Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 16 avril 2009

jeudi 16 avril 2009

Haussons le niveau de Besson

C'est marrant, c'est toujours quand je m'y attends le moins qu'un de mes billets a un certain écho. C'est encore le cas avec mon billet sur les propos d'Éric Besson, pourtant tenus cinq jours plus tôt, ce qui en temps médiatique est une éternité.

France Info, dans Info Net, s'est ainsi fait l'écho de mon coup de gueule contre le cerbère de l'Hexagone.

Et un honneur n'arrivant jamais seul, le judas de la porte d'entrée de la République était aujourd'hui l'invité de Alain Marschall et Olivier Truchot dans l'émission Les Grandes Gueules sur RMC. Il a à cette occasion été confronté à mes propos, et en profité pour itérer les siens.

Je retiens ce passage (à la 104e seconde de l'enregistrement) : « Ce que j'ai dit c'est que personne n'a jamais été condamné en France (…) pour avoir hébergé à son domicile un étranger en situation irrégulière … ».

Il l'a bien dit, redit, et il le maintient, nous sommes d'accord ?

Bon. Voici le texte de l'arrêt de 2006 que je citais, les seules modifications apportées visant à assurer l'anonymat des personnes mises en cause (y compris le travail du prévenu). C'est le cas de C… qui nous intéresse. Je graisse ; les notes de bas de page sont de moi. Voyez vous-même : la cour d'appel annule la relaxe et condamne une personne qui a hébergé son amant deux ou trois nuit, sachant que cet amant a été régularisé au titre de l'asile dès qu'il a pu effectuer la démarche, trois mois après son arrivée en France. Peu importe, dit la cour : avant cette démarche, il était en situation irrégulière, et être simples amants (ils sont devenus concubins stables, mais seulement par la suite) ne donne aucune immunité. Coupable au titre de l'article L.622-1 pour avoir hébergé son petit ami (qui était légitime à demander l'asile) trois nuits.


COUR D'APPEL DE DOUAI, (4ème Chambre)
Arrêt du 14 novembre 2006

RG : no 06/01132

A… et a.

DÉROULEMENT DES DÉBATS:

A l'audience publique du 17 Octobre 2006, le Président a constaté l'identité de C…, K… et de M… et le décès de A….

Ont été entendus:

Madame GALLEN en son rapport;

C…, K… et M… en leurs interrogatoires et moyens de défense (pour K… et M… par l'intermédiaire de Madame DARCY Maryam, Interprète en langue Farsi, inscrite sur la liste des experts près la Cour d'Appel de DOUAI)

Le Ministère Public, en ses réquisitions:

Les parties en cause ont eu la parole dans l'ordre prévu par les dispositions des articles 513 et 460 du code de procédure pénale.

C…, K… et M… et leurs Conseils ont eu la parole en dernier.

Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 14 Novembre 2006.

Et ledit jour, la Cour ne pouvant se constituer de la même façon, le Président, usant de la faculté résultant des dispositions de l'article 485 du code de procédure pénale, a rendu l'arrêt dont la teneur suit, en audience publique, et en présence du Ministère Public et du greffier d'audience.

DÉCISION:

VU TOUTES LES PIÈCES DU DOSSIER,

LA COUR APRES EN AVOIR DÉLIBÉRÉ CONFORMÉMENT A LA LOI, A RENDU L'ARRÊT SUIVANT:

Devant le Tribunal de Grande Instance de BOULOGNE SUR MER, (…)

C… était prévenu:

- d'avoir à CALAIS, MARCK, COQUELLES, dans le département du PAS-DE-CALAIS et DUNKERQUE, dans le courant de l'année 2004 et jusqu'au 22 février 2005 et en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, par aide directe ou indirecte, en l'espèce, en hébergeant, véhiculant et en fournissant des moyens matériels de subsistance et de communication, facilité ou tenté de faciliter la circulation ou le séjour irrégulier de T… et M…, étrangers en situation irrégulière, faits antérieurement prévus et réprimés par l'article 21 de l'ordonnance 45-2658 du 2 novembre 1945 et actuellement par les articles L.622-1, L.622-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers.

Par jugement contradictoire en date du 19 janvier 2006, le Tribunal, après avoir prononcé une relaxe partielle à l'égard de C… pour l'aide à l'entrée irrégulière sur le territoire national de T… par application de l'article L.622-4, 2° du CESEDA[1], a déclaré l'ensemble des prévenus coupables des faits qui leur étaient reprochés et les a condamnés, (…), C… à une dispense de peine.

Le Tribunal a en outre ordonné la confiscation des scellés.

Monsieur le Procureur de la République a relevé appel principal du jugement à l'égard des quatre prévenus et s'agissant de C…, uniquement de la relaxe partielle.

(…)

Sur la relaxe partielle de C…

Attendu que pour entrer en voie de relaxe partielle en faveur de C…, le Tribunal l'a fait bénéficier des dispositions de l'article L. 622-4, 2° du C.E.S.E.D.A. qui prévoient que ne peut donner lieu à des poursuites pénales l'aide au séjour irrégulier d'un étranger lorsqu'elle est le fait de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;

Attendu que c'est à tort qu'en l'espèce le Tribunal a estimé que C… vivait notoirement en situation maritale lors des faits avec T… ;

qu'en effet T… est entré en France le 1er juin 2004 et s'est présenté à la Préfecture d'Arras le 30 août 2004, date à laquelle il s'est vu délivrer une autorisation provisoire de séjour valable un mois;

Attendu qu'une demande d'asile politique a été enregistrée pour son compte par l'OFPRA le 13 septembre 2004, le statut de réfugié lui étant accordé le 23 décembre 2004;

Attendu que T… a indiqué le 2 juin 2005 devant le Magistrat Instructeur qu'il avait rencontré C… durant l'été 2004, ce dernier ayant confirmé qu'il l'avait rencontré dans un parc;

Attendu que T… a bien précisé qu'au départ il passait seulement deux à trois nuits chez C…et que c'était seulement lorsque les “choses s'étaient stabilisées” qu'ils “avaient décidé d'aller déposer sa demande d'asile”;

Attendu qu'entre le 1er juin 2004 et jusqu'au 13 septembre 2004, T… indique lui même (côte D 595 de la procédure) que sa situation n'était pas stabilisée avec C… ;

Attendu dès lors que C… ne vivant pas notoirement en situation maritale avec T… ne saurait bénéficier de l'exonération de responsabilité pénale prévue par l'article précité;

que la Cour infirme donc la relaxe partielle et déclare le prévenu coupable de ces faits, sans qu'il y ait lieu de prononcer une peine à son égard puisque C… a déjà été déclaré coupable du même délit en faveur de M…, dispensé de peine et que le Parquet n'a pas fait appel sur ce point, le jugement étant donc définitif à cet égard.

(…)

Par ces motifs:

LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement (…)

- Infirme la relaxe partielle prononcée en faveur de C…,
- Le déclare coupable d'aide à l'entrée et au séjour irrégulier de T…,
- Dit n'y avoir lieu à prononcer d'autre peine à son égard que la dispense de peine déjà prononcée par le Tribunal et dont il n'a pas relevé appel,
(…)


Alors, en effet, on peut chipoter. La dispense de peine prononcée par le tribunal pour l'aide au séjour commis par C… au profit de M… étant devenue définitive, la cour ne pouvait pas prononcer de peine. Techniquement, il n'a pas été condamné à une peine… faute de peine. Mais il y a bien déclaration de culpabilité. Pour trois nuits ; par un fonctionnaire, sans aucun lien avec un quelconque réseau, mais parce qu'il était tombé amoureux de cet étranger (qui par la suite est devenu son compagnon stable et notoire). La cour dit clairement que le délit d'aide au séjour irrégulier est constitué. Je ne garantis pas que la cour, s'il n'y avait pas l'autorité de la chose jugée sur la peine, n'aurait pas prononcé une peine.

Bon, me dira-t-on, j'ai trouvé UNE décision qui avait échappé au ministre, la belle affaire.

Une, vraiment ?

Héberger chez soi, pour des motifs humanitaire, des étrangers sans papiers constitue le délit, les mobiles humanitaires, incontestables, étant simplement une circonstance atténuante pour le prononcé de la peine : Cour d'appel d'Agen, 13 oct. 1994, inédit.

Le prévenu, exerçant une activité de marabout, a accepté d'héberger un étranger en situation irrégulière. Il était parfaitement informé de la situation administrative de cet étranger car il était, comme lui, demandeur d'asile débouté et parfaitement informé des conditions de séjour des étrangers en France ; il est donc coupable : Cour d'appel de Limoges, 3 nov. 1993, inédit.

Il appartient au gérant d'un hôtel meublé de s'assurer de la régularité de la situation des étrangers qu'il héberge durant la période d'hébergement au risque de se rendre coupable d'aide à immigration clandestine. Sa responsabilité pénale n'est pas limitée aux locataires en titre mais doit être étendue aux locataires clandestins dont il est établi que le prévenu connaissait la présence sur les lieux et contre laquelle il s'est délibérément abstenu d'intervenir ( Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5 nov. 1992). L'aide peut donc se faire passivement.

Une personne qui aide une prostituée à se livrer au commerce de ses charmes commet le délit de proxénétisme ET d'aide au séjour irrégulier : Cour d'appel de Paris 10e ch. B., 19 déc. 1990).

Deux membres d'une association ayant aidé et hébergé à leurs domiciles des étrangers en situation irrégulière ont été dispensés de peine. Sous couvert de préoccupations humanitaires, les deux ressortissants français ont prêté leur concours « de manière fort imprudente » à des opérations de transferts de fonds destinées au financement du passage à destination de la Grande-Bretagne de nombreux clandestins et ont à plusieurs reprises hébergé à leurs domiciles des réfugiés dont ils n'ignoraient pas la situation irrégulière. Le tribunal relève que ni l'un, ni l'autre ne se sont personnellement enrichis. Dispense de peine. ( T. corr. Boulogne-sur-Mer, 19 août 2004, no 1178/2004). Je pense que ce sont les deux cas auxquels M. Besson faisait allusion sur France Inter.

Monsieur Besson nie également que transporter un étranger en auto-stop puisse en soi constituer le délit. En effet, sur l'auto-stop, je n'ai pas trouvé de jurisprudence. Mais…

Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt n°03-08328 du 21 janvier 2004 : confirme la condamnation d'un chauffeur de taxi qui conduisait des clients qu'il savait être clandestins à Dunkerque, Marquise ou Boulogne Sur Mer. Il est établi qu'il ne faisait partie d'aucun réseau. Il ne leur facturait que le tarif normal de la course. 2 ans de prison avec sursis, 2 ans d'interdiction d'exercice de la profession, de taxi.

Cour de cassation, chambre criminelle, 12 mai 1993, n°92-82779 : condamnation du conducteur du véhicule ayant transporté un étranger sans papier lors de son franchissement de la frontière.

Le simple fait de porter les bagages d'un étranger qui franchit la frontière par ses propres moyens constitue le délit : Cour d'appel de Grenoble, 29 sept. 1989, inédit.

Ça devient parfois assez gonflé, quand l'aide à la circulation recouvre… l'aide à quitter le territoire : l'aide apportée, en connaissance de cause, à un étranger en situation irrégulière en France, pour lui permettre de quitter le territoire français sans effectuer les contrôles de police nécessaires s'analyse comme l'aide au séjour irrégulier d'un étranger ( Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 27 juin 1994).

Le chef de poste de la police de l'air et des frontières dans un aéroport, qui malgré la décision de non-admission sur le territoire français prise à l'encontre d'une étrangère, la fait illégalement sortir de la zone de non-admission, l'installe dans un hôtel pendant deux nuits en payant les frais avant de l'accompagner dans une gare où il lui fait don d'une somme d'argent pour lui permettre de prendre le train, se rend coupable du délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France et ne saurait se retrancher derrière le but humanitaire de son geste ( CA Paris, 3 janv. 1994). La cour dit expressément que le mobile humanitaire est indifférent à la culpabilité.

Ajoutons que jusqu'à la loi du 26 novembre 2003, se prêter à un mariage blanc pour permettre à son faux conjoint d'obtenir des papiers était une aide au séjour. C'est devenu un délit autonome… puni exactement des mêmes peines (art. L.623-1 et s. du CESEDA). Bref une disposition légale totalement inutile.

Et pendant qu'on y est, M. Besson nous parle de 4500 arrestations aboutissant à 1000 condamnations. Soit un ratio d'une condamnation pour 4,5 interpellés, qui est très mauvais. Qui sont les 3500 qui restent ? Des erreurs judiciaires ? Parce que ça veut dire qu'on place chaque jour en garde à vue 10 innocents, ou du moins des personnes qu'on ne juge pas utile de poursuivre ou à l'encontre desquelles il n'y a pas de preuve.

Ou alors, ce sont des mythes, eux aussi ?

Quand on me cherche, on me trouve.

José Bové et Éric Besson confèrent à voix basse. Le premier (qui bien sûr se tient à gauche) dit au second (qui curieusement se retrouve à droite) son inoubliable apophtegme : « Sur les blogs, on peut dire n'importe quoi. » Ce à quoi Éric Besson répond : « Ah bon ? C'est comme France Inter ?»

Notes

[1] Immunité pour le concubin notoire de l'étranger.

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