Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 24 juin 2009

mercredi 24 juin 2009

Prix Busiris à Éric Besson

Ce nouveau gouvernement n’aura pas attendu longtemps : il aura fallu douze heures pour son membre désormais le plus prometteur pour rafler un deuxième prix.

Portrait d'Éric Besson, dont la tête penche légèrement à droite. Photo ministère de l'Oriflamme et des Sarrasins.

C’était ce matin, sur France Inter, au cours de l’excellente (donc bientôt supprimée) revue de presse de Frédéric Pommier.

D’emblée, le journaliste va interpeller le ministre (c’est au moins ça qu’il y a de bien avec un journaliste viré, c’est qu’il perd ses inhibitions ; si vous voulez voir le journalisme que j’aime, Frédéric Pommier en a fait une démonstration ce matin) sur le fameux délit de solidarité-qui-n’existe-pas, avec une question à la limite de l’insolence, mais qui répond à l’insulte à l’intelligence que constitue le déni de réalité du ministre.

Éric Besson ne se laisse pas démonter et montre qu’il a bien préparé ses fiches. En shorter : comment peut-on me reprocher de mentir aujourd’hui puisque Chevènement mentait hier ?

Arrive aussitôt la première citation busirible. Attention, ça va vite, mais c’est un classique : je ne peux pas commenter une décision de justice, propos qui en soit est tellement banal qu’il n’éveille pas l’attention de l’académie, sauf que cette fois, écoutez bien : aussitôt dit cette phrase, que fait le ministre ? Il commente cette affaire.

L’affirmation d’un politique selon laquelle il ne peut commenter une affaire en cours ou une décision de justice est une aberration, et elle est juridique car elle se fonde sur le fait que la loi le leur interdirait (même si ce n’est pas clairement dit ici). Rappelons que juridiquement, il est parfaitement licite de commenter, et même de critiquer une décision de justice. La seule chose que la loi interdit est de jeter le discrédit sur cette décision dans des conditions de nature à porter atteinte au respect dû à la justice ou à son indépendance (art. 434-25 du code pénal). Du reste, il semble me souvenir que toute la classe politique ne s’est pas gênée pour commenter, et ce de manière critique, une bonne part des décisions de justice rendues dans l’affaire dite d’Outreau. Avez-vous entendu UN magistrat dire “ mais vous n’avez pas le droit ” ? Non, et pour cause. La justice est une des prérogatives régaliennes de l’État, elle est rendue au nom du peuple français, publiquement, afin que tout citoyen puisse se rendre compte par lui-même de comment elle est rendue. Ce qui implique le droit de la critiquer. Ce que je fais devant la cour à chaque fois que je fais appel. Et a fortiori un politique a ce droit, lui dont ce serait même le rôle. On peut critiquer. Mais pas d’insulter.

Ici, d’ailleurs, Éric Besson ne se gêne pas pour la commenter aussitôt, par un argument d’autorité en invoquant la position du parquet (qui est partie au procès) et du préfet (qui ne l’est pas et n’est pas censé avoir accès au dossier) : il y aurait plusieurs autres préventions, sans préciser lesquelles. À ce sujet, si des personnes proches du dossier me lisent, pouvez-vous confirmer ou infirmer cette information et me préciser le cas échéant les autres chefs de prévention ?

Affirmation juridiquement aberrante, avec en plus la contradiction immédiate. Je ne m’étendrai pas par pudeur sur la question de la mauvaise foi et de l’opportunité politique. Mais est-ce suffisant pour un Busiris, demanderont les plus orthodoxes d’entre vous ? À ce stade, je dois l’avouer, l’Académicien balance encore. Il ne s’agit pas de galvauder l’Honorable Prix en le donnant à n’importe qui. Enfin, si, à n’importe qui, en l’espèce, mais pas pour n’importe quoi.

Sentant peut-être le prix lui échapper, le ministre va un peu plus tard placer l’estocade. Mais avant, relevons ce passage.

Là-dessus, cela mérite d’être noté, le ministre dit vrai. Ce n’est pas arrivé une seule fois en 65 ans ; mais au moins 29 fois en 22 ans. Et oui, l’État aide des associations qui viennent en aide aux étrangers (citons au hasard le Collectif Respect, ou l’ASSFAM, qui a même perçu des subventions illégales pour pouvoir concourir au marché des centres de rétention, si ça c’est pas de l’aide). Mais le délit n’est pas d’aider des étrangers sans papier (heureusement pour moi), mais d’aider au séjour des étrangers sans papier. Une assistance juridique ne tombe pas sous le coup de la loi, mais héberger pour une nuit, oui : cour d’appel de Douai, arrêt n°06/01132 du 14 novembre 2006, publié par le GISTI.

Et voici donc venir la touche :

Moment de grâce. Reprenons au ralenti et décomposons en trois temps.

1. Le délit de solidarité n’existe pas.

2. Mais dans le cadre des enquêtes pour lutter contre les filières d’immigration clandestine (c’est ÇA, le vrai délit d’aide au séjour), oui, des particuliers, des membres d’association sont interpellés pour être interrogés. 4300 l’année dernière, et le président en veut 5000 cette année, tout ça pour juger 1000 passeurs par an[1].

3. Mais, ça, la loi n’y peut rien, c’est la pratique, la police, la justice, etc. En fait, la police télécharge illégalement les gardes à vue, quoi.

Les 5000 personnes qui connaîtront ces pratiques contre lesquelles la loi ne peut rien cette année pour satisfaire le bon plaisir présidentiel seront interpellées (art. 73 du CPP) et placées en garde à vue (art. 63 et s. du CPP) car il existera à leur encontre une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction passible de prison (art. 67 du CPP), à savoir l’aide au séjour irrégulier (art. L.622-1 du CESEDA), le fameux délit de solidarité. En supposant un instant que le chiffre de 1000 passeurs condamnés soit vrai, cela signifie que quatre personnes sur cinq seront finalement mises hors de cause et ne seront pas poursuivies.

Mettons que chacune de ces gardes à vue pour rien durera douze heures en moyenne, soit la moitié de la durée légale de base de 24 heures. Cela signifie que des innocents passeront en 2009 dans les commissariats de France l’équivalent de 5 ans et demi de privation de liberté pour un délit dont le ministre n’a de cesse de nous répéter qu’il n’existe pas. Et le ministre pour démontrer son point de vue arguera du fait qu’en effet, ces personnes n’auront finalement pas été condamnées, ni même poursuivies !

Face à cela, le cœur de l’Académicien ne peut balancer une seconde. Quand c’est demandé aussi élégamment, refuser le prix Busiris serait discourtois.

Le prix lui est donc décerné, et avec mention “ très déshonorable ” encore.

Notes

[1] Chiffre qui soit dit en passant est manifestement mensonger. Selon l’annuaire statistique de la justice 2009 (pdf, 2 Mo), page 149 du pdf, rubrique 28, le casier judiciaire a enregistré en 2006 5767 condamnations pour la police des étrangers et des nomades, chiffre en tendance baissière (6462 en 2002, 7337 en 2003, 6219 en 2004, 5668 en 2005). 1000 condamnations par an, cela signifierait qu’une personne sur six poursuivies pour infraction à la police des étrangers serait un passeur. Là, déjà, tous les avocats et magistrats qui me lisent comprennent que l’affirmation du ministre est fausse. Cela signifierait donc que trois passeurs seraient condamnés par jour ouvrable en France. Sachant que c’est un délit qui nécessite de longues enquêtes dans un milieu peu enclin à se confier à la police et qu’il faut des semaines de planque pour identifier un passeur, ce chiffre est, soyons poli, fantaisiste, pour le moins.

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