Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 24 novembre 2008

lundi 24 novembre 2008

J’y pensais, même en me rasant…

Par Guile, élève avocat, qui vous propose de découvrir de l'intérieur comment on devient avocat, une fois réussi l'examen d'accès au Centre Régional de Formation des Avocats (CRFPA).


11, 56… Et oui, devenir avocat, cela commence comme ça : Par une note, vécue comme le Saint Graal après plusieurs mois de dur labeur. Je passerais bien entendu sur les épreuves d’entrée à l’école des avocats, qui, dans le fond, ne présentent pas grand intérêt pour vous lecteurs, puisqu’elles restent assez théoriques, quoiqu’on en dise.

Ce jour là, devant le panneau des résultats, l’étudiant en droit, encore naïf et épuisé par ses longues heures de révisions, croit bêtement avoir fait le plus dur. Que nenni, il lui reste encore à subir une longue période initiatique, appelée formation initiale (que l’on oppose à la formation continue qui est de 20H par an pour les « Maîtres ») à laquelle les apprentis Jedi n’ont rien à envier. Ce périple dure 18 mois en théorie, mais 20 à 22 en pratique. En effet, l’élève avocat (tel est son nom une fois qu’il a intégré l’école des avocats de sa région) doit passer par trois étapes de 6 mois chacune, plus une petite surprise finale.

Ainsi, on parle de la période d’enseignement, de la période de PPI (Projet Pédagogique Individuel), et de la période dite de « stage cabinet ». A l’issue de ses trois phases, se joint l’ultime étape faite d’angoisses et de réminiscence de l’entrée à l’école, le CAPA (Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat). Comme si l’examen d’entrée, qui a perdu son appellation de concours lors de la réforme (les étudiants restant persuadés qu’il s’agit d’un concours caché…), n’était pas suffisant pour juger de votre capacité à devenir avocat, le législateur a tout prévu : Un examen d’entrée dans la profession après un examen d’entrée à l’école. Vous suivez toujours ?

Chronologiquement, l’élève avocat a la chance d’entamer son parcours de jeune padawan par les 6 mois d’enseignement. Cette étape se décompose en deux parties (et oui le juriste reste binaire jusqu’au bout), puisque l’enseignement à l’école des avocats commence par une première partie dite « générale », qui est suivie d’une seconde dite « optionnelle » (Je précise que ce n’est pas le cas dans toutes les écoles, mais je ne m’aventurerais pas à les comparer).

Je sens déjà que vous vous demandez à quoi sert cet enseignement ? Vous pouvez, puisque de longues années d’études nous ont façonnées, pour ne pas dire formaté. En réalité, le droit n’est pas la seule chose à savoir pour devenir avocat, loin s’en faut. Ainsi, l’élève découvre les règles propres à la profession, comme la déontologie, ou les règles fiscales régissant les professions libérales et apprend à bafouiller (euh plaider pardon). Bien sûr, l’élève avocat continue de parfaire sa formation juridique, pour ne pas oublier tout ce qu’il a mis si longtemps à retenir, au risque de l’overdose législative d’ailleurs.

De cette période, je ne retiendrais qu’une chose : le « Petit Serment ». Il s’agit d’une prestation de Serment qui engage les élèves avocats à respecter certaines règles déontologiques durant leurs stages, notamment le secret professionnel.

Comment décrire ce moment sans avoir l’air d’un adolescent boutonneux devant son nouveau jeu vidéo… Grandiose, solennel, et impressionnant : Cour d’appel, réquisitions de l’avocat général, et Serment debout, un par un, dans une magnifique salle d’audience en noyer massif. J’avoue en garder un souvenir impérissable. J’ai hâte de vivre la « vraie » prestation de Serment, pour vibrer un peu plus….

Ensuite vient la période de PPI. Très simplement il s’agit d’un stage dans « tout sauf un cabinet d’avocat ». Paraît-il, cela ouvre l’esprit de l’apprenti avocat, vers d’autres professions et d’autres méthodes de travail. Ce stage permet une assez grande marge de manœuvre, puisque tout est possible ou presque (l’ostréiculture n’ayant qu’un lointain rapport avec le droit, cela est exclu). De nombreux élèves choisissent de passer cette période de 6 mois en juridiction. L’avantage, c’est qu’on voit l’envers du décor, qu’on découvre très vite ce que les magistrats aiment ou n’aiment pas chez les avocats et que raconter les anecdotes des arcanes de la Justice en famille, c’est toujours plus croustillant que de parler de ses professeurs. Inconvénient : pas de gratification de stage. Quand on vous dit que la Justice n’a pas de budget…

D’autres préfèrent les entreprises, ou les autres professionnels du droit (qui vont d’ailleurs bientôt disparaître pour certains d’entre eux, rappelons-le). C’est également intéressant, car l’élève avocat va enfin avoir une approche concrète des problèmes juridiques posés dans la « vraie vie » (En effet, à l’Université nous avons été bercés aux cas pratiques avec dans le rôle du méchant M. Lescroc et de la victime, Mme Lablonde).

Cette période est notée, évidemment, et fait l’objet d’un rapport de stage.

Enfin, pour finir (pas tout à fait, vous comprendrez pourquoi), l’élève avocat, devenu « avocat-stagiaire » dès son passage par l’étape PPI, doit terminer par un stage en cabinet d’avocats pour une durée de 6 mois également.

Ce stage fait un peu office de « période d’essai » pour les recruteurs. Du coup, contrepartie oblige, ils sont très regardants sur le bétail qu’ils emploient. C’est un peu celui qui sera la meilleure bête à concours, qui trouvera une place dans les meilleurs cabinets. Ce stage fait l’objet de recherches approfondies de la part des élèves avocats, à tel point que le harcèlement téléphonique des cabinets devient règle. On en oublierait presque les principes élémentaires de politesse… A force d’expérience, je dois dire, qu’on arrive à maîtriser parfaitement l’Art de la lettre de motivation et du CV trafiqué (euh mis en valeur, pardon).

Durant ces 6 mois, le stagiaire est en véritable immersion dans son futur univers professionnel. C’est formidable, me direz vous, mais pas pour tout le monde. Certains étant victimes de la terreur infligée par leur patron, d’autres n’ayant pas eu de tâches intéressantes à accomplir mais maîtrisant parfaitement la machine à café. (6 mois à ses côtés, ça aide)

Pour les futurs élèves, je vous rassure, ces cas ne sont pas légion, et dans l’ensemble, cela se passe plutôt bien et reste très formateur pour l’apprenti. Cette période est également notée et doit être retranscrite sur un rapport de stage.

Contrairement à certains stages PPI (période précédente), celui ci est rémunéré. La gratification du stagiaire est liée à la taille du cabinet d’avocats et du nombre de salariés non-avocat qui le compose. En gros, la fourchette va de 60% du SMIC à 85%. Bref, c’est pas énorme, mais c’est déjà ça, surtout qu’on est encore loin d’être aussi efficace qu’un collaborateur en exercice.

Après tout ça, me direz vous, le parcours du combattant étant terminé, il n’y a plus qu’à prêter serment, et c’est parti… Et bien non.

Comme je l’ai dit plus haut, il reste un dernier examen de passage, pour embrasser enfin la profession d’avocat. Le CAPA. Pour beaucoup, c’est juste une formalité, enfin en apparence, puisque le taux de réussite est très élevé. (Je crois que dans mon Centre de formation, il est de 98%). Le problème, c’est que les impétrants sortent d’une période de stage, et l’enseignement, notamment de déontologie, est derrière eux depuis plus d’un an. Bref, pas facile de se souvenir de ce que le Bâtonnier a raconté sur le secret des correspondances ou sur le conflit d’intérêt.

Enfin, il arrive parfois que les rapports de stage posent problème, et ne soient pas très bien notés (souvent en raison du travail de rédaction insuffisant paraît-il). Je vous rassure, il existe un rattrapage qui oblige l’élève ayant échoué à se refaire ses rapports de stages si ces derniers ont été mal notés !!!

La conclusion de ce parcours interminable, est la fameuse Prestation de Serment. Chaque élève ayant réussi prêtera Serment dans son Barreau de rattachement et prononcera la formule consacrée : « Je jure comme Avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité, humanité ». Etant superstitieux et n’étant pas encore parvenu à cette ultime étape, je préfère laisser les avocats en exercice vous raconter cet instant, magique d’après ce que j’en sais.

Voilà, je crois avoir fait le tour de ce qu’est la formation initiale. Il m’a semblé important que ce soit raconté par un apprenti avocat qui vit cela de l’intérieur, pour vous montrer que ce métier, on ne le choisit pas par hasard pour accepter tout ça.

Affaire Fuzz.fr contre Olivier Martinez : la cour d'appel donne raison à Fuzz.

…et tort à votre serviteur qui se demandait si le juge des référés n'avait pas eu raison, mais ça, je commence à avoir l'habitude.

Pour mémoire, l'ordonnance de référé est commentée ici. Je tiquais à l'époque sur le caractère délibéré selon le tribunal du choix de la société Bloobox, éditrice du site Fuzz (ces deux noms sont donc parfaitement synonymes dans le billet qui va suivre).

L'arrêt de la cour est très clair, dans la mesure où la loi qu'elle applique, et son terrible article 6, le permettent. Je n'aurai donc qu'à le commenter, et non à l'expliquer.

Je saute le chapeau de l'arrêt, qui ne contient rien qui nous intéresse, hormis l'adresse personnelle d'Olivier Martinez à New York, que je ne puis communiquer qu'à Fantômette, Dadouche et Lulu. Relevons simplement que le demandeur résidant à New York a assigné à Paris une société dont le siège est à Lyon. Magie de l'internet.

Voici donc les motifs de l'arrêt, in extenso[1]. La cour commence par le rappel des faits.

LA COUR

Considérant que la SARL BLOOBOX-NET, qui a pour objet social la conception web et multimédia, édite sur internet un site accessible à l’adresse www.fuzz.fr ; qu’elle diffuse sur ce site des informations, dont certaines dans une rubrique “people” ont trait à l’actualité et à la vie privée d’artistes et de personnalités du spectacle ;

Que le 31 janvier 2008, ce site a publié une “brève” rédigée en ces termes : Kylie Minogue et Olivier Martinez réunis et peut-être bientôt de nouveau amants” accompagnée d’un titre “Kylie Minogue et Olivier Martinez toujours amoureux, ensemble à Paris” lui-même assorti d’un lien renvoyant à un article publié le 30 janvier 2008 sur le site www.celebrites-stars.blogspot.com :

« La chanteuse Kylie Minogue qui a fait une apparition aux NRJ Music Awards a ensuite été vue avec son ancien compagnon l'acteurfrançais, Olivier MARTINEZ.

« La star a été vue à Paris promenant son chien .... et alors qu'elle allait avec son ancien fiancé chez Yves St Laurent puis au café de Flore où elle aimait déjà se rendre lorsqu'elle habitait Paris afin de recevoir le traitement pour soigner sa gastro entérite ;

« L'actrice âgée de 39 ans a créé bien malgré elle une petite émeute... alors qu'elle promenait son chien avec Olivier MARTINEZ dans les rues de Paris.

« Rappelons que les deux célébrités se sont séparées au mois de février 2007 lorsque l’acteur a été surpris en charmante compagnie et alors que Kylie Minogue suivait un lourd traitement contre la gastro-entérite.

« La star australienne est ensuite allée à la gare pour prendre un train Eurostar en direction de Londres mais elle pourrait d’après ses proches bientôt revoir Olivier Martinez régulièrement. »''

Qu’invoquant une intrusion intolérable dans la sphère de son intimité, M. Olivier MARTINEZ a saisi le juge des référés aux fins de voir constater cette atteinte à la vie privée et obtenir réparation de son préjudice moral, notamment voir ordonner le retrait immédiat de l’article sous astreinte, condamner la société BLOOBOX.NET au payement d’une provision de 30000 € en réparation du préjudice moral et ordonner la publication de l’ordonnance sur la page du site internet sous astreinte ;

Fin du rappel des faits. La cour rappelle ensuite la teneur de l'ordonnance de référé qui lui est soumise par cet appel.

Que c’est dans ces conditions que l’ordonnance entreprise a été rendue ; que le premier juge a dit qu’en renvoyant au site www.célébrités-stars.blogspot.com en agençant différentes rubriques telles que celle intitulée “people” et en titrant en gros caractères “Kylie Minogue et Olivier Martinez toujours amoureux, ensemble à Paris”, la société BLOOBOX.NET a opéré un choix éditorial ; qu’il l’a considérée comme un éditeur de service de communication en ligne au sens de l’article 6, III, 1, c de la loi susvisée [loi du 21 juin 2004, la LCEN] renvoyant à l’article 93-2 de la loi du 21 juillet 1982 et par suite, responsable de la diffusion de propos portant atteinte à la vie privée de M. MARTINEZ ;

Enfin, rappel succinct de l'argumentation de l'appelante, la société Bloobox.net ; les argumentations des parties ont été reprises en détail dans le chapeau de l'arrêt :

Considérant qu’en cause d’appel, la société BLOOBOX.NET revendique le statut d’hébergeur au sens de l’article 6, I, 2° de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique pour rejeter toute responsabilité tandis que M.MARTINEZ lui attribue le rôle d’un éditeur ;

Maintenant, la cour va exposer sa réponse. D'abord, en rappelant les textes qu'elle doit appliquer.

Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 rappelé à l’article 1er de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, le respect de la vie privée constitue une limite à la communication au public par voie électronique ;

Considérant que l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 distingue les différents prestataires de cette communication en ligne ; que l’éditeur est, selon l’article 6, I, 1°, défini comme la personne ou la société qui “édite un service de communication en ligne” à titre professionnel ou non, c’est à dire qui détermine les contenus mis à la disposition du public sur le service qu’elle a créé ;

Qu’en revanche, aux termes de l’article 6, I, 2°, l’hébergeur est la personne ou la société qui assure “même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services” ; que l’article 6-I-7° de la même loi précise que les hébergeurs ne sont pas soumis “à une obligation générale de surveillance des informations qu’ils stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites” ;

Jusque là, ce n'est que de la paraphrase de la loi, je n'ai donc aucun commentaire à faire. À partir de maintenant, la cour expose son interprétation de la loi. L'office du juge commence : il dit le droit.

Qu’au vu de ce qui précède, le “prestataire technique” au sens de l’article 6 de la loi susvisée assure, en vue de leur communication au public en ligne, le stockage de données fournies par des tiers, et n’est pas, contrairement à l’éditeur, personnellement à l’origine des contenus diffusés ;

Voici le critère que la cour entend appliquer, en donnant au passage une leçon de clarté et de concision au législateur de 2004.

Considérant qu’il convient d’apprécier si, au regard des dispositions de la loi du 21 juin 2004, la société BLOOBOX NET détermine les contenus qui sont mis en ligne et si elle a la maîtrise du contenu éditorial des informations proposées sur son site et des titres résumant les informations ;

Voilà, la cour a exposé le droit tel qu'elle va désormais l'appliquer aux faits. Étudiants en droit, la cour d'appel de Paris vous offre une démonstration de la méthode de cas pratique.

Considérant qu’il n’est pas contesté que la société BLOOBOX NET est éditrice du site www.fuzz.fr ;

Retenez cette première affirmation, j'y reviendrai.

Que ce site interactif offre aux internautes, d’une part la possibilité de mettre en ligne des liens hypertextes en les assortissant de titres résumant le contenu des information, et d’autre part le choix d’une rubrique telle que “économie”, “média”, “sport” ou “people”, etc, dans laquelle ils souhaitent classer l’information ; qu’ainsi, le 31 janvier 2008, un internaute a rédigé et déposé sur la rubrique “people” du site www.fuzz.fr un lien hypertexte renvoyant vers le site www.célébrités-stars.blogspot.com en ces termes: “Kylie Minogue et Olivier Martinez réunis et peut-être bientôt de nouveau amants” et l’a assorti du titre suivant: “Kylie Minogue et Olivier Martinez toujours amoureux, ensemble à Paris” ;

Que c’est l’internaute qui, utilisant les fonctionnalités du site, est allé sur le site source de l’information, www.célébrités-stars.blogspot.com, a cliqué sur le lien, l’a recopié sur la page du site de la société BLOOBOX NET avant d’en valider la saisie pour le mettre effectivement en ligne sur le site www.fuzz.fr et a rédigé le titre ; qu’ainsi, l’internaute est l’éditeur du lien hypertexte et du titre ;

La cour prend le contrepied de l'ordonnance d'appel, dont désormais les minutes sont comptées (si vous avez pouffé, vous savez que vous êtes un juriste). Car en qualifiant d'éditeur l'utilisateur du site qui poste une info, elle rétrograde Fuzz au rang d'hébergeur, qui ne peut voir sa responsabilité engagée qu'à deux conditions cumulatives : de s'être vue notifier le caractère illicite d'un contenu selon les formes rigoureuses de la LCEN[2], et ne pas avoir promptement réagi (la jurisprudence fixant le promptement à 24 heures à compter de la notification).

Il lui faut encore réfuter l'argumentation retenue par l'ordonnance de référé :

Que le fait pour la société BLOOBOX NET, créatrice du site www.fuzz.fr de structurer et de classifier les informations mises à la disposition du public selon un classement choisi par elle permettant de faciliter l’usage de son service entre dans la mission du prestataire de stockage et ne lui donne pas la qualité d’éditeur dès lors qu’elle n’est pas l’auteur des titres et des liens hypertexte et qu’elle ne détermine pas les contenus du site, source de l’information, www.célébrités-stars.blogspot.com que cible le lien hypertexte qu’elle ne sélectionne pas plus ; qu’elle n’a enfin aucun moyen de vérifier le contenu des sites vers lesquels pointent les liens mis en ligne par les seuls internautes ;

Voilà le cœur de la décision. Si la première partie, qui réfute l'affirmation du caractère délibéré du choix de mise en ligne de la société Bloobox, me convient, cette dernière affirmation me semble contestable. Fuzz peut mettre les billets en attente le temps de les valider après avoir vérifié le contenu des liens. Bloobox est une SARL, une société commerciale, et en tant que tel un professionnel. La réponse : “ Il y a des milliers de liens publiés chaque jour, je ne peux pas tout vérifier ” n'est pas recevable : un professionnel n'est pas dispensé de se comporter en professionnel s'il dit ne pas avoir les moyens matériels de le faire (concrètement, y consacrer le temps ou le personnel nécessaire), or cette mise en ligne de liens est le cœur même de l'activité de Fuzz, pour ne pas dire son rôle exclusif ; et en tout état de cause, il est faux de dire que Bloobox n'a aucun moyen de vérifier le contenu des sites vers lesquels pointent les liens mis en ligne.

De plus, une question se pose alors : en quoi consiste l'activité d'éditrice du site Fuzz.fr, que l'arrêt rappelait au début de son raisonnement ? À choisir l'intitulé des rubriques ? Il faut reconnaître que l'activité d'éditeur est réduite à la portion congrue, puisque de fait, tout le contenu du site est hébergé et non édité au sens de la LCEN. Même les publicités sont, de fait, hébergées, puisqu'elles sont insérées par un tiers (Google Ads, blogbang ou autre…). D'où un motif contradictoire :

Qu’au vu de ce qui précède, il résulte que la société BLOOBOX.NET ne peut être considérée comme un éditeur au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, sa responsabilité relevant du seul régime applicable aux hébergeurs ;

…alors que la cour affirmait plus haut que la société Bloobox était éditrice du site Fuzz.fr. Pas sûr que ça tienne en cassation, si un pourvoi est formé.

La cour rappelle ensuite le régime de responsabilité applicable aux hébergeurs :

Considérant qu’à l’exception de certaines diffusions expressément visées par la loi relatives à la pornographie enfantine, à l’apologie des crimes contre l’humanité et à l’incitation à la haine raciale que l’hébergeur doit, sans attendre une décision de justice, supprimer, sa responsabilité civile ne peut être engagée du fait des informations stockées s’il n’a pas effectivement eu connaissance de leur caractère illicite ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer les données ou en rendre l’accès impossible ;

C'est là que l'argumentation de la cour apparaît bancale : comment justifier que Fuzz soit responsable de plein droit de liens vers des sites faisant l'apologie de crimes de guerre alors que la cour admet qu'il n'a aucun moyen de vérifier le contenu de ces sites ?

Qu’il appartient à celui qui se plaint d’une atteinte à ses droits d’en informer l’hébergeur dans les conditions de l’article 6, I, 5° de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 ; que dès cette connaissance prise, l’article 6-I-2° de la loi impose à l’hébergeur d’agir “promptement” ; qu’en l’espèce, M Olivier MARTINEZ n’a adressé à la société BLOOBOX NET aucune mise en demeure en ce sens avant de l’assigner ;

Que dans ces conditions, les demandes de M. Olivier MARTINEZ doivent être rejetées et l’ordonnance infirmée

;

Précisons que Fuzz a retiré le billet incriminé dès réception de l'assignation ; or cette assignation valait notification au sens de la LCEN car elle répond à ses conditions. C'est donc parce que Fuzz a réagi promptement qu'il est mis hors de cause.

La cour répond ensuite aux demandes restantes : Bloobox (ou Fuzz, comme vous préférez) demandait la condamnation d'Olivier Martinez a une amende civile (art. 32-1 du CPC[3]) :

Considérant que la société BLOOBOX NET n’est pas recevable à solliciter la condamnation de M.MARTINEZ au paiement d’une amende civile, cette décision relevant du seul office du juge ;

Traduction : c'est pas à toi de le demander, c'est moi seul qui décide.

Fuzz demandait aussi des dommages-intérêts pour abus du droit d'agir en justice. Vu qu'Olivier Martinez avait gagné en première instance, la demande avait peu de chance d'aboutir.

Considérant que la société BLOOBOX NET rie justifie pas des circonstances ayant fait dégénérer en abus le droit pour M.MARTINEZ d’agir en justice ; que la demande en payement de dommages et intérêts pour procédure abusive doit être écartée ;

Restent les frais d'avocat, le fameux article 700 :

Considérant que l’équité commande de ne pas prononcer de condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Bref chacun paye son avocat.

Considérant que M.MARTINEZ qui succombe en ses prétentions doit supporter les dépens de première instance et d’appel ;

Cela ne signifie pas que la cour estime qu'Olivier Martinez est prétentieux à mort. Les prétentions en droit sont les demandes que l'on forme. Succomber, c'est être débouté ou condamné selon qu'on demande ou on défend, l'adversaire, lui, triomphant. C'est épique, le vocabulaire juridique, non ?

Voilà, tout cela, c'était les motifs. Voici enfin le dispositif, qui est bref, sec, et clair : voici ce qu'ordonne la cour.

PAR CES MOTIFS

Infirme l’ordonnance entreprise ;

L'ordonnance est juridiquement réduite à néant.

Déboute M. Olivier MARTINEZ de toutes ses demandes ;

La cour lui dit “non” à tout.

Déclare irrecevable la demande de la société BLOOBOX NET en payement d’une amende civile ;

Cela veut dire que la cour ne l'examine même pas.

Déboute la société BLOOBOX NET de sa demande en payement de dommages et intérêts ;

Là, la cour l'a examiné, et dit “non”.

Dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Chacun garde sa facture d'avocat.

Condamne M Olivier MARTINEZ aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.

Les dépens recouvrent : les frais d'huissier pour l'assignation en référé, la signification de l'ordonnance, la signification de l'arrêt et les émoluments des avoués des deux parties, outre les droits de plaidoirie et les frais d'huissier audiencier pour les significations d'écritures. Je dirais au pifomètre que ça devrait faire environ 2500 euros. L'article 699 permet à l'avoué de Bloobox de présenter directement sa facture à Olivier Martinez.

C'est donc une décision a priori très favorable aux sites participatifs, qui se situe dans la droite ligne de la jurisprudence du TGI de Paris (affaires Dailymotion 1, Dailymotion 2, Dailymotion 3 Wikipédia), à ceci près qu'un récent jugement, sur lequel je reviendrai bientôt, vient de considérablement, et de manière à mon sens contestable, alourdir les obligations des hébergeurs.

Le droit issu de la LCEN n'en est décidément qu'à ses balbutiements. Période passionnante pour les avocats, un peu moins pour leurs clients.


PS : Merci à mon confrère Olivier Iteanu, avocat de la société Bloobox, pour la communication des motifs de cette décision.

Notes

[1] Afin de respecter la vie privée de la maladie citée dans l'arrêt, son nom a été changé.

[2] La notification doit contenir, sous peine d'être privée d'effet : - la date de la notification ; si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement ; les nom et domicile du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ; la description des faits litigieux et leur localisation précise ; les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ; la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté.

[3] « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.»

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