Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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dimanche 26 octobre 2008

dimanche 26 octobre 2008

Vous en reprendrez bien une petite part ?

Deux derniers (?) témoignages viennent se joindre à la liste : un juge administratif et un directeur de prison suisse viennent apporter leur témoignage pour montrer qu'ailleurs, ça ne se passe pas très bien non plus. je ne sais s'il faut en tirer une consolation. Billets ci-dessous.

Au Bal des Hypocrites

Par Persifleur, directeur d'établissement pénitentiaire en Suisse


Comme il est souvent édifiant de voir ce qui se passe chez le voisin et de découvrir, ou feindre de découvrir, qu'il rencontre les mêmes difficultés que nous. La surpopulation carcérale a atteint en France un record en cette année olympique. Selon un scénario désormais rôdé, on a assisté à des déclarations pseudo-intelligentes des uns sur la nécessité « de repenser globalement le système pénitentiaire », incantatoires des autres sur « la diminution urgente du nombre de détenus » ou encore dilatoires sur la nécessité de « mener une étude sur les causes de la surpopulation carcérale ». Puis, dans la foulée, vous assistez à des visites de ministres sur des chantiers de prisons modèles en construction, de promesses de voir les peines de substitution - vous savez les « bracelets électroniques » - comme remèdes miracle aux maux des prisons surpeuplées. Ou poudre de perlimpinpin c'est selon.

Billevesées que tout ceci. Depuis presque 10 ans, la France et les pays qui l'entourent, ont adopté le mode de la jérémiade humanitaire sous forme de diarrhée textuelle - rapports, rapports dits « d'experts » - pénétrées des hurlements outrés de milieux bien pensants, de fonctionnaires militants peu enclins à la réserve qui doit être la leur ou d'oligarques de l'Académie figés dans leurs certitudes d'antan. En 2000, un rapport vitriolé dénonçait, à grandes déclinaisons du mot scandale l'état des prisons dans ce pays. Dont acte et puis plus rien.

Passez la frontière et venez en Suisse. Vous ne serez pas dépaysés. Les problèmes sont identiques ou presque. Le néant des solutions entreprises par le pouvoir politique presque total. Les couinements plaintifs de ceux qui sont trop heureux d'exister à travers « les droits de l'homme en prison » lancinants. Vous êtes tétanisés devant les décisions que vous devriez prendre. Paralysés devant les responsabilités que vous devriez assumer, une fois achevée votre parade médiatique. Et pourtant est-ce si compliqué ? Soit vous êtes un partisan d'une ligne dure, répressive et vous l'assumez. Les lois sont appliquées, durcies et les prisons se remplissent. Vous ne voulez pas qu'elles débordent ? Vous en construisez des nouvelles. Vous pensez que les prisons surpeuplées sont encore trop confortables pour ces délinquants qui n'avaient qu'à bien se tenir ? Vous le dites et vous l'assumez. (vous serez difficilement réélu).

Vous êtes d'avis que la police arrête bien plus qu'elle ne devrait et que la justice est trop sévère. Eh bien soit. Vous donnez les instructions et les ordres nécessaires à la police - « fermez les yeux » ou « arrêtez d'arrêter », à votre guise - vous changez les lois et les prisons se videront sans doute assez vite. (vous ne serez sans doute pas réélu non plus mais au diable les détails).

Mais voilà. Vous devez adopter une ligne politique (c'est probablement possible). Vous devez mettre de côté votre penchant atavique pour une pensée crypto « humaniste » qui fait croire que des hommes politiques de droite sont atypiques lorsqu'ils se préoccupent du sort des plus démunis. Vous devez mettre de côté vos réflexes génétiquement inscrits de baba cool post sixty-height - figés - qui vous empêchent toujours d'imaginer que la liberté peut rimer avec l'ordre.

Seulement, comme disait Lénine, les faits sont têtus. Mettez en relation, dans le désordre, l'augmentation de la population, celle des délits commis, le débat pseudo académique entre les théoriciens des peines dites alternatives à l'emprisonnement, les héritiers au nom séculaire qui ne se sont donné que la peine de naître et qui, pénétrés de leur nullité, croient utile de donner des leçons à tout le monde. Vous obtenez une gigantesque cacophonie dont seuls les criminels et les délinquants profitent.

Et les TA ?

Par Conseiller de Base (un aristocrate), juge administratif dans un tribunal administratif d'Île de France, qui s'appellent conseiller dès le niveau du tribunal administratif pour compenser le fait qu'ils ne portent pas la robe (chez les juges judiciaires, ce n'est que dans les cours, d'appel ou de cassation, qu'un juge prend le titre de conseiller).


Cher maître, Puisqu'il semblerait que l'on puisse encore vous écrire et parce que je regrette qu'aucun juge administratif ne se soit encore exprimé, parce que je trouve incroyable que seule une courageuse assistante de justice ait eu le courage de dévoiler un peu de ce qui se passe dans les tribunaux administratifs aujourd'hui, je viens vous demander humblement de bien vouloir prendre en considération ce court billet.

Dans les TA[1] et les CAA[2] aujourd'hui, la seule chose qui compte, la seule chose qui importe vraiment, la seule chose qui régisse la vie des juridictions, ce sont les STATISTIQUES : délais de jugement, apurement des stocks anciens toutes matières confondues ... Pas un discours officiel, du président de juridiction ou du VPCE[3] qui ne commence par un rappel des chiffres, réputés bons ou mauvais de telle ou telle juridiction.

Je ne dis pas que les statistiques n'ont pas leur importance : oui, il est scandaleux de juger en quatre ans des affaires qui parfois touchent aux droits les plus fondamentaux de la personne humaine. Mais, d'une part, les données moyenne ne veulent rien dire et conduisent à juger au même rythme des contentieux aussi urgents que ceux qui portent sur des autorisations de licenciement de salariés protégés et des contentieux qui, ma fois, peuvent attendre un peu comme le contentieux fiscal (les requérants ont quasiment toujours obtenu le sursis de paiement), d'autre part, juger toujours plus à moyens constants, ne peut pas se faire sans casse.

Le résultat est là : ordonnances[4] à gogo, magistrats épuisés qui approfondissent de moins en moins les dossiers et présidents qui ne se préoccupent plus de la manière dont les dossiers sortent du stock du moment qu'ils en sortent. Après tout, si les requérants ne sont pas contents, pourquoi ne font-ils pas appel ? Parce que désormais, le ministère d'avocat est généralisé en appel et que les populations parfois défavorisées dont les requêtes sont rejetées par ordonnance ignorent souvent l'existence de l'aide juridique.

Notes

[1] Tribunaux administratifs.

[2] Cours administratives d'appel.

[3] Vice-Président du Conseil d'État, le plus haut magistrat administratif de France et le vrai chef du Conseil d'État. Le président du Conseil d'État est, de droit, le premier ministre en exercice, mais c'est un titre plutôt honorifique.

[4] En procédure administrative, on appelle ordonnance une décision rejetant une requête sans l'examiner selon la procédure de droit commun qui implique une phase préparatoire et un débat collégial avec intervention du rapporteur public. Si les ordonnances se justifient dans certains cas pour des recours irrecevables ou fantaisistes, la tentation est forte de gérer le stock en traitant ainsi des requêtes qui paraissent simplement douteuses dans leurs chances de succès. C'est la préoccupation des avocats : rédiger des recours qui passeront le stade de l'ordonnance. Cette procédure a été récemment étendue à la Cour Nationale du Droit d'Asile.

Quoi de neuf ?

Note aux nouveaux venus : il est de tradition que temps en temps, le dimanche, je m'autorise un billet léger, loin du thème du droit, destiné à émouvoir ou à faire rire, mais certainement pas édifier mes lecteurs (quoique…). Ce sont mes billets du dimanche. Ceci en est un.


Souvenez-vous.

En 2000, Budweiser®, une marque de bière bien connue qu'il faut boire avec modération, surtout si on aime la bière, lançait une campagne de pub qui allait connaître un succès… retentissant, c'est le mot. La campagne « Waaazaaa ».

Ne me dites pas que vous avez oublié.

Au cas où : piqûre de rappel.

Hé bien le mêmes acteurs ont été réunis pour la suite. Ça s'appelle huit ans plus tard.

Brillant.

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