Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 29 avril 2009

mercredi 29 avril 2009

Synthèse de la décision du CSM concernant Fabrice Burgaud

Tout le monde n'aura pas le courage de lire la longue décision du CSM concernant Fabrice Burgaud, sans compter ceux qui n'ont pas besoin de lire quoi que ce soit pour avoir une opinion sur tout.

C'est dommage, car le CSM a fait un vrai effort de pédagogie et de rédaction de sa motivation, qui est un élément indispensable à la compréhension de cette décision.

Alors pour ceux qui sont overbooké, qui vont sur mon site (ou sur Rue89 où cet article sera repris) pendant que leur patron ont le dos tourné, voici une synthèse de la décision pour pouvoir briller en société en y consacrant un minimum de temps.

Comme toute décision juridictionnelle, elle rappelle d'abord les règles de droit applicables (cette partie s'appelle le visa), puis, après avoir rappelé le déroulement de la procédure, reprend un par un les arguments du demandeur et y répond, expliquant en quoi elle le rejette ou au contraire pourquoi elle l'estime fondé (cette partie s'appelle les motifs), avant d'exposer la teneur de sa décision cette conclusion s'appelle le dispositif. Rappelons enfin que le demandeur est ici le Garde des Sceaux, représenté par Mme Lottin, directrice des services judiciaires de la Chancellerie, désigné par la décision comme “l'autorité de poursuite”. Le défendeur est bien évidemment Fabrice Burgaud.

Les règles de droit applicables.

La règle de droit applicable rappelée en exergue est la suivante. N'espérez pas comprendre la décision si vous ne l'avez pas à l'esprit (les passages entre crochets sont des commentaires de votre serviteur).

D'abord, qu'est-ce qu'une faute disciplinaire pour un magistrat ?

La réponse se trouve à l'article 43 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le statut de la magistrature.

Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.

► Premier point, le Conseil rappelle le principe que l'indépendance des juges ne permet pas de critiquer les décisions qu'ils ont rendues, que ce soit dans leur motivation ou dans le sens de la décision, autrement que par l'exercice d'une voie de recours (appel, pourvoi en cassation, etc…), ce qui recouvre les actes du juges d'instruction. Donc le CSM ne jugera pas l'instruction effectuée par Fabrice Burgaud quand il était juge d'instruction à Boulogne : c'était le rôle de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai

Le Conseil rappelle les deux exceptions à cette règle :

Premièrement, si un tel manquement a été constaté lors d'un recours contre une décision du juge, le CSM peut sanctionner cette violation.

Deuxièmement, lorsqu'un juge a, de façon grossière et systématique, outrepassé sa compétence ou méconnu le cadre de sa saisine, de sorte qu'il n'a accompli, malgré les apparences, qu'un acte étranger à toute activité juridictionnelle, des poursuites disciplinaires peuvent être engagées.

Or dans notre affaire, l'instruction menée par Fabrice Burgaud a fait l'objet de nombreux recours devant la chambre de l'instruction, qui ont tous été rejetés. La première exception ne joue pas.

► Deuxième point, s'agissant du comportement global du magistrat et non plus des décisions qu'il a rendues, s'il n'appartient pas à la juridiction disciplinaire d'apprécier, a posteriori, la démarche intellectuelle du magistrat instructeur dans le traitement des procédures qui lui sont confiées, les carences professionnelles de celui-ci peuvent, néanmoins, être sanctionnées lorsqu'elles démontrent, notamment, une activité insuffisante, ou un manque de rigueur caractérisé, de nature à nuire au bon déroulement de l'information, un défaut d'impartialité, de loyauté ou de respect de la dignité de la personne.

Les griefs contre le magistrat

Voici les règles posées. Le CSM va reprendre ensuite un à un, en les classifiant, les vingt griefs soulevés par la Chancellerie. Et va en rejeter douze sur vingt, dont un (le 3-9) qui ne reposait sur aucun élément. Amusant quand on se souvient que l'on reproche à Fabrice Burgaud d'avoir traité son dossier avec légèreté…

S'agissant des huit qu'il va retenir, le CSM va suivre le raisonnement de la Chancellerie, qui reconnaissait elle-même qu'aucun de ces griefs ne constituait en soi une faute. Je le répète : la Chancellerie reconnaissait elle-même que Fabrice Burgaud n'avait commis aucune faute. Ça a échappé à beaucoup de commentateurs. Mais le cumul de ces griefs, qualifiés de « négligences, maladresses et défauts de maîtrise dans les techniques d'audition et d'interrogatoire » constituerait lui une faute selon le Conseil, qui permet de prononcer une sanction. Le fait que la sanction prononcée soit la plus légère tient à une autre raison, que j'avais déjà annoncée (l'amnistie) sur laquelle je reviendrai à la fin.

La liste de ces griefs figure dans la décision, que je ne vais pas paraphraser ici, mais commenter. Sa lecture laisse un certain malaise à votre serviteur. Si cette liste montre bien que Fabrice Burgaud n'a pas été d'un professionnalisme à toute épreuve, et a même à certains moments fait preuve d'une certaine incompétence, je ne puis m'empêcher de penser que l'affaire d'Outreau, ce n'est pas le fait que le juge ait confondu deux Priscilla, ou ne se soit pas ému que d'une version à l'autre, le récit des enfants change. Si ces erreurs, pour regrettables qu'elles fussent, n'avaient pas été commises, l'affaire n'aurait-elle pas eu lieu ? Je vous donne un indice : Fabrice Burgaud est parti en juillet 2002. Le réquisitoire définitif demandera un non lieu pour un des mis en examen, qui sera accordé par le juge ayant succédé à Fabrice Burgaud, mais ce non lieu sera annulé par la chambre de l'instruction de Douai et le mis en examen en question renvoyé devant les assises de St-Omer où il sera acquitté. De même, ce ne sont certainement pas ces absences de vérification et ces contradictions non relevées qui ont été déterminantes lors du procès de St-Omer, où certains futurs acquittés seront condamnés, puisque la procédure devant la cour est orale, et que les jurés n'ont donc pas eu accès à ces procès-verbaux. À vous de vous faire votre opinion en relisant si vous le souhaitez la décision du CSM.

L'effet de l'amnistie

Comme je l'avais indiqué, un obstacle majeur se dressait sur la route de la Chancellerie : la loi d'amnistie votée à l'occasion de la ré-élection triomphale de Jacques Chirac. Elle amnistiait tous les faits constituant des fautes disciplinaires commis avant le 17 mai 2002 (date du début du second mandat de Jacques Chirac) ; or Fabrice Burgaud a quitté son poste à la fin du mois de juillet 2002.

La loi d'amnistie prévoit une exception à l'effacement de la faute : si elle constitue un manquement à l'honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs. Le CSM examine si les griefs antérieurs au 17 mai 2002 qu'il a retenus constituent un tel manquement et répond par la négative. En effet, les termes « négligences, maladresses ou défauts de maîtrise » retenus désignent des fautes involontaires. On ne manque pas à l'honneur ou à la probité par négligence.

Le CSM indique qu'il ne retiendra donc que les faits postérieurs au 17 mai 2002 pour évaluer la sanction. Là encore, si vous ne gardez pas ce point à l'esprit, vous vous condamnez à ne pas comprendre cette décision.

Cela laisse sept interrogatoires dont un d'un mineur et deux de Myriam Badaoui jugés insatisfaisants, une investigation non effectuée alors qu'elle aurait été nécessaire selon le CSM, deux notifications d'expertise effectuée juste avant la clôture de l'information, et la clôture elle-même sans avoir répondu aux demandes d'actes dont il était saisi.

C'est sur la base de ces seuls éléments que le CSM va déterminer la sanction.

La sanction adéquate.

Si vous avez suivi, je pense que la réprimande prononcée, la plus basse des neufs sanctions possibles, vous apparaît désormais plus claire.

Ce n'est pas toute l'instruction qui est jugée, mais seulement les trois dernier mois (du 17 mai au 7 août 2002) sur 20 mois d'instruction. Ce d'autant plus que le Conseil ajoute que sur la centaine d'autres dossiers que Fabrice Burgaud a instruit, aucun de ces manquements n'a été relevé, qu'aucune observation pouvant le mettre en garde n'a été faite par les autres magistrats intervenant sur le dossier, que ce soit le parquet de Boulogne ou la chambre de l'instruction de Douai, qu'aucune demande de nullité de la procédure n'a jamais été déposé par un des avocats des mis en examen, que cette affaire était extraordinaire par son ampleur et sa complexité, qu'il n'est pas contesté que Fabrice Burgaud s'est investi à fond dans le dossier et qu'enfin il n'a pas disposé des moyens dont il avait besoin et ce malgré ses demandes répétées.

Le Conseil prononce donc la sanction de réprimande avec inscription au dossier.

Ultime commentaire sur cette décision.

Cette décision ne satisfait pas l'opinion publique, je m'en rends bien compte. Et je m'en fiche. C'est le confort de l'avocat sur le politique. Le CSM n'avait pas à rejouer les Animaux Malades de la Peste et à crier haro sur le Burgaud. Mais elle ne me satisfait pas non plus, pour une raison sans doute opposée à l'opinion publique. Je pense pour ma part que le CSM n'avait pas de quoi condamner Fabrice Burgaud.

Je m'explique.

D'entrée de jeu, le CSM rappelle la règle : il cherche des fautes mais ne juge pas le travail du juge : c'est là le rôle des voies de recours (qui dans cette affaire n'ont pas été exercées hormis pour les demandes de mises en liberté). Et pourtant, c'est exactement ce qu'il va faire dans cette décision. Il va éplucher méticuleusement le dossier à la recherche des oublis, des contradictions non relevées, des astuces pourtant monnaie courante pour gagner un peu de temps (des expertises en même temps que des avis de fin d'instruction, j'en ai reçu à la pelle avant la loi du 5 mars 2007 qui a réformé le système). Bref, il va juger le travail du juge hors des voies de recours, va admettre que ce ne sont pas des fautes, mais en les empilant, va estimer qu'elle deviennent une faute. Il va ensuite constater que l'amnistie en fait disparaître 80%, et va donc sanctionner les 20% restant. Sacré tour de passe passe, plus à sa place dans Le Plus Grand Cabaret du Monde que dans une décision juridictionnelle.

Au-delà du cas de Fabrice Burgaud, que les Français adorent détester et dont je me fiche à titre personnel (hormis quand il met un de mes clients en prison, puisqu'il est à l'exécution des peines de mon tribunal), le CSM ouvre ainsi une porte à un contrôle disciplinaire de la qualité du travail du juge, et permet de le sanctionner même si aucune faute n'est constituée, en trouvant un cumul de négligences. Vous avez envie d'applaudir, car rien n'exaspère plus les Français que les privilèges qu'ils n'ont pas[1] ? Fort bien, mais gardez une chose à l'esprit : le pouvoir disciplinaire est mis en branle par le Garde des Sceaux, qui obéit donc au premier ministre (quand il y en a un) et au président de la République (pourtant garant de l'indépendance du pouvoir judiciaire). Souvenez-vous en le jour où vous aurez comme adversaire un ami du pouvoir. Par cette porte ouverte, c'est l'indépendance du juge qui peut prendre la poudre d'escampette. C'est bien cher payé pour la tête de Fabrice Burgaud.

En outre, et j'en finirai là-dessus, avoir fait de Fabrice Burgaud le bouc émissaire de cette affaire, quitte à lui inventer des fautes (combien de gens m'ont-ils dit qu'il avait renvoyé aux assises un accusé pour le viol d'un enfant qui n'était pas né, alors qu'il s'agit d'une erreur commis longtemps après son départ par le parquet et rectifiée avant la cour d'assises par la chambre de l'instruction ?), c'est une façon commode d'escamoter les véritables leçons à tirer de cette affaire. Une réformette votée en mars 2007, dont le principal volet (la collégialité de l'instruction) est remise en cause avant même son entrée en vigueur (le 1er janvier prochain) par l'annonce de la suppression du juge d'instruction). Une réforme grotesque de la formation des magistrats (des tests psychologiques et six mois en cabinet d'avocat, mais suppression du stage en prison…). Et les pots cassés étant payés par les magistrats, lâchés par leurs ministres successifs, et donc sans voix pour se défendre, avec comme prix une perte de confiance des Français dans leur justice. Un gâchis peut en cacher un autre. Et même un troisième car les dégâts sont considérables dans les relations magistrats-chancellerie (l'actuelle locataire —à moins qu'elle ne soit plus qu'occupante sans droit ni titre ?— n'ayant rien fait pour arranger les choses, témoin ce communiqué que je mets en annexe, diffusé sur l'intranet du ministère de la justice à l'attention des magistrats. Comme on pouvait s'y attendre, le principal sujet du communiqué sur la décision Burgaud est le Garde des Sceaux elle-même. Si vous voulez donner un sens au concept de “ déplacé ”, c'est un cas d'école.

Allez, je sens que je vais plus me faire démonter en commentaires que si j'avais dit du bien de Youssouf Fofana.


Annexe : Communiqué de la Chancellerie (Source : Intranet du ministère de la Justice).

Communiqué du 27 avril 2009

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a rendu hier sa décision à l’égard de M. Burgaud. Beaucoup de français auront du mal à comprendre une décision qui, dans une affaire aussi grave, prononce une sanction symbolique. Mais il faut rappeler que le CSM est une instance indépendante qui nomme les juges du siège et prononce les sanctions à leur égard.

Les avocats de M. Burgaud mettent en cause l’impartialité de l’un des membres du CSM, M. Chavigné. Ce magistrat a siégé tout au long de l’instance disciplinaire qui a duré une semaine, sans qu’à aucun moment son impartialité n’ait été mise en doute par la défense de M. Burgaud. Il lui est reproché d’avoir, en août 2003, statué sur une demande de liberté concernant l’un des accusés de l’affaire d’Outreau. Il est à noter qu’à cette date, M. Burgaud n’était plus en charge de cette affaire depuis un an et que les faits qui étaient débattus devant le CSM n’avaient aucun lien avec l’audience à laquelle aurait participé M. Chavigné. Ce dernier doit fournir très rapidement au président du CSM toutes les explications qui permettront d’éclaircir la situation.

Dans cette attente, il est malhonnête de polémiquer. Mme Guigou a cru pouvoir mettre en cause la Chancellerie alors que celle-ci n’avait aucun moyen de connaître cette situation remontant à plusieurs années et qu’aucun des membres du CSM ne connaissait. Cette attaque est indigne. Mme Guigou, porte une lourde responsabilité, avec le parti socialiste, dans la dégradation de la confiance des français envers leur justice ; elle n’a porté, lorsqu’elle était garde des Sceaux, aucune des réformes qui auraient pu éviter cette dégradation. Elle n’a pas réformé le CSM, alors qu’il s’agissait pourtant d’un des points du programme de François Mitterrand et de Lionel Jospin.

N’ayant rien à dire sur le fond, elle se livre aujourd’hui à des attaques personnelles, alors que sous l’impulsion du Président Sarkozy, j’ai engagé une profonde réforme des institutions judiciaires.

Un nouveau CSM, dans lequel les personnalités extérieures à la magistrature seront majoritaires, sera prochainement mis en place. Tous les justiciables pourront présenter devant lui des recours disciplinaires contre les magistrats dont ils auront à se plaindre. L’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) a également été réformée pour que les juges soient plus en phase avec la société française d’aujourd’hui.

Les droits des justiciables et les libertés individuelles auront plus progressé en deux ans que sous l’ensemble des gouvernements socialistes.


P.-S. : Heu, non, là, je ne peux pas laisser passer.

Un rapide bilan de tous les gouvernements socialistes : Abolition de la peine de mort (qui est un progrès du droit du justiciable, tout de même), ouverture du droit au recours individuel devant la cour européenne des droits de l'homme (le même jour, d'ailleurs), droit à un avocat en garde à vue à la 21e heure en 1993 puis dès le début en 2000, droit de l'avocat de demander des actes au juge d'instruction, de poser des questions lors des interrogatoires et confrontations (1993), d'exercer un recours contre ses décisions (idem), gratuité de la copie du dossier (qu'est ce que ça a pu changer l'exercice effectif des droits de la défense, et par un simple décret, c'était en 2001), appel en matière criminelle (sans lequel six des acquittés d'Outreau seraient encore en prison), et j'en passe. Ces deux dernières années, c'est : peines plancher et rétention de sûreté. Youhou le progrès.

Notes

[1] Encore qu'en l'espèce, ils l'ont puisqu'en matière de droit du travail, la loi pose une prescription de deux mois pour poursuivre le salarié tandis que la faute du magistrat est imprescriptible, ce qui fait qu'un cumul de négligences que l'employeur reconnaîtrait non fautives ne permettrait pas en soi de licencier un salarié.

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