Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 18 décembre 2008

jeudi 18 décembre 2008

Les images pour le dire

Les mots ont un pouvoir, mais limité. Parfois, souvent, des images font mieux.

Venez, je vous emmène dans les sous-sols et les arrières-cours de la République.

Voici deux endroits où, au dessus de l'entrée, vous pourrez lire « République Française — Liberté, égalité, fraternité. »

Le premier est la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, où j'ai quelques clients en ce moment même. Des détenus ont réussi à faire passer à l'intérieur une arme terrible. Une caméra vidéo. Ils en ont sorti 2h30 d'images, dont Le Monde nous offre un petit montage. Les douches extérieures et intérieures. Les cellules. La saleté. Ce que même les avocats ne voient pas.

Et maintenant, de l'exotisme, avec le Centre de rétention de Pamandzi, sur l'île de Mayotte. Un centre de rétention n'est pas une prison. C'est un endroit où sont placés des étrangers en attente de leur reconduite à la frontière. En l'espèce, un seul pays : l'Union des Comores. Mayotte fait partie de cet archipel de quatre grandes îles. Trois îles ont accédé à l'indépendance en juillet 1975 : Grande Comore, Mohéli, et Anjouan. La quatrième île, Mayotte, est restée française car le non à l'indépendance l'a emporté, sur décision unilatérale du premier ministre français d'alors (un certain Jacques Chirac). Avec pour conséquence la séparation de familles : les mahorais ont tous des cousins aux Comores et vice-versa.

Les Comores ont eu une histoire agitée, émaillée de coups d'États et de quasi-guerres civiles, notamment à l'égard d'Anjouan, l'île la plus pauvre, qui a des velléités séparatistes. Carte de l'archipel des Comores - image wikipédia

Ajouan est à 70 km de Mayotte par la mer. Un saut de puce, que beaucoup d'Anjouanais effectuent dans des barques de fortune. La plupart sont expulsés vers Anjouan, fournissant la plus gros contingent (16.000 environ) de la cohorte des 26 000 expulsions qui fait la fierté de notre ministre de l'immigration, de l'identité nationale et de quelques mots sympas pour faire passer la pilule.

En attendant leur expulsion, ils sont placés au centre de rétention de Pamandzi. Capacité : 60 places. Occupation effective : environ 200. La Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité a, dans un avis du 14 avril 2008 sur lequel je vais revenir, déclaré, dans le plus pur style dit de l'euphémisme administratif :

Les conditions de vie au centre de rétention administrative de Mayotte portent gravement atteinte à la dignité des mineurs retenus ,

demandant que

« les mineurs ne soient plus placés en rétention dans l’actuel centre de rétention administrative de Mayotte ».

Voici des images du centre de rétention de Pamandzi, en octobre dernier. Voyez l'image à 1'19" pour voir comme il a été tenu compte de cet avis.

Le rapport de la CNDS, donc.

La commission a été saisie à la suite du naufrage, il y a un, au cours de la nuit du 3 au 4 décembre 2007, d'une barque de clandestins, percutée par un navire de la… PAF (police aux frontières, ça ne s'invente pas…) qui dérivait, toutes lumières éteinte. Les témoignages des survivants font estimer à une quarantaine le nombre de passagers. La violence du choc éventré le bateau qui a rapidement sombré, et projeté les passagers à la mer, dont certains dormaient. La plupart ne savaient pas nager. L'équipage de la PAFa tout fait pour repêcher les passagers. Mais…

Une jeune gardienne de la paix à bord de la vedette raconte :

« Nous avons jeté tout ce qui pouvait aider les passagers à sortir de l’eau, des cordes avec des bouées flottantes. Mon chef de bord, a sauté à l’eau pour sauver les naufragés. Constatant qu’il commençait à fatiguer, j’ai sauté à l’eau, car j’entendais encore des gens crier à l’avant ; mais n’ayant pas de gilet de sauvetage, je suis finalement remontée à bord. »

La suite figure au journal de bord.

28 personnes récupérées saines et sauves: 15 hommes, 11 femmes et 2 bébés. 1 femme et 1 bébé décédés. 4h50: accostage à Mamoudzou.

La CNDS précise qu'une petite fille de douze ans figure parmi les “disparus”.

Elle a entendu une des survivantes, Mlle R.B., “mineure de moins de 15 ans”:

« J’habitais Anjouan chez ma grand-mère maternelle. Je venais pour la première fois à Mayotte. J’ai pris le bateau toute seule pour rejoindre mon père. Depuis, je vis avec mon père. Je ne vais pas à l’école. J’aimerais y aller. »

Malheureuse. Si tu t'y crois à l'abri.

L'intégralité du rapport(pdf), publié par le GISTI.

Lettre au Pere Noël

Par Gascogne


Je ne voudrais pas pourrir l'ambiance, il paraît que ce n'est pas la période. Mais que voulez-vous, je ne crois pas au Père Noël. J'ai passé l'âge. C'est sans doute une période féerique pour les enfants, mais me dire que l'on fabrique du bonheur sur un mensonge m'a toujours quelque peu perturbé.

Je ne crois plus au Père Noël depuis que je suis en âge de comprendre la fable de La Fontaine : "Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.
Le Corbeau honteux et confus
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus." (A lire ici)

Je me vois bien en corbeau, enrobé de noir, en haut de mon pupitre, croyant ce que ce renard de prévenu me dit : "vous n'allez pas me croire, monsieur le procureur, mais cette fois-ci, j'ai compris. Je sais bien que c'est la dixième fois que je passe en correctionnel, mais là, c'est bon, je veux devenir quelqu'un de bien". Bah, requérons un travail d'intérêt général. C'est Noël...

Je m'imagine parfaitement en corbeau écoutant le renard du Ministère me contant, à l'occasion d'un dîner place Vendôme, les augmentations de budget et d'effectifs, et accessoirement tout son amour pour notre si beau métier. Certes, le budget famélique de la Justice augmente. Mais parle-t-on des gels de lignes budgétaires qui interviennent systématiquement dans l'année qui suit ? Oui, le nombre de magistrats s'est accru, mais pourquoi parler d'emplois en Equivalant Temps Plein ? Pourquoi manque-t-on toujours cruellement de fonctionnaires dans les juridictions ? Pourquoi diminue-t-on le nombre de places au concours d'accès à l'ENM, alors que la pyramide des âges nous entraîne vers des départs massifs à la retraite ?

Je ne crois plus au Père Noël depuis que mon travail me fait découvrir jour après jour des situations sociales plus terribles les unes que les autres. Ca ne s'est d'ailleurs pas arrangé depuis que je fréquente ce blog.

Et dans l'horreur du droit pénal, qui est mon quotidien, il arrive parfois qu'il y ait une lueur étrange. Oh, pas une très belle lumière, la noirceur humaine qui est notre fonds de commerce ne le permet pas. Juste une petite lumière. Et elle me permet d'ouvrir les yeux. Oui, finalement, c'est une évidence : il existe.

Alors joyeuses fêtes à tous.

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