Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 26 février 2009

jeudi 26 février 2009

Encore un prix Busiris pour Rachida Dati

Je vous assure, j'essaie de me retenir. Mais c'est elle qu'il faut retenir. Rachida Dati lançant au maître des lieux un regard de défi disant : “Alors, tu croyais pas que j'allais y arriver, hein, mon cochon ?” - Photo ministère de la justice

Je commence à la soupçonner de faire comme ces maires battus aux élections qui emportent avec eux les ordinateurs, la photocopieuse et les interrupteurs de la mairie, et de faire le plein de prix Busiris avant son exil à Strasbourg (symbolique, son lieu de détention sera en réalité au 116 rue de Grenelle).

Mais là, je ne peux faire autrement.

Revenant ensuite devant la presse sur la mise en place de bureaux d'aide aux victimes (BAV[1]) au début de l'année, Mme Dati a jugé que ceux-ci permettaient "d'expliquer la procédure, comment se constituer partie civile, comment on demande un avocat".

“On accompagne les victimes jusqu'à ce que la décision soit rendue. Une fois qu'elle est rendue, on continue à les prendre en charge jusqu'à ce que la décision soit réellement exécutée. C'est ça, être respectueux des victimes, parce que je considère que le premier des droits de l'homme, c'est le droit des victimes”, a-t-elle jugé.

Affirmation juridiquement aberrante, car elle confond non pas deux mais trois sens du mot droit : le droit objectif (droit de propriété, droit d'auteur), la discipline juridique (droit civil, droit pénal) et le droit subjectif (qui est la mise en application application pratique d'un droit objectif : le droit pour la victime d'un fait précis de demander réparation à l'auteur de ces faits par exemple). Dans l'expression “droit de l'homme”, droit a le sens de droit objectif.

Le “droit des victimes” tout court s'entend comme discipline juridique. Il regroupe des aspects de procédure pénale (comment se constituer partie civile, répliquer à une exception de nullité), de procédure civile (le renvoi sur intérêts civil, la procédure devant la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infraction), de droit de la responsabilité civile et du droit de la réparation du préjudice corporel (car chiffrer un préjudice est une science).

Mais en analysant les propos du Garde des Sceaux (ce qui n'est pas facile, c'est un peu comme skier sur un lac gelé, on sent vite que ça manque de pente), on réalise vite qu'elle voulait parler du droit des victimes à obtenir réparation, ce qui est confirmé par un passage antérieur :

Revenant ensuite devant la presse sur la mise en place de bureaux d'aide aux victimes (BAV) au début de l'année, Mme Dati a jugé que ceux-ci permettaient "d'expliquer la procédure, comment se constituer partie civile, comment on demande un avocat".

Manifestement, il s'agit d'aider les victimes à exercer leurs droits (ce qui en soit est une excellente idée). Mais c'est dans ce cas leur droits subjectifs.

Ça peut paraître du pinaillage, mais le sens du mot “droit”, c'est le premier cours qu'on a en fac de droit, juste avant “droit et morale”. La phrase récompensée ce jour ne veut absolument rien dire. Et Mme Dati est magistrate (désolé de le rappeler aux magistrats qui me lisent, mais nous, on a bien eu Clément, hein, chacun sa croix).

Car qu'est-ce qu'un droit de l'homme ? On pourrait faire des thèses sur cette question, mais pour faire simple, disons que c'est un droit supérieur à tout, intangible. On l'a mis hors de portée du législateur, et idéalement, on a désigné un juge pour le protéger (ce n'est pas encore tout à fait le cas en France). Le noyau dur, c'est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :

Art. 2.

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.

Vous constaterez que le droit des victimes n'y figure pas, et que l'ajouter à la liste n'aurait aucun sens, ou plutôt serait un contresens. Et en droit, un contresens, c'est un sens interdit (c'est dans le code de la route).

La déclaration de 1789 en contient d'autres, mais ce ne sont pas vraiment des droits, plutôt des libertés ou des principes juridiques (Égalité, art. 1er et 6 face à la loi ; tout ce qui n'est pas interdit est autorisé, art. 5 ; non rétroactivité de la loi pénale, art. 8 ; présomption d'innocence, art. 9 ; liberté de conscience, article 10, d'expression, art. 11 ; …). On les appelle néanmoins droits de l'homme par synecdoque.

Par la suite, quelques expériences postérieures malheureuses ayant montré l'insuffisance de cette liste, d'autres droits ont été reconnus et proclamés, dans le préambule de la Constitution de 1946 (préambule encore en vigueur) et par la Convention européenne des droits de l'homme en 1950. Tous ces droits forment l'ensemble des droits de l'homme, la discipline juridique les étudiant et surtout étudiant les moyens de les faire respecter s'appelant droits de l'homme et libertés fondamentales, ou parfois libertés publiques, programme de troisième année de droit en principe (et c'est une matière beaucoup plus ennuyeuse qu'il n'y paraît).

Le droit des victimes n'y figure pas. Ce n'est pas un oubli, c'est juste que, et on a tendance à l'oublier, les victimes sont des hommes et des femmes comme les autres. Ça s'appelle l'égalité, et ça, c'est un droit de l'homme.

Voilà pourquoi l'affirmation « le premier des droits de l'homme, c'est le droit des victimes » est juridiquement aberrante.

Il n'y a pas de contradiction, mais ce n'est pas un critère obligatoire pour un Busiris, quand le caractère aberrant atteint une certaine amplitude, et là, on est proche du volume d'Antarès (pour vous faire une idée, voyez ici).

L'affirmation est teintée de mauvaise foi car elle a été proférée en réponse à cette interpellation :

"Ce que je regrette, c'est de vous entendre toujours sur le droit des victimes et (de vous voir) apparaître de temps en temps dans les médias quand un détenu se suicide", lui a lancé une avocate, dénonçant son "silence et (ses) carences s'agissant des prévenus et des mis en cause".

Invoquer les victimes pour se défendre de ne pas respecter les droits de l'homme des personnes poursuivies, cela ne peut qu'être dit de mauvaise foi. J'ai une trop haute opinion de l'intelligence du Garde des Sceaux pour penser un seul instant qu'elle soit sincère en disant cela.

Enfin, le mobile d'opportunité politique est caractérisé par le fait que ces propos s'inscrivent dans son interminable tournée d'adieux aux frais de la République, où elle va dans le moindre recoin relevant de son ministère faire un discours à base de "je, je, je, je" et de chiffres pour expliquer en quoi elle a été formidable et tentant de nous convaincre qu'elle va nous manquer (démonstration avec son discours du jour). Pour ma part, j'en suis convaincu, elle va laisser un grand vide. Un très grand vide, même. Si le comptable de la Chancellerie me lit, il me comprendra.

Bref, et de six. L'exploit est sans précédent, et il lui reste 4 mois pour améliorer le record.

Je ne doute pas qu'elle saura les mettre à profit.

Notes

[1] Non, ce n'est pas une plaisanterie. On accueille les victimes dans des BAV.

HU-MA-NI-TE !

Par Gascogne


Les débats devant la commission parlementaire d’enquête suite à l’affaire dite d’Outreau nous avaient appris, au moins pour ceux qui n’étaient pas encore au courant (c’est à dire pour les habitants de Mars qui ne lisent ni le Figaro ni le blog de Jean-Michel APHATIE), que la Justice était particulièrement inhumaine, et que sa figure emblématique, le juge d’instruction, présentait autant d’humanité qu’un bulot mal cuit.

Diverses réformes sont donc intervenues pour remédier à tout cela. La scolarité des auditeurs de justice a été profondément remaniée, le stage avocat est passé de deux mois à six mois, afin d’apprendre aux pioupioux la vraie vie. Malheureusement, et pour ne pas alourdir une scolarité de 31 mois, le stage extérieur, en administration, ou dans une entreprise, qui devait aérer un peu les futurs magistrats dont la majorité sort à peine de faculté, en leur montrant autre chose que du judiciaire, a été supprimé (n'hésitez pas à demander le programme).

On demande dés lors aujourd’hui au juge d’être tout à la fois à l’écoute des victimes, pour lesquelles on n’en fait jamais assez (et je rejoins à 300 % la réponse faite par le Maître de Céans à un commentaire sous un précédent billet), mais également de se présenter sous son meilleur jour aux personnes poursuivies. Tout en conservant bien entendu la neutralité qui fait l’essence de son métier. Cela peut paraître certes quelque peu complexe, voire schizophrénique (sauf pour les juges d'instruction, qui ont l'habitude), mais des cours de psychologie ont été rajoutés à la formation initiale des auditeurs pour les aider, non à supporter la scolarité, mais à comprendre leur prochain.

Et la Chancellerie, à l’écoute de cette humanisation nécessaire des machines à juger que sont les magistrats, vient de diffuser une circulaire[1] concernant la visioconférence (à lire en intégralité sur le site du Syndicat de la Magistrature qui vient de communiquer sur le sujet).

C’est que tous ces juges qui exigent d’avoir face à eux les détenus pour procéder à des interrogatoires et autres débats contradictoires coûtent du temps et de l’argent aux services du Ministère de l’Intérieur en charge des extractions judiciaires. 155 000 extractions[2] pour l’année 2008, afin qu’une personne incarcérée puisse s’expliquer, c’est trop. Elles doivent diminuer de 5 % pour l’année 2009.

Et si cet objectif n’était pas atteint, le Ministère de la Justice paierait au Ministère de l’Intérieur la différence “au prorata des extractions non évitées et donc des ETPT (pour un peu plus d'explications technocratiques, voir ici) engagés pour les réaliser”. Par contre, si les Cours d’Appel dépassent l’objectif, il y aura certes une “compensation”, mais dont on ne connaît pas encore les modalités. Pile je gagne, face tu perds.

Je n’ai rien de particulier contre la visionconférence pour l’avoir moi même pratiquée lorsque j’étais à l’instruction. Lorsque j’ai dû notifier une mise en examen supplétive pour un chèque falsifié à un détenu se trouvant à 800 km, je ne voyais pas l’intérêt de lui faire faire ce voyage pour quelques minutes d’entretien, et d’imposer une journée complète de déplacement à deux gendarmes pour cela. J’ai pu également faire une confrontation par ce moyen, la victime résidant fort loin et ne pouvant se déplacer. Mais ces cas restent à la marge.

Le Secrétariat Général de la Chancellerie veut pourtant imposer cette "virtualisation" du rapport humain sous contrainte financière :

La performance des cours d’appel sera appréciée au regard du nombre de visioconférences qui auront été réalisées dans le cadre de l’activité juridictionnelle en lien avec des détenus, ayant ainsi permis d’éviter des extractions, et leur responsabilité sera engagée, en début d’année 2010, sur leur crédits vacataires

C’est visioconférence ou pas de personnels supplémentaires...

J’ai déjà eu connaissance de Chambres de l’instruction qui dans le cadre d’appels concernant des demandes de mise en liberté procédaient par visioconférence pour des mis en examen détenus pourtant à la maison d’arrêt du siège de la Cour d’Appel[3]. Le détenu argumentait sa demande de mise en liberté devant trois juges apparaissant sur un écran (grand format, je vous rassure). Et on nous demande de multiplier, pour des raisons d’économies à faire faire au Ministère de l’Intérieur, ce genre de procédures.

M. Vallini avait eu la délicatesse lors d’un déjeuner à l’ENM avec les auditeurs de justice de dire à une demoiselle qui, certes partageait sa table mais qu’il ne connaissait pourtant absolument pas, qu’elle manquait visiblement d’épaisseur humaine pour exercer à son âge les fonctions de juge.

L’épaisseur humaine web 2.0 va améliorer le système, n’en doutons pas.

Notes

[1] circulaire SG-09-005 / SG / 03.02.09 du 5 février 2009

[2] devant un chiffre aussi énorme, je suppute que la Chancellerie a comptabilisé pour la bonne bouche TOUTES les extractions, tant médicales qui judiciaires. Mais la visioconférence médicale est techniquement plus délicate à mettre en place...

[3] c'est à dire pour être plus précis à quelques centaines de mètres

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