Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 22 juillet 2009

mercredi 22 juillet 2009

Comment prévoir ce que le juge va décider ?

Par Paxa­ta­gore


Aux Etats-Unis, les juges fédé­raux sont nom­més par le pré­si­dent des Etats-Unis, à vie. Comme tout un paquet de hauts res­pon­sa­bles, la déci­sion du Pré­si­dent doit être con­fir­mée par le Sénat. Le Sénat donne son accord après une audi­tion, plus ou moins lon­gue, de l’impé­trant par le comité judi­ciaire du Sénat. A cette occa­sion, on dis­cute de ses con­cep­tions juri­di­ques et, for­cé­ment, poli­ti­que, de ses pré­cé­den­tes déci­sions (s’il était déjà juge) ou de ce qu’il pense de tel­les ou tel­les déci­sions impor­tan­tes. C’est un exer­cice déli­cat, par­fois long, et le can­di­dat a pour objec­tif d’évi­ter de se lier les mains tout en se met­tant le moins de monde à dos. Cer­tains ne pas­sent pas la barre et sont désa­voués par le Sénat. Notre hôte a plu­sieurs fois évo­qué, ces der­niers jour, la pro­cé­dure de nomi­na­tion, tou­jours en cours, de Mme Sonia Sot­to­mayor, comme jus­tice à la cour suprême.

Pour autant, il faut bien avoir à l’esprit que ce que le can­di­dat-juge peut dire pen­dant ces audi­tions n’a stric­te­ment aucune valeur juri­di­que. Il peut don­ner son avis sur plein de ques­tions, y com­pris la meilleure façon de cui­si­ner les petits pois, on ne pourra pas par la suite le révo­quer parce que les déci­sions qu’il rend ne sont pas con­for­mes à ce qu’on atten­dait de lui. C’est l’une des gran­des limi­tes de l’exer­cice. Cette chro­ni­que recense plu­sieurs cas, fameux, dans l’his­toire amé­ri­caine, où des can­di­dats choi­sis en fonc­tion des con­vic­tions qu’on leur sup­po­sait, se sont révé­lés avec le temps bien dif­fé­rents. Le cas le plus récent est celui de David Sou­ter, nommé par les Répu­bli­cains et qui fai­sait alors pro­fes­sion de foi d’ori­gi­na­lisme (une doc­trine en vogue aux Etats-Unis qui veut qu’on ne doive inter­pré­ter la Cons­ti­tu­tion que con­for­mé­ment à ce que ses auteurs ont ou auraient voulu dire) et qui s’est révélé être en fait beau­coup plus libé­ral (c’est-à-dire, dans le voca­bu­laire poli­ti­que amé­ri­cain et avec plein d’approxi­ma­tion : de gau­che).

C’est tout le sel de ces audi­tions devant le Sénat : son­der le can­di­dat, sa pro­fon­deur, sa soli­dité, pour être à peu près cer­tain des déci­sions qu’il va ren­dre.

On pour­rait tou­te­fois s’inter­ro­ger sur la légi­ti­mité de ce pro­cédé. Après tout, nous autres Fran­çais, nous n’avons aucune pro­cé­dure de cet ordre. Les can­di­dats à la magis­tra­ture sont inter­ro­gés sur leurs com­pé­ten­ces juri­di­ques par le biais de con­cours, qui sont cor­ri­gés par d’autres magis­trats : à aucun moment le pou­voir légis­la­tif n’inter­vient dans la sélec­tion des juges (il faut noter du reste qu’il y a trop de juges en France pour qu’il puisse réel­le­ment pro­cé­der à un con­trôle). Il en va de même pour les con­seillers d’Etat, issus de l’ENA ou nom­més direc­te­ment par le gou­ver­ne­ment, ou encore des mem­bres du con­seil cons­ti­tu­tion­nel ou des magis­trats de la cour des comp­tes.

Pour­tant, ce pro­cédé me paraît tout à fait légi­time. Les déci­sions qu’un juge va ren­dre ont des réper­cus­sions impor­tan­tes, sur les par­ties au pro­cès évi­dem­ment mais plus géné­ra­le­ment sur l’ensem­ble de la société (du moins, de temps en temps). Il est légi­time de la part de la repré­sen­ta­tion natio­nale d’avoir une petite idée de l’état d’esprit de celui ou de ceux qui vont ren­dre cette déci­sion. Les par­ties elles-mêmes peu­vent sou­hai­ter savoir “à quelle sauce” elles vont être jugées, ne serait-ce que pour adap­ter leur argu­men­ta­tion en con­sé­quence. La pré­vi­si­bi­lité d’une déci­sion de jus­tice est un élé­ment essen­tiel dans un Etat de droit : cha­cun doit pou­voir rai­son­na­ble­ment pou­voir con­naî­tre l’éten­due de ses droits et de ses obli­ga­tions.

Il me sem­ble que le sys­tème amé­ri­cain accepte par­fai­te­ment le fait que le juge a des pré­sup­po­sés, de tous ordres et en tire les con­sé­quen­ces : il faut mieux con­naî­tre les pré­sup­po­sés du juge, pour pou­voir les com­bat­tre uti­le­ment le cas échéant. (Il faut pren­dre le terme “pré­sup­po­sés” au sens large : ce peut être des pré­ju­gés ,au sens où l’on entend habi­tuel­le­ment ce mot, mais aussi une opi­nion sur une loi, une pra­ti­que juri­di­que, des habi­tu­des…).

Com­ment fait le sys­tème fran­çais ? Il tend lar­ge­ment à igno­rer les pré­sup­po­sés du juge, du moins en public. La for­ma­tion des juges n’ignore pas ce point : à l’ENM, on est sen­si­bi­lisé à ce dan­ger et on est invité à le com­bat­tre. On appelle le juge à être son pro­pre garant, ce qui n’est pas vrai­ment satis­fai­sant. On cher­che ainsi à obte­nir des juges qui sont plu­tôt “neu­tres”. De la même façon, une bonne par­tie des pré­sup­po­sés de cha­que juge lui vien­nent de son appar­te­nance à la magis­tra­ture : la for­ma­tion et la coha­bi­ta­tion avec les autres col­lè­gues amè­nent les juges à par­ta­ger un cer­tain nom­bre de réflexes com­muns (dans une cer­taine mesure évi­dem­ment). C’est une façon comme une autre d’assu­rer une cer­taine pré­vi­si­bi­lité des déci­sions.

Il est frap­pant de voir à cet égard que le monde poli­ti­que ignore tota­le­ment cette ques­tion, qui pour­tant expli­que lar­ge­ment le cli­vage impor­tant exis­tant entre le monde poli­ti­que et le monde judi­ciaire. Peut-être devrait-on ins­tau­rer un sys­tème simi­laire à celui des Amé­ri­cains ? Nos juges y gagne­raient peut être en légi­ti­mité, les hom­mes poli­ti­ques seraient con­duits aussi à s’inter­ro­ger sur ce qu’ils atten­dent d’un bon juge… Tou­tes sor­tes de réflexions qui font actuel­le­ment défaut chez nous.

Délit de solidarité : Éric Besson marque un point

Le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Rodez a relaxé aujourd’hui le Gui­néen pour­suivi pour avoir hébergé un com­pa­triote.

Éric Bes­son va pou­voir se pava­ner en disant qu’il avait rai­son, que ce délit n’existe pas puis­que la jus­tice a relaxé. Après avoir dit en son temps que cette affaire était plus large qu’une sim­ple aide au séjour, ce qui était faux, comme d’habi­tude.

Je n’ai pas les atten­dus du juge­ment, mais il sem­ble­rait (atten­tion, je sup­pute beau­coup) que la relaxe soit due au fait que l’étran­ger hébergé était en ins­tance de régu­la­ri­sa­tion, puisqu’il a eu sa carte de séjour le 22 juin (source : La Dépê­che).

Le tri­bu­nal a pu esti­mer que la carte de séjour n’était pas créa­trice de droit mais cons­ta­tait un droit au séjour pré-exis­tant, qu’elle ne fait que maté­ria­li­ser (en droit, on dit qu’elle est décla­ra­tive et non cons­ti­tu­tive). Le rai­son­ne­ment se tient s’il s’agit d’une carte vie pri­vée et fami­liale (art. L.313-11 du CESEDA).

Dès lors, le fait que le Gui­néen n’ait pas eu de carte ne carac­té­ri­sait pas le séjour irré­gu­lier mais n’était que la con­sé­quence des délais de déli­vrance du titre.

Rap­pe­lons que le par­quet avait requis 5 mois de pri­son avec sur­sis.

Le Général Sabroclère

Il était une fois en Répu­bli­que Bold­zare un géné­ral, le géné­ral Sabro­clère, qui arriva au pou­voir en pro­met­tant de faire de l’armée de son pays sa pre­mière prio­rité, car comme tout homme poli­ti­que, il n’avait que des prio­ri­tés, ce qui l’obli­geait à les numé­ro­ter pour dis­tin­guer tou­tes ces cho­ses qui pas­sent en pre­mier.

Sa pre­mière idée fut de rem­plir les caser­nes. Il demanda à ses ser­gents recru­teurs de faire un effort sur la cons­crip­tion, sur­tout auprès des jeu­nes, et fit voter une loi qui déci­dait que ceux qui avaient déjà fait leur ser­vice seraient obli­gés d’en faire un autre plus long, de plu­sieurs années au mini­mum.

Très vite, l’État major lui signala que les caser­nes étaient déjà plei­nes, et plu­tôt vétus­tes. De plus, il n’y pas assez d’adju­dants pour s’occu­per de ces recrues, ni assez d’armes pour les équi­per, puis­que le Géné­ral Sabro­clère avait repris à son compte la tra­di­tion de ne jamais accor­der un Dra­zi­bule (la mon­naie bold­zare) de plus au bud­get de l’armée ; car une armée trop puis­sante pour­rait fomen­ter des coups d’État.

À toute demande de Dra­zi­bu­les, le grand Chan­ce­lier répon­dait : « Ce n’est pas une ques­tion de moyens, mais de méthode », avant de recom­man­der des cais­ses de cham­pa­gne pour son pro­chain cock­tail.

« Qu’importe, répon­dit donc le Géné­ral en haus­sant les épau­les dans la plus grande tra­di­tion bold­zare, l’inten­dance sui­vra ».

Au bout de quel­ques années, l’Ins­pec­tion Géné­rale des Armés Bold­zare ren­dit un rap­port cons­ta­tant que 82.000 recrues atten­daient encore leur ordre d’incor­po­ra­tion, alors que les caser­nes ne comp­tent que 53.000 lits dans les cham­brées (et déjà, en en fai­sant dor­mir par terre, on arri­vait à incor­po­rer 63.000 recrues, sans comp­ter les 5000 qui fai­saient un ser­vice civil).

Cela ren­dit furieux le Géné­ral Sabro­clère qui semonça la Grande Cham­bres des Accla­ma­tions, assem­blée char­gée d’applau­dir le Géné­ral quand il lui en pre­nait l’envie.

Devant la Cham­bre des Accla­ma­tions, il déclara de son ton le plus mar­tial :

« Com­ment peut-on par­ler d’Armée quand 82.000 recrues atten­dent leur ordre d’incor­po­ra­tion ? »

La grande Chan­ce­lière annonça que face à cette situa­tion désas­treuse, elle allait rédi­ger des ins­truc­tions adres­sés aux colo­nels et chefs de corps pour leur indi­quer des bon­nes pra­ti­ques per­met­tant d’incor­po­rer plus de sol­dats, le tout sans ache­ter un seul fusil. Il suf­fi­sait d’ins­crire deux noms par ligne sur les cahiers d’incor­po­ra­tion, de faire dor­mir la moi­tié des sol­dats le jour et l’autre moi­tié la nuit, et de faire en sorte qu’un sol­dat tienne le canon du fusil pour viser tan­dis que le second tien­drait la crosse et serait en charge de pres­ser la queue de détente pour faire feu.

Ce fut ce jour là que la Cham­bre des Accla­ma­tions se révolta et face à un tel niveau d’incon­sé­quence, chassa le Géné­ral Sabro­clère en lui lan­çant à la figure les compte-ren­dus de séance reliés en cuir de vachette depuis 1873 à nos jours.

Ce conte trouve un écho dans notre actua­lité, avec dans le rôle du Géné­ral Sabro­clère, le pré­si­dent Sar­kozy, dans celui de la grande chan­ce­lière, Madame Alliot-Marie, dans celui de l’armée bold­zare la jus­tice fran­çaise et dans celui de la Cham­bre des Accla­ma­tions se révol­tant… Per­sonne.

« Com­ment peut-on par­ler de jus­tice quand il y a 82 000 pei­nes non exé­cu­tées parce qu’il n’y a pas de pla­ces dans les pri­sons ? » Le chif­fre avait été annoncé par Nico­las Sar­kozy, devant le Con­grès de Ver­sailles, le 22 juin. Il est tiré d’un rap­port de l’ins­pec­tion géné­rale des ser­vi­ces judi­ciai­res du mois de mars, que la minis­tre de la jus­tice et des liber­tés, Michèle Alliot-Marie devait dif­fu­ser aux magis­trats, mardi 21 juillet.

Face à cette situa­tion, qu’annonce le gou­ver­ne­ment ? Va-t-on recru­ter des juges d’appli­ca­tion des pei­nes, cons­truire des éta­blis­se­ments sup­plé­men­tai­res et réno­ver les tau­dis qui en font office, pour résor­ber un stock tel que si on ne met­tait plus per­sonne ne pri­son, un an ne serait pas suf­fi­sant pour l’absor­ber ?

Ou bien…

Mme Alliot-Marie, en rece­vant les chefs de cour, lundi 20 juillet, a indi­qué qu’elle adres­se­rait “une cir­cu­laire recen­sant les bon­nes pra­ti­ques qui peu­vent être mises en œuvre sans délai”.

Les Bold­za­res ont plus de chance que nous.

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