humanité) ne remet jamais ses convictions en question, j’ai toujours constaté que la majorité d’entre nous rendait ses décisions « les mains tremblantes », selon la formule consacrée. Parce que le risque d’erreur existe pour tout le monde. Et que nous nous devons de réduire ce risque au maximum, sans jamais être certains d’y parvenir.

- Politisés - revendicatifs : c’est sans doute vrai pour nos représentants syndicaux (qui au demeurant ne s’en cachent pas), ça l’est beaucoup moins pour le reste des magistrats. Je ne vois pas comment je pourrais exprimer une opinion politique personnelle dans le cadre des litiges civils qui me sont soumis (je suis justement en train de rédiger un jugement en droit de la construction parfaitement hermétique au clivage droite-gauche) comme en audience correctionnelle (il est bien évident que l’on ne condamne ni ne relaxe quelqu’un parce qu’on était ou pas d’accord avec la majorité parlementaire qui a voté la loi que l’on applique).
Notre devoir de réserve nous interdit de critiquer les actes du législatif et de l’exécutif. C’est probablement pourquoi la plupart des interventions collectives de magistrats, lors de l’adoption d’une réforme ou d’une autre, m’ont souvent paru « gênées aux entournures ». Mais ce n’est pas pour autant que nous devons nous taire lorsqu’un gouvernement affiche simultanément une politique pénale répressive (tolérance zéro, pas d’impunité pour les mineurs, peines-planchers) et une volonté de permettre aux JAP d’aménager toute peine de prison inférieure ou égale à deux ans. En pareil cas, il est de notre devoir d’informer nos concitoyens qu’on essaye de leur faire prendre des vessies pour des lanternes … sans nous dispenser d’appliquer la loi, puisque c’est notre devoir.

Je me rends compte que j’ai été bien trop long, et que je n’ai pas le talent de Lulu ou de Dadouche.

Mais j’avais envie d’expliquer ce que je souhaiterais ne plus voir, et ce que j’essayerai toujours de faire.

Merci aux éventuels courageux qui m’auront lu !

Notes

[1] Procureur Général, à la tête du Parquet de la cour d'appel et supérieur hiérarchique de tous les procureurs de la République des tribunaux de grande instance de son ressort. Par exemple, le procureur général de Paris est le supérieur des procureurs de la République de Paris, Bobigny, Créteil, Meaux, Fontainebleau, Melun, Évry, Auxerre et Sens.

[2] Juge des Libertés et de la Détention.

[3] Qui est obligatoire selon la loi, quand bien même tous les jurés expriment verbalement leur conviction sur la culpabilité lors des débats en délibéré.

[4] Juge aux Affaires Familiales, qui traite entre autres les dossiers de divorce et d'autorité parentale : droits de visite, pension alimentaire…

Je suis adjoint administratif faisant fonction de greffier…

Par Steppos, Adjoint administratif des Services Judiciaires (Il décrit en détail sa profession).''


Je suis adjoint administratif faisant fonction de greffier affecté auprès d'une des plus importantes juridiction de première instance de l'Hexagone, sinon peut être LA plus importante. Je suis en poste au sein des services judiciaires depuis un peu plus de quatre ans et demi seulement. Je n'ai connu que deux juridictions et cinq services différents, devant souvent jongler partiellement entre deux. Bref, je n'ai qu'une brève carrière et une expérience donc limitée. J'aimerais pourtant faire valoir ici mon sentiment sur cette justice qui est la notre !

Tout d'abord, et ce même si cela pourra paraître infiniment hors sujet, j'aimerais indiquer quelques mots sur le corps des adjoints des services judiciaires, ces petites mains selon moi trop méconnues de la plupart mais ayant pourtant son importance : puisque, comme dans toute organisation hiérarchiques pyramidale, c'est lorsqu'on se décide à se tourner vers la base, que l'on rencontre le plus d'individus...

Ils font partie des agents de la Fonction Publique d'Etat de catégorie C, auxquels, selon les statuts de la Fonction Publique, sont en principe dévolus des tâches dîtes d'exécution. (D'où, cette remarque cinglante que beaucoup – toutes administrations confondues – ont déjà dû entendre dans la bouche d'un chef de service : « vous n'êtes pas payé pour réfléchir ! »...) Au sein de ce corps des adjoints sont distingués les adjoints administratifs des adjoints techniques (anciennement agents techniques). À ces derniers sont par principe données des tâches manuelles, techniques ou de manutention. De ce fait, ils seront affectés généralement (mais la réalité peut en être tout autre !) notamment – et ce sous l'égide d'un greffier voire d'un greffier en chef – à un service des pièces à convictions, d'archivage, de reprographie, de traitement du courrier, de gestion des fournitures ou de réparation et d'entretien (bien que dans ce cas, cette tâche soit de plus en plus confiée à des sociétés extérieures) Quant aux adjoints administratifs, on peut à nouveau opérer une distinction : d'une part ceux exerçant des fonctions purement administratives, notamment auprès des services administratifs, budgétaires, de gestion du personnel ... des juridictions ou auprès des Services Administratifs Régionaux rattachés auprès de chaque Cour d'Appel (étant soulignés que depuis peu un corps de secrétaire administratif – catégorie B- a été créé au lieu et place des greffiers pour exercer ces fonctions administratives) ; d'autre part ceux exerçant des fonctions plus « juridictionnelles » au sein des Bureaux d'ordre civils ou pénaux, des services d'audiencement correctionnel, de services d'application ou d'exécution des peines et plus généralement des greffes. Et ce sont ces derniers que l'on pourrait qualifier – reprenant les mots de Me Eolas – de « secrétaires de justice ». Le plus souvent les adjoints administratifs affectés à un greffe sont « faisant fonction de greffier ».

Et c'est là que le bât blesse...

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23-X-08

Par Équinorêve, magistrat


Je fais de cette larme qui tombait sur mon frigidaire un soir de mai 1981, apprenant que mon interdit (la peine de mort) à ma candidature à la magistrature allait être levée grâce au combat d'un grand valeureux de votre espèce (je parle des oiseaux noirs qui hantent les couloirs des palais de justice), je fais donc de cette larme un diamant.

Que celui-ci cisèle les images glacées de celle qui garde notre sceau et montre ce qui se cache derrière ce paravent étincelant, à savoir la déliquescence de notre droit qui, de paysage à trois dimensions que j'aimais (oui, le droit peut être aimable) au sommet duquel se trouvait la déclaration des droits de l'homme de 1789 est devenu une soupe insipide, telle les terres ravalées des glaciers prématurément fondus.

Heureusement que nous magistrats tentons de rendre au plus humbles (les autres préfèrent l'arbitrage et les petits arrangements avec les heureux effets politiques et financiers qui se déploient en volutes gracieuses) une justice digne et discrète tâchant de faire de nos décisions un moyen de rendre à chacun son dû, ou de donner du sens à une transgression dans une trajectoire de vie de nos frères et sœurs si humains.

Yalla !

Inutile

Par Perello, magistrate (Cœurs sensibles, attention).


Merci d'ouvrir votre blog, à nous les magistrats qui sommes tellement fustigés par ... la liste est longue, mais pour faire bref, l'opinion publique, la presse, et bien sur notre garde des Sceaux.

Pourtant que savent-ils de notre quotidien et de la manière dont nous essayons de rendre la justice ?

J'ai exercé au Parquet pendant 10 ans, j'ai poursuivi moult voleurs, violeurs, assassins... J'ai rencontré des centaines de victimes. J'ai fait des permanences 24h/24, une semaine de rang, week end compris, sans un jour de récupération, mais au contraire reprendre le lendemain où je restituais ma permanence avec une audience correctionnelle qui finissait à 22 ou 23 heures[1].

Des permanences avec la peur au ventre, celle de faire une erreur d'analyse de la situation, celle faire une erreur de procédure, celle de se planter au cours du défèrement qui pourra envoyer quelqu'un en détention et surtout celle d'être confrontée à des faits que j'aurais du mal à supporter.

Et puis c'est arrivé.

Dans la presse, c'est en général à la rubrique « Faits divers: drame de la séparation. Un père de famille âgé de… ans n'a pas supporté la séparation d'avec sa compagne et a tué celle-ci et leur petite fille de 5 ans ».

Pour le magistrat, ça commence par un coup de fil des services de police, le départ sur les chapeaux de roue sur les lieux du crime, non sans avoir repassé la permanence à un collègue de bureau pour gérer le reste, l'arrivée dans un immeuble avec une foule en bas, des policiers déjà présents, un médecin légiste que vous avez requis.

Et là c'est l'horreur.

D'abord l'odeur dans l'appartement car les faits remontent à plusieurs jours. Cette odeur âcre et douceâtre de la mort, celle qui vous prend à la gorge et vous donne la nausée. Dans la première pièce, il y a une jeune femme étendue dans une marre de sang, elle a été égorgée. Elle a 25 ans. Et dans la chambre du fond reposant sur son lit de petite fille, dans sa chambre de petite fille, au milieu de ses poupées et de ses nounours, un petit corps qui semble dormir si ce n'est qu'il a été éventré à coups de couteau et qu'elle ne jouera plus jamais avec ses poupées ; qu'il y avait encore le pot de Nutella, sa tartine et le verre de jus de fruit sur la table de la cuisine.

Et puis la grand-mère a été prévenue. Par qui, des voisins, des amis que sais-je ? Mais quand elle est arrivée, elle ne savait pas ce qui s'était passé. Les policiers l'ont prise en charge, l'ont informée. J'ai entendu un cri dans l'escalier, un cri indescriptible, un cri de désespoir, de souffrance, un cri qui ne cessera de résonner dans ma tête.

Tout le monde a fait son "travail", la police, moi, le médecin légiste. Et en ressortant de l'immeuble, j'étais vide, avec un sentiment de totale inutilité face à un drame qui n'a pu être évité. J'ai croisé le maire de la commune qui s'était rendu sur les lieux et qui m'a dit: « Alors? C'est un crime passionnel ? » Je n'ai pas répondu : qui y a-t-il de passionnel à égorger son épouse, à éventrer son enfant ?

Je suis retournée au tribunal, reprendre ma permanence, faire tous les actes, toutes les réquisitions utiles pour retrouver l'auteur. J'étais vide. A qui parler de ce que je venais de vivre ? À mes collègues surbookés, à mon mari ce soir en rentrant quand je retrouvrerais mes enfants? Non ; j'ai gardé tout cela pour moi. Pas de cellule psychologique pour les magistrats.

Mon seul recours au bout de plusieurs mois, j'ai changé de fonctions. Je suis juge d'instance dans un petit tribunal de province où j'ai parfois l'impression d'être le déversoir de la misère que l'on me demande de gérer: surendettement, tutelles, curatelles, loyers impayés, expulsions[2]...

Et puis d'un trait de plume, on a décidé de rayer mon tribunal de la carte judiciaire et je me suis retrouvée à nouveau devant ce même sentiment d'inutilité. Mais je me bats, comme je peux, avec les moyens que je n'ai pas. Je devrais faire face à la réforme des tutelles, sans les moyens en personnel pour le faire. Et si j'échoue, on recherchera ma responsabilité.

Pour autant, le 23 octobre qu'est ce que je ferai? Une motion dont tout le monde se fiche? J'annule les audiences? Non, car j'ai fixé plein de rendez vous de tutelles et si j'annule je ne ferai que porter torts à des gens qui eux pensent peut être que je peut encore leur être un peu utile.

Notes

[1] C'est-à-dire qu'après une semaine de permanence où il était appelé, 24h/24, sur son mobile par tous les commissariats et toutes les gendarmeries de son secteur pour être tenu informée des interpellations, placements en garde à vue et enquêtes en cours et leur donner des instructions, décider de l'engagement des poursuites et de la forme à donner à celles-ci, Perello a aussitôt embrayé, sans repos récupérateur, sur une audience qui a duré environ 11 heures, avec la matinée pour préparer les dossiers. Un employeur du privé qui ferait travailler un de ses salariés ainsi encourrait la prison.

[2] Locatives s'entend. NdEolas.

Ce que je retiens de la période agitée que vit la magistrature

Par un magistrat, ancien juge d'instance, ancien parquetier, ancien juge des libertés et de la détention, appelé aujourd'hui à d'autres fonctions judiciaires


Le suicide d'un mineur en prison c'est d'abord et avant tout un épouvantable drame. L'ordonnance du 2 février 1945[1] que ne nous dit-elle pas, en préambule que «La France n'est pas assez riche d'enfants pour que l'on ne se donne pas tous les moyens d'en faire des êtres sains. »

Si nous traitons dans nos prisons des mineurs de telle sorte qu'ils croient n'avoir pour seul recours que le suicide, quels adultes aurons-nous ?

Le suicide de près de 100 personnes, majeurs et mineurs, en prison depuis le début de l'année est d'abord et avant tout un épouvantable drame.

Si nos prisons sont des lieux d'inhumanité, comment peut-il en ressortir des être sains?

Nous pouvons nous interroger et nous indigner sur les épouvantables conditions d'incarcération en France, mais puisque les prisons sont pleines des gens que nous y envoyons, cela nous renvoie forcément à notre responsabilité de magistrat, pour la part qui nous incombe: la lourde tâche de juger. Avons-nous fait ce qu'il nous était possible de faire ? Avons-nous écouté ? Avons-nous compris ? Et surtout, surtout, avons-nous cédé à l'air du temps ? nous sommes nous laissé aller à choisir avec facilité la voie toute tracée du tout-répressif qui nous est désignée par l'opinion publique et maintenant ses représentants.

N'avons-nous pas oublié que la passion, la vengeance, l'automaticité sont incompatibles avec la justice ?

Avant, pendant les "émeutes de 2005", et depuis, poussés par le durcissement ambiant, et la dénonciation du supposé laxisme, la peur d'aller à contre-courant, n'avons-nous pas cédé à la tentation de faire des exemples, ce qui se fait toujours au détriment d'un individu particulier, privé de justice ?

Ce que je retiens de la période agitée que vit la magistrature ? Garde-toi de te laisser aller à vouloir plaire à quiconque, ferme tes oreilles à ce que te hurle ou sussure l'air du temps, ne te laisse pas impressionner par l'agitation, les rodomontades, les déclarations de principes, la "politique pénale", les pressions réelles ou supposées de l'entourage. Sois un digne et loyal magistrat, et pour cela reste fermement libre.

Notes

[1] Il s'agit du texte régissant l'enfance délinquante, règles de procédure et sanctions spécifiques. Contrairement à ce que sa date peut laisser entendre, et sur quoi joue abondamment l'actuel Garde des Sceaux, ce texte n'a pas 63 ans. Il a été souvent (très souvent ces derniers temps) réformé et il ne reste plus grand chose du texte originel, si ce n'est le principe de la priorité faite à l'éducatif sur le répressif, la méthode inverse ayant été expérimentée dans les décennies d'avant-guerre (et avec une toute autre brutalité), avec des résultats désastreux. Ces multiples réformes sans suivi ont des conséquences regrettables sur la clarté et la cohérence du texte. NdEolas.

For intérieur

Par Dadouche



23 Octobre 1998 :
Ca fait déjà deux jours, je ne réalise toujours pas. J'ai les écrits du concours. Oh p.... je le crois pas. J'ai encore rien révisé pour les oraux....

23 octobre 2008 :
Ca fait déjà dix ans, je commence à réaliser...


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L’angoisse du gardien des libertés au moment du penalty

Par Alex, juge de tribunal correctionnel


J’ai revêtu mon maillot noir à simarre[1] et suis revenu sur le terrain, pour la séance de tirs au but. Je mets mes gants, et me place dans mon but. La liste est arrêtée, il y aura quarante tireurs cet après-midi, la séance sera longue pour le gardien des libertés individuelles...

Face à moi s’avance un prévenu. Je l’ai déjà rencontré, ou pas. Je sais quelles sont ses manies, ses trucs, ou pas. J’ai quelques informations sur son passé, mais jamais je n’ai eu la chance de pouvoir disposer de toutes les vidéos de ses tirs au but. Pas les moyens, pas le temps: à chaque audience, ce sont 40 prévenus différents, 40 carrières de délinquants débutants ou chevronnés. Et puis, après tout, comment son passé de joueur pourrait-il me permettre de savoir à coup sûr comment il va tirer son penalty aujourd’hui?

Pourtant, je vais devoir prendre une décision immédiatement: partir à gauche ou à droite, à mi-hauteur ou à raz de terre. Incarcérer ou pas. Etre sévère ou modéré. Ne pas choisir c’est être battu à coup sûr, et d’ailleurs cela m’est interdit, ce serait un déni de justice.

Peut-être vais je partir du bon côté et bloquer son tir. Ma décision se sera donc révélée, rétrospectivement, la bonne: laissé libre, il ne recommencera pas. Mis en prison, il ne s’y suicidera pas. Ou alors, ce sera le contre-pied parfait: j’ai choisi de partir à droite, et il a tiré à gauche. Je l’ai emprisonné, il s’est suicidé le lendemain à la maison d’arrêt ou y a tué un codétenu; je l’ai laissé libre, et il a braqué une supérette en sortant de l’audience. Pourtant, rien dans son comportement ne laissait envisager ce qui s'est passé. Alors, après le match, on commentera le tir dans la presse, au besoin le club réunira une commission d’enquête qui, bien calée dans un confortable fauteuil, regardera les bandes vidéos et me fera la morale sur le mode “mais voyons, vous n’avez pas vu son pied pivoter un dixième de seconde avant le tir, c’est pourtant évident, il vous a piégé, vous êtes donc mauvais, il faut vous sanctionner”. La présidente du club ira de son petit couplet fidèlement relayé par la presse. Certes, eux connaissent le résultat du match, mais moi, qu’avais-je au moment du tir à part mes gants et mon intuition?

Le meilleur gardien du monde n’a jamais arrêté tous les penaltys, et le meilleur juge du monde n’empêchera jamais la récidive d’un condamné ou le suicide en prison d’un autre.

Mes obligations de gardien des libertés sont les suivantes: m’entraîner toujours, me perfectionner et respecter les règles de la partie judiciaire. Si j’y manque, j’engage ma responsabilité. Mais on ne peut vouloir me sanctionner pour avoir plongé à droite, alors que le tireur a finement masqué son intention de tirer à gauche.

Pourtant, si je n’arrête aucun tir ce soir, quelle sera mon avenir? On me fera doucement rétrograder comme deuxième ou troisième gardien. Je ne jouerai plus les matchs les plus importants: fini la Ligue des champions, bienvenue en CFA2. Adieu l’anti-terrorisme, bonjour l’exécution des peines. Le FC Kourdekass ne s’intéressera pas à moi, le Sporting Club de Framboisy me gardera dans ses rangs jusqu’à la retraite.

Mais ça, c’est transparent pour le public, qui préférerait me voir pendu à ma barre transversale avec les filets afin de payer pour la faute qu’on m’impute (mais quelle faute?).

Jusqu’ici, pour comprendre la difficulté du métier de gardien des libertés, nous avions des présidents de club certes inégaux, mais dont l’autorité reposait sur l’expérience, le sens politique et la connaissance de l’acte de juger. Aujourd’hui, il y a à la tête du club une supportrice braillarde, toujours prête à dénigrer les joueurs du moment que cela lui permet de passer à la télé.

Alors aujourd’hui, ça suffit. Si ma présidente de club est si douée (que mille coupes d’Europe soient portées à ses lèvres), qu’elle descende sur le terrain et prenne ma place.

De même, s’il y a parmi les téléspectateurs de TF1 ou les commentateurs du Figaro.fr quelqu’un qui est capable de prédire l’avenir de chaque délinquant, je lui offre mon salaire, mes gants et mon maillot à simarre. Sinon, je n’exige qu’un peu de respect.

Notes

[1] Revers de soie ou de satin qui descend de chaque côté de la robe, de l'épaule au bas de la robe, qui distingue la robe de magistrat de la robe d'avocat, qui n'a pas de simarre.

Instances

Par Réflexive, ancienne juge d'instance[1]


Il est 9 heures, un matin de printemps frisquet, en région parisienne. C'est l'heure des rendez vous dits "de tutelle". Une dame est convoquée, elle est venue en véhicule médicalisé, et les deux accompagnants tournent autour du véhicule, l'air inquiet. Une greffière, qui a assisté à la scène, sort du Tribunal d'Instance pour savoir quel est le problème.

La dame est en fauteuil roulant, très lourd, et le tribunal n'a aucun accès handicapé. Les aides médicaux ne peuvent la faire accéder ni à la salle d'audience (qui sert de bureau où se tiennent les entretiens, faute de mieux) et encore moins dans le bureau du magistrat, qui est situé au premier étage, en haut d'un escalier en bois raide et très glissant. Il faudrait que cette dame, très âgée, reparte d'où elle vient sans avoir été entendu par le juge, mais le dossier est urgent. Alors, en désespoir de cause, cette dame est entendue dehors, sur le parking du Tribunal, dans son fauteuil roulant, et elle répond aux questions du magistrat comme elle peut, ces questions criées (car cette dame est sourde) dans le vent de ce matin de printemps. Heureusement, il ne pleut pas.

Et le tribunal demande depuis des années que les six marches qui séparent les justiciables des locaux du palais de justice aient une rampe d'accès permettant aux fauteuils roulants, et aux poussettes, de pouvoir accéder dignement aux salles d'audience où la justice est rendue en leur nom. Mais le budget n'est pas prévu, ou du moins, la question n'est pas une priorité (il vaut mieux réformer la carte judiciaire). Et d'autres justiciables seront sans doute encore auditionnés par le juge dans des conditions très peu respectueuses de leur intimité.

Notes

[1] Les juges d'instance sont notamment —et ce notamment contient beaucoup de choses—en charge des tutelles. Note d'Eolas

Responsabilité à sens unique

Par un juge à l'ouest de la Vilaine[1]


Quand le chômage part à la hausse, est-ce que le ministre du travail démissionne ? Est-ce que les parlementaires qui ont adopté le énième plan de lutte contre le chômage quittent leurs fonctions en s'excusant ? Est-ce que les autorités publiques locales qui ont subventionné l'usine qui ferme sont appelées à rembourser sur leur porte monnaie l'argent de nos impôts ? Si un père de famille met fin à ses jours à cause de son licenciement, irons-nous demander des comptes à l'élu qui a dispensé l'argent public ?

Moi je suis juge. J'appartiens à l'autorité judiciaire. J'exerce, dans le cadre de ce que la Constitution et la Loi prévoient, un pouvoir régalien, au nom du peuple français. Comme n'importe lequel des ministres, des parlementaires ou élus locaux, j'ai choisi de me consacrer au service de mes concitoyens - je ne suis pas payé à l'acte. Sauf si je sors du cadre légal, mon jugement engage l'État, la France.

Les jugements évitent les coups de fusil. Il faut aussi le rappeler. Responsable, je le suis. Comme toute autorité publique. Responsable de mes jugements. Je ne suis pas le législateur qui décide des lois mais se refuse à se donner les moyens de leur application. La récidive conduit en prison, soit. Mais si les prisons sont telles que les conditions de détention poussent au suicide des plus faibles, qui doit payer ?

Qui doit payer pour des ambitions du XXIeme siècle claironnées tous les jours, avec des moyens dignes du XIXeme ?

Qui doit payer si la France est confirmée à sa 35eme place pour sa justice en Europe ?

Qui doit payer pour un budget qui vaut 38 euros par an et par citoyen ?

Qui doit payer pour cette justice lowcost ?

La journée du 23 octobre ne servira à rien sur le coup, mais je pense qu'elle marque une prise de conscience du corps judiciaire et un début.

Notes

[1] La rivière, pas le Garde des Sceaux. Note d'Eolas.

Lettre à mon fils

Par Gascogne


Je t'envoie ce courrier puisque les moyens modernes de communication ne sont pas sûrs. Tu sais que je ne peux parler librement, et que toute interception de correspondance me vaudra des poursuites disciplinaires.

Je voulais tout de même te dire à quel point j'ai été fier de toi lors de ta prestation de serment. Te voilà juge, mon fils. Pourtant, je ne peux m'empêcher d'être amer. Ton serment est bien loin de celui que j'avais moi même prêté voilà bien des années : "Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat". Tu as dû te contenter d'un "Je jure de servir l'Etat et les victimes". Autres temps, autres moeurs, encore que les assauts contre notre serment aient commencé très tôt...

Je t'aiderai bien sûr à payer ton assurance responsabilité. Il n'est pas possible que tu t'endettes autant alors que ta carrière ne fait que commencer. Tu comprendras cependant qu'il ne conviendra pas que cela se sache. Un juge ne peut rien recevoir d'un procureur, fut-il son père.

Comme tu le sais, je serais bien revenu à la carrière de juge, mais la séparation du corps, alors que tu n'étais qu'un enfant, s'est faite rapidement. Et je n'ai pas pu revenir au siège...Diviser pour mieux régner a toujours été la maxime préférée des dirigeants, et notre corps n'y a pas fait exception.

La transformation n'a finalement pas été si violente. Ils avaient commencé a préparer l'opinion publique, en répétant à l'envie que les magistrats étaient corporatistes, que la consanguinité des juges et des procureurs était mauvaise pour les justiciables. Le plus extraordinaire est que je n'ai toujours pas compris pourquoi. Un procureur protégé par un statut semblable à celui du juge aurait-il était plus dangereux pour le justiciable qu'un procureur aux ordres, pour lequel la vérité du dossier est bien moins importante que les statistiques mensuelles ? Plus dangereux pour les politiques impliqués dans des affaires délictueuses, sans doute, mais pour le reste...Moi qui pouvais en des temps lointains requérir l'annulation d'une procédure si la loi était violée, je ne le peux désormais plus.

Ensuite, ils ont réformé le Conseil Supérieur de la Magistrature afin que les magistrats n'y soient plus majoritaires, corporatisme oblige. Les nominations des procureurs furent ainsi totalement assurées par le pouvoir. L'étape suivante a été la suppression de la Commission d'Avancement. Tu n'as jamais connu cette instance : ses membres étaient en partie élus sur des listes syndicales de magistrats. La commission d'avancement avait deux grands secteurs d'intervention : elle statuait sur l'inscription au "tableau d'avancement" qui permettait aux magistrats de passer au grade supérieur. Ta carrière à toi se décidera en conseil des ministres. La commission d'avancement décidait ensuite des intégrations dans la magistrature. Aujourd'hui, et tu ne le sais que trop, la désignation des juges se fait à Paris. C'est le CSM qui décide de tout, et les magistrats n'en font plus du tout partie.

Ton pauvre père n'est plus qu'un vulgaire procureur aux ordres du préfet de région. Je dois poursuivre toutes les infractions, puisque l'opportunité des poursuites a été abandonnée depuis bien longtemps. Malheureusement, les moyens matériels en procureurs et autres fonctionnaires qui nous avaient été promis pour accompagner cette réforme n'ont pas suivi. Je n'y avais pas cru de toute manière.

Bien sûr, la liberté de parole à l'audience, la dernière qui nous restait, a également disparu. Les politiques ne supportaient plus que des professionnels du droit en charge de l'application des lois puissent donner leur avis sur celles-ci, même à l'audience. Alors je m'y rends désormais le coeur léger, puisque je n'ai plus qu'à demander des peines fixées par la loi, que les juges sont tenus d'appliquer. Certes, nous n'avons plus beaucoup d'utilité, mais c'est tellement plus confortable, même si certaines situations me mettent parfois très mal à l'aise. Tu n'auras pas plus le choix que tes camarades de promotion.

Ton métier ne sera jamais celui que j'exerçais lorsque tu étais jeune, et que tu venais me voir à l'audience. Je voyais dans ton regard que tu étais fier de ton père. Fier de ce qu'il apportait à la société. Malheureusement, les temps ont bien changé, et la justice n'est plus aujourd'hui qu'une administration comme une autre. Comme la Sécurité Sociale ou les impôts. Le justiciable veut son jugement favorable. Il prend son ticket et choisit son juge. Où est la justice, dans tout cela ?

Voilà, mon fils. Je te souhaite de réussir à travailler dans les meilleures conditions. Non pas matérielles : à l'impossible, nul n'est tenu. J'aurais préféré que tu fasses un autre métier. Celui-ci n'a pas beaucoup d'avenir. Mais je n'en resterai pas moins éternellement fier de toi.

Ton père qui t'aime.

23 heures, c'est mon tour…

Conte prophétique, histoire fictive d'éléments vrais, par Marcus Tullius Cicero, substitut


23 heures, c’est mon tour, …


Je patiente depuis une heure déjà dans l’antichambre du bureau de la Garde des sceaux, pendant que mon procureur subit l’interrogatoire des inspecteurs de l’IGSJ requis avec célérité par la ministre.


Mon estomac est vide depuis midi, et j’entends mon cœur qui bat. Je sais que si mes enquêteurs avaient procédé de la sorte contre un des gardés à vue, dont j’ai la responsabilité et le contrôle, ils auraient entendu parler de moi ! Mais, je sais qu’ils n’en ont jamais eu l’idée, simplement parce que mes policiers et gendarmes sont des gens responsables, honnêtes, loyaux, et humains, et savent qu’avec notre parquet on ne transige pas avec les droits humains, y compris avec le dernier des voyous.


Mais bon, depuis quelques temps j’avais le pressentiment que ça finirait par m’arriver…


Une fois de plus, un mineur - 17 ans - vient de se donner la mort dans la cellule de notre maison d’arrêt. C’est le 4ème pendu depuis le début de l’année. Lorsqu’on m’avait déferré après son interpellation ce garçon multirécidiviste, pour mettre à exécution un jugement de condamnation du tribunal pour enfants, j’avais pourtant indiqué sur sa fiche qu’il fallait prendre des précautions - on le fait systématiquement - qu’il se pourrait qu’il ait des tendances suicidaires - c’est souvent le cas chez les adolescents, ils passent de l’exubérance à la déprime la plus noire, surtout quand ils ont pris longtemps des stupéfiants - , appliquant sans état d’âme le nouveau décret du 10 octobre 2008 pris par la Garde des sceaux le lendemain matin d’un précédant suicide.


Je suis accablé des conséquences de ma décision d’incarcération. J’ai deux fils de 13 et 16 ans, ce n’est pas virtuel pour moi. J’ai mal pour ses parents, même s’il se peut que ses parents n’ont peut-être pas fait tout ce qu’ils pouvaient pour lui.


Ce qui me trouble le plus c’est que c’est pourtant la même Garde des sceaux, qui a rédigé une circulaire demandant aux parquets de requérir systématiquement les « peines planchers » contre les récidivistes et, en cas de refus par le tribunal de s’y conformer, de relever appel des décisions contraires. C’est la même qui a demandé que l’on fasse preuve d’une sévérité accrue contre les mineurs. C’est toujours elle qui dans la même semaine a convoqué cinq procureurs généraux - leur taux de peines planchers étant supposé inférieur à la moyenne nationale - pour explications, annoncé une réforme de la minorité pénale pour la faire passer de 13 ans à 12 ans, stigmatisé la violence des mineurs, certes bien réelle mais qui s’est soucié pendant des années d’une politique efficace contre le cannabis, consommé par eux depuis parfois l’âge de 10 ans !


J’ai encore en mémoire les mises en garde par le principal syndicat de magistrats qui dénonçait le risque de ces « peines planchers, loi inutile et dangereuse, qui restreint le pouvoir d’appréciation des magistrats et les met dans des situations humaines et professionnelles impossibles et porteuses de risques disciplinaires » (communiqué USM du 26 novembre 2007).

Je me pose et me repose sans cesse la question quand notre système a-t-il dérapé ?


*


Pourtant j’étais heureux et fier d’avoir intégré la magistrature 3 ans plus tôt. Bien sûr il y avait eu OUTREAU, mais c’était un petit juge seul, trop jeune, « manquant d’épaisseur » comme l’avait affirmé un membre de la commission d’enquête parlementaire. S’il l’avait dit, c’est qu’il devait y avoir du vrai, ne dit-on pas « il n’y pas de fumée sans feu », ce que me sussurait encore hier ma voisine, Madame MICHU - sainte femme -. De toute façon je n’étais pas concerné, j’étais parquetier, alors les problèmes d’un juge d’instruction… Et puis la justice française rend 4 millions de jugements chaque année. Un cas sur 4 millions, ça me semblait rester dans le domaine de l’exception qui confirme la règle, la justice est rendue par des hommes pas des dieux…


Mais je me souviens que j’avais été troublé. Je venais de quitter le barreau après une carrière de près de 20 ans associé d’un cabinet d’affaires. Au fur et à mesure de mon travail j’avais acquis le respect de mes pairs, de mes clients, des magistrats. Gagnant confortablement ma vie, j’avais à l’époque croisé le fer à la barre avec les grands … Il n’y a en qu’un que je n’avais pas beaucoup vu au barreau, c’était Maître SARKOZY, mais je crois qu’il ne plaidait pas vraiment beaucoup, même à l’époque. Je parle d’un temps ou Jean-Louis BORLOO était l’avocat de Bernard TAPIE, ou le développement durable, l’écologie, n’étaient pas sa tasse de thé, ou son client démantelait les entreprises qu’il achetait au franc symbolique et revendait 10 fois le prix par morceau … J’apprends que ce dernier va toucher 280 millions d’euros, parce que le Crédit Lyonnais avait, parait-il, fait un peu pareil avec sa société en faillite. J’apprends aussi que chaque arbitre de cet arbitrage, arraché à la procédure judiciaire par l’intervention de BERCY, gagnera 300.000 euros d’honoraires, alors que je perçois quarante six euros pour mes nuits de permanence. 46 euros pour partir la nuit sur une scène de crime, contrôler la garde à vue d’un mineur, prendre des décisions dans un demi sommeil...


Je savais que j’allais faire un métier d’abnégation, j’ignorais que je ferais un métier de chien ! Je suis passé du traitement d’avocat d’affaires à celui de substitut du second grade, par vocation, tardive certes mais puissante, par goût de servir la justice et mes concitoyens. Je ne dis à personne combien je gagne, j’ai trop honte, on me prendrait pour un raté, dans le meilleur des cas pour un fou, je ne sais pas comment expliquer à mes amis le désintéressement, la noblesse de servir, … et c’est d’autant plus difficile que nous sommes déconsidérés au plus haut niveau de l’Etat. D’ailleurs pour ne pas que nous puissions avoir la grosse tête, que l’on soit président, procureur, procureur général, juge ou substitut, nous voyageons en 2ème classe, dormons dans des hôtels Formule 1. Les préfets et autres hauts fonctionnaires nous regardent avec un rien de condescendance nous rendre à leurs réunions en véhicule de service, Renault Scénic, Peugeot 106. Il y a belle lurette qu’ils ont compris que les magistrats étaient les « petits pois » de la République.


Je crois que la devise des magistrats pourrait être puisée dans cette maxime de l’empereur MARC AURELE « habitue toi à tout ce qui te décourage ».



* * *

Vingt trois heures trente, ça commence à faire long… Ma chemise est trempée d’une froide sueur, je n’ai pas eu le temps de me changer ayant été convoqué en catastrophe, je me sens sale.

J’entends derrière la porte épaisse des éclats d’une voix aiguë, non maîtrisée. Je crois que c’est mon procureur qui se fait insulter. Les mots « incapables, incompétents, déloyal », fusent et résonnent. Deux gendarmes sont entrés dans le bureau. Si j’ai bien compris ils viennent, sur ordre, contredire mon chef sur un détail essentiel - le mineur a-t-il été interpellé chez un ami ou dans un squat ? Effectivement ça change tout ! – il se fait tancer comme un laquais de l’ancien régime. Je croyais que les gens de robe avaient peu ou prou contribué à la Révolution française, pour que tous les hommes soient traités avec humanité ?


J’ai dû rater un épisode…


Je suis perdu dans mes pensées. Je réfléchis à ce que je vais lui dire, si elle veut bien m’écouter. A 48 ans, ayant fait un passage dans l’armée je ne me souviens pas avoir jamais parlé à un de mes soldats de la sorte - j’aurais eu trop honte de dénaturer « Le rôle social de l’officier » prôné par LYAUTEY -, ni surtout à mes collaborateurs lorsque j’étais avocat associé. Non décidemment je n’aime pas ces méthodes fondées sur l’irrationnel, l’injuste, l’incohérent.

Petit, je détestais cette morale de LA FONTAINE « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » et me voici en passe de me faire « caraméliser » comme mon procureur et avant lui, mon procureur général, pour avoir appliqué une loi de la République !


Je prépare mon argumentation. Ce n’est pas possible, elle doit être mal informée, mal conseillée par sa pléthore de conseillers. D’ailleurs, ne lui a t-on pas rapporté récemment qu’il n’y avait eu que 90 participants au congrès national de l’USM à CLERMONT-FERRAND, alors que le nouveau président a été élu par plus de 750 voix dans un amphithéâtre de la faculté de droit, plein à craquer. On doit pouvoir s’expliquer entre personnes raisonnables et honnêtes. Mais il est vrai que dans son cabinet c’est la débandade depuis un an. Cela ressemble à un bateau ivre dans la tempête.



* * *



Minuit …


Je vais essayer de rappeler à l’ancienne substitut qu’elle a été, les jours et les nuits de permanence, à raison d’une semaine par mois, sans récupération, au contraire des policiers, gendarmes, douaniers, …. Ces nuits sans sommeils ou l’on est réveillé deux à trois fois en moyenne. Les enquêteurs agacés qui ne comprennent pas pourquoi notre voix est embrumée au téléphone. J’ai beau leur expliquer que je suis à la fois l’équipe de jour et de nuit, que tout à l’heure quand il fera jour je serai à la barre, assurerai l’audience devant le juge des libertés et de la détention pour la prolongation d’un détenu dont je ne connais pas le dossier, - je suis constamment en terrain mouvant, si je requiers la détention provisoire et que le mis en cause est innocenté la presse me reprochera « un disfonctionnement judiciaire », si je requiers un contrôle judiciaire (la liberté constitue la règle) et qu’il commet un nouveau délit, une autre partie de la presse critiquera « une nouvelle bavure judiciaire » -.


A t’elle encore en mémoire les 10 signalements quotidiens du Conseil général, des pédopsychiatres, des médecins, des assistantes sociales, des parents d’enfants,…, à ma collègue des mineurs qui a déjà 400 procédures en attente, concernant précisément des mineurs en danger. Signalements justifiés ou non, pour lesquels chaque matin elle oscille désagréablement entre l’impression de commettre un nouvel « OUTREAU », ou déceler une nouvelle affaire d’ANGERS, sans pouvoir toujours démêler le vrai du faux, le réel du fantasme, dans ce contentieux particulier de « la parole ».


Il faut que je puisse lui présenter quelques mots sur le courrier général : 25.000 procédures par an dans mon parquet pour sept magistrats, soit 3.500 procédures par tête,… une minute pour prendre une décision sous peine de crouler sous la masse. Peut-être ne sait-elle pas que pendant un an on s’est retrouvé à quatre, soit 7.000 procédures par personne ! A t’elle oublié si vite combien nous sommes démunis dans les parquets à qui on eu de cesse de charger la barque ? Nous n’avons ni greffier, ni secrétaire, ni dactylo, ni assistant, nous tapons tous nos réquisitoires, rapports d’appels au parquet général, de signalement, d’actualisation, notes, courriers aux justiciables, plaignants, mis en cause, avocats, mandataires, enquêteurs ? Qu’enfin on ne peut plus décemment, raisonnablement, humainement, traiter une telle masse sans aucun risque.


Je compare mon parquet avec celui de MONS (Belgique) d’un ressort équivalent. Il y a chez eux 40 magistrats et autant d’assistants de justice…



Va t-elle comprendre enfin que depuis que je suis magistrat, je suis en état d’insécurité juridique faute de connaître toutes les lois, « nul n’est censé ignorer la loi ». Cette blague !

La loi est folle, incompréhensible, c’est un babil redondant et contradictoire. Entre 1885 et 2000 (en 115 ans) il y a eu 21 textes concernant le régime et/ou l’application des peines. Entre 2000 et aujourd’hui (en 8 ans), 26 !

D’un gouvernement à l’autre on affiche d’autres priorités, souvent contradictoires entre elles, d’où cette extraordinaire impression de schizophrénie. La société actuelle veut tout et son contraire : la peine sans le risque de l’erreur, la présomption d’innocence sans le risque de la réitération, la réinsertion sans le risque de la récidive.


Après « OUTREAU », il ne fallait plus mettre personne en détention provisoire, une loi a même été votée supprimant le critère du trouble à l’ordre public pour les délits. Karine DUCHOCHOIS à la radio est devenue l’animatrice des nouvelles élégances judiciaires. Trois mois plus tard, on nous enjoignait de mettre en prison tous les mineurs et deux mois encore après de placer en détention un adulte qui avait photographié des sous-vêtements d’enfants à Eurodisney, en raison du trouble profond provoqué à l’ordre public, soit exactement le contraire de ce qui venait d’être voté ! C’est nous qui sommes profondément troubléS.


Magistrat du Ministère public, je porte dans les plis de ma robe, à l’instar de mes 2.000 collègues, la définition du jurisclasseur « Le ministère public est le représentant de la Nation souveraine, chargé d'assurer le respect de la loi. Magistrat à part entière, à ce titre garant à la fois des libertés individuelles et des intérêts généraux de la société, le magistrat du ministère public bénéficie dans l'exercice de ses attributions, d'une délégation directe de la loi qui lui confère sa légitimité. Il ajoute ainsi à son autorité de magistrat la majesté de la puissance publique qu'il incarne, et agit, non pas au nom de l'Etat ni du gouvernement, mais en celui de la République, à qui l'ensemble des citoyens a délégué sa souveraineté ».


Je sers la loi universelle, générale, impersonnelle. J’ai du mal avec la loi « siliconée », celle qui se moule à l’opinion publique, qui dure ce que dure les roses…


J’évoque MONTESQUIEU : « La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté ; et, pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.

Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.

Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.

Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. » (L'Esprit des Lois).


Ou encore « Les lois inutiles affaiblissent les nécessaires. »


On me répond : « Voici », « Gala », « Vsd », « Paris Match » !


Comme dirait mes enfants, « on est pas en phase », nous ne sommes tout simplement plus dans le même espace temps.



* * *



Minuit trente, me voici seul et responsable …


Pourtant je ne me suis jamais senti irresponsable, simplement je croyais que l’acte de juger, de décider, de trancher, était encadré par les voies de recours, pas la revanche !


Lorsque j’étais avocat j’étais assuré pour ma responsabilité professionnelle. Comme magistrat je n’ai aucune assurance et pas les moyens de m’en payer une et d’abord auprès de quelle compagnie ? Aucun assureur ne prendra en charge la responsabilité des magistrats, dont l’étendue variera évolue au gré des caprices, horions, quolibets, et lazzis des insatisfaits.


Et pourtant vous voulez malgré cela me rendre personnellement responsable des fautes lourdes, déni de justice, non respect des droits de la défense, mais aussi de la faute simple pour les tutelles, passible des recours des justiciables contre mes décisions - j’espère que vous avez prévu pour le nouveau CSM composé de nominés politiques (qui ont peut-être quelque compte à régler) du personnel… car il va être rapidement engorgé -.


Et oui, car nous sommes voués de par nos fonctions - à égale distance des parties nous commande notre devoir - à créer 50 % de mécontents par procès dans le meilleur des cas (en justice il y a toujours un gagnant et un perdant), quand ce ne sont pas 100 % de mécontents (celui qui n’a pas obtenu tout ce qu’il voulait, celui qui ne voulait pas être condamné).


Tout ceci finira par me conduire, non plus à servir la loi mais, à me protéger...


* * *

Minuit quarante cinq… les portes claquent, j’entends le journal de « LCI » dans le bureau ministériel où trône un écran plasma allumé, illuminé devrais je dire, tel un néon sur les états d’âme des français …


Je dois pourtant au moins lui exposer que les magistrats de ce pays ont probablement, modestement mais efficacement, avec d’autres - les policiers, les gendarmes qui ont été publiquement remerciés par leur ministre -, sauvé la République 10 fois ! Elle n’est pas sans savoir qu’à chaque élection, chaque manifestation, sans même rappeler novembre 2005, des « sauvageons » embrasent nos voitures, nos commerces, nos villes. Et ce sont les policiers, les parquetiers, les juges qui maintiennent l’ordre et la justice dans nos cités, jusque tard la nuit. Sans merci de quiconque.


N’a t-elle plus en mémoire ces audiences harassantes de 20 à 30 dossiers s’achevant jusqu’à point d’heures et que l’on est bien forcé d’enrôler pour pouvoir évacuer un contentieux exponentiel dans lequel des hommes et des femmes expriment de plus en plus durement la haine des autres, de la société, leur égoïsme. Le stock d’affaires pénaleS augmente sans cesse. En 1968 il y avait 600.000 plaintes pénales pour 6.000 magistrats, en 2007 il y a 5.300.0000 plaintes et 8.000 magistrats, quasiment le même nombre qu’au Second Empire. Cela représente une augmentation de 900 % de la délinquance en 40 ans, pendant que le nombre de magistrats augmentait de 30 %  sur la même période !

Or, contre toute attente vous avez décidé brutalement de supprimer la moitié des juridictions alors pourtant que la France entre 1958 et 2008 avait vu sa population augmenter de 16 millions, le nombre des recours aux tribunaux se multiplier à due proportion, de sorte qu’entre les permanences, les réquisitoires, les jugements, la masse du courrier, les audiences jusqu'à plus d'heures, les réunions, les opérations de-ci et delà, les nouvelles lois, les décrets appliquant les nouvelles lois, les circulaires de 60 pages expliquant les décrets appliquant les nouvelles lois, les lois à effet retard, tout ceci à moyens non pas constants, mais amputés et qu’il était devenu progressivement impossible de rendre la justice dans la sérénité.


D’où me vient cette sensation d’essayer de vider la mer avec une petite cuillère ? Dans son discours de rentrée solennelle de janvier 2007, le procureur de la République de PARIS écrivait que « les chiffres s’alignent comme autant de témoins objectifs de l’engagement méconnu de magistrats qui, au sein de cette institution spécifique qu’est le ministère public de notre pays, accomplissent sans relâche la mission que leur assigne la loi ».


Rien n’y fait pourtant. Quels que soient nos efforts, les journalistes, les politiques, nos concitoyens ont des œillères. Après avoir abandonné les profs, les policiers, les gendarmes, les gardiens de prison, l’Etat caillasse les pompiers de la République qui tentent d’éteindre le feu dans la maison avec leurS pauvres codes désuets, leurs principes surannés d’indépendance, d’égalité.

Comment ne voit-il pas qu’après nous, il n’y a plus rien. Nous sommes les digues, les derniers remparts. Lorsque les bornes sont dépassées, disait Pierre DAC, il n’y a plus de limites.

Nous avons systématiquement tort et notre Ministre reste muette, sourde à nos angoisses.



* * *



Une heure du matin, ça bouge.


La porte s’ouvre et se ferme à intervalle régulier. Des rayons de lumières rendent plus sinistreS les ors de cette antichambre où nombre de serviteurs de l’Etat ont été brisés, peut-être comptabilisera-t-on bientôt les dépressions, démissions et suicides chez les magistrats ? Pour un juge BOULOUQUE crucifié dans la lumière, combien de drames familiaux restés dans l’intimité des familles…


Je réalise à cet instant que j’ai quitté ma famille depuis 3 ans, pour vivre dans une chambre de 15 m2, célibataire géographique… grandeur et servitude.

Je n’ai pas vu grandir mes enfants depuis ces dernières années, ni pu obtenir le réconfort de mon épouse lorsque j’étais parfois découragé après mes 30 dossiers à l’audience, mes 90 règlements et autant de rapports, signalements et plus encore de nuits perturbées.


Tout cela pour me retrouver accusé en ces hauts lieux. Coupable, sans procès équitable, sans avocat, d’avoir appliqué la loi, toute la loi, rien que la loi.



* * *



Une heure trente, ça se précise…


La porte s’ouvre. Mon procureur apparait. Il est livide, les yeux rougis. Ses lèvres tremblent. Il semble brisé. Les 5 inspecteurs l’entourent, le visage fermé.


On m’explique que je dois faire mon autocritique. Comme dans la Chine du grand Timonier. J’ai commis une grave faute. Je n’ai pas devancé ce que le Peuple attendait de moi. Je n’avais pas de boule de cristal.


Pourquoi ai- je la sensation de quelque chose d’absurde, de fou et de dérisoire à la fois ?


C’est décidé, tout ce cirque m’agace. Je suis passé de la déroute au dégoût, de la détresse à la rage.


Je mets un terme à cette gesticulation.


Je tourne les talons, formule une impolitesse et claque la porte. Il parait que jeudi il y a une mobilisation de la Justice dans toute la France.

Pourquoi la grogne des juges?

Par un juge de cour d'appel


Ce n'est pas une manifestation contre la réforme de la carte judiciaire, comme l'a dit ce 21 octobre un journaliste encore bien renseigné sur France Inter.

Ce n'est évidemment pas, comme elle l'a prétendu à la télé la semaine passée, conseillée par des conseillers bien intentionnés, parce que Rachida Dati réforme en général et que, forcément, les magistrats sont contre toute réforme.

C'est parce que, comme l'ont aussi vérifié les agents de la pénitentiaire, mépriser, se défausser sur les autres de ses reponsabilités, ne sont pas acceptables.

Jouer le conflit entre l'opinion et les juges comme le fait la ministre, emboîtant en cela le président de la République, est une stratégie certes, mais aussi une réelle atteinte à l'indépendance, car il n'y a pas d'indépendance de la justice possible si celle-ci ne s'appuie pas sur un consensus suffisant, une confiance suffisante dans le fait que la décision du juge, fût-elle frustrante pour l'un ou l'autre, a une légitimité et une nécessité sociale.

Les canadiens disent très justement que l'indépendance est un droit de chaque citoyen, non une prérogative au bénéfice de leurs juges.

Et qu'il appartient aux juges de défendre cette indépendance contre toute tentative d'y porter atteinte.

Au nom de la loi

Par Motus, parquetier en région parisienne


Je défère un sans-papier, je défère un prostitué, je défère un petit voleur, je défère un alcoolique, je défère un toxicomane, je défère un squatteur, je défère un trader, je défère un professeur, un avocat, un taserisé, un policier, un collègue, une bonne-sœur, je défère un stade entier (de siffleurs), je défère un mineur (parce qu'il est mineur), je défère la société entière, je défère n'importe qui (sauf mon procureur), je défère n'importe quoi, n'importe comment, le jour, la nuit, par tous les temps, mais pas assez j'en veux encore, des peines planchers.

Et lorsque je n'aurai plus personne à déférer, lorsque mes chiffres viendront à chuter, Rachida je le sais, à défaut de moyens m'assignera d'autres priorités, me trouvera d'autres victimes à contenter, me fera de nouvelles lois, pour me fabriquer de nouvelles proies.

Au nom de la loi.


Déférer : Ordre donné par le parquet à la police qui détient une personne en garde à vue de l'amener devant lui pour lui notifier l'engagement de poursuites à son encontre, généralement en comparution immédiate ou mise en examen (NdEolas).

L'affaire de Sarreguelines et Metz

Par Evadauras, qui revient sur l'affaire qui fut la goutte d'eau tombant dans un vase trop plein, à l'origine de cette journée d'action. Les notes de bas de page sont de l'auteur.


Deux remarques (d'un magistrat) sur les suites politiques, médiatiques et administratives du suicide d'un mineur détenu de seize ans à Metz, dont une peine d'emprisonnement ferme venait d'être mise à exécution par le parquet de Sarreguemines (8 & 9/10/2008).

1) Le premier point semble maintenant végéter dans un certain non-dit. Au cours de son premier déplacement à Metz (9/10/2008), la ministre a-t-elle oui ou non qualifié la décision « d'injuste » ?

Dans l'affirmative, de quoi parlait-elle exactement : d'une décision de justice pénale rendue par un tribunal pour enfants (une formation collégiale de jugement composée d'un juge professionnel, juge des enfants, et de deux assesseurs citoyens) ou d'une banale, régulière et opportune application de la loi par un substitut chargé de l'exécution des peines ?

Quelle que soit la version, le propos s’il est avéré est scandaleux. Qui dit la vérité dans cette affaire : ceux qui l’ont rapporté aux syndicats ou la ministre qui le nie et le procureur général de Metz qui a aussitôt confirmé cette dénégation par un communiqué de presse ? Qui ment ? Le propos aurait été tenu au cours d'une réunion en présence de plusieurs magistrats et de divers membres de l'administration pénitentiaire, de la chancellerie et de la Protection judiciaire de la jeunesse. Il serait donc pour commencer très facile d'en vérifier la véracité, histoire par ailleurs de ne pas laisser le dernier mot à ce démenti officiel. Histoire aussi tout simplement de se faire plaisir en creusant un peu les choses, ne serait-ce que pour faire mentir pour une fois ce mot de Swift : «La crédulité est plus tranquillisante pour l'esprit que la curiosité»…

2) Il y aura eu Dieu merci une parfaite volonté d’en découdre sur le second point. Et le fiasco du deuxième déplacement de la ministre à Metz (20/10/2008) n'est qu'un juste retour des choses. Mais de quoi sont donc faits ces cinq inspecteurs des services judiciaires qui « interrogent » des magistrats un par un entre 22h00 et minuit passé ? Ne peuvent-ils comme tout le monde (enfin presque…) travailler dans des heures ouvrables ? À quoi riment ces « convocations » au pas de charge le soir et la nuit mêmes (8/10/2008) du jour précédant la venue de la ministre (9/10/2008) ? Toujours cette maudite fringale d'immédiateté, — l’Auri sacra fames[1] des anciens —, cette nouvelle soif de l'or de notre merveilleuse démocratie d'opinion...

Et en prime, toujours cette impérissable hypocrisie. Ces auditions précipitées et nocturnes étaient annoncées comme informelles (ni enquête disciplinaire, ni enquête administrative), elles sont maintenant précisées comme enquête administrative par l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ).

Ah les orfèvres ! Ils vantent pourtant fort bien leur méthodologie et leur déontologie sur leur site ! On sait depuis longtemps que ceux qui affirment les plus hauts principes en donnent aussi parfois les plus grossiers contre-exemples. Interpellée et pressée de toutes parts sur ces scandaleuses conditions d'audition, la ministre n'a pas mis beaucoup de temps à capituler, et de manière plutôt scabreuse. Elle a commencé par lâcher l’IGSJ en faisant dire par son porte-parole que cela ne relevait pas du ministre de la justice qui « décide d’une enquête » mais des inspecteurs généraux « qui convoquent les magistrats » (AFP, 14/10/2008). Et comme cela ne suffisait probablement pas, l'Inspecteur général des services judiciaires en personne (un haut-magistrat) vient de rendre publique une bien curieuse contrition, se disant « surpris et ému de la façon dont la presse a relaté son inspection à Metz », « [regrettant] la précipitation dans laquelle il a pu agir », dédouanant soigneusement la ministre de ce mode opératoire, disant assumer l'entière responsabilité de cette invraisemblable équipée de fonctionnaires nyctalopes[2](cf. : AFP, 16/10/2008).

Comme l'ont dit et pensé beaucoup plus crûment la plupart d'entre nous, on nous prend vraiment pour des c… !

Notes

[1] Auri sacra fames : «Exécrable fringale de l'or !» ou «Maudite soit la soif de l'or !» célèbre haut-le-cœur de la littérature antique, d'après un vers latin de Virgile, Énéide, III-57

[2] Nyctalope : terme savant, (du grec nyctalops ; de nux : nuit et ôps : vue), se dit d'un animal qui voit la nuit et qui par conséquent y vit et agit. Pour les amateurs de haddockismes, le terme peut aussi être employé comme simple épithète quelque peu exutoire…

Réflexion sur la misère de la justice économique

Par Étourdie, magistrat de cour d'appel.


Magistrat en cour d'appel, je perçois aujourd'hui une baisse très réelle de la qualité des dossiers qui sont soumis aux juridictions correctionnelles en matière économique et financière notamment .

Comment juge-t-on aujourd'hui des délits complexes, tels que la fraude fiscale, les fraudes alimentaires, les infractions douanières, les abus de biens sociaux?

En province au moins, ces dossiers ne sont plus soumis à un juges d'instruction, juges du siège spécialisé, jouissant de toutes les garanties d'indépendance nécessaires pour mener à bien sa tâche. Il y a maintenant en France une confusion totale entre les autorités de poursuite et l'instruction, qui a complètement bouleversé les équilibres passés sans que l'indépendance du Parquet et les moyens qu'il a lui permettent de faire face aux nouvelles tâches qui lui sont confiées.

Il arrive donc maintenant aux tribunaux correctionnels des dossiers construits uniquement à charge, par les services de police ou les administration qui n'ont ni dans leurs mission ni dans leur culture de rechercher une objectivité, mais au contraire d'amonceler des preuves et de caractériser un comportement répréhensible , voire d'occulter une réalité économique qui pourrait être gênante . Si l'on ajoute que ces administrations sont souvent actionnées par une plainte d'un concurrent , tous les ingrédients sont réunis pour aboutir à une erreur judiciaire.

Juge de campagne

Par Marnie, juge d'instance


Je suis juge d'instance dans un petit tribunal en zone rurale. Loin des clameurs médiatiques, des dossiers dits sensibles, des pressions politiques, seule à bord avec une équipe de fonctionnaires dévoués, je rends la justice qu'on appelait autrefois "de paix", qu'on a rebaptisé pour certaines occasions "de proximité", bref, la justice du quotidien : les conflits locatifs, le contentieux de la consommation, le surendettement, les contraventions, les conflits de voisinage, la protection des personnes vulnérables, des mineurs orphelins, etc.

Après avoir "roulé ma bosse" dans plusieurs juridictions "sinistrées" par manque d'effectif, exercé notamment pendant quelques années en région parisienne les terribles et impuissantes fonctions de "JLD[1]", présidé des audiences nocturnes d'abattage de comparution immédiate, j'ai retrouvé enfin dans mon tribunal de campagne le sens de juger, le sens d'être juge.

En prenant le temps d'écouter les gens, en recherchant au maximum la résolution négociée des conflits avec l'aide de "mes" conciliateurs de justice, avec les avocats, les huissiers de justice locaux,

En me laissant envahir à l'audience par les dossiers volumineux des plaideurs "en personne[2]" qu'il me faut trier, reclasser, déchiffrer pour tenter de comprendre le comment du pourquoi...

En allant voir sur place ce mur mitoyen (ou pas) de la haine qu'on voudrait déplacer d'un demi centimètre juste pour embêter le monde...

En rencontrant quotidiennement parce que ma porte leur est toujours ouverte mes "protégés" sous tutelle ou curatelle qui s'agitent et revendiquent beaucoup, qui crèvent souvent de solitude et repartent content d'avoir parlé à quelqu'un, pour revenir de nouveau fâchés le lendemain sous un autre prétexte...en visitant mes petits vieux sous protection dans leur maison de retraite.

C'est comme dans la chanson "le Sud" de Nino Ferrer : "on aurait pu vivre comme ça plus d'un million d'années".

Oui mais voilà, cette justice là, c'est finie. Sacrifiée sur l'autel de la carte judiciaire. Mon petit tribunal ferme ses portes le 31/12/2009.

Je m'en vais rejoindre une grande juridiction, me diluer dans les arcanes d'une grosse machinerie judiciaire complètement grippée, asphyxiée par la masse des contentieux, sans moyens humains et matériels pour les traiter.

Faire du pénal sûrement, beaucoup de pénal, il n'y a plus que ça qui compte, surtout les statistiques qu'il faut adresser "en temps réel" à la chancellerie.

Frémir sous le spectre des procédures disciplinaires tous azimuts initiées par tel justiciable mécontent d'une décision rendue, qui préférera mettre en accusation le juge scélérat plutôt que d'exercer une voie normale de recours, pour qu'"il paye" (l'exemple vient d'en haut).

Ou subir les fulgurantes "enquêtes administratives" nocturnes menées par les cow-boys de l'inspection générale des services de la chancellerie.

Rendre la justice les mains tremblantes...de colère rentrée.

Ou de colère visible, le 23/10 prochain.

Notes

[1] Juge des Libertés et de la Détention, en charge de décider du placement en détention provisoire des mis en examen et du maintien en rétention des étrangers en voie de reconduite à la frontière.

[2] Non assistés d'un avocat, qui n'est obligatoire que devant le tribunal de grande instance.

le malaise

Par un parquetier


Sans verser ici dans la psychanalyse, je ne peux m'empêcher de saisir cette occasion pour décrire en quelques mots le malaise actuels de beaucoup de jeunes magistrats et en tout cas du mien:

- choix de ce métier par idéalisme: rendre la justice, en pesant sa décision et le temps de la réflexion, en écoutant les positions des parties, en travaillant avec conviction sur la base de textes votés démocratiquement et respectant une hiérarchie des normes garante des libertés individuelles. Rendre la justice pénale pour la victime bafouée tout en remettant l'auteur, par l'intermédiaire de la peine et du suivi judiciaire, dans un lien social.

- confrontation avec une réalité inique: disparition progressive du tissu social, associations mourantes faute de financement, exigence de gestion de masse d'une délinquance tristement et pauvrement visible, engluée dans des règles de plus en plus dures qui ne cherchent à traiter que le symptôme sans s'attaquer à la cause. La justice et les magistrats qui essaient de la rendre, se retrouvent en bout de chaîne à devoir gérer des situations qui se sont détériorées faute de prise en charge en amont: une école engorgée qui ne peut gérer ses "cas difficiles" autrement que par des sanctions et exclusions pour garantir un semblant de paix sociale pour les autres, une institution psychiatrique qui ne peut assurer des suivis adaptés des personnes en grande souffrance, qu'elles soient en liberté ou en détention, des injustices sociales de plus en plus criantes... des exclus ou en passe de l'être montrés du doigt comme inamendables... autant d'ingrédients pour enclencher le cercle vicieux de la désinsertion, dans lequel la justice se trouve embarquée, dans une logique inextricable de réponse de plus en plus sévère.

- confrontation avec une justice bricolée: accepter, pour écluser les stocks, de juger 30 dossiers dans l'après-midi, faire attendre, auteurs et victimes de 14 à 23 heures pour voir examiner leur affaire, diriger 30 enquêtes en même temps par téléphone en ayant à peine la possibilité de s'assurer que les règles élémentaires de procédure pénale sont respectées, juger en comparution immédiate des dossiers de violences graves alors que la victime, encore sous le choc, n'est pas en état de se déplacer à l'audience, maintenir à vie dans des centre fermés, des personnes qui ont purgé leur peine et dont la société n'a pas su s'occuper pendant 20 ans, prendre des réquisitions ou décisions de maintien en détention provisoire entre deux couloirs, deux décisions, 15 garde-à-vue, sans avoir pu prendre le temps d'examiner le dossier etc etc;

- un gouvernement qui veut faire croire qu'il assure la sécurité et protège les victimes alors qu'il créée des bombes à retardement en imposant de cogner plus forts sur des condamnés de plus en plus désinsérés à chacune de leur sortie de prison. En donnant l'illusion de donner toute leur place aux victimes en leur dédiant un juge alors qu'aucun tribunal n'est adapté et organisé pour les accueillir dignement hormis dans des procès exemplaires qui font office de vitrine; qui fait croire qu'il veut assurer le développement des aménagements de peine dans un souci de réinsertion alors que les partenaires indispensables aux aménagements de peine sont en situation de plus en plus difficiles, que les JAP sont mis en cause au moindre dérapage de probationnaires etc, etc.

Si c'était à refaire?.....

Signé : Un jeune magistrat ayant exercé au parquet dans une juridiction de taille moyenne, actuellement à l'administration centrale à tenter humblement de lutter pour une application des règles élémentaires du droit en démocratie et qui aurait rêvé d'être à Metz ce 20 octobre en tenant une pancarte "justice bafouée, démocratie en danger" au passage de celle dont la tâche est en principe d'incarner et de respecter la justice, pour tous.

Merci pour ce lieu de parole.

bien cordialement.

Amertume

Par Caliméro, soutier au parquet[1]


Je suis amer.

Il n'y a pas si longtemps que cela je passais le concours de l'ENM[2], avec en tête une idée de ma future profession, qui peut se résumer à ces quelques mots: rendre la justice dans le respect des lois et des autres.

Pensant faire partie d'une institution indispensable à toute démocratie digne de ce nom, je m'imaginais que l'État allait traiter ceux qui œuvrent (magistrats et greffiers) pour cette pierre angulaire de la démocratie, de façon exemplaire, afin que ceux ci puissent donner le meilleur d'eux-même, pour servir aux mieux les autres.

Que j'ai été naïf, que de désillusions.

J'ai l'impression d'être dans un mauvais remake du film "un jour sans fin".

J'en suis à ma deuxième juridiction, et dans les deux, j'ai été confronté à la même situation ubuesque qui se répète quotidiennement : comment faire face à une demande de justice dont la croissance est exponentielle avec toujours moins de personnels?

A cette problématique vous pouvez ajouter plusieurs variables:

- des chefs de juridictions qui n'ont en général aucune notion de management, et qui sont plus préoccupés par la carrière que l'intérêt général, mais vous tiendront toujours le discours contraire ;

- une opinion publique qui exige tout et son contraire en fonction de l'écho médiatique donné à telle affaire du lundi, et à celle du mardi...

- un politique qui s'empresse d'amplifier le phénomène, toujours prompt à désigner un fautif (surtout quand il n'y en a pas), afin d'éviter que lui soit posé une question sur sa propre responsabilité dans ce désastre ;

- une chancellerie frénétique qui ne pense que par chiffres, statistiques et autres indices de performance, pour calibrer au mieux le budget.... pas la peine de faire de commentaire sur ce qu'il faut entendre par là en ces temps de vache maigre ;

- des parquets généraux qui font caisse de résonnance, et qui, tout aussi frénétiquement, exigent d'être informés à la seconde de tout événement, aussi insignifiant soit-il, au cas où la chancellerie demanderait des informations sur telle ou telle affaire, défrayant la chronique de la feuille de chou locale. Avec l'effet que l'on connaît (le ministère de la justice n'a jamais apporté aucun commentaire aux dépêches du parquet général relatives à l'affaire d'Outreau).

Et au milieu de tout cela, il y a nous (magistrats, greffiers, fonctionnaires et auxiliaires de justice). A ce propos je suis toujours admiratif de voir avec quel courage les greffiers et fonctionnaires des tribunaux remplissent leurs missions dans des conditions parfois indignes (bureaux au sous sol, dossier par milliers empiétant sur l'espace vital...).

Les magistrats sont légèrement mieux traités, même si parfois exercé dans un bureau de 8m² sous 35 °C en été ou 12 °C en hiver (problème de budget pour le chauffage) est un peu difficile.

Soyons aussi objectif, nous avons un peu contribué à ce tableau par notre inaction, découlant de conception rigide du sacro-saint devoir de réserve (par peur de la sanction disciplinaire). De plus la jeune génération est en train de payer un peu les erreurs de l'ancienne, qui a permis à de trop nombreux opportunistes d'avancer dans la carrière au détriment d'autres plus compétents mais trop occupés à travailler leurs dossiers.

La coupe est donc pleine.

Comme à chaque fois, je participerai à l'action locale organisée par mes collègues, sans aucune illusion sur l'effet que cela aura.

Puis je retournerai à mon bureau avec toujours cette amertume, mais la volonté vissée au corps de bien faire mon travail dans le respect des lois et des autres.

Notes

[1] Non, soutier n'est pas une fonction officielle, c'est un terme de marine qui désignait l'équipage chargé de faire tourner les chaudières au charbon des grands paquebots : on ne les voit pas, mais sans eux, rien ne bouge.

[2] École Nationale de la Magistrature.

j'assiste à ça…

Par Veuxd'elle, assistant de justice dans un tribunal administratif


Je suis le petit assistant de justice qui se faufile derrière son magistrat ou sa présidente. Je suis à la fois trop près et trop loin pour savoir ce qui ne va pas mais je peux vous en dire deux mots.

Mon travail à moi, légalement, c'est d'apporter mon « concours aux travaux préparatoires réalisés par les membres » de la juridiction administrative (art. R.222-7 du code de justice administrative, abrégé CJA).

En réalité, sous le contrôle des magistrats, je traite les dossiers qui arrivent sur mon bureau, tout simplement parce qu'il n'y a plus assez de magistrat pour écouler le stock.

Alors on me dit que je dois faire comme les grands : une note, un projet de jugement et au suivant, une note, un projet etc… en droit des étrangers, beaucoup, des ordonnances[1], énormément.

Parce que la pression des chiffres, l'engorgement des tribunaux et l'usine à gaz du « droit » des étrangers à conduit à ça, donner ce contentieux à de jeunes juristes qui sortent des banc de la fac et n'ont pas imaginé une seconde, du haut de leur vingtaine d'année, qu'ils pourraient avoir une responsabilité aussi écrasante. Bien sûr, sous le contrôle des magistrats, eux-mêmes débordés et courant après leur « norme » (i.e. le nombre standard de dossier à traiter pour une audience, une dizaine en général, la justice est une histoire de statistique…).

Moi aussi j'ai ma norme et mon quota à écouler. Chaque jour j'ai cette petite cloche dans ma tête qui me dit « tu en es à combien là ? C'est tout, c'est moins que le mois dernier, allez mets un coup de cravache mon petit ». Très relaxant comme son de cloche…

Pourquoi ? Parce que nos gouvernants on eut l'ingénieuse idée de flatter le peuple dans ses plus bas instincts, la peur de l'autre, au détriment d'un idéal, une justice de qualité.

Alors ils ont restreint les conditions d'octroi, durci la législation et inventé des instruments juridiques merveilleux comme l'OQTF[2] qui permet, dans un même bout de papier, d'avoir trois décisions : refuser le titre de séjour, fixer le pays de renvoi et obliger à quitter le territoire.

Ingénieuse ? Pour les préfets certainement, ils gagnent du temps grâce à ce fameux bout de papier unique ; pour nous rien n'a changé. Il reste toujours trois décisions susceptibles de contenir chacune des illégalités qui leurs sont propres et qu'on doit examiner : ça c'est l'Etat de droit mais sous la pression des chiffres, ça c'est l'Etat démago des statistiques à gogo.

Qui y gagne à votre avis ?

Qu'est-ce qu'il en résulte ? oh, trois fois rien, hormis quelques jugements par-ci par là un peu discutables (j'aimerais souligner qu'ils restent assez rares tout de même), il est une conséquence directe qui me dérange beaucoup plus : pendant que toute l'énergie des magistrats et assistants est consacrée à la résorption de ce contentieux en explosion depuis ces dernières années (allant jusqu'à représenter 60% du stock d'une juridiction !!!!), les autres contentieux n'avancent pas. Et l'égalité du justiciable dans tout ça criera la brave dame ?

Si tu es un « dangereux étrangers » en situation irrégulière, rassure toi, tu seras jugé en moins de six mois[3]. Si tu es un contribuable qui souhaite contester la taxation d'office au titre de l'impôt sur le revenu, tu en as pour un ou deux ans. Tu as été charcuté par un chirurgien indélicat ? compte au minimum deux ans pour un jugement de première instance. Tu es menacé d'expropriation pour une cause dont tu penses qu'elle n'a d'utilité publique que l'étiquette ? Ne t'en fais pas, grâce aux contentieux des étrangers, tu risques fort d'être jugé dans trois ou quatre ans.

Le pire dans tout ça, c'est le gâchis. Je rêve d'intégrer ce corps[4], je m'y prépare d'ailleurs, mais comment rendre attractif la fonction de magistrat quand on promet aux impétrants le si excitant contentieux des étrangers comme presque unique horizon en début de carrière ? Autant dire, de suite, que ça en fait fuir plus d'un… des talents sacrifiés sur l'autel de la démagogie et des « bons chiffres » du gouvernement.

Ras le bol, qu'est-ce qui est le plus important : l'aura politique d'une personne assise sur une sorte de bulle spéculative ou VOTRE justice, celle qui est rendu au nom du peuple français et devrait être digne de celui-ci !

J'ai été recruté parce que j'avais au minimum une maîtrise de droit et des compétences qui me « qualifient particulièrement à l'exercice de ces fonctions » (L222-7 CJA). J'ai un DEA d'une grande université, cinq ans d'études derrières et la chance d'avoir pu consacrer mon temps à ça et pas, comme beaucoup d'autre, à travailler en même temps pour financer celle-ci. Je suis payé 8,80€ brut de l'heure, pour un contrat de 15h par semaine, c'est la norme. Ca ne me paye même pas mon loyer à Paris… heureusement, jeune actif, mes parents sont encore là.

Ha oui, pourquoi ne pas finir sur une note d'espoir : au prochain concours, il y aura certainement, comme chaque année, entre 30 et 40 postes d'ouverts.

Il y a environ 1000 magistrats administratifs et 8000 magistrats judiciaires pour 60 millions de citoyens en France. En Allemagne, pays qui a substantiellement la même organisation que nous, on dénombre 22 600 magistrats judiciaires, certes pour 82 millions d'habitants. Mais ça donne proportionnellement un magistrat judicaire pour 3600 citoyens là bas, quand on en compte 1 pour 7500 chez nous.

Alors si vous pensez qu'il est plus important de parler du bébé de Rachida, de la rétention de sûreté ou du chien de Michel qui a mordu Germaine et qui nécessitera une nouvelle loi, ce sera sans moi, je ne veux pas, je ne peux pas voir à ce point la République se désintéresser de ce qui est et restera toujours, quoiqu'on en dise, le troisième pouvoir et le garant des droits et libertés de nos concitoyens.

Notes

[1] Une ordonnance en droit administratif est le cauchemar de l'avocat : c'est une décision de rejet de la requête sans audience.

[2] Obligation de Quitter le Territoire Français, création de la loi Sarkozy II du 24 juillet 2006.

[3] En moins de trois mois pour une OQTF, en moins de trois jours pour une reconduite à la frontière.

[4] Des conseillers des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, la magistrature des tribunaux administratifs.

Ressenti

Par Juge d'instance, juge… d'instance. Si, si. Il présente lui-même ce qu'est cette juridiction. Les notes de bas de page sont d'Eolas.


Je profite de l'occasion donnée, dont je vous remercie sincèrement, pour m'exprimer sur les difficultés quotidiennement rencontrées. Je serai volontairement sobre.

J'exerce dans un tribunal d'instance de province, de taille moyenne.

Pour ceux qui l'ignorent, le tribunal d'instance est une juridiction d'exception[1] dont la compétence est limitativement énumérée. Il connaît ainsi des litiges de moins de 10 000 €, du contentieux locatif, des régimes de protection des majeurs (tutelle et curatelle) et des mineurs (administration des biens, tutelle), des saisies des rémunérations du travail, du paiement direct des pensions alimentaires et, pour le mien par délégation, du surendettement. Et encore vous ai-je fait grâce des contentieux exotiques (douanes, conditions des funérailles…). Il connaît également des contraventions (par exemple de la plupart des excès de vitesse)[2].

La juridiction d'instance a subi, subit et subira les réformes sans moyen.

En voici un aperçu chronologique.

La juridiction de proximité :

Invention de l'ère chiraquienne, destinée à rapprocher la justice du justiciable. Plusieurs juges (non professionnels) sont actuellement en fonction. Il a fallu prendre sur notre temps pour les former, temps en partie consacré en pure perte, certains n'ayant pas été retenus. Une fois en place, pas de personnel de greffe supplémentaire. Les audiences qui leur sont attribuées viennent en déduction de celles tenues par les magistrats professionnels. Et cela ne s'est pas traduit par une décharge d'activité puisque dans le même temps, le taux du ressort s'est accru à 10 000 €[3].

Résultat des courses, le nombre de dossiers examinés par audience s'allonge, de même que les délais. Et, quand il n'y a pas de juge de proximité, c'est le juge d'instance professionnel qui exerce la fonction,,, Que de complexité!

Le rétablissement personnel :

Il est né de la loi de la seconde chance de M. Borloo, avant qu'il n'aille herboriser à l'écologie. Le principe : les personnes dont la situation est irrémédiablement compromise sont orientées par la commission de surendettement vers le juge de l'exécution, qui peut prononcer un rétablissement personnel avec, à la clé, l'effacement des dettes.

Dans un premier temps (il a fallu attendre 3 ans et demi pour que la loi soit modifiée), et alors même que le travail avait été fait par la commission, le juge devait saisir un mandataire (au coût modique de 200 € H.T.) pour établir le bilan économique et social de la situation, même pour quelqu'un au RMI ou retraité. Réforme comme toujours sans moyen supplémentaire (un poste de fonctionnaire a été créé pour cette activité, toujours pas pourvu depuis plusieurs années). Conséquence, le délai d'examen de la procédure entre la transmission par la commission et le juge d'instance (faisant fonction de juge de l'exécution) a un temps avoisiné 2 ans (estimons nous heureux, le rapport du comité de suivi de cette loi a pointé certaines juridictions à 5 années…). Ainsi, entre la saisine de la commission et la fin de la procédure, 3 ans s'étaient en moyenne écoulés.

Depuis, le délai est retombé à 14 mois environ. Et il ne s'agit pas de paresse de notre part : les audiences étaient de 7 dossiers il y a 5 ans, de 15 à 20 aujourd'hui. Les personnes attendant dans le couloir apprécient.

La réforme des tutelles

A compter du 1er janvier prochain, l'ensemble des mesures de protection ouvertes (tutelle ou curatelle) doivent être révisées, afin de déterminer si la mesure doit être ou non maintenue, allégée ou aggravée. Une paille, quelques milliers, Aucun moyen supplémentaire encore une fois. La charge de travail est évaluée, j'arrondis, à un demi-temps plein de magistrat sur 3 ans, et un temps plein de greffier : il faut entendre les incapables[4], leur représentant, la famille peut-être. Il est inutile de se demander ce qui arrivera à l'expiration du délai de révision prévu par la loi : les mesures qui n'auront pas été étudiées prendront fin d'elles-mêmes, et elles seront sûrement légion. Et je ne développe pas pour être trop long sur le coût des expertises obligatoires qui resteront, s'agissant d'une obligation imposée en cours de mesure par la loi, à la charge du budget de l'Etat (soit 200 € environ par expertise que multiplient quelques milliers d'expertises, que multiplient quelques centaines de tribunaux d'instance). C'est toujours moins que les milliards pour les banques me direz-vous.

La réforme de la carte judiciaire

Réforme phare de ce gouvernement, qu'aucun autre n'avait parait-il réussi à mener à terme. Notre tribunal d'instance absorbera plusieurs juridictions supprimées et devrait augmenter son effectif de greffe d'un tiers (rien n'est sûr : de 4 à 8 personnes en plus selon les départs). Accroissement qui ira de pair avec l'activité récupérée de ces juridictions. Aucun gain à espérer de ce côté. Les locaux sont à aménager, pour en «densifier l'occupation», selon les termes poétiques de la Chancellerie. Petit problème, nous sommes déjà en octobre 2008 et rien n'est encore programmé… Où loger les nouveaux arrivants ? Et bien évidemment, je ne parle pas des archives, que nul ne sait où ranger. Une sacrée pagaille en perspective.

J'espère ne pas avoir été trop long et avoir donné un aperçu des difficultés dans lesquelles nous nous débattons, afin que le justiciable n'en pâtisse pas trop, C'est loin d'être toujours réussi.

Pour en sortir, pour ne pas augmenter la dépense publique (il n'y a plus de sous, sauf pour les banques), cessons les réformes ineptes, irréfléchies, votées à la va-vite, mal rédigées, non financées et sans moyen.

Simplifions, mais de la vraie simplification, pas celle qui complexifie pour simplifier (la dernière proposition de loi dite de simplification et d'allègement des procédures que vient d'adopter en première lecture l'Assemblée Nationale fait plus de 70 pages…).

Notes

[1] Par opposition à la juridictio nde droit commun qu'est le tribunal de grande instance (TGI) : le TGI connaît de tout litige que la loi n'a pas, par exception, attribué à une juridiction spéciale, appelée juridiction d'exsception. Cette expression n'a en langage juridique aucune connotation péjorative.

[2] Son greffe gère aussi les demandes liées à la nationalité française, délivrant les certificats de nationalité et enregistrant les déclarations d'acquisition de la nationalité (enfants étrangers nés en France, époux de Français…

[3] Il était auparavant de 7600 euros

[4] Incapables juridiquement, c'est-à-dire incapables par l'effet de la loi de faire valablement des actes juridiques : ce terme recouvre les mineurs, les personnes très âgées, les personnes malades mentales…

Et la PJJ ?

Par Antoine, éducateur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), auxiliaire du juge des enfants chargé de la mise en place et du suivi des mesures d'assistance éducative et de l'encadrement des jeunes suivi par le juge.


Educateur à la PJJ, je tiens à commencer par vous remercier de la haute idée que vous vous faites de notre travail («...indispensables auxiliaires des juges des enfants. Ils sauvent des milliers de destins de jeunes mineurs chaque année ; et des vies aussi ,sans doute »). Car enfin, par les temps qui courent, on en vient à se demander à quoi l'on sert.

Je m'explique.

Alors que la PJJ est, depuis quelques années, entraînée dans une mutation sur fond d'instrumentalisation politicienne de la délinquance des mineurs, mutation accélérée par les derniers gouvernements, disons depuis 2002, notre identité est menacée et nos moyens, à mon sens, s'éloignent des besoins. Pour faire simple car le sujet est vaste et complexe, le traitement actuel de la question de l'enfance délinquante fait peu de cas des problèmes de fond qui y sont liés et, en particulier, la souffrance de ces jeunes, leur difficulté d'insertion sociale et professionnelle tout en nous transformant petit à petit en simples agents de contrôle social.

La création des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs coûtent très cher en personnels, en moyens matériels, en ressources financières et, n'en déplaise à la propagande, se font au détriment des dispositifs existants, déjà largement insuffisants.

Cette politique autoritaire sur le fond autant que sur la forme est certainement vouée à l'échec et les récentes affaires de suicide de mineurs en détention, au lieu d'être considérés comme des signaux d'alarme, ne servent qu'à l'accélerer un peu plus. C'est de l'inconscience et de l'irresponsablilité.

Je crains que le problème ne dépasse l'inconséquence pourtant patente de notre ministre mais m'associe de tout coeur à toute forme de résistance à son action.

Vous m'excuserez de ne pas argumenter d'avantage mon propos (cela nécessiterait de longues explications du contexte, des exemples, etc.) mais sachez que, pour être tous les jours au contact de ces gamins et pour connaitre leur douleur, je suis indigné par le manque d'humanisme et d'humanité dans laquelle on engage la PJJ.

Semaine classique dans un tribunal

Par la Biscotte, juge d'instruction… entre autres. Les notes de bas de page sont d'Eolas.


Lundi après-midi, audience correctionnelle à juge unique... 34 dossiers à juger, moyenne habituelle…

Petit calcul : l'audience commençant à 13h30, mettons 20 mn par dossier tout compris (exposé des faits, audition du prévenu, éventuellement de la victime, de son avocat, réquisitoire du parquet, plaidoierie de la défense), ça nous mène à.... euh...680mn, donc euh.. plus de 11h d'audience ? Finir à minuit et demi, ça va pas être possible là…

Bon, tant pis, je vais renvoyer des dossiers d'office : les gens seront pas contents d'être venus et d'avoir attendus pour rien, mais je ne peux décemment pas continuer à les juger passé une certaine heure…

Hein ? La circulaire Lebranchu fixant la durée maximale des audiences à 6h ? Bah oui, mais vu le stock des dossiers en attente et le manque de magistrats et greffiers, si je l'applique concrètement cette circulaire, je vais me faire appeler Arthur par ma hiérarchie (mais gentiment hein, je suis indépendante ! et ce sera aussi gentiment inscrit dans mon dossier…) Passons…

Mardi : CRPC[1], aussi appelée “ plaider coupable ”. C'est nouveau ça, plus d'audience, ça se passe en catimini entre le procureur et le prévenu, puis devant le “ juge homolagateur ”…à savoir bibi.

Bon, les peines proposées sont pas celles que j'aurais appliquées à l'audience, mais bon, si je refuse d'homologuer trop de peines, ça va repartir dans le circuit classique des audiences correctionnelles (voir plus haut). Bon, puisque le prévenu est d'accord pour cette peine, homologuons…

Tiens, une loi va sortir pour permettre au juge homologateur de fixer une peine moins lourde que celle proposée par le parquet…

Euh...ils nous réinventent l'audience correctionnelle là ?? La publicité et le débat en moins…

Passons…

Mercredi : l'instruction (et oui, c'est ma fonction principale).

Bon, étant arrivée en poste au moment de l'affaire Outreau, on peut pas dire que je suis vraiment sereine mais bon…

En même temps, plus ça va, moins le procureur en ouvre, des informations judiciaires[2]. Faut dire, ça coûte cher l'instruction, et on a plus d'argent !

Bon, les affaires sont quand même jugées, hein, mais beaucoup plus vite, on va dire. C'est vrai que le problème, c'est qu'à l'audience, les juges ont un peu de mal à savoir réellement ce qui s'est passé, les policiers n'ont pas eu le temps de faire les vérifications, y'a pas eu de confrontations, et on sait rien de la personnalité du prévenu et de sa victime.

Mais bon, le type reconnaît les faits, il est en récidive, il encourt 3 ans de peine plancher, les juges sont un peu coincés là.

Et puis moi, je suis dans un tribunal qui n'a pas eu la chance d'être “ pôle de l'instruction ”, ça veut dire que je ne m'occupe plus des affaires criminelles.

Les enquêteurs sont pas ravis, leur juge d'instruction se trouve maintenant à plus de 100 km d'eux. Pas facile pour travailler en équipe sur ce coup-là…

Les victimes ne sont pas ravies non plus : elles ont pas les moyens de payer le train pour être entendues par le juge d'instruction.

Le juge en question est pas ravi non plus : il avait déjà un cabinet surchargé, et maintenant il doit s'occuper de mes dossiers en plus !

Passons…

Jeudi : Rachida Dati sur France 2. Je sais bien que je ne devrais pas regarder mais bon… Et je ne suis pas déçue, la nausée est à la hauteur du discours de la Garde des Sceaux.

Que de mensonges, que de démagogie, c'est du grand art ! Et ça fonctionne, hélas…

A l'entendre, tout va bien, sa politique pénale est formidable, et nous autres, pauvres magistrats, ne savons que nous plaindre, et refusons de nous moderniser !

Bah, moi, je voudrais bien me moderniser ! Par exemple, quand mon fax est tombé en panne, j'ai tout de suite alerté le greffier en chef pour en avoir un nouveau. Bon, je l'ai eu, j'ai juste dû attendre 4 mois (pour info, le fax à l'instruction, c'est vital, pour recevoir notamment les demandes de mise en liberté des détenus).

Passons…

Vendredi : Comparutions immédiates.

Là, c'est la justice expéditive : en 48 h de moyenne, le type passe de la case arrestation à la case prison, sans toucher 20 000 francs ! Les victimes ont rarement le temps de se préparer (quand elles ont eu la chance d'être prévenues de l'audience), et le tribunal dispose que de très peu d'infos sur le prévenu.

Aïe, il est en récidive, d'où peine plancher applicable.. 3 ans de prison, ça fait beaucoup, non, pour un vol de CD à Carrefour avec un copain ?

Le pauvre substitut est quand même obligé de la requérir, il n'a pas envie d'être convoqué place Vendôme, sinon !

Hein? Le suicide du mineur incarcéré ? Bah oui, là, il aurait fallu être moins sévère apparemment.

C'est quoi déjà les symptômes de la schizophrénie ?

Passons…

Ou plutôt non, tiens, ne passons pas, ça fait un bail qu'on passe, et c'est de pire en pire !

Jeudi, j'irai manifester avec les collègues.

Si l'actualité est calme ce jour-là, on aura peut être quelques échos dans la presse.

Notes

[1] Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité.

[2] Synonyme d'instruction judiciaire.

Un magistrat du tribunal de grande instance d'Annecy

Des locaux inhumains dans une ville à taille humaine.

Pas de possibilité d'ouvrir une fenêtre! Il faut un laisser-passer pour y circuler[1] ; des salles d'audience à l'accoustique… aléatoire ; des moquettes dans les bureaux, bonjour les allergies ! Des ascenseurs qui s'arrêtent, des lumières qui s'éteignent après 21h........

Et j'en passe.......

Notes

[1] Le nouveau tribunal de grande instance de Pontoise fonctionne sur ce principe là, au nom de la « sécurité ». Idéal pour tuer un palais et e nfaire un endroit aussi froid qu'une morgue. Note d'Eolas.

Monsieur F.

Par T.I., seul juge d'un petit tribunal d'instance


Je voudrais tout d’abord remercier l’hôte de ces lieux, Maître Eolas.

En ouvrant les colonnes de son blog aux juges, il leur fait un cadeau inestimable.

Il leur offre la parole pour parler d’eux, y en a que cela intéresse, paraît-il..

J’ai longuement réfléchi aux termes de ma contribution : quoi écrire qui ne rebute pas les lecteurs de ce blog, quoi dire sur les conditions d’exercice de ce métier qui ne soit pas tout de suite pris pour du corporatisme parce que l’on défend la nécessaire indépendance du juge, car taper sur l’arbitre n’a jamais arrangé les choses même si cela soulage les supporters.

Comment s’exprimer sur les évolutions législatives récentes, sur les peines planchers qu’il nous faut bien appliquer, comment faire comprendre la difficulté de dire le droit, d’appliquer la loi en fonction des individus que l’on a devant nous, comment faire partager aux lecteurs de ce blog, cette évidence : ceux que l’on jugent sont nos semblables, des hommes et des femmes avec leurs histoires particulières, qu’il faut prendre en compte et non des monstres qu’il faut exclure de la société.

Alors comme décidément, je ne sais pas parler de moi, je vous invite à entendre l’histoire de Monsieur F.

J’ai vu Monsieur F. pour la première fois lors d’une audience de conciliation avant saisie des rémunérations.

Il avait contracté un crédit pour acheter des meubles, il venait de s’installer dans un nouveau logement.

Il travaillait en qualité de chauffeur de bus, pour la compagnie de transports municipaux, un emploi stable et sûr, un salaire de 1500 €, marié, deux enfants à charge, 5 et 2 ans, me dit-il avec de la fierté dans la voix.

Il peut payer à hauteur de 150 € par mois, l’huissier de justice est d’accord.

Il est sorti, soulagé d’éviter la saisie, droit comme un i, la tête haute.

Je l’ai revu en surendettement.

Il a eu un troisième enfant, a voulu changer de voiture, a pris un crédit bail pour un véhicule dit familial.

Il n’est pas arrivé à respecter les mensualités ni du premier prêt ni du crédit auto ni de tous les autres, sollicitant la mise en place de mesures recommandées, contestées par un des créanciers.

Puis, je l’ai vu en audience civile, son propriétaire demandait son expulsion pour impayés de loyer, il a perdu son travail me dit-il, il n’a pas pu faire face.

Sa femme l’accompagnait, un regard inquiet, avec son dernier né.

Un jour d’été, en audience correctionnelle, en comparution immédiate, la porte s’est ouverte sur Monsieur F., menotté, tenu à la laisse[1]. par les policiers d’escorte.

Il comparaissait pour tentative de vol, en récidive : une dame cherchait des billets au distributeur, il les a arrachés.

A son casier, figurait déjà une condamnation pour abus de confiance[2].

Il donnait des tickets périmés aux clients de son bus qui payaient en espèces, gardant ainsi l’argent du voyage.

Son employeur, la régie municipale, l’a licencié pour faute grave, sans indemnité.

Il avait la tête baissée, pas rasé, sortant de garde à vue, avec des habits fripés, ne contestait pas l’infraction, ne disant pas grand chose.

J’ai croisé pour la dernière fois Monsieur F, dans le couloir glacial du Tribunal, il m’a tiré par la manche, « je suis convoqué, je voulais vous donner ceci », me dit-il en me tendant un papier, amaigri, les yeux fuyants, le dos voûté, aussitôt enfui.

C'était une lettre destinée à mon collègue juge aux affaires familiales.

Sa femme venait de le quitter et demandait le divorce.

Notes

[1] Il s'agit d'une paire de menottes reliée à une chaîne d'environ 50 cm, tenue par l'escorte, qui a l'air de promener le prisonnier en laisse. NdEolas

[2] La loi assimile, pour la récidive, les délits de vol, d'extorsion ,de chantage, d'escroquerie et d'abus de confiance (art. 132-16 du Code pénal). Ici, l'abus de confiance constitue le premier terme de la récidive, le vol, le second. Les peines planchers sont applicables, Monsieur F. encourt 6 ans de prison, avec un plancher d'un an minimum. NdEolas.

« Je suis un très très vieux petit juge dans un très très grand palais…»

Par Désiré.


Je suis un très, très vieux petit juge dans un très, très grand palais.

Je laisse à mes jeunes collègues le soin de vous décrire par le menu l'indigence de nos conditions matérielles et nos longues parfois très longues nuits de folie quand à 1 heures du matin vissés sur nos fauteuils (un grand mot) depuis la veille 14 heures nous pensons qu'il faudrait vite en terminer, histoire de pouvoir voler (vilain mot) deux heures de sommeil avant de recommencer à 9 heures du matin…

Non tout cela serait presque anecdotique, voire misérabiliste, voire corporatiste de la part de nantis…

En ce jour béni du 23 octobre, le vieux, très vieux juge qui tout les jours rend la justice « au nom du peuple français » pousse un cri :« STOP ! ».

Nous ne pouvons plus être jetés en pature aux médias mais surtout à ce peuple français pour tout et n'importe quoi : quand nous ne mettons pas en prison, quand nous mettons en prison, alors que nous faisons uniquement notre travail.

Chaque justiciable, chaque citoyen qui a eu un jour afffaire à la justice a pu avoir l'occasion de s'en plaindre (ne serait ce que pour un divorce difficile, ou un PV de stationnement contesté).

J'en suis bien conscient et je suis prêt à fournir toute explication utile, voire en cas de bévue à en assumer les conséquences.

Mais si au gré de la vox populi (s'agit-il bien d'elle d'ailleurs?) et pour lui… plaire, je dois passer des nuits à répondre à d'autres juges (nos bœufs-carottes sont aussi des juges) voire à produire des attestations de bonne conduite à mon ministère, je pense que la coupe va être pleine.

Une société a les juges qu'elle mérite et le vieux, très vieux juge songe à la retraite…

La Justice, "une conception bâtarde"?

Par Jojo, ancien assistant de justice affecté à un parquet de la grande couronne parisienne.


Avertissement d'Eolas : Ce billet vous propose de méditer sur les propos d'un magistrat en une période plus troublée de notre histoire. L'origine et l'auteur de ce texte sont donnés dès le début ; mais d'ores et déjà, je précise, pour ne pas parasiter la lecture, que l'auteur de cette contribution n'a absolument pas l'intention d'effectuer ou d'insinuer un quelconque parallèle entre les circonstances historiques d'alors et d'aujourd'hui ; mais de constater qu'il est des pressions et des résistances à cette pression depuis fort longtemps.


Extrait d'un rapport[1] du procureur général d'Alger du 3 décembre 1940 au représentant du gouvernement[2].

« IV - Indulgence due au manque de hardiesse des poursuites.

Cette partie de la critique de la Justice est la plus délicate à exposer, et les remèdes à proposer sont d'ordre essentiellement politique et même constitutionnel.

Nous vivons sous le régime de la séparation des Pouvoirs ; le pouvoir judiciaire devrait, en principe, être totalement indépendant des deux autres pouvoirs. Qu'est-ce que cela signifie? Que le magistrat devrait avoir une situation morale et matérielle telle qu'il n'aurait rien à redouter ni à attendre des autres pouvoirs de l'Etat ; et que tout changement, avancement, décoration, ne devrait pas être le fait d'un autre des trois Pouvoirs.

La réalité est toute autre ; depuis longtemps le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ont pénétré dans le domaine judiciaire qui ne garde que théoriquement son indépendance. Je ne crois pas qu'aucun magistrat ait jamais pu accepter de poursuivre ou de ne pas poursuivre, de condamner ou d'absoudre à la suite d'un ordre reçu. Un magistrat juge, il n'obeit pas.

Je crains, par contre, que l'intrusion de plus en plus grande du pouvoir administratif dans le judiciaire n'ait incité, indirectement, certains magistrats à une circonspection excessive. Il ne fallait pas d'"histoire", le moindre faux pas, même assorti de la plus absolue probité morale, était imputé à faute à un magistrat instructeur ; les inculpés de marque trouvaient pour les défendre des voix puissantes et haut placées.

Le remède à trouver est d'ordre essentiellement politique, au sens le plus grand et le plus noble de ce mot. Il ne peut être question dans ce court rapport, d'effleurer même le problème.

Qu'il me soit permis de dire cependant qu'à mon sens deux seules conceptions doivent rester en présence, et que c'est entre elles qu'il faut choisir :

1° Ou bien on maintiendra le principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire, en en faisant une réalité absolue et en écartant soigneusement du magistrat toute pression directe ou indirecte, d'où qu'elle vienne.

2° Ou bien on "intégrera" complètement la Justice dans le Gouvernement de la Nation, et elle deviendra une Administration comme les autres, dirigée et animée par le Pouvoir Central.

Mais ce qui ne doit plus subsister, c'est la conception bâtarde qui existait depuis trop longtemps : celle d'une justice théoriquement indépendante, mais qui, en fait souffrait de l'intrusion à peine voilée de l'exécutif et du législatif, et qui dépendait d'eux trop souvent.

Quelque soit le statut de la Justice de demain, j'estime que le point essentiel de son organisation est celui de son recrutement. Il est indispensable que le magistrat ait des connaissances générales fort étendues, et qu'il ait la "foi" dans sa fonction.

Jadis il pouvait suffire, pour être magistrat, d'être un bon juriste ; ce n'est plus suffisant ; le magistrat ne doit pas s'abstraire de la Société, et doit avoir le cerveau assez riche de pensées et de culture pour pouvoir comprendre et juger sainement les problèmes divers que posent les grandes transformations sociales et économiques du Monde moderne ; la vie, en effet, n'attend pas, c'est à la pensée juridique à savoir la suivre. (...) »

Notes

[1] L'oroginal de ce document est conservé aux Archives Contemporaines Nationales, site de Fontainebleau.

[2] Il s'agissait du Général Maxime Weygand, Délégué général du Gouvernement en Afrique française.

Un juge des enfants

Par Justice, juge des enfants, en charge des dossiers de mineurs en danger (Assistance éducative, placement en foyer,…) et de mineurs délinquants (il préside le tribunal pour enfants qui seul peut prononcer des peines d'emprisonnement — qui coquin de sort sont parfois les mêmes. Il exerce ses fonctions dans un tribunal de taille moyenne.


Je suis Juge des Enfants. Merci d'offrir votre blog comme espace de discussion à l'occasion de notre journée de mobilisation.

Je crois que vous avez bien résumé la situation :

- les magistrats manifesteront non pas pour des avantages quelconques mais pour garantir leur statut indépendant, c'est à dire garantir au citoyen l'accès à une justice juste et équitable car à l'abri des pressions de toute sorte.

- les magistrats ne sont pas habitués à ces manifestations qui toutefois, faut-il le rappeler, se multiplient, signe d'un profond malaise dans la Justice.

Personnellement, je trouve désormais dérisoire de se montrer uniquement devant notre palais de justice pendant quelques minutes alors que les attaques contre notre statut sont de plus en plus fréquentes. J'attends des actions plus symboliques et de plus grande ampleur, à la hauteur des attaques incessantes dont nous sommes l'objet ...

La justice n'est pas parfaite. Ses erreurs, ses quelques dysfonctionnements parfois ne doivent pas cacher la mission essentielle qui est la sienne au quotidien et qu'elle remplit de manière satisfaisante.

La justice se trompe alors il faudrait sanctionner le juge, entend-on régulièrement.

Il faut bien comprendre que le régime disciplinaire ou de responsabilité du juge ne peut pas être le même qu'un chef d'entreprise, d'un médecin ou d'un fonctionnaire.

Evidemment, si la faute est grossière, je suis le 1er à dire qu'elle mérite sanction. Mais qu'est-ce qu'une erreur grossière par rapport à une décision motivée qui va être infirmée (c'est à dire réformée) par une Cour d'Appel ? ou une décision qui va être "jugée" au regard d'éléments appris postérieurement ? Nous voyons déjà qu'il y a matière à interprétation et que le risque est grand de vouloir sanctionner un juge dont la décision aura uniquement été "cassée" par une juridiction supérieure, en raison d'un autre raisonnement juridique (de droit ou de fait).

Croyez bien que nous nous sentons extrêmement responsables de nos décisions et que certaines nous hantent des jours voire des mois entiers.

Je suis juge des enfants et tous les jours je dois trancher : dois-je laisser l'enfant dans sa famille ou dois je le retirer à ses parents ? Tous les jours, je suis confronté à des situations inédites et douloureuses. Jamais je ne peux reprendre une même décision. Je dois écouter, peser les arguments des uns et des autres et prendre une décision. Je vois des gens de bonne foi ; je vois aussi souvent des gens qui mentent. Comment parfois faire la différence ?

C'est votre boulot, allez vous dire ? C'est exact mais c'est ici que vous allez comprendre que l'erreur est possible. Je suis juriste, pas voyant.

Je me souviens particulièrement de cette petite fille de 8 ans qui m'affirmait avoir été maltraitée par sa mère, en donnant des détails (il y a quelques mois, on aurait dit qu'elle était "crédible"). Son père lui même fournissait des photographies montrant les blessures de sa fille, qu'il avait récupérée un week-end pour son droit de visite. Il demandait son placement.

Je n'ai pas placé l'enfant chez lui parce que beaucoup de détails me semblaient troublants. Quelques jours plus tard, j'apprenais finalement que tout avait été "monté" par le père. Les photos étaient falsifiées. La petite fille si sincère avait menti.

J'ai pris un risque considérable mais calculé. Je n'ai pas pris une décison sur un coup de tête par un instant de folie. Non, j'ai pesé tous les éléments (forcément très partiels en plus) qui m'étaient fournis, j'ai beaucoup réfléchi et j'ai statué.

Si demain, parce que les attaques dont nous sommes l'objet continuent, si notre responsabilité s'accroie (notamment avec la saisine du CSM par les citoyens), il y a un risque évident pour que, dans une telle situation, chacun se "couvre".

La décision évidente (vue de l'extérieur) et la moins risquée pour moi était le placement chez le père ...

Si jamais je m'étais trompé, si jamais un drame s'était produit après ma décision, comment aurais je pu en effet m'expliquer ? J'aurai pu m'expliquer évidemment mais mes explications n'auraient pas été entendables quand on voit comment des commissions d'enquête entendent les magistrats ! On m'aurait dira "comment ça, vous n'avez pas placé cet enfant alors qu'elle vous disait qu'elle était maltraitée par sa mère et que son père vous montrait des photos" ?

Tout ceci pour dire combien rendre une décision est complexe et que la responsabilité du juge doit être très finement réfléchie, sous peine de la rendre dépendante : dépendante du politique, dépendante de l'émotionnel, dépendante des apparences, etc.

Ceci est un exemple personnel mais chaque magistrat peut donner le sien, en fonction de ses fonctions : c'est le cas du juge d'instruction, du juge de la liberté et de la détention, du juge d'instance, du JAF etc.

Je terminerai en évoquant cette affaire de Metz : un mineur se suicide en prison. C'est un drame.

Mais comment peut-on imaginer un seul instant que l'Inspection Générale des Services (qui dépend directement du Politique) aille interroger le Juge qui a rendu la décision ! Pourtant, cela est arrivé. C'est anormal.

Premièrement, une décision rendue par un tribunal pour enfants est rendue par un juge des enfants (le président) mais également par deux assesseurs (non professionnels). Alors, il va falloir commencer sérieusement aussi à s'interesser à eux puisque la loi ne nous laisse pas le choix. Nous devons (comme pour les Cour d'Assises) juger avec des non professionnels. Eux aussi sont responsables.

Deuxièmement, que demande-t-on comme explications au juge ? Pourquoi il a rendu cette décision ? Ce n'est pas possible ! Le juge n'a pas à fournir d'explication sur sa décision, qui est contestable par la voie de l'appel. Et encore moins à des agents dépendant directement du Politique.... Par ailleurs, les audiences ont lieu à huis clos et le secret des délibérés est absolu.

L'indépendance de la justice est en danger et nous le percevons (nous professionnels) depuis quelques mois.

Je ne suis pas sûr que le citoyen s'en aperçoive ; c'est pour cela que nous nous mobilisons [aujourd'hui] ...

Bonjuuuuur

Par Ondiraitlesud, vice-présidente de tribunal de grande instance, présidente de chambre correctionnelle.


Merci, Maître Eolas, de nous avoir ouvert votre blog....ou la boîte de Pandore ?

Je ne vais pas vous dire tout ce j'ai sur le coeur ; nous, magistrats, avons l'habitude de nous censurer, la loi nous l'impose. Toutefois, quelques observations en passant......

Trente ans, mesdames et messieurs, que j'exerce cette profession, les mains dans le cambouis.

Je ne perdrai pas mon temps à dire que je travaille beaucoup ; il y en a sans doute qui croient que je m'amuse, à présider des audiences correctionnelles interminables dans une petite (ou moyenne) ville de province.

A moi, cette ville paraît minuscule, entre les délinquants du cru, toujours les mêmes, les notables locaux, que je cotoie très peu, les journalistes de la grande presse régionale, et très peu de boutiques ouvertes après 19 heures.

Je n'insisterai pas non plus sur le machisme ambiant, les réflexions, le manque de considération.

Par exemple, tenez.... de la part des forces de l'ordre..le moindre substitut est appelé avec déférence : "Monsieur le Procureur". Moi, on me salue d'un vague bonjour, quand je passe dans les couloirs, les bras chargés de dossiers. Bonjuuuur.

Les plus polis, finalement, ce sont les délinquants ; les plus attachants aussi, peut-être ? (enfin, n'exagérons pas).

L'ordre règne ici, les gens n'hésitent pas à laisser leur porte ouverte, et se plaignent ensuite d'avoir été cambriolés ; De même, ceux qui laissent chéquier, carte bleue, papiers d'identité dans leur véhicule. Nous aurions moins de travail si vous étiez plus prudents, chers concitoyens.

Un bon moyen de combattre la délinquance et limiter la récidive, non ?

Bonjuuuur à tous.

mercredi 22 octobre 2008

Mobilisation du 23 octobre : le compteur.

À la suite de mon invitation de vendredi à écrire des textes destinés à être publiés ici le 23 octobre, pour permettre aux magistrats de témoigner de leur exercice au quotidien et de dire directement aux citoyens ce qui ne va pas selon eux, je crée un billet-compteur pour vous informer d'où on en est. Parce que pour le moment, on est loin de la mobilisation.

Le compteur est donc, à l'heure de ce billet, de 6 contributions.

Magistrats, êtes vous timides ? Résignés ? Timorés ? Ou tout va-t-il pour le mieux dans la meilleure des justices ?

Mises à jour à suivre.


Compteur à 40 billets.

J'ai un code rouge qui me tombe dessus, le compteur ne sera pas réactualisé avant ce soir.


52 billets, score final.

Je me reconnais pleinement dans le ras le bol de Lulu…

Par Z_Julien, juge d'instance


Je me reconnais pleinement dans le ras le bol de Lulu et je voudrais ajouter ma touche personnelle ; je suis magistrat moi aussi.

Concrètement je suis seul comme magistrat dans mon tribunal d'instance et pour dire le besoin de justice auquel je dois répondre (parce que c'est cela qui prime) j'indique simplement que j'ai la charge de plus 1300 dossiers de tutelles et que j'examine à l'audience plus de 1200 affaires civiles chaque année c'est à dire que j'ai autant de décisions à rédiger et à rendre (que Gaetan B se rassure, je tape mes décisions moi-même comme la quasi unanimité de mes collègues magitsrats !) ; je n'évoque donc pas l'activité pénale, les injonctions de payer ou les saisies des rémunérations.

Ces données correspondent grosso modo au double de la charge moyenne d'un juge d'instance.

A l'expérience, je me permets d'émettre l'opinion qu'un temps plein de travail permet de traiter normalement et avec diligence cette charge moyenne. C'est normal, un juge est payé par l'Etat pour satisfaire le besoin de justice ... De façon peut-être un peu réductrice, je propose l'image suivante : le juge est un agent de production de décisions de justice qui tendent à la satisfaction de la demande de justice. Les moyens alloués aux cours et tribunaux, qui sont les lieux de production des décisions de justice, doivent tendre à ce que ces décisions soient de bonne qualité, pour que le service attendu soit effectivement rendu, et qu'elle soient rendues dans des délais raisonnables. Pour résumer, on pourrait dire : le besoin de justice crée une demande qui doit être satisfaite par les juges. Cependant le service de la justice remplit une fonction telle qu'il doit échapper au marché et à l'entreprise ; c'est donc un service qui relève traditionnellement et nécessairement de l'Etat car il concourt directement au bien public, à la paix sociale en l'occurrence. En effet, le service de la justice fait prévaloir le droit sur les rapports de force, l'intérêt public sur les intérêts partisans. Ce n'est donc pas un service que l'on peut appréhender comme n'importe quel service marchand pour qui la recherche du meilleur rapport qualité prix est une optique possible.

Telle sont les données que je prends en compte pour faire mon job et ce, au delà de mes compétences juridiques. En ce qui me concerne, ma conscience professionnelle fait que je veux satisfaire l'attente de justice dans les contentieux dont j'ai la charge car si le besoin de justice qu'ils expriment n'est pas satisfait, je sais que les facteurs de désordres et d'injustice vont se multiplier. Par exemple laisser se constituer des stocks de requête en matière de tutelles accroît le risque d'atteintes aux personne vulnérables, laisser se constituer des stocks d'ordonnance pénale accroît le sentiment d'impunité en matière de circulation routière, laisser se constituer des stocks en matière d'impayés locatifs accroît le risque d'explosion des mêmes impayés ...

Donc j'ai conscience qu'il faut satisfaire coûte que coûte la demande de justice ... le problème c'est que les moyens alloués à l'exécution de la mission ne suivent pas et qu'un magistrat lambda doit des fois supporter la charge de travail de deux ... c'est d'actualité pour moi aujourd'hui, mais c'est un risque manifeste pour demain où les magistrats devront avoir une productivité largement supérieure à celle d'aujourd'hui d'une part par ce que certains contentieux explosent, et d'autre part parce que, nous le savons, il n'y aura plus de créations de postes.

Mon impression est la suivante : je fais face en travaillant avec acharnement et les semaines de 50 heures sont un minimum ; je fais face aussi en adoptant des méthodes de travail génératrices de gains de productivité (trames) ; je fais face aussi avec le pis aller de l'aide à la décision qui n'est ni plus ni moins qu'une délégation de la fonction judiciaire à des fonctionnaires (cela dit, elle est nécessairement limitée !)

C'est grâce à cela que je parviens à satisfaire la demande de justice et concrètement à faire quasiment le job de deux magistrats à temps plein.

Et aucun indicateur du fonctionnement de la juridiction n'est en rouge : aucun stock ne se constitue, aucun délibéré n'est tardif. La hiérarchie dirait "tout est ok !"

Mais moi, je me pose deux questions : est-ce que l'on peut attendre de tous les magistrats cela ? est-ce qu'il n'y a pas un coût à ces pratiques productivistes ?

Et j'y réponds.

Non on ne peut pas attendre cela de tous les magistrats car, honnêtement, je frise l'addiction au travail et je ne le souhaite à personne ; la vie de famille existe aussi, le développement personnel aussi et on n'est pas obligé de tout sacrifier pour être un magistrat pertinent dans son boulot !

Et puis il reste la question du coût de cette productivité ?

Ne révons pas ! quand on délègue, la réponse n'est plus individualisée autant que cela serait possible ; nous connaissons, nous, les possibilités offertes par la loi, pas nos auxiliaires qui interviennent en aide à la décision. Ils exécutent nos instructions uniformes qui correspondent à des conduites à tenir dans tels et tels cas !

Ne rêvons pas ! quand on utilise des trames à outrance pour réduire à 30 minutes, le temps moyen d'élaboration d'une décision (c'est déjà pas mal et c'est nécessaire quand on a 1200 jugements à rendre), le processus décisionnel consiste à choisir la solution entre les options proposées dans les trames ... et toute variation augmentant la durée de traitement, on évite de "sortir de la trame" bien sûr. De ce fait on individualise moins en se privant de faire usage de toutes les possibilités offertes par la loi. Mais ce n'est pas tout ! on "sélectionne" aussi les affaires pour lesquelles on va passer deux heures ou plus à rédiger un jugement sur-mesure et de fait le taux ne doit pas excéder 10 %.

Ce que je veux dire, c'est que pour être performant dans un système judiciaire productiviste, j'ai dû délaisser nombre de mes pouvoirs de juges et quand une pile de dossiers a été traitée, je ne me dis pas "c'est un chouette boulot" , je me dis "j'ai fait ce que j'ai pu" avec amertume d'ailleurs car je sens bien que si j'avais pu utiliser tous mes pouvoirs de juge, j'aurai mieux individualiser les réponses, c'est-à-dire qu'elles ne seraient pas systématiques mais choisies pour chaque chef de demandes.

Et le fait que le taux d'appel de mes décisions soit vraiment bas (moins de 3 %) ne me rassure pas pour autant ; il traduit plutôt l'idée que mes trames sont assez bonnes et que les motifs stéréotypés qui y figurent suffisent à convaincre le plus grand nombre.

Mon sentiment est que cette logique productiviste peut nous faire perdre notre âme en nous plaçant dans l'optique de la recherche du meilleur rapport qualité-coût ... Or juger ce n'est pas cela !

Il me semble que j'ai fait les bons choix, en tout cas, les meilleurs que je pouvais car il n'est pas question de laisser se constituer des stocks et de ne pas répondre au besoin de justice, mais j'ai de l'amertume : juger c'est autre chose que gérer des flux ! Moi, j'ai l'impression que je traite mes contentieux à l'aune des flux dont ma juridiction a la charge !

54 euros

Par Dadouche



54 euros, c'est au moins 2 lots de 12 blocs de post-it

54 euros, c'est 25 paires de collants

54 euros, c'est une nuit d'hôtel pas trop cher à Paris

54 euros, c'est un millième du salaire mensuel d'un animateur télé

54 euros, c'est un buste de Ron Weasley en robe de soirée

54 euros, c'est presque une paire de jolies chaussures pour enfant

54 euros, c'est la somme que la Croatie a dépensé par habitant en 2006 pour sa justice[1].

54 euros, c'est 1 euro de plus que ce que la France a dépensé par habitant en 2006 pour sa justice[2].

Notes

[1] voir le tableau page 8

[2] voir le même tableau

lundi 20 octobre 2008

23 octobre

Par Lulu, juge d'instruction et nouveau colocataire à plein temps de ce blog.


Parce que je ne suis pas devenue juge pour ça.

Parce que je suis devenue magistrate pour juger, au nom du peuple français, y compris si cela signifie condamner et envoyer quelqu'un en prison, pas pour entasser six détenus dans une cellule de 14 mètres carrés, où ils devront faire leurs besoins devant les autres.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour répondre aux attentes schizophréniques des citoyens, qui veulent plus de sécurité donc plus de détention provisoire, mais pas d'innocents en prison donc moins de détention provisoire.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour dire aux mis en examen détenus dans des dossiers criminels qu'avec un peu de chance et pas d'imprévus, ils seront jugés par la Cour d'Assises dans deux ans. Ou trois.

Parce que je suis devenue juge pour accueillir les justiciables dans des conditions correctes, pas dans des salles d'audience où il pleut les jours de mauvais temps.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour dire aux experts qui travaillent soirs et week-end pour déposer leurs rapports à temps qu'ils ne seront pas payés avant l'année prochaine, le budget frais de justice étant épuisé.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour jouer les medium; parce que je ne suis pas capable de deviner si ce justiciable va se suicider ou si ce condamné au comportement apparemment modèle va récidiver.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour m'entendre dire le lundi que j'incarcère trop, le mardi pas assez, le mercredi trop... et ainsi de suite en fonction du fait divers du jour et des tendances de l'horoscope.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour faire le dos rond, en espérant que la prochaine fois encore, la tempête médiatique s'abattra sur le collègue du bureau d'à côté.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour que les décisions des juridictions pour mineurs ne soient pas exécutées, faute d'éducateurs pour prendre en charge les enfants.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour refuser de facto aux avocats les copies de dossiers auxquelles ils ont droit, parce qu'il n'y a pas de personnels en nombre suffisant pour faire ces copies.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour mener les audiences correctionnelles à marche forcée afin que le dernier dossier soit examiné avant 22 heures.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour indiquer aux gens, victimes ou prévenus, que faute de fonctionnaires de greffe, les jugements les concernant ne seront pas frappés et signés avant 3 mois (si tout va bien).

Parce que je suis devenue juge pour rendre les décisions que je crois justes, pas pour rendre les décisions les plus susceptibles de me protéger si les choses devaient mal tourner.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour que les peines que je prononce ne soient pas exécutées.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour m'entendre dire par un justiciable qu'il n'a pas d'avocat, car il ne peut en payer un et parce qu'il est "trop riche" pour prétendre à l'aide juridictionnelle même partielle.

Parce que je m'angoisse en me demandant si le texte que j'applique est bien le bon, ayant du mal à suivre la valse des textes législatifs et réglementaires.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour dire aux gens qui veulent divorcer qu'ils peuvent prendre date pour dans 6 mois (si tout va bien).

Parce que je suis devenue juge en acceptant d'assumer mes responsabilités, pas pour être moins bien traitée que n'importe quel citoyen si la société veut me demander compte de la façon dont j'ai travaillé.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour m'entendre dire par les services enquêteurs qu'ils ne pourront pousser plus loin cette enquête sur ce gros trafic de stupéfiants, car il n'y pas plus d'argent pour payer les déplacements des enquêteurs.

Parce que je suis devenue juge pour aménager les peines, dans l'intérêt de la société et du condamné, pas pour remettre dehors des gens mal préparés à la liberté au prétexte qu'il faut désengorger les prisons surpeuplées.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour être aimée, mais que je souhaite au moins être respectée, y compris par ceux qui sont chargés de veiller au devenir de l'institution judiciaire.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour servir de bouc émissaire à nos politiques, qui préfèrent se défausser sur nous des conséquences dramatiques du budget de misère qu'ils nous votent chaque année.

Parce que j'aime passionnément ce métier.

Et parce que j'en ai assez.

vendredi 17 octobre 2008

Mobilisation du 23 octobre : magistrats, ce blog est à vous

Les magistrats appellent à une journée d'action le 23 octobre prochain pour exprimer leur ras-le-bol de la situation actuelle de la justice. Notez bien qu'il n'y a dans cet appel à manifester aucune revendication salariale, de durée du travail ou exigeant tel avantage pour eux. Ce n'est pas si fréquent dans les mouvements sociaux.

Pour les magistrats, manifester est contre leur culture, et pratiquement, une forme de quadrature du cercle. Ils n'ont pas le droit de faire grève, sont tenus à une obligation de réserve, et ont une nature indépendante qui fait que toute action concertée qui va au-delà d'un délibéré à trois leur paraît saugrenue. En outre réunir une foule de magistrats est quasi impossible : d'abord, ils sont 8000 en tout et pour tout. Une manif de 8000 personnes, c'est anecdotique. Et en aucun cas tout le corps ne viendra. Il y a des magistrats d'astreinte 24h sur 24 dans tous les palais de France, et un bon nombre qui veut profiter de leur vie de famille ou récupérer physiquement sous peine de mettre leur santé en péril. Au mieux, ils posent en robe en prenant leur mine la plus renfrognée sur les marches du palais, la presse prend une photo et hop ça fait une brève au JT. Efficacité nulle pour un jour de travail en retard à rattraper.

Néanmoins, je comprends leur colère, et estime important que vous, citoyens qui êtes les premiers concernés par ce qu'on fait de votre justice, puissiez la comprendre.

Alors, comme je soutiens ce mouvement, je leur offre mon blog.

Envoyez-moi, soit par mail à eolas[chez]maitre-eolas.fr (remplacez le [chez] par un @), soit sur cette page, votre témoignage, ce que vous avez envie que vos concitoyens sachent de vos conditions de travail, de leur évolution récente, des effets délétères de telle ou telle politique, bref, ce que vous avez sur le cœur. Je publierai ces textes sous forme de billets le 23 octobre, les commentaires seront ouverts (attention, tous mes lecteurs ne seront pas tendres avec vous).

Je n'ai que faire de votre identité, vous pouvez m'écrire de manière anonyme, ou mieux, vous choisir un pseudonyme. Le formulaire de contact demande une adresse mail mais ne la vérifie pas : vous pouvez mettre an@nyme.com, ça passera, mais je ne pourrai pas vous répondre. En tout état de cause, je ne publierai le nom de l'auteur d'un texte qu'avec son accord exprès, et je vous garantis de protéger votre anonymat bec et ongles. Je vous demande juste de préciser vos fonctions (parquetier, juge d'instruction, juge des enfants…) et si vous exercez dans un petit, moyen ou gros tribunal (je vous laisse juge de la grosseur de votre palais), que cela éclaire le lecteur.

Je pense pouvoir aisément deviner si l'auteur d'un tel texte est ou non magistrat. En cas de doute, je compte sur mes colocataires de la maison pour m'aider à démasquer d'éventuels usurpateurs. Dans le doute, sans adresse e-mail valide, je ne publierai pas. Je relirai et ferai de la mise en page. Je ne changerai rien à votre texte si ce n'est corriger des erreurs typographiques.

Vos témoignages seront lus par environ 15.000 personnes. Ma récente exposition médiatique dans Le Monde fait que vous pouvez être sûrs d'être lus par la Chancellerie. Sachez-le avant d'écrire.

Afin de simplifier mon travail, merci de mettre "23 octobre" dans le sujet du message.

Cette invitation est aussi valable pour les juges administratifs qui le souhaiteraient, ainsi qu'aux greffiers[1], Assistants de justice[2], auditeurs de justice[3], éducateurs de la PJJ[4], adjoints administratifs[5], bref, tout le personnel qui fait que la justice tourne au quotidien (avocats exceptés, cédons la parole, pour une fois).

J'espère ne pas être enseveli sous les textes (ou pire, n'avoir aucune proposition, ce serait humiliant).

Vous avez la parole pour vous défendre. Ce n'est pas courant, profitez-en.

Notes

[1] Garants de la procédure, chargés d'authentifier les décisions en y apposant le sceau ; ils sont indépendants des magistrats.

[2] Juristes, généralement préparant eux-même le concours de la magistrature, qui assistent les magistrats dans les recherches de textes et de jurisprudence et la rédaction des jugements.

[3] Élèves magistrats en formation à l'École nationale de la magistrature.

[4] La protection judiciaire de la jeunesse. On attend avec impatience le billet que Dadouche doit leur consacrer. Ce sont les indispensables auxiliaires des juges des enfants. Ils sauvent des milliers de destins de jeunes mineurs chaque année ; et des vies aussi ,sans doute.

[5] Les secrétaires de la justice, pour faire simple.

Maître Eolas, dans la page 3, avec le chandelier

Votre serviteur a les honneurs de la page 3 du Monde de ce jour, daté de demain. L'article s'appelle Justice : le blog qui libère la parole (bon, au moins, je libère quelque chose), et est signé de Pascale Robert-Diard. Elle joue aussi les papparazzi et ajoute une apostille sur ma double vie.

Appelez-moi Bruce Wayne, désormais.

NB : l'article du journal papier est illustré d'une photo de Benjamin Boccas qui me représente. Ce n'est pas le cas de l'article en ligne, qui est une photo D.R. Je n'aurais jamais l'idée de me promener dans les parcs dans cette tenue inappropriée : en effet, mon épitoge n'a pas de rang d'hermine.

jeudi 16 octobre 2008

Vu à la télé

Par Dadouche



20 h 55 : je m'installe devant ma télé.
Le programme est alléchant : Rachida Dati dans "A vous de juger". Arlette Chabot nous annonce "la ministre dont on parle le plus", celle dont "les dossiers soulèvent des polémiques".
Une remarque tout de même en passant à l'intention de France 2 : au tribunal, quand une femme "dans un état intéressant" se présente à la barre, on lui propose au moins une chaise. Enfin moi, ce que j'en dis....

S'ensuit une vingtaine de minutes sur "la femme et son oeuvre", avec des questions insistantes (et parfaitement déplacées) sur son état.

Enfin, on aborde les choses sérieuses. Et là, c'est l'illumination.
Je crois que j'ai enfin compris le malentendu.

Nous, magistrats, bêtement, quand on entend "Garde des Sceaux", on pense rédaction de projets de loi et de décrets, politique pénale, réflexion sur les équilibres de la procédure, budget, fonctionnement des juridictions, dialogue avec le personnel judiciaire et les auxiliaires de justice. On pense utile quoi.
Le ministre place Vendôme, au conseil des Ministres et au Parlement à faire son job et nous dans nos tribunaux à essayer de faire le nôtre, et les sauvageons seront bien gardés.

Mais quand la Garde des Sceaux décrit sa fonction, elle donne la fiche de poste d'une VRP de la compassion, de la championne des victimes, de la terreur des malfaisants, de la reine du terrain : protéger les Français, sanctionner les multirécidivistes, rapprocher les Français de leur justice. C'est Rachida d'Arc, qui a entendu les voix de Nicolas Sarkozy.

"Ma place est sur le terrain".
La ministre cite quelques déplacement essentiels à sa fonction : la rencontre au centre hospitalier de Bordeaux avec une enfant violée qui a perdu sa mère et que la Justice est là pour protéger, la visite à la maison des adolescents, une visite (quand même) à la cour d'appel de Douai. En tout 120 déplacements depuis 18 mois.
Ce qu'elle aimerait qu'on dise d'elle ? "Elle a renforcé la justice, elle nous a protégés, elle a sanctionné les délinquants".

En fait, la Garde des Sceaux n'est pas ministre de la Justice. Elle EST la Justice. ELLE protège, ELLE sanctionne, ELLE assume.
Bon, entendons nous bien, quand elle protège, c'est du lourd. On ne parle pas de violence routière, de vols à l'arraché ou de petit trafic de shit. Non, son créneau, ce sont les pédophiles dangereux, les meurtriers en série, les vrais monstres.
D'ailleurs, elle voit des criminels partout, puisqu'elle nous ressert son antienne sur "les seuls mineurs incarcérés sont ceux qui ont commis des actes criminels". Il faut croire que le ressort où j'exerce est peuplé de mineurs qui ont violé, tué ou braqué, puisqu'il y en a en permanence à la maison d'arrêt. Curieux, moi j'ai plutôt prononcé des condamnations pour des vols aggravés, des violences, des extorsions, des mises en danger de la vie d'autrui ou des incendies.

Passons, relever toutes les erreurs ou approximations prendrait trop de temps.

Quelques perles tout de même : les mineurs en CEF sont alcooliques depuis l'âge de 11 ans (celle là est en récidive), la moitié des magistrats se sont mis en grève en 2000, "les mineurs ne vont en prison que pour des affaires criminelles, c'est le code qui le dit".

Il y a eu des fulgurances.... à la conclusion décevante : si la délinquance des mineurs continue à augmenter malgré la fermeté mise en oeuvre depuis 18 mois, contrairement à la délinquance des majeurs qui est en net recul grâce aux peines planchers, c'est parce que le texte n'est pas adapté, trop vieillot, fait pour les enfants de la guerre et non pour ceux de 2008. Ca ne peut évidement pas être (comme Elisabeth Guigou a osé le prétendre avec indécence en parlant de son fils adolescent alors qu'on lui parlait des criminels qui peuplent les prisons et les centres éducatifs) parce que pour les mineurs ce qui marche le mieux c'est l'éducatif (qui n'exclut pas l'autorité et la fermeté), et que ça marche encore mieux quand il y a des éducateurs pour faire de l'éducatif.

Soyons justes, une annonce intéressante tout de même : un code de la justice des mineurs. Ca ne sera pas du luxe d'avoir tout dans le même texte. Après, faut voir le contenu...

Et puis, elle a parlé de nous, les magistrats.
Bien forcée, puisque les deux principaux syndicats annoncent des actions la semaine prochaine à cause notamment des multiples atteintes à l'autorité judiciaire.
Alors là, les conseillers en com' ont bien travaillé.
Le congrès de l'USM (première organisation syndicale des magistrats, qui revendique 2000 adhérents et près de 65% des voix aux élection professionnelles), auquel tous les Gardes des Sceaux se sont rendus depuis des décennies, devient "une réunion de 90 magistrats à Clermont-Ferrand". Et elle, elle a préféré aller sur le terrain qu'assister à une réunion dans une cabine téléphonique. On voudrait juste savoir sur quel terrain elle était le 10 octobre dans l'après midi.
On évoque une certaine brutalité ? Elle répond exigence.
La carte judiciaire ? Ce sont les magistrats eux mêmes qui l'ont proposée. Traduction : des commissions alibi ont été réunies en urgence pendant l'été pour faire semblant de consulter alors que le projet était prêt depuis longtemps.
Le Procureur de Boulogne sur Mer a obtenu une mutation qu'il sollicitait depuis plusieurs années après un avis de non lieu à sanction rendu par le CSM ? En langue ministérielle ça se dit : "J'ai pris mes responsabilités, j'ai demandé au magistrat de quitter ses fonctions".
Sans parler du message subliminal qui suit : pour le Juge Burgaud, s'il n'y a rien, ça ne sera pas ma faute mais celle du CSM.

A la fin, j'ai fatigué. A 22 heures, j'ai éteint.
Pas envie de me taper Tapie en prime.

Le Bilan

Sur 1h10 d'émission, plus de 20 minutes sur "sa vie-son oeuvre-ses origines".
Des mots clés : victimes, mutirécidivistes, terrain, criminels.
Des mots absents (notamment dans la bouche d'Arlette Chabot) : budget, rapport de la CEPEJ, respect de l'autorité judiciaire.
Une empoignade avec Elisabeth Guigou sur le thème "mes chiffres sont meilleurs que les tiens et toi aussi t'en as bavé".
Un nom : Nicolas Sarkozy.

Moi j'aime bien la télé de service public.

Allons sifflets de la patri-i-euh

Voici qu'est né un de nos grands débats nationaux qui font partie du génie français : comment partir d'un fait divers qui ressortit de l'anecdote, en faire un événement national, et voir la France se déchirer en deux camps, d'un côté les matamores qui font le concours de celui de qui a la plus grosse[1], et de l'autre les larmoyants qui disent que si les imbéciles se comportent comme des imbéciles, c'est parce que c'est dur d'être un imbécile en France, démontrant ce faisant le contraire.

Mardi soir, lors du match amical France-Tunisie au Stade de France, la Marseillaise a été sifflée. Drame. Drame bis, drame ter, même, puisque déjà le 6 octobre 2001, la même chose était intervenue au même endroit lors d'un match France-Algérie, avec en prime un envahissement du terrain avant la fin qui avait conduit à annuler la rencontre, et le 16 novembre 2007 lors d'un match France-Maroc.

Face à cette expression brute de la stupidité qui trouve hélas à s'épanouir lors des matchs de foot, le gouvernement a immédiatement réagi. Il est hors de question que des supporters de foot aient le dernier mot : le Gouvernement les battra sur leur propre terrain. Et par le même score que le match, 3 à 1.

C'est Roselyne Bachelot qui marque le point de l'égalisation en annonçant que désormais, tout match avant lequel la Marseillaise serait sifflée serait « immédiatement arrêté ». Je suppose qu'il faut comprendre qu'il ne démarrerait même pas, donc ne serait pas arrêté mais annulé.

Le juriste se pose alors deux questions. D'une part, à partir de combien de sifflets le match serait-il annulé ? Un seul sifflet sur 80.000 spectateur serait-il suffisant ? Ou faudrait-il un certain seuil ? Dans ce cas, qui compterait les siffleurs ? Compter pendant la Marseillaise n'est-il pas en soi un outrage à l'hymne, qui doit s'écouter l'œil larmoyant, ce qui empêche de compter efficacement ? D'autre part, quel serait le fondement juridique ? Certes, la question peut être court-circuitée : votons une loi, et baste. Mais en attendant, posons-nous la question : sur quoi reposerait ce principe de sanction collective, qui frapperait non seulement les spectateurs présents qui eux larmoyaient bien de façon réglementaire en entonnant le « Aux armes etc. », mais aussi les quelques millions de téléspectateurs qui n'y peuvent mais (ou au contraire peuvent siffler à l'envi sans que personne n'y trouve à redire), et qui seront du coup condamnés à une re-re-re-rediffusion des Experts ? C'est donner à des imbéciles un pouvoir de nuisance exceptionnel. Or les imbéciles raffolent de ça. Ça ne risque donc pas de les décourager.

Mais à peine de le temps de s'attarder que Michèle Alliot-Marie s'enfonce dans la défense après un petit pont suivi d'un grand pont et marque le deuxième point : elle demande au préfet (petit pont) de saisir la justice (grand pont) en vue de poursuivre les auteurs de ces délits. Le procureur de Bobigny a donc ouvert une enquête préliminaire à cette fin. Nous passerons rapidement sur le hors-jeu, non sifflé : le préfet n'est pas compétent pour donner des instructions au procureur aux fins de poursuite. C'est le ministre de la justice, que Michèle voit tous les mercredi matin. Vivement l'arbitrage vidéo. En attendant, ce sera de la justice vidéo, puisque la police va travailler sur les images de la télévision et des caméras de sécurité. L'enquête est confiée à la BRDP de Paris. La Brigade de Répression de la Délinquance contre… la Personne. Oui, visiblement, au ministère de l'intérieur, on croit que la Marseillaise, c'est une personne. Le point est donc logiquement validé.

On approche de la fin du temps réglementaire quand Bernard Laporte déborde la défense par la droite, et va aplatir dans l'en-but par une splendide recommandation « de ne plus jouer de matches avec les ex-colonies ou protectorats français du Maghreb au Stade de France, mais “ chez eux, ou alors en province” ».

Par exemple à Marseille ?

Vu la beauté du geste, l'essai est validé même si c'est du foot, et la France rentre au vestiaire, son honneur lavé, blanchi ajoute Bernard Laporte, sur le score de 3 à 1. Désolé pour les supporters siffleurs, mais ils n'avaient aucune chance face à un tel niveau de compétition.

Là où me naît une pointe de jalousie, c'est à l'égard de mes confrères qui auront à défendre les quelques supporters siffleurs identifiés et poursuivis. Ils vont s'amuser comme des fous.

D'abord sur la preuve. Leur client sifflait-il l'hymne, ou sifflait-il les siffleurs ? Comment distingue-t-on l'outrageur de celui qui manifeste bruyamment son mécontentement à l'égard de ceux qui commettent l'outrage ? Voyez la photo d'illustration de cet article du Monde. On y voit un jeune homme, les doigts dans la bouche, probablement en train de siffler. Supposons que la photo a été prise durant l'hymne national français. La photo est sous titrée « Des supporteurs de l'équipe tunisienne, le 14 octobre au Stade de France. » En effet, le jeune homme tient le coin d'un grand tissu rouge qui selon toute vraisemblance est le drapeau de Tunisie. À sa droite, un autre supporteur, hilare, brandit une écharpe frappée du mot “Tunisie”. Un supporteur tunisien, assurément. Un suspect, lui aussi : de par son sourire, on se doute que s'il n'a pas sifflé le cantique national, c'est uniquement parce qu'il a les mains prises.

Vraiment ? Et dites-moi, j'ai la vue basse : qu'est-ce qu'il a autour du cou ?

Ensuite sur la matérialité de l'outrage. Siffler est-il un outrage ? L'article 433-5-1 du Code pénal ne définit pas ce que c'est que l'outrage à l'hymne national. La définition se trouve à l'article 433-5, juste avant.

Constituent un outrage (…) les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi (postal) d'objets quelconques…

Déjà se pose le problème du caractère non public de l'outrage. Cela a totalement échappé au législateur, qui a voulu éviter l'application du régime des infractions de presse (plainte préalable, prescription de trois mois…) en se greffant sur l'outrage de droit commun et non l'injure ou l'offense qui sont des infractions de presse. Aucune juridiction n'ayant été saisie de la question, c'est un premier point de droit intéressant à soulever : la loi pénale est d'interprétation stricte.

En outre, un sifflet n'est pas une parole, ni un geste, ni une menace, ni un écrit, ni une image. L'élément matériel du délit semble sacrément faire défaut.

Et en admettant que les juges fassent une interprétation large de cette définition et décident que oui, un sifflet est un outrage, et que l'outrage de l'article 433-5-1 n'a RIEN à voir avec celui de l'article 433-5, c'est juste une coïncidence de numérotation, il reste un troisième argument : la conformité de cette loi avec l'article 10 de la CSDH. Vous vous souvenez ? La France collectionne les condamnations pour atteinte à la liberté d'expression non nécessaires dans une société démocratique. Il faudra qu'on m'explique en quoi réprimer depuis 2003 l'outrage fait au drapeau ou à l'hymne national est nécessaire dans une société démocratique. Le fait que le Conseil constitutionnel ait jugé conforme à la Constitution ce délit (§99 et suivants) ne préjuge pas de ce que penseront les juges de Strasbourg.

Bref, il n'est pas impossible que dans la compétition de ridicule qui s'est engagée, la France joue les prolongations.

Notes

[1] Proposition, naturellement.

dimanche 12 octobre 2008

Le dégoût

Par Dadouche



Attention ! Que ceux qui considèrent les magistrats comme d'indécrottables corporatistes impunis à qui on devrait infliger au centuple les avanies qu'ils font quotidiennement subir aux honnêtes citoyens par leur incompétence s'éloignent immédiatement de leurs écrans et cliquent sur un autre site, sous peine de d'étrangler de rage en hurlant « et ça continue, ils n'ont rien compris, vivement des comités de salut public et des centres de rééducation pour les robes noires à épitoge simarres ».
Qu'ils aillent plutôt se défouler sur le site du Figaro, dont les colonnes consacrées à l'actualité judiciaire semblent ne plus servir qu'à discréditer chaque jour un peu plus l'institution judiciaire et ceux qui la servent (voir par exemple ici et .)

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samedi 11 octobre 2008

L'affaire du médecin urgentiste du SAMU de Valence

À peine avais-je annoncé que mon agenda m'imposerait le silence pendant quelques jours que j'entendais à la radio une information qui paraissait faite sur mesure pour un billet.

À Valence, dans la Drôme, un médecin urgentiste a été placé en garde à vue, puis présenté à un juge d'instruction, avant d'être finalement remis en liberté, et même pas mis en examen. Intervenant depuis peu avec le SAMU 26, il a été appelé dans un salon de coiffure où une dame de 80 ans avait fait un malaise cardiaque. Les gestes exacts qu'il a pratiqués sont au cœur du débat ; toujours est-il qu'il a fini par la considérer décédée malgré ses efforts pour la ranimer, décès qui sera confirmé une fois cette dame transportée à l'hôpital.

Or il a été rapporté, par qui, je l'ignore, au directeur de l'hôpital où le décès de la patiente a été constaté que ce médecin avait eu des gestes « bizarres », sans qu'il soit précisé ce que bizarre veut dire. Pour ma part, j'ai tendance à considérer tous les gestes des médecins comme bizarres : ont-il vraiment besoin de pincer mon poignet pour regarder l'heure à leur montre ? A-t-il besoin d'entendre le chiffre trente trois avant de pouvoir m'ausculter ? Assurément, ce sont là des gens bizarres. Et puis s'habiller tout en blanc, quand le noir est si seyant. Enfin, passons.

Toujours est-il que quelques jours après cette intervention, le médecin va être interpellé, placé en garde à vue 24 heures, mesure qui sera renouvelée pour une durée totale de 48 heures, puis présenté à un juge d'instruction qui finalement le remettra en liberté, après l'avoir placé sous le statut de témoin assisté, les dépêches précisant à la demande de son avocat, ce qui n'est pas tout à fait vrai, comme nous allons le voir.

Emballement de la justice ? Je ne saurais dire, ignorant le dossier, mais emballement médiatique, un petit peu, puisque plusieurs articles ont parlé d'instruction ouverte pour homicide volontaire, alors qu'il s'agit très probablement d'une instruction ouverte pour homicide involontaire, comme le dit l'article du Figaro.

D'abord parce que le droit pénal ne connaît pas l'homicide volontaire. Il regroupe dans la catégorie des atteintes volontaires à la vie le meurtre, qui est le fait de donner volontairement la mort à autrui, l'assassinat, qui est le meurtre commis avec préméditation, et l'empoisonnement, qui le fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort. Il parle par contre d'homicide involontaire dans les atteintes involontaires à la vie. Il est donc douteux que les sources judiciaires des journalistes aient parlé d'homicide volontaire, c'est plutôt je le pense l'oreille des journalistes qui n'a pas enregistré le préfixe in-.

Ensuite parce que le meurtre supposerait que le médecin ait voulu, par ses gestes, donner la mort. S'agissant d'une femme de 80 ans en pleine crise cardiaque, cela suppose un perfectionnisme extraordinaire, puisqu'il n'avait qu'à laisser faire la nature pour obtenir le même résultat en quelques minutes sans encourir de responsabilité pénale criminelle. Je sais que le fait que l'hypothèse soit absurde ne suffit pas, aux yeux de l'opinion publique, à faire douter de sa véracité si la justice est mêlée à l'affaire, mais il y a un certain respect qui est tout de même dû à l'intelligence.

Répondons donc à deux questions : que s'est-il passé, du point de vue judiciaire, et au-delà de cette affaire, dans quelle mesure un médecin qui pratique son art peut-il voir sa responsabilité pénale mise en cause ?

Que s'est-il passé ?

Réserve importante : je me fonde sur les faits donnés par les articles de presse, et agis par déduction en retenant l'hypothèse la plus probable. Je peux me tromper.

Le procureur de la République a été informé de l'existence de ces gestes « bizarres » le vendredi suivant, soit six jours plus tard. Comment, je ne puis le dire. Soit il s'agit d'un signalement par la direction de l'hôpital, suite au témoignage de l'équipage du SAMU par exemple, ou des constatations faites par le service des urgences (présence d'hématomes ne correspondant pas aux gestes techniques habituels), soit, et ça ne m'étonnerait pas, il s'agit d'une plainte déposée par la famille de la décédée, à la suite des témoignages qu'elle a pu recueillir. J'y reviendrai.

Le procureur va charger la sûreté départementale de l'enquête (c'est la Police nationale), qui ne va pas faire dans la finesse. L'Officier de police judiciaire (OPJ) en charge de l'enquête va estimer qu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que ce médecin a commis ou tenté de commettre une infraction, en l'espèce un homicide involontaire, des violences volontaires ou une non assistance à personne en danger. C'est à l'existence de ces raisons plausibles que tient votre liberté, chers concitoyens, puisqu'elles ouvrent le droit à l'OPJ de vous interpeller à votre domicile dès 6 heures du matin et ce jusqu'à 21 heures (24 h sur 24 sur la voie publique) et vous retenir 24 heures dans ses locaux (art. 63 du CPP), et c'est ce qui va se passer pour notre médecin.

Le procureur de la République a été informé de ce placement en garde à vue. Il n'a pas donné d'instruction pour qu'il y soit mis fin le plus tôt possible, et il va même autoriser son renouvellement pour 24 heures de mieux. Parce que l'enquête a révélé des éléments à charge ? Pas forcément. Il devait y en avoir, par exemple, les explications du médecin ont paru embrouillées (du genre il utilisait plein de mots grecs et latins pour égarer les policiers), mais si vous voulez mon avis, ce qui a dû être déterminant pour ce renouvellement, c'est qu'on était samedi, donc que le lendemain, c'était dimanche, ergo pas de juge d'instruction de présent. À quoi ça tient, parfois, une journée au commissariat.

Le lundi, le médecin est conduit au palais de justice pour être présenté à un juge d'instruction.

Je vois des sourcils qui se froncent en regardant un calendrier. S'il a été interpellé le samedi matin, et que la garde à vue ne peut excéder 48 heures, il a fallu faire vite le lundi matin, devez-vous vous dire. Que nenni. S'agissant de votre liberté, chers compatriotes, le législateur est d'une générosité sans bornes. Si à l'issue de la garde à vue, le parquet décide d'engager des poursuites, la loi lui donne vingt heures de mieux pour retenir l'intéressé le temps pour lui qu'il comparaisse devant une juridiction : article 803-3 du CPP. Cette juridiction, ce sera un juge d'instruction, saisi par le parquet d'une demande d'instruction (qu'on appelle réquisitoire introductif) pour homicide involontaire.

Ce réquisitoire ouvre le droit pour le gardé à vue, devenu déféré, à l'assistance d'un avocat ayant accès au dossier et pouvant s'entretenir avec son client de façon confidentielle, façon confidentielle s'entendant jusqu'à il y a peu à Paris par : assis sur un banc avec un gendarme d'escorte à côté de lui qui semble plus intéressé par ce que dit l'avocat que le déféré lui-même. Ça y est, maintenant, on a des petits bureaux clos.

Le juge d'instruction reçoit ensuite le déféré en présence de son avocat et l'informe qu'il envisage de le mettre en examen pour homicide involontaire. Il lui demande ensuite s'il accepte de répondre aux questions du juge, préfère faire de simples déclarations que le juge consignera sans pouvoir l'interroger, ou s'il préfère garder le silence pour le moment. Ce choix exprimé, et le cas échéant les questions posées ou les déclarations recueillies, le juge d'instruction invite l'avocat à présenter des observations sur l'éventuelle mise en examen. Puis, s'il estime qu'il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que le déféré ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont est saisi le juge d'instruction, le juge le met en examen. Dans le cas contraire, le juge d'instruction le place sous le statut de témoin assisté (art. 116 du CPP). Le statut de témoin assisté est une sous-mise en examen, moins infamante, donnant accès au dossier par l'intermédiaire d'un avocat et ouvrant certains droit du mis en examen, mais moins que n'en a le mis en examen. L'intérêt est que le témoin assisté ne peut faire l'objet d'aucune mesure coercitive : pas de détention provisoire ni de contrôle judiciaire.

Dans notre affaire, le procureur avait demandé la mise en examen du médecin avec placement sous contrôle judiciaire incluant l'interdiction d'exercer la médecine (je ne sais pas si c'était une interdiction générale ou limitée au cadre du SAMU). Le juge d'instruction n'a pas mis notre médecin en examen, le voici donc témoin assisté et libre d'exercer. On peut supposer que les explications fournies au juge ont fait qu'il ne subsistait pas assez d'indices graves et concordants rendant vraisemblable l'homicide involontaire. Le juge d'instruction va continuer son enquête, à charge et à décharge. Qui consistera essentiellement en une expertise, éventuellement une autopsie si le corps est encore disponible pour cela.

Colère des médecins, le docteur Patrick Pelloux, président de l'Association des Médecins Urgentistes de France en tête : « À ce rythme là, ce soir l’ensemble des urgentistes de France vont se retrouver en garde à vue ce soir », a-t-il déclaré, faisant suivre son pronostic d'un diagnostic : « C’est une véritable cabale contre ce professionnel qui a fait une manœuvre que tout urgentiste fait », sans préciser laquelle, vous le noterez, ce qui est à mon avis une clef d'explication de la situation que dénonce ce médecin, comme nous allons voir. Il termine en déplorant « les accusations mensongères » de la direction de l'hôpital de Valence à l'égard de ce médecin urgentiste expérimenté, traduisant le « malaise relationnel dans les hôpitaux », qui, cela va sans dire, ne saurait être imputable aux médecins.

Alors, quel est au regard de la loi pénale le statut des médecins ?

La responsabilité pénale des médecins

Au risque d'étonner les très honorables membres de cette belle profession qui me lisent, la responsabilité pénale des médecins est la même que tout citoyen, président de la République excepté. Le code pénal ne contient aucune disposition dérogatoire à leur bénéfice.

J'ajouterai même que certains médecins ne font que commettre des infractions pénales du matin au soir, et du soir au matin s'ils sont de garde.

Vous ne me croyez pas ? Mais que diable : inciser un patient avec un bistouri, c'est une violence volontaire avec arme, l'amputer d'un membre, c'est une mutilation. Et un massage cardiaque se fait rarement sans casser quelques côtes. Le geste médical peut être violent. Et occire un patient fût-il en phase terminale d'une douloureuse maladie reste un meurtre passible de la cour d'assises.

Pourtant, ayant été de permanence garde à vue récemment, je vous rassure, le docteur Pelloux s'est trompé : les cellules des commissariats n'étaient pas remplies de médecins urgentistes, les seuls esculapes que j'y ai croisés venant y pratiquer leur art en examinant des gardés à vue hélas pour moi beaucoup moins solvables.

Car toutes ces infractions commises par des médecins sont couvertes par une cause d'irresponsabilité pénale : l'état de nécessité.

N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace.

Voilà ce qui justifie qu'un médecin puisse vous ouvrir le ventre, vous mutiler (au-delà de l'amputation, une simple appendicectomie ou vous enlever les amygdales ou les dents de sagesse est une mutilation), au besoin sans votre consentement si vous êtes inconscient : ce faisant, il prévient un plus grand mal, généralement la mort, ou tout simplement un risque pour votre santé qui ne pouvait être prévenu que par cette mutilation.

A contrario, cela implique que si le médecin sort de cette nécessité de son acte, ou que son acte a des conséquences autres que l'amélioration de la santé du malade (ou l'allongement de sa vie ou l'atténuation de ses souffrances, le médecin n'étant pas tenu de guérir), il peut redevenir très facilement une infraction pénale.

Un médecin qui effectuerait une opération qu'il sait non nécessaire sur un patient commettrait un acte de violences volontaires. Un chirurgien plasticien qui opérerait dans des conditions douteuses et laisserait des patients défigurés commettrait les délits de blessures involontaires et mises en danger d'autrui.

Le médecin qui, par maladresse, négligence, inobservation des lois ou règlements (sur l'asepsie par exemple), entraînerait une infection, des complications voire le décès de son patient commettrait le délit de blessures involontaires ou d'homicide involontaire.

Ajoutons que comme tout citoyen, le médecin est tenu de porter secours si ce faisant, il ne s'expose pas lui-même au danger.

Bref, les médecins sont des citoyens comme les autres, qui exercent une profession pas comme les autres.

Revenons-en à notre médecin valentinois. Dans quelle mesure est-il susceptible d'avoir commis une infraction pénale ?

Soit les gestes qu'il a pratiqués étaient inadaptés au point de relever de la négligence ou de la maladresse et ont causé le décès, et il peut avoir commis un homicide involontaire. Car on peut tuer même un mourant. Soit les gestes étaient inadaptés au point de relever de la négligence ou de la maladresse mais ont simplement précipité le décès ou causé des blessures, et il peut s'agir de blessures involontaires. Il n'y a pas non assistance à personne en danger car le médecin a porté secours, peu importe que ce soit de manière inefficace, sauf à établir qu'il a simulé une réanimation mais n'avait pas l'intention de secourir sa patiente, hypothèse peu probable. Si aucune de ces hypothèses n'est avérée, le médecin n'a commis aucune infraction. C'est ce que l'instruction va chercher à établir.

La garde à vue était-elle vraiment nécessaire ?

Oui. J'ai tendance à penser que dès lors qu'une personne met le pied dans un local de police alors que pèse sur lui un soupçon, elle doit être placée sous le régime de la garde à vue. Ce régime s'accompagne de garanties, telles que le droit à un entretien avec un avocat qui est informé de la nature des faits reprochés, l'examen par un médecin, et ce qui est loin d'être accessoire, l'information du procureur de permanence de cette mesure privative de liberté. Simplement, la garde à vue doit prendre fin dès lors qu'elle n'est plus rigoureusement nécessaire, sa durée de 24 heures étant un maximum, pas une durée standard (et elle peut reprendre ultérieurement, à condition de ne pas dépasser la durée maximale de deux fois vingt quatre heures). Je soulève d'ailleurs systématiquement la nullité de procédures où mon client a été gardé au commissariat, quand il n'a pas été amené menotté, a été interrogé en long en large et en travers, confronté à sa victime, et relâché après quelques heures sans qu'à aucun moment on ne lui ait notifié une garde à vue et donc que le procureur n'ait été informé de cette mesure, le parquet apprenant ce qui s'est passé en recevant la procédure au courrier. Et je l'obtiens assez souvent, à mon grand dam sur réquisitions contraires du parquet, qui trouve tout à fait normal que la police prenne des libertés empiétant sur sa mission de gardien des libertés. Et après, il s'étonne que la cour européenne des droits de l'homme l'estime insuffisant pour cette mission… Je rêve de porter cette question devant la cour de cassation, mais mes clients condamnés dans ces conditions ont une peine tellement dérisoire qu'ils n'ont pas envie de faire appel. Ajoutons à cela qu'aucune disposition du CPP n'impose de faire systématiquement ôter au gardé à vue ses lunettes, sa montre, sa ceinture et jusqu'à ses lacets de chaussure, et de le garder menotté quasiment tout le temps. L'égalité républicaine a des limites. Le discernement en est une.

Sur le contrôle de l'opportunité de la garde à vue[1], je me heurte à une jurisprudence solide comme les murs de Byzance qui fait de la GAV une mesure décidée souverainement par l'OPJ, sans contrôle d'opportunité par le juge. Pas d'habeas corpus en France.

Mais je n'oublie pas que les murailles de Byzance n'ont pas arrêté la Quatrième croisade. Et je verrai bien la CEDH dans le rôle du Doge Dandolo, cette absence de tout contrôle et recours étant à mon sens incompatible avec l'article 5 de la Convention. Mais je m'égare. C'est votre faute, aussi, à vous qui me parlez de ma vieille lune.

Et le patient, docteur ?

Revenons en à notre toubib.

Le placer en GAV un samedi matin, sachant qu'aucun déférement ne pourrait avoir lieu avant le lundi, s'agissant d'un médecin de 41 ans, que j'imagine mal prendre la fuite, et le garder ainsi jusqu'au lundi dans les conditions que connaissent les avocats et les quelques parquetiers qui visitent leurs commissariats me paraît difficilement proportionné et opportun. Le parquet voulait lui interdire d'exercer au SAMU pour la durée de l'enquête voire jusqu'au jugement, ce qui ne pouvait être ordonné que par un juge d'instruction. Soit. Mais était-il vraiment nécessaire de le priver de liberté à cette fin, et quarante huit heures par dessus le marché ? Les médecins n'ont pas besoin qu'on en fasse autant pour se rassembler sous le caducée en ordre de bataille. Cette fois, difficile de leur donner tort. Le juge d'instruction y a mis bon ordre, et c'est tant mieux.

Les médecins vont-ils devoir désormais coudre le numéro du mobile de leur avocat dans la doublure de leur blouse pour pouvoir exercer ? Si en tout cas, je les encourage à y broder le mien, je pense qu'il y a un moyen pour eux d'éviter des mises en cause judiciaire désagréables quand bien même elle finissent par un non lieu ou une relaxe.

La plupart de ces poursuites émanent du patient ou de ses proches : c'est souvent eux qui portent plainte. Pourquoi ? Parce que personne ne leur a explique ce qui s'est passé. La médecine en France est enkystée dans une tradition surannée du médecin sacré. Si le médecin dit qu'il a fait ce qu'il a pu, le patient ou sa famille doivent dire amen. Et non, ça ne marche plus. Les médecins doivent apprendre à communiquer. Prendre le temps d'expliquer au patient pourquoi les choses ne se sont pas passées comme prévu, à la famille d'un décédé précisément ce qui s'est passé, causes de la mort et soins apportés. C'est important pour eux car il est insupportable de ne pas savoir comment son père, son frère, son fils est mort ni avoir la certitude que tout a été fait pour le sauver. Le soupçon est insupportable, et la justice est la seule institution à même de faire jaillir la vérité qui le dissipera. Et la voie pénale présente trop d'attraits pour être écartée (c'est la moins coûteuse, elle a avec elle la force publique, entre autres).

Des médecins commettent des crimes et des délits. Ceux-là doivent être jugés et leurs confrères n'en disconviendront pas. Mais je suis prêt à parier que prendre le temps d'expliquer à la famille : « Votre mère a fait un infarctus du myocarde provoqué par un athérome coronarien, c'est à dire une obstruction partielle de cette artère, qui a diminué l'irrigation du cœur en sang. C'est indolore, hormis des épisodes douloureux que les personnes âgées ont tendance à mettre sur le compte de leur âge. Le muscle du cœur a commencé à mourir, jusqu'à ce que cet après midi, les tissus morts ont entraîné une activité électrique anormale du muscle, qui a fait une arythmie, c'est à dire qu'il a cessé de battre de manière coordonnée et efficace. Cela a fait cesser la circulation du sang, et le cerveau non irrigué est mort très vite. Quand le médecin du SAMU est arrivé sur place, il a senti un poul irrégulier et a détecté l'arythmie. Il a pratiqué tel et tel gestes pour voir si le cerveau réagissait encore, notamment en provoquant des réflexes à la douleur, qui peuvent sembler violents à des témoins, et pour faire cesser cette arythmie, ignorant que les dégâts au cerveau étaient déjà irréversibles. De fait, elle était morte à l'arrivée du SAMU. Ça a été foudroyant ; elle a dû sentir comme un assoupissement irrésistible. Ce n'était pas douloureux, elle ne s'est pas sentie partir. » Dire cela, en corrigeant mes approximations, c'est un procès évité à coup sûr. Dire : « elle est morte, on a fait tout ce qu'il fallait, signez ici » alors que des témoins vont décrire des coups portés sur la poitrine, des doigts enfoncés dans l'articulation de la machoire, peut être des gestes réflexes à la douleur qui ne sont que des gestes réflexes, et vous êtes bons pour la plainte avec constitution de partie civile afin qu'un juge d'instruction désigne un expert qui fera le travail que vous n'avez pas fait d'explications aux familles.

Notes

[1] C'est à dire la possibilité de contester devant un juge une mesure de garde à vue, soit pour obtenir une décision y mettant fin, soit pour voir juger que cette mesure étant disproportionnée, qu'elle entâche la procédure de nullité.

jeudi 9 octobre 2008

De quelques idées reçues sur le prétendu laxisme des magistrats

Par Gascogne


Le syndicat de policier "Synergie Officiers" nous a déjà habitué à des déclarations fracassantes à l'égard des magistrats (un petit exemple sur les JLD dans le contentieux des étrangers, ou encore récemment sur une remise en liberté contestée par les policiers). La nouvelle sortie de ce syndicat dans la presse n'étonne pas vraiment le monde judiciaire. Par contre, elle agace prodigieusement.

Quelques éléments doivent être rappelés à nos amis policiers de ce si sympathique syndicat.

Le premier, et pas des moindres, est que la critique publique d'une décision de justice est un délit puni tout de même de 6 mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende (art. 434-25 du Code Pénal). Dés lors, avant de donner des leçons aux magistrats sur la manière de faire respecter la loi aux sauvageons des banlieues, un respect de la loi par ces mêmes syndicalistes serait-il de nature à démontrer que ce n'est pas deux poids et deux mesures : la loi dans toute sa rigueur pour les délinquants d'habitude, le laxisme le plus extrême pour les policiers qui s'expriment.

Le second concerne la notion même de sanction. Une peine d'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt à l'audience n'est pas le seul et unique moyen de sanctionner un comportement. Il suffit de se plonger quelque peu dans le Code Pénal pour se rendre compte que le législateur a entendu privilégier diverses sanctions pénales, dont certaines dites "alternatives" à l'enfermement, pour ne laisser la peine de prison, qui plus est à "exécution immédiate" qu'en dernier ressort. Dés lors, affirmer que le sentiment d'impunité résulte du fait que les juges laxistes ne prononcent pas assez de mandats de dépôt à l'audience est d'un simplisme démagogique à toute épreuve. Beccaria doit s'en retourner dans sa tombe.

Ensuite, concernant le choix des procédures ("certaines personnes ne sont même pas déférées !"), l'action publique appartient encore aux procureurs. Je sais bien que cela énerve certains officiers et commissaires de police (l'ex syndicat majoritaire des commissaires, le SCHPNF, alias le Schtroumpf tant ce sigle est imprononçable, avait en son temps proposé que l'action publique relève au moins en partie des commissaires de police), mais cette réforme n'est pas encore à l'ordre du jour. Que les personnels de police les plus critiques passent le concours de la magistrature, et nous pourront discuter de l'opportunité d'une politique pénale.

Mais ce n'est pas tant la critique en soi qui agace le plus. Ce ne serait que saine participation démocratique si les syndicalistes de "Synergie Officiers" balayaient un peu devant leur porte. Car ils oublient tout de même de préciser que dans un certain nombre de cas, s'il n'y a pas de défèrement, c'est que la gestion policière du dossier a laissé à désirer : garde à vue nulle (rarement une semaine à la permanence téléphonique du parquet sans une levée de garde à vue pour nullité substantielle), compte rendu peu clair, actes d'enquête non effectués...Ce même syndicat (du moins me semble-t-il) avait en son temps proposé qu'un "observatoire des bavures judiciaires" soit mis en place. Le parallélisme des formes pourrait imposer que les magistrats se mettent à publier toutes les nullités de procédure faites par la police.

Faire incarcérer une personne, et aller devant une juridiction de jugement alors même que la procédure est bancale pourrait certes permettre aux enquêteurs de penser que le parquet "les soutient" (encore que je n'ai pas vu dans la loi où il était inscrit qu'il s'agissait là d'une des fonctions du parquet), mais ne serait pas digne du fonctionnement d'une justice démocratique. Les procureurs ne sont pas notés aux "crânes".

Que l'on ne se trompe pas sur mon agacement : après pas mal d'années passées dans diverses fonctions pénales, je sais parfaitement bien que la majorité des policiers fait très bien ce pour quoi elle est payée, à savoir interpeller les auteurs d'infractions pénales et procéder les concernant à une enquête en bonne et due forme.

Cela représente pour les policiers une masse de travail considérable. Pour les magistrats également. Raison pour laquelle les poursuites et les décisions qui sont prises par la suite, tant par les magistrats du parquet que par ceux du siège, méritent bien mieux que les approximations démagogiques de quelques excités pour lesquels la frustration le dispute à l'incompétence.

mercredi 8 octobre 2008

Chers confrères, la presse a besoin de vous

La rédaction d'une grande chaîne publique nationale qui porte dans son intitulé le numéro 3 et le nom du plus beau pays du monde cherche des témoignages de personnes qui auraient été victimes soit de fichage, soit de systèmes de surveillance et qui accepteraient de témoigner dans un reportage. Il s'agirait par exemple de personnes se voyant refuser l’accès à des postes dans la fonction publique ou la sécurité du fait d’informations erronées ou qui auraient dû être effacées des fichiers STIC, JUDEX… ou des personnes qui ont perdu leur emploi suite à la loi sécurité intérieure. Ce peut être aussi des personnes victimes de l’utilisation de la vidéosurveillance ou de tout autre système de récolte d’information.

Je pense que mes confrères de Bobigny ont dû être exposés à de tels cas avec l'exigence d'un agrément pour les salariés de l'aéroport de Roissy instauré par la loi sur la Sécurité intérieure.

Merci de m'écrire sur cette page pour me donner vos coordonnées, je transmettrai. J'ai cru comprendre qu'il y avait une certaine urgence.

mardi 7 octobre 2008

Les mathématiques de l'insécurité

Par Fantômette


Le 24 juin dernier, le Figaro titrait glorieusement sur le palmarès de la violence, "ville par ville".

"Où court-on le plus de risques de se faire agresser ? Quelles sont les communes les plus sûres ?" Tendez-vous déjà la main vers votre tube de lexomil ?

Le Figaro poursuit inexorablement : "D’après les chiffres incontestables de la PJ".

Nous y voilà. Les chiffres. Incontestables. Forcément.

Qu’un chiffre soit incontestable, cela pourrait déjà se discuter. Que son interprétation le soit, cela ne se discute même plus.

Alors dans le but de faire de vous, chers lecteurs, des lecteurs avertis qui en vaudront plusieurs, quelques complexités à garder à l’esprit toutes les fois où l’on vous parlera des "chiffres de la délinquance" et plus particulièrement des "chiffres incontestables".

Qu'est-ce que l'on compte ?

Pour commencer, de quoi parle t’on exactement ? Qu’est-ce que l’on compte ? Le nombre d’infractions dites-vous ? Ce n’est pas si simple.

Pour mieux comprendre, imaginez une série de cercles concentriques, qui dessinent une cible.

Le cercle extérieur, le plus large, représente le fameux "chiffre noir du crime". Si l’on admet que ce chiffre représente l’ensemble de toutes les infractions commises, sur une période donnée et sur un territoire donné, il augmente lorsque vous vous garez sans mettre d’argent dans l’horodateur. Lorsque vous resquillez en prenant le métro. Lorsque vous trouvez un billet de dix euros par terre, et que vous l’empochez[1].

Ce chiffre noir est inconnu et risque fort de le rester. Combien d’infractions sont-elles réellement commises par an en France ? On ne le sait pas.

Mesurer l'activité policière

Le second cercle, plus petit, correspond quant à lui à des données plus quantifiables. Il ne répond pas à la question de savoir combien d’infractions ont été commises, mais plutôt de savoir combien d’infractions ont été signalées ou constatées.

Ah, me direz-vous, il s’agit du nombre de plaintes. Celles-ci, du moins, peut-on les compter. C’est exact. Les dénonciations, également. Ceci dit, de nombreuses infractions ne feront pas l’objet de plainte. Il existe des infractions sans victime, au sens juridique du terme : la consommation de substances illicites, la conduite sans permis, le défaut d'assurance... Celles-ci seront découvertes sur la seule initiative de la police.

Nous pouvons donc, direz-vous, compter le nombre d’infractions dont la police et la gendarmerie auront eu connaissance, que ce soit par le biais d’un dépôt de plainte, ou par ses propres activités d’investigation.

D’accord. Cela nous donnera un chiffre donné.

Remarquez que ce chiffre nous donnera donc, non pas une image de la criminalité en tant que telle, mais bien plutôt une image de l’activité répressive de la police et de la gendarmerie. Et si les deux ne sont pas sans lien, sans doute faut-il se garder d’y voir un lien trop étroit.

Qu’un commissaire dynamique sache donner à ses troupes un peu de cœur à l’ouvrage, les envoie dans les quartiers sensibles, et stimule leur motivation : voilà "les chiffres incontestables de la délinquance" qui montent. Cela révèle t-il pour autant une hausse de la délinquance ? Pas nécessairement. En fait, toutes choses étant égales par ailleurs, si l’on remplace un commissaire un peu dépassé par un commissaire extrêmement efficace, on peut même imaginer que la délinquance va baisser dans son secteur (quitte à passer dans le secteur voisin). Pourtant, en faisant son travail très efficacement, il fait augmenter les chiffres de la délinquance, et créera, selon toute probabilité, du sentiment d’insécurité.

Qu’un gouvernement, soudainement soucieux d’offrir un meilleur accueil aux usagers du service public de la police, crée de nouvelles structures pour recueillir des plaintes, dans de meilleures conditions, et y forme ses agents, voilà les "chiffres incontestables" de la délinquance qui montent.

Que des campagnes soient lancées pour inciter les victimes de tel ou tel type d'infractions à porter plus systématiquement plainte, et les "chiffres incontestables", infatigablement, reprennent leur ascension.

Faut-il en déduire quoi que ce soit relativement au chiffre noir ? Augmente t-il ? Peut-être. Mais rien ne le prouve. Il pourrait aussi bien baisser. Les "chiffres incontestables" n’en augmenteraient pas moins.

Mesurer l'activité des juridictions

A l’intérieur de ce second cercle, le troisième cercle représente une autre catégorie de chiffres, qui nous informent sur l'activité des juridictions. Il pourra s'agir de compter le nombre de condamnations prononcées sur une période donnée, ou encore, plus généralement, le nombre de réponses pénales apportées, l'expression englobant aussi bien les condamnations classiquement prononcées par les tribunaux de police, tribunaux correctionnels et cours d'assises, que les réponses apportées par le biais des procédures alternatives au procès[2].

Ce chiffre-là est inférieur au précédent[3].

En effet, pour commencer, une plainte transmise au parquet ne fera pas systématiquement l’objet d’un jugement, faute, par exemple, d’avoir identifié l’auteur de l’infraction. L’infraction peut également avoir été mal caractérisée, ou bien, si un fauteur de trouble a dûment été dénoncé, le parquet peut estimer que les charges pesant contre lui sont insuffisantes[4]

La plainte pourra ainsi faire l’objet d’un classement sans suite, faculté ouverte au ministère public par l’article 40 du code de procédure pénale.

Imaginons une circulaire émise à l’intention du Parquet, sollicitant les procureurs de poursuivre avec fermeté tel ou tel type d’infraction, de ne pas les classer sans suite, de les orienter de préférence vers les tribunaux et non les voies alternatives, et voilà le chiffre incontestable de la délinquance, aimablement fourni par les juridictions pénales, qui augmente.

Toute instruction de ce type, qui ira dans le sens d’une poursuite plus systématique, d’une "réponse pénale" plus systématique, fera évidemment augmenter les mesures de l’activité judiciaire pénale[5]

Mais qu'est ce que cela signifie, au regard du "chiffre noir" de la délinquance ? Augmente t-il ? Diminue t-il ? Qui peut le dire ?

Un disciple optimiste du grand Beccaria serait en droit de voir dans l'augmentation du nombre de poursuites engagées et menées à terme, une raison de supposer que l'on prévient dans le même temps une délinquance potentielle, par le mécanisme dit de prévention générale. Plus la répression est active et visible, plus elle dissuade. C'est fort possible. Cela signifierait alors que plus les tribunaux poursuivent, et plus l'on a des raisons de supposer que le chiffre noir diminue.

Ce n'est pourtant pas souvent l'impression que le public retirera de l'idée que "les chiffres incontestables" de la délinquance augmentent.

Mesurer l'activité de l'administration pénitentiaire

Dernier cercle, et dernier chiffre, qui contribue probablement à créer du sentiment d'insécurité : celui qui concerne la population carcérale.

Le nombre de détenus augmente. Qu'est-ce que cela signifie ?

Il y a toujours deux explications possibles à l'accroissement ou à la diminution d'une population donnée. Elle s'accroit si le nombre de naissances augmente, et si le nombre de décès diminue. Inversement, lorsque le nombre de naissances diminue, ou lorsque le nombre de décès augmente, la population décroit. Il en va de même de la population carcérale. Remplacez seulement la naissance par l'incarcération, et le décès par la sortie de prison.

Deux origines possibles, donc, évidemment non exclusives l'une de l'autre, à l'augmentation sensible de la population carcérale. Plus de personnes qui entrent. Mais aussi, moins de personnes qui sortent. Ajoutez à cela une politique pénale qui tend à prononcer des peines plus longues d'incarcération, et vous disposez là d'une explication qui pourrait suffire à expliquer le phénomène de surpopulation carcérale, sans qu'il soit besoin d'extrapoler sur les variations supposées d'un chiffre noir, plus que jamais obscur et mystérieux.

Et destiné à le rester.

Notes

[1] Oui, c'est un vol.

[2] Passage devant le délégué du procureur, médiation pénale, composition pénale, notamment

[3] Je laisse de côté les affaires dans lesquelles les plaignants saisissent directement les juridictions pénales par le biais notamment des citations directes, relativement bien moins nombreuses.

[4] Ainsi, en 2005, sur près de 4.900.000 infractions traitées, 8,4% d'entre elles ont été classées sans suite pour motif juridique, ce qui recouvre notamment des hypothèses où l'infraction est inexistante ou n'est pas caractérisée. Un peu plus de 60% sont classées pour défaut d'élucidation. 22% d'entre les infractions restantes, dites poursuivables, seront classées sans suite pour un motif d'opportunité (le plaignant a pu se désister de sa plainte, être désinteressé spontanément. L'infraction peut être de très faible gravité, le préjudice inexistant...) Source : Annuaire statistique de la Justice 2007.

[5] Entre 2001 et 2005, le nombre de classements sans suite opéré par le parquet est passé de 434.475 à 323.594, faisant passer le taux de classement sans suite des affaires poursuivables de 32,7% à 22,1%. Il est intéressant de noter que cette diminution a notamment concernée les affaires classées sans suite pour le motif du peu d'importance du préjudice causé ou du trouble à l'ordre public. Source : Annuaire statistique de la Justice 2007.

dimanche 5 octobre 2008

En vrac

Mon agenda risque fort de me tenir éloigné de mon blog cette semaine (si mes colocataires se sentent inspirés, c'est le moment).

Néanmoins, quelques infos en vrac qui ne peuvent attendre un retour à la normale.

► Le « gilet jaune » est entré en vigueur aujourd'hui. J'avais raison, l'arrêté ministériel nécessaire n'avait pas été publié, mais il avait bien été signé le 28 septembre, soit 48 heures avant l'entrée en vigueur. Les délais de parution au JO ont fait que le gilet jaune n'est entré de fait en vigueur qu'aujourd'hui, lendemain de la publication des arrêtés, conformément à l'article 1er du Code civil.

Merci à mes lecteurs qui m'ont signalé l'arrêté du 29 septembre 2008 relatif au gilet de haute visibilité (NOR : DEVS0819336A) et en ce qui concerne le triangle rouge, l'arrêté du 30 septembre 2008 relatif à la présignalisation des véhicules (NOR : DEVS0819338A).

Que faut-il en retenir ?

Pour le gilet, il n'a de gilet que le nom : tout vêtement ouvrant le haut du corps est considéré comme un gilet. Donc, pour les cyclistes hors agglomération un jour de pluie, un poncho peut être un gilet s'il est réfléchissant, comme ce modèle, sous réserve de sa conformité aux normes.

S'agissant des normes, justement, l'arrêté renvoie au code du travail. les normes sont les mêmes.

Et quelles sont-elle, ces normes ? Elles figurent à l'annexe II de l'article R.4312-23 du Code du travail, article 2.13. Oui, je sais, c'est super facile à trouver pour l'automobiliste moyen, mais le législateur adore ce genre chasse au trésor réglementaire. Je ne résiste pas au plaisir de vous recopier ici cette norme, tant elle est magnifique (les gras sont de moi) :

2. 13. Équipements de protection individuelle vestimentaires appropriés à la signalisation visuelle de l'utilisateur

Les équipements de protection individuelle vestimentaires destinés à des conditions prévisibles d'emploi dans lesquelles il est nécessaire de signaler individuellement et visuellement la présence de l'utilisateur comportent un ou plusieurs dispositifs ou moyens judicieusement placés, émetteurs d'un rayonnement visible direct ou réfléchi ayant une intensité lumineuse et des propriétés photométriques et colorimétriques appropriées.

Automobiliste, attention : avant d'acheter votre gilet qui n'est pas forcément un gilet sur le premier marché venu, vérifiez bien que les dispositifs soient judicieusement placés (exemple : devant les yeux = FAIL), et que les propriétés photométriques et colorimétriques soient appropriées, et n'hésitez pas à tancer vertement le ruffian qui voudrait vous refourger des propriétés photométriques inappropriées. On ne vous la fait pas, à vous. Vous lisez maître Eolas.

Bon, plus sérieusement, le salut vient d'un autre article du code du travail, l'article R.4313-61, qui impose au fabriquant de ces équipements une déclaration préalable de conformité aux normes européennes avant la mise sur le marché, et une attestation de conformité délivrée par un organisme habilité (arrêté du 18 décembre 1992, JO 31 p.18158). Ce sont ces normes européennes qui définissent de manière très stricte les propriétés de ces équipements, mais je vous confirme que rien n'impose à ce gilet d'être jaune.

Donc, à compter de ce jour, ça y est, vous pouvez être verbalisés.

► Sur le jugement de Jean Sarkozy :

Loi de Murphy des blogs. C'est quand vous aurez fait votre BSV[1] sur une décision de justice que quelqu'un publiera la décision, rendant votre travail grandement caduc. Cette fois-ci, c'est de Pascale Robert-Diard que vient le coup de poignard, qui a retranscrit la décision sur son indispensable blog.

Voici la motivation du jugement sur le fond :

(…)Le simple fait de relever le numéro d’immatriculation d’un véhicule terrestre à moteur, quelles qu’en aient été les circonstances, ne pouvait à lui seul constituer un élément suffisamment probant de nature à établir l’existence d’un accident de la circulation.

Des lecteurs se posaient la question de savoir comment la partie civile avait-elle pu avoir connaissance du numéro de scooter de Jean « Hellrider » Sarkozy. Le tribunal leur répond : peu importe, le fait d'avoir ce numéro ne prouve pas la réalité de l'accident qui est la condition d'existence du délit. Effet de la présomption d'innocence : la parole de la victime ne saurait suffire. Il faut d'autres preuves, qui ci faisaient défaut. Aucun témoin direct du choc (les passagers ont entendu un bruit et vu le scooter partir), l'attestation du passager n'établissant rien d'autre.

Et ce d’autant plus qu’il résultait:

- d’une première expertise (…) sollicitée par le conseil du prévenu aux fins de donner un avis technique relatif à la compatibilité et à la crédibilité des déclarations de M. B., ainsi qu’au regard des constatations effectuées par l’expert de la MAAF sur le véhicule BMW, qu’il “n’est pas possible que le scooter ait percuté l’arrière du véhicule car en cas de choc, la roue est engagée sous le pare-chocs et c’est le garde boue qui vient taper le haut du pare chocs et en aucun cas abîmer le bandeau latéral, comme cela a été constaté par l’expert de la MAAF et que les désordres constatés ne correspondent pas à l’accident déclaré le 14 octobre 2005 en ce qui concerne le point de choc”.

- et d’une seconde expertise d’un expert diligenté par le tribunal que: “dans le cas où le scooter de M. Sarkozy aurait percuté le véhicule BMW sur sa partie latérale gauche comme déclaré par M. B., des dommages auraient été occasionnés par la poignée de frein du deux roues sur l’aile arrière gauche et nous aurions trouvé des traces sur le bord extérieur droit du tablier avant du scooter (effet de miroir). L’équilibre de ce type de scooter étant précaire, le choc aurait sûrement provoqué la chute sur le côté, ainsi que celle de M. Sarkozy, ce qui ne semble pas avoir été le cas. La reconstitution que nous avons effectuée ne permet pas d’affirmer qu’il y a eu un choc entre les deux véhicules en cause car nous n’avons pas pu constater sur le scooter une quelconque trace ou déformation pouvant être imputable au choc prétendu”.

Par conséquent, dès lors que la matérialité même de l’accident dénoncé était formellement écartée, les infractions reprochées au prévenu ne sauraient être caractérisées.

La condamnation aux 2000 euros repose bien sur l'article 472 du CPP et traduit le reproche fait par le tribunal de l'entêtement à agir de la victime malgré un dossier vide. La demande était de 4000 euros, et faisait écho à la demande de la partie civile de 4000 euros au titre du préjudice moral.

La partie civile a décidé de faire appel, essentiellement explique-t-elle, pour demander l'infirmation de cette condamnation à 2000 euros. Ça s'appelle jouer à quitte ou double.

Notons au passage l'orthodoxie du jugement, qui déclare recevable la partie civile mais, eu égard à la relaxe du prévenu, le déboute de ses demandes. J'applaudis : trop de tribunaux déclarent à tort la partie civile irrecevable en cas de relaxe. La recevabilité dépend de deux choses essentiellement : les faits doivent être constitutifs d'une infraction, et la partie civile en être la victime directe. Si ces conditions sont remplies, elle est recevable. Mais si le prévenu est relaxé, que ce soit parce que les faits ne sont pas établis ou que le prévenu n'en est pas l'auteur, la partie civile est déboutée au fond.

► Le jugement de relaxe du Bâtonnier Hoarau :

Un confrère de l'île aux tribunaux tous saints m'a envoyé une copie du jugement, rédigé exceptionnellement pour l'audience de délibéré, l'affaire, fort médiatique, risquant de faire l'objet d'un appel.

Je publierai demain le texte du jugement, du moins les motifs complets. Sachez pour le moment que le tribunal a déclaré irrecevable la citation en considérant que les propos du bâtonnier étaient bel et bien couverts par l'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881… au bénéfice du doute.

En effet, le parquet présent à l'audience n'avait pas fait réserver l'action en diffamation. Cela ne rend pas moins recevable l'action sur plainte du garde des Sceaux, puisqu'elle était tiers à l'audience ; car plainte il y a bien eu, le 13 juin 2008, sous forme d'une instruction ministérielle adressée au directeur des affaires criminelles et des grâces (qui n'a jamais autant mérité son nom que depuis l'arrivée de l'actuelle Garde des Sceaux…).

Néanmoins, une réserve d'action conduit le greffier à citer précisément les propos tenus et les circonstances où ils ont été tenus, afin de permettre au tribunal de juger si l'immunité de l'article 41 s'applique ou si les propos sont extérieurs à l'affaire. Cela n'a pas été fait. Le tribunal ne peut que constater, d'après les notes d'audience du greffier, au demeurant fort longues, révélant la complexité de l'affaire, que le prévenu de la première affaire avait, dans le cadre de l'escroquerie qui lui était reprochée, produit des faux, et que les propos litigieux parlaient aussi de faux. Le bâtonnier Hoarau soulève qu'il tenait un raisonnement par analogie, tendant à relativiser la gravité des faits commis par son client. Aucun élément n'étant produit par l'accusation pour battre en brèche cette argumentation, le tribunal considère que ces propos, dans ce cas, « ne dépassaient pas les limites d'une défense légitime, et ne peuvent être considérés comme étrangers ni inutiles à la cause défendue ».

Soyez sages, bonne semaine, à bientôt.

Notes

[1] Billet Sans Visibilité

samedi 4 octobre 2008

Message personnel

Joyeux anniversaire.

vendredi 3 octobre 2008

Relaxe du bâtonnier Hoarau dans l'affaire du MBA de Rachida Dati

Youpi !

Le tribunal correctionnel de Saint-Pierre-de-La-Réunion a jugé vendredi 3 octobre irrecevables les poursuites engagées contre un avocat du barreau de Saint-Pierre, le bâtonnier Georges-André Hoarau, pour diffamation envers la garde des Sceaux, Rachida Dati.

Et pourquoi ?

Dans son jugement, le tribunal a invoqué l'article 41 de la loi de 1881, qui affirme le principe de la liberté de parole des avocats, lors de leurs plaidoiries.

Le tribunal n'a pas estimé que les propos tenus étaient extérieurs à la cause jugée. Je m'en réjouis.

Et pour la question que tout le monde se posait :

Rachida Dati était à l'origine de la procédure pénale contre l'avocat, mais ne s'était pas constituée partie civile.

Il y a bien eu plainte préalable, qui était indispensable ici.

Une victoire pour la liberté d'expression et la liberté de parole de la défense. Espérons que le parquet de la Réunion ne va pas ajouter la honte au ridicule et faire appel.

La révolte des petits pois

Enfin !

Depuis des années que je pratique le droit des étrangers, confronté à des situations du type de celles que je raconte ici, je me disais que ce n'était pas possible, que ça ne pouvait durer indéfiniment. Que les petits pois, qu'ils soient de l'ordre des petits pois en boîte ou des petits pois en bocaux, n'allaient pas supporter indéfiniment une politique absurde, ruineuse, aboutissant à des charges de travail écrasantes, tout ça au nom de l'intérêt général qui, si on ne le confond pas avec un intérêt électoraliste, n'apparaît guère mis en danger par les pauvres gens conduits menottés devant eux. Qu'ils allaient finir par se révolter et dire non aux dérives de l'administration.

Ça y est, ça commence à bouger dans le potager.

Ainsi, dans le Val d'Oise, à deux reprises, le préfet, soucieux sans doute de boucler ses chiffres, a pris des rafales de dizaines d'arrêtés de reconduites à la frontière contre des Roms (une cinquantaine le 6 août, 21 de mieux en septembre). Par autant de jugements rendus les 13 août et 21 septembre, le tribunal administratif de Cergy a annulé tous ces arrêtés. À arrêtés identiques, jugement identiques : le simple fait d'occuper illégalement un terrain n'est pas suffisant pour caractériser une menace à l'ordre public qui seule permet de reconduire un ressortissant de l'UE (tous sont Bulgares ou Roumains). Et je crois savoir qu'une nouvelle fournée de 50 arrêtés anti-roms a été pris, promis au même destin, si seulement ils arrivent à former leur recours dans les 48 heures, ce qui est évidemment l'objectif du préfet : bombarder d'arrêtés, croiser les doigts pour qu'un maximum ne fasse pas l'objet d'un recours dans les 48 heures ce qui les rend exécutoires tout aussi illégaux qu'ils soient, et hop, objectifs atteints.

Pas besoin d'être grand clerc pour lire dans ces jugements un certain agacement du juge délégué. Si je puis me permettre une suggestion : dans ces affaires, faites droit aux conclusions d'indemnité de l'article L.761-1 du CJA. À toutes. Au montant demandé, ou ne serait-ce qu'à 1000 euros, le tarif habituel. Frappez la préfecture au portefeuille. C'est le seul langage qu'elle comprend. Sinon elle continuera. Si vous l'aviez fait, cette plaisanterie aurait coûté à la préfecture 121.000 euros. Je vous garantis qu'elle aurait arrêté.

Les petits pois en robe des champs ne pouvaient être en reste. Et c'est de la belle Bretagne que vient, une fois n'est pas coutume, le rayon de soleil, même s'il avait commencé à briller à Toulouse. Le premier président de la cour d'appel de Rennes, statuant en appel des ordonnances du JLD en matière de rétention administrative, a déclaré contraire à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (CSDH), qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants, le maintien en rétention d'un couple avec un bébé d'un an en retenant, concernant l’enfant, les « conditions de vie tout à fait anormales pour un bébé d’un an » qui lui sont imposées du fait de sa soustraction soudaine à son cadre de vie habituel, le domicile de ses parents, et concernant les parents, la « grande souffrance, morale et psychique [que leur inflige] cet enfermement avec leur bébé, souffrance qui, par sa nature, son importance et sa durée, dépasse le seuil de gravité requis » pour l'application de l'article 3, ce quand bien même le Centre (Saint-Jacques-de-la-Lande, quelques images ici dans une affaire similaire) était équipé d'une nurserie. Oui, les centres de rétention sont équipés de nurserie. Rappelons que les mineurs ne sont pas juridiquement expulsables.

Références de la décision : Rennes, ord. Prem. prés., 29 septembre 2008, n°271/2008, Sivanadyan. Le JLD de Toulouse avait déjà rendu une décision en ce sens : TGI Toulouse, ord. JLD, 18 février 2008, n°344/2008, Kocharyan.

Mouvement éphémère avant une reprise en main par la cour de cassation, ou mise du législateur face à ses responsabilités par le pouvoir judiciaire, comme Dieu Montesquieu l'a voulu ?

Nous verrons, mais en attendant, bien qu'il ne soit pas d'usage de remercier un juge pour avoir simplement fait son travail : merci, messieurs les présidents. Vous ne pouvez pas savoir comme ça fait du bien de lire, en tête de ces décisions, « Au nom du peuple français ».

jeudi 2 octobre 2008

Brèves considérations sur la relaxe de Jean Sarkozy

Beaucoup de lecteurs m'assaillent pour que je les éclaire sur la relaxe dont a bénéficié le président du groupe UMP au Conseil général des Hauts de Seine, poursuivi sur citation directe par la partie civile pour un délit de fuite, relaxe accompagnée de la condamnation de la partie civile à lui payer 2000 euros pour « procédure abusive ».

Je vais essayer, mais après avoir posé une réserve importante : je n'ai pas eu accès au dossier. Si les explications procédurales que je vais donner sont certaines, les éléments de fait me viennent de la presse ; or les journalistes étant faillibles, sauf Aliocha, il est possible que des approximations se soient glissées dans leurs comptes-rendus.

Une autre réserve s'impose : la qualité de fils de P… du prévenu, et le caractère létal qu'a l'évocation du nom de son géniteur sur toute objectivité chez une portion non négligeable de mes concitoyens et la rédaction de Marianne, font que la culpabilité du prévenu était considérée comme axiomatique, et sa relaxe, forcément injuste. Qu'il soit clairement entendu que sur ce blog, tout le monde a droit à la présomption d'innocence, fût-il fruit des œuvres du Président de la République, ou juge d'icelui.

Rappelons brièvement les faits : le 14 octobre 2005, place de la Concorde à Paris 8e, une automobile de marque Bayerische Motoren Werke est emboutie par l’arrière par un scooter qui prend la fuite, le conducteur prenant, d'après le conducteur et son passager, soin de leur présenter son médius en extension. Les deux occupants de la voiture, Messieurs B. père et fils affirment avoir relevé le numéro du deux-roues à l’aide d’un téléphone portable, mais ne sont pas en mesure de reconnaître le conducteur coiffé d’un casque (ci-contre, une photo de Jean Sarkozy avec son casque, mais il est possible que ce ne soit pas le même).Jean Sarkozy avec sa belle crinière couleur des blés d'automne qui rend secrètement jaloux le maître de céans

Les dommages à la belle teutonne sont légers : 260,13 euros au titre des réparations engagées. Là, j'ai un premier problème. La presse relate que le numéro du scooter a été transmis à l'assurance qui aurait par trois fois relancé le fils de l'homme présidentiel.

Généralement, toute assurance auto a une franchise, une somme que l'assuré garde à sa charge et qui évite à l'assurance d'indemniser le dérisoire (ce qui exclut les dommages les plus fréquents, d'ailleurs). De plus, quand les dégâts dépassent le montant de la franchise, ou que l'assurance exclut toute franchise, les compagnies d'assurance, pour éviter des frais disproportionnés, ont l'habitude d'indemniser de leur poche leur assuré sans exercer de recours contre l'assurance adverse en dessous d'un certain montant (1500 euros environs pour les assurances habitation, m'a un jour expliqué l'avocat d'une compagnie d'assurance). Donc l'intervention de l'assurance me paraît curieuse.

En outre, que je sache, les assurances n'ont pas accès au fichier des immatriculations, seules l'ont les services de police. Donc faute de plainte, il est à mon sens impossible que l'assurance de l'automobiliste ait su à qui chanter pouilles. Mise à jour : mes lecteurs sont formidables, je suis indigne d'eux. Oui, les assurances ont accès au fichier des permis de conduire et des cartes grises, à certaines conditions (art. L. 330-2, 8° du code de la route).

Toujours est-il qu'une plainte finit par être déposée en février 2006. C'est semble-t-il à cette occasion (cette théorie est contestée par le prévenu relaxé), le propriétaire du scooter dont l'immatriculation correspond au numéro relevé est identifié.

L'enquête de police tourne court, le parquet ayant probablement décidé de classer l'affaire eu égard au préjudice modeste (dégâts matériels légers, pas de blessés) et à la légèreté de la preuve. Le parquet savait-il que le mis en cause était Jeannot les bouclettes au moment de la décision de classement ? Je l'ignore.

Le conducteur n'en démord pas et en fait même une question de principe, les plus coûteuses : il décide de saisir lui-même le tribunal correctionnel pour suppléer à la carence du parquet.


Premier apparté : que viens-je de dire ?

En procédure pénale, l'action publique, qui consiste à demander à une juridiction pénale (on dit aussi répressive sans aucun sens péjoratif) de juger les délinquants, peut être mise en mouvement soit par le parquet (c'est son rôle naturel), soit par la victime directe du délit. On peut le faire de deux façons : soit en saisissant d'une plainte avec constitution de partie civile le doyen des juges d'instruction, soit en saisissant directement le tribunal correctionnel : c'est la citation directe par la partie civile, que le parquet appelle des affaires « entre parties » ce qui est inexact car il est malgré tout concerné au premier chef.

La citation est dans ce cas rédigée par la partie civile (ou par son avocat, mais l'avocat n'est pas obligatoire pour une citation directe), qui prendra attache avec les services du parquet pour avoir une date et au besoin la chambre qui aura à connaître de l'affaire. Puis il fait délivrer la citation par huissier, comme pour une assignation au civil. À cette première audience, l'affaire n'est pas examinée au fond. Le tribunal vérifie la validité de la citation et fixe une consignation, une somme que la victime devra déposer au service de la régie du tribunal avant une certaine date, à peine de nullité de la citation. Le tribunal renvoie à une deuxième audience pour vérifier que la consignation a été déposée et fixer la date de jugement définitif, en accord avec les avocats des parties pour la durée de leur plaidoirie. Le parquet est libre de s'associer aux poursuites s'il estime le dossier solide et les faits graves, ou se contenter de bouder sur son estrade. Il devra quand même requérir à la fin de l'audience de jugement. Précisons que la victime admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle est dispensée de consigner.

La consignation vise à assurer le paiement d'une éventuelle amende pour abus de constitution de partie civile. Elle est intégralement restituée à la victime en cas de jugement de condamnation. Elle est restituée, amputée de l'amende, en cas de relaxe.


C'est donc notre automobiliste qui va mettre en mouvement l'action publique. Les qualifications retenues sont : délit de fuite, défaut de maîtrise du véhicule, dégradations légères, soit un délit et deux contraventions.

Le délit de fuite consiste en, quand on a causé un accident de la circulation (je mets en gras car le délit de fuite ne s'applique qu'en cas d'accident de la circulation, ce qui n'est pas toujours su), à quitter les lieux sans laisser ses coordonnées (pour faire simple: la loi distingue les obligations du conducteur impliqué selon qu'il y a ou non des blessés).

Les dégradations légères ne posent pas de problème, quant au défaut de maîtrise, c'est une contravention qui résulte automatiquement de la survenance d'un accident sauf force majeure. Si choc il y a eu, c'est que le conducteur ne maîtrisait pas son véhicule. CQFD, et c'est jusqu'à 750 euros d'amende.

Aux grands moyens répondent les grands moyens, puisque c'est un des meilleurs pénalistes de la place que Casque d'Or va recruter. Et l'affaire va basculer dans la démesure.

Deux expertises vont avoir lieu, pour examiner les traces d'impact sur la voiture et sur le scooter. Deux expertises. Ai-je besoin de préciser qu'aucun expert judiciaire ne se fera rémunérer moins de 260,13 euros pour une telle expertise ? Ces frais d'expertise ont dû être avancés par la partie civile, mais je n'ai aucune information là-dessus.

Elles vont conclure que les traces relevées sur la voiture ne correspondent pas au récit fait par la victime. Je ne sais pas si le scooter a seulement pu être examiné.

Toujours est-il que le tribunal se retrouve à l'audience avec, comme éléments à charge, la victime qui affirme avoir relevé le numéro du scooter, mais reconnaît ne pas avoir pu identifier le conducteur (qui seul est l'auteur des différentes infractions). À décharge, deux expertises qui concluent que le récit de la victime n'est pas corroboré par les constatations sur le véhicule. Et un parquet qui requiert la relaxe. Mon confrère Thierry Herzog n'avait pas besoin de mobiliser son talent pour obtenir la relaxe (même s'il l'a quand même fait, une heure durant, au moment de plaider).

Reste la question des 2000 euros.

Ils peuvent avoir plusieurs fondement juridiques.

Il peut s'agir d'une amende civile pour abus de constitution de partie civile (art. 392-1 du CPP) d'un montant pouvant aller jusqu'à 15000 euros, prélevé sur la consignation. Mais je ne pense pas que tel soit le cas puisque la presse laisse entendre que cette somme serait versée à Mini-Bling, les amendes civiles étant versées au Trésor Public, et cette amende doit être requise par le parquet, et les comptes-rendus d'audience étaient muets sur ce point.

Il peut s'agir de dommages-intérêts demandés par le prévenu relaxé (art. 472 du CPP) pour abus de constitution de partie civile.

Enfin, il peut s'agir d'une requête de l'article 800-2 du CPP, visant au remboursement des frais d'avocat du prévenu relaxé, indemnité en principe à la charge du Trésor, mais que le tribunal peut mettre à la charge de la partie civile.

J'opine pour la deuxième solution, puisqu'Easy Rider a déclaré que cette somme serait versée à une association pour les enfants malades, et mon confrère Herzog, s'il a gardé un cœur d'enfant, est en parfaite santé.

En quoi l'obstination de la victime a-t-elle pu être considérée comme abusive ? Difficile à dire pour moi qui ne connais pas le dossier ni n'étais présent à l'audience. L'attitude, les propos de la partie civile ont pu jouer.

Le fait de vouloir envers et contre tous amener au pénal une affaire sur un incident mineur comme il s'en produit des dizaines chaque jour, d'un préjudice de 260 euros, et de maintenir sa demande malgré une carence de la preuve et des expertises battant en brèche ses affirmations, sachant que le prévenu porte un patronyme illustre, qu'il était candidat aux élections cantonnales, et que la médiatisation de cette affaire a des conséquences politiques qui n'ont pu échapper à la partie civile et qui peuvent expliquer son obstination me paraît être une explication suffisante pour la décision des juges.

C'est une affaire regrettable à tout point de vue car il y a eu, d'un côté ou de l'autre, instrumentalisation de la justice (et elle a horreur de ça, vous n'avez pas idée), et les commentaires sur cette affaire montrent que tous les opposants au président ont pris fait et cause pour l'automobiliste, estimant que le fils de ne pouvait qu'être coupable, avec le nom qu'il porte (et donc la justice à la botte du pouvoir, vous savez, la justice qui vient de relaxer Hamé pour la troisième fois sur des poursuites voulues par le papa de).

Je ne souhaite à personne d'être jugé par le tribunal de l'opinion publique. Me reviennent les immortelles paroles de mon confrère Moro Giafferi (1878-1956) : « L'opinion publique, chassez-là du prétoire, cette intruse, cette prostituée qui tire le juge par la manche. »

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