Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 2 juin 2009

mardi 2 juin 2009

Éric Besson se prend une claque devant le tribunal administratif de Paris

…Et encore, on n'en est qu'au référé.

Il s'agit bien sûr du marché des centres de rétention.

Résumé des épisodes précédents.

L'article L.553-6 du CESEDA prévoit que les étrangers maintenus en rétention bénéficient d'actions d'accueil, d'information et de soutien, pour permettre l'exercice effectif de leurs droits (et préparer leur départ ajoute le texte, très cyniquement). L'article R. 553-14 (qui est le décret d'application de l'article L.553-6, le dernier décret en date étant du 22 août 2008) précise que

Pour permettre l'exercice effectif de leurs droits par les étrangers maintenus dans un centre de rétention administrative, l'Etat passe une convention avec une association à caractère national ayant pour objet d'informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits. L'association assure à cette fin, dans chaque centre des prestations d'information, par l'organisation de permanences et la mise à disposition de documentation. Les étrangers retenus bénéficient de ces prestations sans formalité dans les conditions prévues par le règlement intérieur.

Les étrangers maintenus dans les locaux de rétention mentionnés à l'article R. 551-3 peuvent bénéficier du concours d'une association ayant pour objet d'informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits, à leur demande ou à l'initiative de celle-ci, dans des conditions définies par convention.

Depuis 1984, une association, le Comité Inter Mouvements Auprès Des Évacués (Le CIMADE, plus couramment appelé la CIMADE), assure ce service. Des permanents et des bénévoles de l'association assurent une présence quasi quotidienne, dans un local qui leur est réservé, informent les étrangers de leurs droits et le cas échéant les aident à les exercer. Ce dernier point, l'assistance, est crucial : le délai de recours contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) est de 48 heures sans interruption possible et le recours doit être rédigé en français et soulever des arguments de droit pour avoir une chance de prospérer.

La CIMADE fait un excellent travail. Il fallait donc la punir. Le précédent ministre de l'immigration a donc feint de s'offusquer de ce “monopole” durant depuis 25 ans. Et au lieu d'agréer d'autres associations EN PLUS de la CIMADE, il a décidé de fractionner cette convention en huit lots attribués par voie de marché public. Pas d'hypocrisie, soyons clairs : il s'agissait d'écarter la CIMADE dont je le répète personne ne critiquait la qualité du travail, auquel s'ajoutait 25 ans d'expérience.

La CIMADE ne se laisse pas faire. Notons au passage qu'elle a le soutien du GISTI. Autant dire que le ministre de l'immigration a face à lui des juristes de haute volée (Je précise que je n'appartiens à aucune de ces associations ni ne suis leur avocat). La suite le démontrera.

Le 30 octobre 2008, le premier marché est annulé, au motif que le ministre avait sous-estimé le critère de la compétence juridique dans l'attribution du marché (estimé à 15%). C'est un camouflet pour Brice Hortefeux, qui refile le bébé à son successeur Éric Besson.

Un nouveau marché est passé, divisé en huit lots, dont trois sont attribués à la CIMADE. Celle-ci attaque le marché public devant le tribunal administratif de Paris selon la même procédure dite de référé-marché public qu'en octobre 2008. Cette procédure suppose que le marché ne soit pas encore signé et interdit au ministre de signer ce marché pendant un délai de 20 jours. L'audience se tient, est fort longue, et une association, le Collectif Respect dont nous allons reparler, demande un délai pour présenter sa défense. L'audience est renvoyée à quelques jours, au-delà du délai de 20 jours, le juge demandant au ministre de ne pas signer le marché pour permettre à cette audience d'aller à son terme.

Mes lecteurs connaissent la suite : le ministre se précipitera à son bureau le dimanche précédant la deuxième audience pour signer le marché, ce qui privait le juge du pouvoir de juger. Justification officielle : le nouveau marché entrait en vigueur aujourd'hui le 2 juin, il y avait urgence à signer le marché pour les associations. Le fait que ce marché sente l'illégalité à plein nez n'a bien sûr pas été pris en compte pour cette signature dans la précipitation.

Mais vous vous souvenez ? Je vous ai dit que le GISTI avait mis son nez dans cette affaire. Et le Groupement n'est pas tombé de la dernière pluie.

Il avait formé (aux côtés de l'Association des Avocats pour la Défense du Droit des Étrangers et le réseau ELENA) ce qu'on appelle un “ recours TROPIC ”, du nom du grand arrêt du Conseil d'État [Société Tropic Travaux Signalisation du 16 juillet 2007|http://www.conseil-etat.fr/ce/jurispd/index_ac_ld0724.shtml], qui permet à des tiers à un marché public justifiant d'un intérêt à agir de demander l'annulation d'un marché public quand bien même ils n'ont pas eux-même soumissionné à ce marché. Et ce recours, de droit commun, n'est pas affecté par la signature du marché par Éric Besson.

De plus, pour éviter les conséquences très lourdes qu'aurait une annulation prononcée dans plusieurs mois, ce recours Tropic a été accompagné d'un référé-suspension : les trois requérants demandaient au juge administratif de suspendre l'application du marché jusqu'à ce que sa légalité soit jugée. Il faut pour cela qu'il y ait urgence et qu'il existe un moyen sérieux mettant en doute la légalité du marché.

Et le 30 mai 2009, le juge des référés, accessoirement le même magistrat qui s'était vu dessaisi par la signature précipitée du marché, a suspendu le marché des droits de rétention. Bref, la déloyauté du ministre n'a servi à rien, le voici Gros Jean comme devant, avec son marché qui lui pète entre les doigts à 48 heures de son entrée en vigueur.

[Paragraphe mis à jour] : cette ordonnance de référé peut être lue ici(pdf). Le juge considère que la condition d'urgence est remplie car le marché prévoyait que les concurrents au marché devaient remplir une simple mission d'information sans imposer d'assistance juridique (c'est-à-dire que dans l'esprit du ministre, un simple présentoir avec des dépliants « Le recours en excès de pouvoir pour les nuls » et « le contentieux spécial de la reconduite à la frontière en bande dessinée » suffirait), contrairement à ce qu'exige la loi. Et il considère qu'il y a un doute sérieux sur la légalité du marché du fait de cette interprétation très contestable que fait le Ministre de l'immigration etc. des dispositions des articles L. 553-6 et R. 553-14 que j'ai cités ci-dessus (la loi n'exigerait que la mise à disposition de documentation et absolument pas une aide effective à l'exercice des recours) alors que les missions dont parle la loi incluent l'exercice effectif de leur droit à un recours. Le juge relève également les insuffisances manifestes des offres faites par deux candidats : Forum Réfugiés, qui se proposait simplement de mettre en rapport les étrangers avec des avocats ( Y'a les pages jaunes pour ça ; et le week end, ils font comment leur recours dans le délai de 48 heures ?) et le fameux Collectif Respect qui a au moins le mérite de la franchise : il ne proposait rien du tout.

La lecture de l'argumentation du ministère de l'immigration etc. fait froid dans le dos : c'est en tout cynisme la plus importante offensive contre les droits fondamentaux des étrangers en France depuis les lois Pasqua de 1993. Quand je vous dis que souvent, l'avocat doit se battre contre l'État pour défendre le droit, en voilà une sinistre illustration.

La suite des événéments ? Éric Besson a dû parer au plus pressé et, dès son chapeau avalé, va prolonger de trois mois le contrat de la CIMADE pour l'ensemble des centres, conformément au mode d'emploi que lui a donné le juge des référés (page 21 du pdf). Le tribunal administratif va annuler ce marché, c'est couru d'avance. Il y en aura donc un troisième. Soit cette fois le ministre arrête de tricher ou d'essayer d'imposer des candidats fantoches, et accepte le risque que la CIMADE se voit attribuer tous les lots parce que personne ne peut proposer mieux qu'elle. Soit il demande et obtient du Patron une loi sur mesure pour parvenir à évincer la CIMADE et mettre n'importe quoi à la place.

Je ne vous cache pas mon pessimisme.

Affaire à suivre.

Et bravo à ces incompétents sans crédibilité du GISTI.

Tribunal administratif de Paris, avec sa devise du jour : “ Judicat et Minister Mergitur ” : Il juge et le ministre coule. Éric Besson, abattu, écoute le jugement qui est rendu. Le juge lit un considérant : “ Considérant qu'en matière de foutage de gueule, le ministre a manifestement excédé ses pouvoirs…”. Le ministre rétorque : “ Même pas vrai ! Je fais appel. ”


Mise à jour 19h20 : j'ai rajouté des liens manquants dans la version initiale, veuillez accepter mes excuses pour cet oubli.


Mise à jour 21h30 : J'ai mis hors ligne le billet pour modifier le paragraphe central. Je vous dois des explications et des excuses. Je voulais absolument faire ce billet aujourd'hui, malgré un agenda très chargé, ce qui n'était pas raisonnable. Du coup, pressé par le temps, j'ai fait une erreur de débutant en lisant trop vite la décision, et en confondant les motifs de l'ordonnance avec la reprise de l'argumentation des requérants. Bref, j'ai cru que le juge parlait alors que c'était le demandeur, d'où une analyse erronée (pas à contre-sens, mais suffisamment erronée pour me faire monter le rouge au front). Mes sincères excuses. La leçon est apprise.

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