Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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août 2009

lundi 31 août 2009

Oui, on peut tuer ses parents et toucher l'héritage

La presse (Le Midi Libre du moins) se fait l’écho d’une affaire assez extraordinaire qui se déroule actuellement dans le Gard, avec un formidable conflit entre le droit et la morale, cette dernière, comme d’habitude, allant sortir vaincue. 

Le résumé a de quoi faire bondir : un homme qui a tué ses deux parents, dans des conditions assez horribles qui plus est, a saisi la justice contre son frère pour demander sa part d’héritage, et il l’a obtenue (devant le tribunal de grande instance : l’affaire est en appel, mais je doute que la cour juge autrement, vous allez voir pourquoi). Cet héritage va d’ailleurs lui servir en partie à payer les dommages-intérêts qu’il doit à son frère pour avoir tué… ses parents. 

Et oui, c’est tout à fait légal. 

Comme, pour des raisons que j’ignore, les sites de presse en ligne (et Le Post, que je me refuse à mettre dans cette catégorie) adorent visiblement avoir des dizaines de commentaires de gens indignés, les explications juridiques font défaut dans l’article. Comme j’aime le Midi et que j’aime être libre, j’aime le Midi Libre et vais donc voler au secours de ses lecteurs égarés, en édifiant les miens au passage. 

La question ici n’est pas de droit pénal mais de droit des successions. Le droit des successions prévoit comment le patrimoine d’un mort passe à celui d’un vivant, et détermine qui est ce vivant. Cette opération juridique est instantanée et automatique, au moment du décès. En ancien droit, on disait le mort saisit le vif. Vous voyez que Resident Evil n’a rien inventé que les juristes ne connaissaient déjà. 

Le droit des successions, cauchemar des étudiants de M1, définit des ordres de successeurs, sachant que dès qu’un ordre est représenté, c’est à dire qu’une personne y figure, les ordres suivants sont exclus de la succession. Les représentants d’un même ordre sont en revanche traités sur un pied d’égalité. Ces ordres sont fixés à l’article 734 du Code civil : il s’agit

1° des enfants et de leurs descendants ;
2° des père et mère ; les frères et soeurs et les descendants de ces derniers ;
3° Les ascendants autres que les père et mère ;
4° Les collatéraux autres que les frères et soeurs et les descendants de ces derniers. 

Notons que le 2e ordre est une révolution pour les juristes, puisque depuis Napoléon, les ascendants constituaient un ordre supplantant les collatéraux. Ou en français moderne, les frères et soeurs ne touchaient rien si un des parents ou grand-parents au moins était encore en vie. La grande réforme des successions de 2001 a créé cet ordre mélangeant les père et mère (et eux seuls) et les frères et soeurs. 

Dans notre affaire, les deux parents décédés laissaient deux fils : le premier ordre étant représenté, les suivants sont donc exclus. Les deux frères sont en principe traités sur un pied dégalité. Le Code civil a mis fin définitivement au droit d’aînesse, qui donnait la succession au mâle premier né, excluant les soeurs et les frères puînés, qui cherchaient leur salut dans les Ordres religieux ou dans le métier militaire (les fameux régiments de cadets), le second permettant d’arriver au paradis plus vite mais moins sûrement que le premier. Les parents pouvaient altérer quelque peu cette égalité par testament, mais certainement pas déshériter (on dit plutôt exhéréder) un de leurs fils. 

Dans notre affaire, aucun testament n’a porté atteinte à ce principe d’égalité. Donc, au décès de leurs parents, les deux frères avaient vocation à receillir chacun pour moitié la succession de leurs parents. 

Néanmoins un problème se pose ici. Un des héritiers n’est autre que celui qui est la cause de la succession. Le code civil prévoit cette hypothèse par la règle de l’indignité successorale. 

L’article 726 du Code civil dispose en effet que : 

Sont indignes de succéder et, comme tels, exclus de la succession :
1° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;
2° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.

Vous voyez que le Code civil pose des conditions strictes. Il doit y avoir condamnation d’une part, et d’autre part elle doit être criminelle, c’est à dire prononcée par une cour d’assises ET dépasser les dix ans de prison (sinon, c’est une peine correctionnelle). Donc seuls deux crimes entraînent automatiquement l’indignité successorale : le meurtre (et l’assassinat, auxquels la jurisprudence ajoute l’empoisonnement), et les violences ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, à condition que la peine soit d’au moins onze ans de réclusion criminelle. 

À ces hypothèses s’ajoutent des indignités facultatives, qui sont prononcés par le juge, à la demande d’un des cohéritiers (ou du ministère public si l’indigne est seul héritier), sachant que le juge peut, au regard des faits, refuser l’indignité (mais pas la prononcer partiellement). 

Ces hypothèses figurent à l’article 727 du Code civil : 

Peuvent être déclarés indignes de succéder :
1° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;
2° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner ;
3° Celui qui est condamné pour témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle ;
4° Celui qui est condamné pour s’être volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;
5° Celui qui est condamné pour dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
Peuvent également être déclarés indignes de succéder ceux qui ont commis les actes mentionnés aux 1° et 2° et à l’égard desquels, en raison de leur décès, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte. 

Les deux premiers cas sont la suite logique de l’indignité obligatoire : si la peine est correctionnelle, il faut que le juge y passe. 

Pourquoi me demanderez-vous, chers lecteurs qui ne commentez pas sur les sites de journaux (Dieu vous bénisse) et faites précéder vos opinions de questions pertinentes ? Simplement parce que quand un parricide est condamné à une peine relativement légère, c’est qu’il y a une raison. Et que cette raison peut conduire à écarter l’indignité. Et que le législateur a décidé (c’était sous le Consulat, en des temps plus humanistes qu’aujourd’hui, et ça me poigne de l’écrire) que dans ce cas, le juge devait vérifier les faits. 

Je me souviens d’une affaire d’assises où un fils, mineur âgé de 17 ans, battu et violé par un père alcoolique a tué d’un coup de fusil son père le jour où il s’est rendu compte que ses visites nocturnes allaient désormais dans la chambre de son petit frère de 11 ans. Mérite-t-il d’être indigne ? Non, a dit la cour, qui a prononcé une peine de 5 ans, la partie ferme couvrant la détention provisoire : il a été libéré le soir même. 

Les autres cas d’indignité facultatives concernent des atteintes graves à l’honneur du défunt, qui sont hors sujet ici. 

Revenons-en à notre affaire. Tout se joue sur un détail essentiel hélas absent du titre de l’article : le fils, appelons le Anastase, qui a tué ses parents était dément au moment des faits. Il était atteint de schizophrénie et a eu une bouffée délirante. Des experts psychiatres ont tous estimé qu’il a effectivement agi lors d’une telle bouffée et que dès lors, son discernement était aboli. Cela est confirmé par un détail significatif : les meurtres commis par un dément lors d’une telle bouffée sont d’une violence et d’une horreur extrême. Un malade mental qui décompense n’a plus la moindre inhibition, il est incapable de compassion, et peut faire montre d’un acharnement effrayant. Et c’est le cas ici, ce qui ne facilite pas la compréhension. 

En conséquence, après une courte détention provisoire, le fils en question a été hospitalisé en hôpital psychiatrique, où il est encore. Anastase a bénéficié d’un non lieu pour irresponsbilité pénale, mais, sur demande de son frère, appelons-le Balthazar, il a été condamné au civil (les déments sont civilement responsables : article 414-3 du Code civil) à lui payer 40 000 euros de dommages-intérêts. 

Vous avez deviné : non lieu, donc pas de condamnation pour meurtre, fût-elle correctionnelle. Anastase ne peut en aucun cas être considéré comme indigne. Il a donc droit à la moitié de la succession. C’est la loi. Et il l’a donc demandée. 

Mais une autre question jaillit : comment peut-on être fou au point d’être irresponsable d’un meurtre mais pouvoir agir en réclamation d’une succession ? N’est-ce pas contradictoire ? La réponse est simple. Un fou n’est pas irresponsable. Il est irresponsable pénalement. Il ne relève pas de la sanction pénale, qui a pour objet de punir, de dissuader et de réinsérer. 

Le punir n’a aucun sens : il n’était pas lui même quand il a agi. Cela reviendrait à punir un innocent. Dissuader est ici absurde : on ne dissuade pas une bouffée délirante. Enfin, résinsérer… Par pudeur, je passerai sur la qualité des soins susceptibles d’être donnés en prison. Disons pour faire un élégant euphémisme que la prison n’est pas l’endroit idéal pour soigner une maladie mentale.

Mais il reste responsable civilement. Et si on l’a jugé responsable à hauteur de 40 000 euros à l’égard de son frère, encore faut-il luigarantir le plein accès à son patrimoine afin de payer ses dettes. Balthazar est particulièrement malvenu à faire un procès en dommages-intérêts à Anastase puis à lui dénier par la suite une action visant à lui permettre de payer ce qu’il lui doit. Ce même si de fait, il avait recueilli (illégalement) l’intégralité de l’héritage et que du coup, il va devoir donner à son frère ce que son frère lui doit. 

J’ajoute qu’un schizophrène n’est pas en bouffée délirante continuelle. Beaucoup de schizophrènes mènent une vie à peu près normale, pour peu qu’ils aient un traitement adéquat qvec le suivi nécessaire. Le juge des tutelle d’Uzès a d’ailleurs refusé le placement sous tutelle d’Anastase. Et eût-il été placé sous une telle mesure que son représentant légal aurait pu lui même faire valoir les droits de son pupille. 

Je n’accuse pas Balthazar d’être malhonnête. Il s’est fourvoyé en se laissant guider par son bon sens et sa morale sur les terres du droit, qui n’est pas un châtelain très tolérant. J’en veux pour preuve la solution qu’il propose : le fils ayant dépêché ses parents ayant deux enfants, il est d’accord pour que ceux-ci reçoivent la succession, mais il se refuse à l’idée que ce soit son frère. Et là, il joue de malchance. La loi en vigueur aujourd’hui propose une solution : celui qui renonce à une succession n’en exclut plus ses descendants. Elle passe à la géneration suivante sans jamais être entrée dans son patrimoine. Mais la succession des malheureux parents s’est ouverte en 2000. À l’époque, renoncer à une succession excluait les descendants du renonçant. Ce jusqu’au 1er janvier 2007. Et comme je vous l’ai dit au début, une succession est instantanée. Le patrimoine quitte le mort avec son dernier soupir et entre aussitôt dans celui des héritiers avant même qu’ils n’apprennent la nouvelle. Donc, si son frère renonçait à la succession, il excluerait ses neveux, ce qu’il ne souhaite pas. Terrible impasse juridique. Une solution possible serait qu’Anastase fît immédiatement une donation à ses enfants, contre renonciation de Balthazar à demander ses 40 000 euros. 

Las, je redoute que la situation ne vire ici au tragi-comique. Il y a gros à parier que Balthazar, face à l’insolvabilité supposée de son frère hospitalisé pour une durée indéterminée, ne se soit fait payer ces 40 000 euros par le Fonds de Garantie des Victimes d’Infraction, qui est tenu d’indemmniser les actes commis même par des irresponsable pénaux (article 706-3 du CPP qui dit que les faits doivent avoir le caractère matériel d’une infraction). Aujourd’hui, c’est le Fonds qui doit probablement demander à Anastase de rembourser cette somme, par son action dite récursoire. Anastase n’ayant pas de fortune, il a donc demandé à toucher son héritage pour payer cette dette. Et il doit demander sa part… à son frère Balthazar, qui était son créancier et est devenu son débiteur. Corneille, réveille-toi, tu as un autre chef-d’oeuvre à écrire. 

Je ne vois donc pas comment la cour d’appel de Nîmes pourrait juger différemment que le tribunal de grande instance et faire autrement que droit à l’action d’Anastase. 

Cela dit, je confesse ne pas connaître tous les tenants et aboutissants du dossier, et sur le plan du droit, alors que je n’imaginais pas un renversement du jugement de la mariée non vierge de Lille, la cour d’appel de Douai m’a donné une leçon, non pas de droit mais de realpolitik

Si après ça, il y en a encore qui doutent que droit et morale soient distincts, je ne peux plus rien faire pour vous.

samedi 22 août 2009

Prix Busiris pour Franck Louvrier

Décidément, pour être récipiendaire du prestigeux prix, il y a mieux qu’être ministre, il y a conseiller du président. Franck Louvrier, rosissant de l'honneur qui lui est fait, prend la pose, après avoir, pour se faire remarquer, mis une cravate à pois avec un costume à rayures. Le photographe a été admis à l'Hôtel Dieu pour d'importants saignements oculaires.

Et aujourd’hui, c’est le conseiller à la présidence de la République pour la communication et la presse qui est récompensé, pour cette tribune dans Le Monde, intitulée Internet et son potentiel démocratique

Le conseiller commence son propos par une présentation de l’importance prise par l’internet dans le débat démocratique. Dans les démocraties d’abord, comme aux États-Unis, où le président Obama a mené une formidable campagne sur le net qui a été déterminante dans son succès lors des primaires démocrates, et dans les dictatures ensuite, où Twitter a été l’outil avec lequel les opposants à Ahmadinedjad ont dénoncé les fraudes et raconté ce qui se passait malgré le blocus médiatique de l’État (avec moins de succès, hélas). 

Jusque là, on ne sort pas du niveau de la banalité : le conseiller dit ce que tout le monde sait déjà. Au moins peut-on se réjouir de ce que la nouvelle semble arrivée à l’Élysée. 

Le conseiller va ajouter deux arguments : d’une part, le niveau de contrôle de l’État sur le contenu et l’accès de l’internet est un étalon de son niveau démocratique (retenez bien cet argument, il va devenir particulièrement savoureux et a été déterminant pour l’attribution du Busiris). D’autre part, le danger principal contre ce phénomène de communication libre et directe est la manipuation, le mensonge, et la désinformation. Que des séides des États dictatorieux se fassent passer pour des citoyens de leur pays et fassent circuler des fausses informations.  

Sur ce dernier point, si en effet l’impossibilité de vérifier la source peut donner libre cours à des rumeurs, il y a des limites : si un compte twitter ThanShweRules publie un tweet disant qu’Aung San Suu Kyi est très contente d’être assignée à résidence et que la vie au Myanmar, c’est trop LOL, personne ne le prendra au sérieux. Mais bon, pointer les faiblesses d’un service qui peut provoquer un enthousiasme excessif est toujours très sain. Jusque là, tout va bien. 

Et puis brutalement, on bascule. Et on comprend que le conseiller de l’Élysée n’est pas venu nous faire partager ses réflexions sur l’internet mais faire l’article pour un produit avarié qu’on veut à toute force nous faire avaler. 

Ce qui menace Twitter, c’est moins la censure que la contrefaçon, la copie, en somme, le faux. Ainsi,  face à l’émergence de ces nouveaux outils de communication, l’enjeu central pour nos démocraties est de savoir protéger l’authenticité de ce lien numérique entre les citoyens du monde. L’enjeu est la vérification des sources, dont la responsabilité repose sur la vigilance des professionnels de l’information.  

Admirez le glissement sémantique en jouant sur le double sens du mot faux. Est faux le mensonge, et est faux le tableau qui n’est que la copie de l’original. Faux témoignage, faux Picasso : même combat. Et plus dangereux encore que la censure, arme de l’État - et en France l’État est votre ami-, il y a la contrefaçon, la copie, qui est synonyme du faux.  

On devine la suite : puisqu’il y a plus dangereux encore que la censure par l’État, qui est tout désigné pour vous protéger ? Réponse : l’État, avec comme arme… la censure. 

Cette grande menace nous concerne tous. Et si c’est grâce aux actualités américaine et iranienne que nous sommes sensibilisés au potentiel démocratique de ces nouveaux médias, c’est bien la France qui est à l’avant-garde. Plus que tout autre débat sur la planète, c’est le cas Hadopi qui pose aujourd’hui les questions auxquelles nos sociétés devront répondre demain sur le terrain de la démocratie. 

Là, le lecteur ne peut que se dire qu’HADOPI et la démocratie sur l’internet n’ont aucun rapport. La parade de Franck Louvrier est rudimentaire mais efficace : puisqu’il n’y a aucun rapport, il faut affirmer qu’il y en a bien un, mais c’est juste qu’il est bizarre. 

Le parallélisme des deux débats fait apparaître de curieuses similarités. Sur le pouvoir multiplicateur d’Internet, il en est de même pour la viralité des contenus sur Twitter que pour la circulation des oeuvres musicales : les mécanismes de la censure sont incomplets.  

On sent une pointe de regret sur ce dernier point : l’État a ceci de commun avec les acheteurs de viagra qu’il redoute plus que tout l’impuissance. Mais admirez surtout l’assimilation de la viralité des contenus de Twitter au piratage. Qui retwitte télecharge un film. 

Telle l’éclaircie dans la tempête arrive un moment de lucidité :

Aucune solution technologique ne peut vraiment mettre fin à la copie, et le Conseil constitutionnel a reconnu définitivement l’accès à Internet comme un droit fondamental des Français.

Mais cent fois sur le métier Louvrier remet remet son ouvrage, et c’est reparti  pour le délire :  

La question de la protection des oeuvres se joue donc ailleurs, dans la nécessité de protéger le caractère personnel des messages : l’oeuvre d’art a cela de commun avec le témoignage sur Twitter  qu’elle exprime le point de vue sur le monde d’une individualité originale.  

Je pense que Franck Louvrier devait penser à ce tweet en écrivant cela.  

Son sens et sa valeur reposent sur le caractère singulier et inaliénable d’un témoignage personnel mis à la disposition de tous. Ainsi il en va de même pour l’étudiant révolté des rues de Téhéran que pour l’artiste qui enregistre sa chanson à Paris : l’enjeu est de s’assurer que la vaste diffusion de son message n’étouffe jamais le lien qui l’unit à chacun de ses destinataires.  

Bon, là, on bascule juste dans l’indécence. Si Franck Louvrier demandait à son collègue Jen-David Lévitte ce qui se passe à Téhéran, il réaliserait que les préoccupations des étudiants iraniens ne sont pas exactement les mêmes que celles de René la Taupe.  

Et au cas où une personne arriverait à suivre et réalise que c’est du grand n’importe quoi, arrive la conclusion-mystère pour clouer le bec :  

Que la reconnaissance de la source soit partie intégrante de la construction du sens. 

Et toc. Même Frédéric Mitterrand ne l’a pas comprise celle-là.  

La conclusion se veut lyrique :  

Notre société doit reconnaître la dette que nous avons tous envers celui qui a la générosité de partager avec nous son témoignage le plus précieux - quel que soit son support. Faire comme si celui-ci n’existait pas reviendrait à briser le sens du partage, qui est au coeur de l’expérience artistique comme de la vie démocratique. Reconnaître le caractère inaliénable d’un témoignage personnel, tel est le sens profond de la réflexion en cours dans Hadopi, qui rayonne bien au-delà de l’industrie du disque, jusqu’au sens de notre vie en commun dans une démocratie. 

Ce qui au passage nous livre un scoop : la HADOPI sera compétente pour la contrefaçon des tweets. Et ça, c’est une bonne nouvelle. 

Mais redevenons sérieux un moment, l’heure est grave. J’ai annoncé un prix Busiris ; il faut y mettre les formes. 

L’affirmation juridiquement aberrante consiste à assimiler le mensonge à la contrefaçon en jouant sur l’ambiguïté du mot faux. La contrefaçon est une copie ou une représentation d’une oeuvre ou d’une marque sans l’accord du titulaire des droits. On ne parle de faux en propriété intelectuelle que quand l’oeuvre a un seul original ou un nombre déterminé de copies officielles (un faux Picasso, un faux Chanel). De fait, si un morceau protégé récupéré illégalement sur internet est une contrefaçon, ce n’est certainement pas un faux. C’est une copie, exactement comme le fichier qu’on télécharge légalement sur un site payant. Le morceau est le même. Il y aurait faux et mensonge au sens où le dénonce Franck Louvrier si un site proposait en télechargement un fichier RenéLaTaupe.mp3 qui s’avérait en fait être le Dardanus de Rameau. Mais je ne crois pas que Franck Louvrier milite pour la transparence des noms de fichiers sur les réseaux P2P.  

La mauvaise foi consiste d’une part dans l’assimilation du combat des opposants iraniens à la protection des intérêts pécuniaires des artistes français. Non que cette cause soit méprisable ; mais ce n’est décidément pas la même. Et d’autre part dans le rappel grandiloquent de l’importance de l’internet dans la vie démocratique et de la protection que le Conseil constitutionnel lui a donné en oubliant que c’est précisément contrele projet HADOPI que ce droit a été proclamé. Lire dans cet article que le niveau de contrôle de l’accès à l’internet est un étalon du niveau démocratique pour promouvoir un projet de loi visant à priver en masse de l’accès à l’internet pour protéger des intérêts privés expose au lumbago intelelctuel, tant le lecteur n’a pas l’habitude de tordre la logique avec cette rapidité.

L’opportunité politique est caractérisée par l’objet de cet article, qui est de faire une nouvelle tentative de promotion d’un projet de loi voulu à toute force par le gouvernement, à portée purement interne, et qui porte atteinte à tous les principes vantés par cet article.  

L’Académie en formation restreinte décerne donc ce prix avec mention très déshonorable et adresse ses félicitations au récipiendaire.  

Quand la Justice n'exécute plus

Par Gascogne


Pour ceux à qui cela aurait échappé, la justice va mal. Non pas à cause du corporatisme, du conservatisme et de l’irresponsabilité de ses juges (je sais, j’ai déjà fait plus léger comme appeau à troll, mais je sors d’une semaine agitée), mais par manque de moyens. J’entends déjà les contempteurs de notre système judiciaire crier qu’il y en a assez de ces magistrats qui se plaignent tout le temps du manque de moyens. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui râlent contre l’absence de sanctions sévères contre les délinquants, surtout ceux des banlieues, les délinquants financiers devant visiblement subir un sort moins funeste.

Alors je ne doute pas de leur soutien plein et entier s’agissant de la mise à exécution de peines d’emprisonnement ferme, qui ne peut se faire sans un nombre minimum de greffiers et autres travailleurs sociaux. Et pourtant, on apprend par la presse que le manque de personnel entraîne une impossibilité de mettre à exécution des peines d’emprisonnement dans la cour d’appel de Versailles.

Même si le journaliste semble quelque peu confondre en fin d’article ce qu’il souhaite constater et ce qui se déroule dans le cadre d’un délibéré (un sursis simple en lieu et place d’une peine d’emprisonnement ferme réclamée par la Parquet, quelle honte), il n’en demeure pas moins que les juges, lorsqu’ils condamnent, prennent souvent en compte les moyens matériels dont dispose la juridiction. A quoi bon prononcer des TIG si l’on sait qu’aucune association ne peut accueillir les condamnés ? Pourquoi prononcer des sursis avec mise à l’épreuve si l’on sait pertinemment qu’aucun suivi ne sera mis en place, faute de travailleurs sociaux (que l’on appelle des conseillers d’insertion et de probation) ? Quand on vous annonce qu’aucun dossier de sursis avec mise à l’épreuve n’est suivi plus de deux ans, faute de moyens, pourquoi prononcer des SME durant trois ans, voire plus en cas de récidive ? Pourtant, le législateur, sans doute à juste titre, a bien prévu que pour les récidivistes, une suivi pouvant aller jusqu’à 7 ans était envisageable. Juridiquement, c’est certain. Matériellement, c’est une douce plaisanterie. D’aucuns parleraient de loi de pure annonce.

Et je ne vous parle même pas de ces juges d’instruction qui reçoivent un courrier très poli du directeur de la protection judiciaire de la jeunesse qui leur annonce que les contrôles judiciaires des petits Kevin et Dylan ne seront pas suivis faute d’éducateurs (ah, ben si, je vous en parle…Peut-être parce que cela m’est personnellement arrivé).

L’absence de moyens concernant l’exécution des peines pousse souvent les juges à des décisions la plupart du temps dans l’intérêt des justiciables, c’est à dire vers une diminution de la sévérité. Ceci étant, la facilité peut aussi vouloir que l’on prononce une peine ferme. Il y aura toujours de la place en détention. Au moins avec un matelas au sol (à tous membres de l’OIP qui me liraient, il s’agit bien évidemment d’ironie)…

Les politiques vont une fois de plus découvrir la lune, eux qui ne regardaient jusqu’alors que le doigt. Ce n’est pourtant pas faute de les avoir alertés. L’Union Syndicale des Magistrats a déjà signalé les difficultés liées à l’exécution des peines, dans un “livre blanc” que l’on peut trouver ici (je sais, Me Eolas vous dirait, “attention, site moche”, mais bon, c’est mon syndicat, quand même…). Il en ressortait que près d’un tiers des peines d’emprisonnement ferme n’était jamais ramené à exécution, faute de moyens. On imagine dés lors facilement le peu d’impact de ces décisions sur les personnes condamnées…

Et qu’a-t-on fait depuis ? Rien, si ce n’est diminuer en douce les effectifs, réforme de l’État oblige. Le gouvernement a eu beau indiquer que les ministères de l’intérieur et de la justice ne seraient pas touchés par les non-remplacements de départs en retraite, les effectifs de l’Ecole Nationale de la Magistrature ne remplaceront pas les départs (de l’ordre, dans les années à venir, d’environ 300 départs en retraite pour une petite centaine d’entrées en école). Faites vos comptes. Et je ne vous parle même pas des greffes, dont la situation en terme de personnel est encore plus catastrophique.

Concernant les effectifs de police, le récent cafouillage au plus haut niveau de l’Etat au sujet des “cadets de la République” (institution que, personnellement, je trouve plutôt positive, même si elle vient de N. Sarkozy, c’est pour dire…) n’est pas fait pour me rassurer.

Après “Police partout, Justice nulle part”, va-t-on assister à un “Police nulle part, Justice nulle part” ? Cerise libertaire en sera sûrement ravie, mais en ce qui me concerne, vous aurez deviné que ce n’est pas la conception d’une société civilisée que je peux me faire.

mardi 18 août 2009

La saison des palmes

Alors que votre serviteur a chaussé les siennes à la plage, c’est celles de martyr que revendique Olivier Bonnet sur son blog.

Quitte à gâcher un peu ses effets, je me dois de relever un certain nombre d’erreurs qui profiteront ainsi à mes lecteurs qui réviseront ainsi leur droit de la presse et éviteront de commettre la même le jour venu.

Olivier Bonnet se plaint d’être “trainé devant un tribunal” par un magistrat, Marc Bourrague, pour des faits d’injure publique.

Bon, passons rapidement sur ce cliché de traîner devant les tribunaux. Toutes les parties que j’ai vu entrer dans un tribunal étaient debout sur leurs deux pieds, sauf les culs-de-jatte, ça va de soi. Quand bien même Olivier Bonnet serait réticent à comparaître, ce n’est pas le président Bourrague qui le fera entrer dans le prétoire en le tirant par les pieds tandis que ses ongles rayeront le parquet.

Le blogueur ouvre sur une formule péremptoire sur laquelle je reviendrai à la fin : Nouvelle attaque contre la liberté d’expression sur Internet : le magistrat Marc Bourragué me traîne devant le tribunal pour soi-disant “injure publique”. Mais la lecture de l’article révèle que l’attaque n’a rien de nouveau, puisque la plainte remonte à 2007. En fait, c’est l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel qui a été rendue il y a peu : l’instruction judiciaire est terminée, la procédure suit son cours, tout simplement. J’ajoute que le magistrat plaignant n’est pour rien dans cette mesure, qui découle logiquement de sa plainte d’il y a deux ans.

Notre mis en examen s’indigne ensuite de l’état du droit. Après avoir rappelé que l’injure est “Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ” (Art. 29 de la loi du 29 juillet 1881, il expose que :

C’est pourquoi on ne dispose pas pour se défendre de l’offre de la preuve. Inutile d’expliquer pourquoi on a écrit ce qu’on a écrit puisqu’il s’agit d’une “injure”, donc n’imputant aucun fait. Cette incrimination, dont nous allons voir qu’elle ne tient pas une seconde, m’interdit concrètement de me défendre ! 

Tout d’abord, on peut se dire que si Olivier Bonnet se prépare à nous démontrer que l’accusation dont il fait l’objet ne tient pas une seconde, c’est que la loi doit quand même un peu lui permettre concrètement de se défendre. Un vide juridique, peut-être…

Ensuite, mes lecteurs devenus experts en droit de la presse auront compris l’erreur du journaliste, qui n’est pas juridique mais logique. L’injure, par définition, ne renfermant l’imputation d’aucun fait (puisque si on impute un fait, c’est une diffamation), l’offre de preuve des faits n’est pas admissible, faute de faits à prouver. 

Mais la personne poursuivie pour injure dispose là d’un puissant moyen de défense : qu’elle établisse que le propos imputait un fait, et donc était une diffamation, et la poursuite tombe, irrémédiablement.

En effet, en droit de la presse, les règles sont strictes. Toute erreur dans la citation est sanctionnée de nullité (art. 53 de la loi du 29 juillet 1881), et une citation nulle n’a pu interromptre le délai spécial de prescription de trois mois. Autant dire que quand la nullité est prononcée, le délit est prescrit depuis longtemps. 

Olivier Bonnet introduit le rappel des propos qu’il admet avoir tenus en disant que ceux-ci auraient provoqué les foudres du plaignant, du procureur de la république et du juge d’instruction. C’est vouloir faire d’une averse un ouragan. 

Ses propos ont sans nul doute provoqué les foudres de la personne visée. Il n’est pas interdit de penser que c’était d’ailleurs leur but. Mais ça s’arrête là. 

Le droit de la presse a cette particularité de rester essentiellement privé. Seule la plainte de l’injurié, et s’il est agent public, de son ministre, fait vivre l’action (art. 48 de la loi de 1881). Qu’il la retire, et l’action prend fin, le procureur n’ayant pas le pouvoir de reprendre l’action à son compte. La loi fournit donc à Olivier Bonnet un paratonnerre juridique contre les foudres du procureur. 

Enfin, le juge d’instruction est tenu d’instruire ce dont il est saisi. Quoi qu’il pense des faits. La loi lui interdit d’avoir des foudres, puisqu’à force de charges et de décharges, il serait bien en peine de produire de l’électricité. Et en matière de délit de presse, le juge d’instruction a des pouvoirs limités : il se contente d’établir si les propos ont été tenus, par qui, et qui est la personne responsable de la publication (qui n’est pas toujorus l’auteur des propos). Il interrompt la prescription après avoir vérifié qu’elle n’était pas déjà acquise au moment de la plainte. Et c’est tout. Il n’a pas le pouvoir de se prononcer sur la qualification des faits, qui relève du seul tribunal.

Ainsi, en rendant cette ordonnance de renvoi, le juge d’instruction constate, sous le regard placide du procureur, que les propos figurant dans la plainte ont bien été tenus, et qu’Olivier Bonnet est responsable de leur publication. C’est tout. En matière de foudres, j’ai connu plus virulent. 

Quels sont les propos en question ?

Il s’agit de deux citations de son blog publiées le 13 novembre 2007. Dans la première, il parle de Marc Bourrague en l’appelant “l’inénarrable ancien substitut du procureur de Toulouse”. Le fait d’être un substitut, fût-il ancien, fût-il de Toulouse, ne pouvant être considéré comme outrageant, c’est le mot inénarrable qui a dû chiffonner le plaignant. Le dictionnaire nous donne deux sens. le premier, vieilli, est Qu’on ne peut raconter; qu’il est impossible de décrire ou d’exprimer. Comme on ne saurait exprimer un substitut sauf à user d’un pressoir géant, c’est donc vers le second sens qu’il faut se tourner : D’une extrême cocasserie. Synonime :  burlesque, cocasse, comique, extravagant, impayable (fam.),ineffable (fam.). Le caractère outrageant est ici plus visible. L’expression n’impute aucun fait. Le choix de la qualification d’injure semble pertinent, sans se prononcer sur le caracère effectivement outrageant. 

Sur ce propos, Olivier Bonnet se défend en déroulant l’argumentation suivante : 

La belle affaire. 

Sans vouloir me mêler de ce procès, j’espère qu’il sera plus prolixe à l’audience.

La seconde citation est la suivante : On peut donc légitimement s’interroger, connaissant le CV de ce magistrat, sur son «indépendance » dans le cadre d’un tel procès [le procès Colonna, où Marc Bourrague siégeait comme assesseur dans la cour d’assises spéciale. NdEolas] tant il est évident qu’il est en “coma professionnel avancé”. Les guillemets sont d’origine.

Le propos contient deux imputations : d’une part, une absence d’indépendance, et d’autre part, un coma professionnel avancé. 

Le premier point peut, selon le contexte, constituer une diffamation ou une injure. C’est l’argumentation que développe Olivier Bonnet. Ce défaut d’indépendance serait dû à l’existence supposée d’un rapport tenu secret mettant en cause le magistrat dans le cadre de l’affaire Patrice Alègre, qui serait du coup menacé à tout moment d’une sanction disciplinaire, au bon vouloir de sa hiérarchie. Si c’est bien là ce qui ressort du billet en cause (qui semble ne plus être en ligne), on serait effectivement dans le domaine de la diffamation. 

Olivier Bonnet met en cause le choix de la qualification d’injure, qui lui interdirait de lancer le débat sur ce point. Mais l’argumentation ne tient pas. D’une part, comme on l’a vu, ce choix inadéquat entraînerait immanquablement la relaxe d’Olivier Bonnet. C’est donc moins une ruse qu’un cadeau. En outre, Olivier Bonnet ne serait pas recevable à présenter une offre de preuve. En effet, à supposer que ces faits fussent établis, ce que je me garderai bien d’affirmer, ils remonteraient aux années 1990 et sont couverts par l’amnistie (en dernier lieu, celle de mai 2002). or l’article 35 de la loi de 1881 interdit l’offre de preuve de faits amnistiés. J’ajoute que du coup, l’accusation d’être sous la menace permanente de sanctions ne tient plus non plus, puisque ces faits amnisitiés ne peuvent non plus fonder une sanction. 

Reste enfin le “coma professionnel avancé”. On peut comprendre de ces propos que nonobstant l’absence de sanctions disciplinaires, la carrière du magistrat aurait pris une voie de garage révélant une disgrâce dissimulée. Le seul argument avancé à l’appui de cette affirmation est que c’est “évident”. C’est un peu léger pour constituer une diffamation, la jurisprudence exigeant des faits articulés susceptibles d’un débat. Ce d’autant que ce magistrat a entre-temps été nommé vice-procureur à Montauban, puis cinq ans plus tard vice-président à Paris, où il siège dans deux chambres correctionnelle. Le coma professionnel avancé ne me paraît pas si évident, sauf à considérer que risquer de m’entendre plaider est considéré comme un châtiment dans la magistrature. Le choix de l’injure n’est pas manifestement infondé. On verra ce qu’en dira le tribunal. 

Enfin, je voudrais épargner à Olivier Bonnet la perte inutile d’un jour de congé. Il ne sera pas jugé le 4 septembre, c’est une audience de fixation de la date définitive du jugement, une audience d’agenda en somme, avec au besoin fixation des audiences-relais visant à interrompre la prescription tous les trois mois. Sa présence n’est pas nécessaire, bien que le parquet de la 17e a toujours besoin d’être lustré par le ventre d’un justiciable. Son avocat s’en tirera très bien tout seul. 

Pour conclure, une remarque plus générale sur l’affirmation “une nouvelle attaque contre la liberté d’expression sur Internet” qui ouvre le billet d’Olivier Bonnet. On me sait chatouilleux sur la question. J’ai pour elle les yeux de Chimène, non pas parce que ce serait la première des libertés (celles de conscience et d’aller et venir pour ne citer qu’elles ont également ma plus haute estime) mais parce que c’est toujours la plus vulnérable. Tout le monde a une excellente raison de vouloir en priver ses adversaires. 

C’est pourquoi je tique quand elle est galvaudée.

La liberté d’expression de M. Bonnet n’est pas en cause ici. Il a pu écrire ces propos, et les publier librement, sans demander l’autorisation de quiconque. Son blog n’a pas été fermé à cause de ces propos, et nul ne menace de représailles Jean-Louis Bianco qui lui a apporté officiellement son soutien. 

La liberté ne veut pas dire l’irresponsabilité. Chacun doit pouvoir tenir les propos qu’il veut, la contrepartie étant de devoir en rendre compte quand ces propos sont fautifs aux yeux de la loi. Et autant je suis réservé quand la loi prétend protéger un groupe (je n’aime pas, pour faire un euphémisme, les concepts de diffamation “envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques”, ou tous les délits prétendant protéger telle ethnie, nation, race ou religion), autant quand elle donne une voie de droit à un individu à la suite des propos tenus par un autre (notez bien le à la suite, qui suppose que les propos ont pu être tenus ; la presse chinoise, par exemple, ne commet jamais de diffamation), je ne trouve rien à redire. D’autant que comme vous l’avez vu, la loi ne laisse pas la personne poursuivie sans protection, c’est le moins qu’on puisse dire. 

En attaquant pour injure Olivier Bonnet, Marc Bourrague n’attaque pas la liberté d’expression. Il se défend contre ce qu’il estime être une agression verbale. Le juge dira s’il a raison ou pas. Mais il demeure qu’Olivier Bonnet aurait pu exprimer les mêmes réserves et critiques, fussent-elles infondées, à l’égard de ce magistrat sans encourir de poursuites. Quand on fait un métier de plume, on sait comment chatouiller les limites sans les franchir.

Il est toujours tentant, quand on fait de la politique comme Olivier Bonnet (qui se présente comme “un journaliste engagé” et qui ai-je cru comprendre exprime une certaine réserve à l’égard du président de la République) de se prétendre victime, l’époque s’y prête. Pourtant, si j’ai bien suivi, personne, à commencer par monsieur Bourrague, ne l’a qualifié d’inénarrable blogueur ou de journaliste en coma professionnel dépassé. 

Je ne signerai donc pas la pétition ouverte sur son blog, et attire l’attention des éventuels signataires qu’en signant ce texte qui qualifie de fallacieuses les accusations du magistrat et d’abusive sa plainte, ce qui est une imputation de faits précis, ils se rendent, eux, bel et bien auteurs du délit de diffamation. 

vendredi 14 août 2009

Hora­tio Caine va-t-il deve­nir un per­son­nage de la série Cold Case ?

Question angoissante : quitter la chaleur tropicale de la Floride pour les frimas de Philadelphie lui feraient courir le risque du choc thermique (outre le fait qu’il n’aurait plus guère de raisons de tripoter ses lunettes), et le changement de méthode de travail (abandonner la preuve scientifique pour aller accuser du crime tous les survivants de l’époque jusqu’à ce que l’un d’entre eux passent aux aveux), à son âge, est un traumatisme.

On comprend donc que ce soit la Cour Suprême des États-Unis qui ait eu à trancher la question.

Pourquoi un tel transfert est-il envisagé ? À cause de ce diable d’Acide Désoxyribo-Nucléique, l’ADN. Pour tout savoir sur cet assemblage de molécules, la piqûre de rappel est ici. Pour les fainéants, voici la version courte.

L’ADN a révolutionné les enquêtes policières en permettant une nouvelle méthode d’identification des suspects. Si une goute de sang, un cheveu ou du sperme est retrouvé sur une scène de crime, l’ADN permet de dire avec une quasi-certitude que l’échantillon témoin correspond à telle personne dont on a l’ADN, et surtout de dire avec une certitude absolue s’il ne lui correspond pas. Si le positif s’exprime toujours en probabilité (de l’ordre de 1 sur plusieurs dizaines de milliards, soit plus que la population terrestre…), le négatif est une certitude absolue. Si une signature moléculaire précise (un allèle) figure sur un échantillon mais pas sur l’autre, il est rigoureusement impossible que les deux échantillons proviennent de la même personne.

Mais cette technique n’est au point que depuis une dizaine d’années environ (outre qu’elle coûte cher à mettre en œuvre, plusieurs milliers d’euros par test). Des tests ADN plus rudimentaires existaient auparavant, mais avec des probabilités d’erreur bien plus élevées, comme vous allez voir.

Enfin, son utilité, surtout en matière de viols où le sperme de l’auteur a été retrouvé et conservé, est évidente.

À tel point qu’aux États-Unis, nombre de condamnés ont souhaité bénéficier de tels tests a posteriori afin d’obtenir le révision de leur condamnation. Comment les en blâmer : 240 prisonniers ont ainsi été innocentés.

Parmi ces candidats au test, William Osborne, pensionnaire du système pénitentiaire de l’Alaska.

Le 22 mars 1993, Williaw Osborne et un de ses amis ont sollicité les services d’une prostituée d’Anchorage. Après une prompte négociation, la prestation est arrêtée ainsi que son prix : 100 dollars pour une procédure orale sur les deux messieurs. La prestataire de service monte dans leur voiture, et pour jouir en paix de la tranquillité de la nature, ils se rendent de conserve à Earthquake Park, ainsi baptisé en souvenir du terrible tremblement de terre du 27 mars 1964, le second plus fort tremblement de terre jamais enregistré (magnitude 9,2, soit 2,8 millions de fois Nagasaki ; ça méritait bien un parc).

Là, l’affaire tourne très mal. La prostituée demande à être payée d’avance. Aussitôt, l’un des hommes sort une arme de poing et sous la menace, l’obligent à avoir une relation orale avec l’un d’eux et vaginale avec l’autre, utilisant un préservatif de la prostituée. Une fois leur affaire terminée, ils disent à la prostituée de s’allonger sur le ventre dans la neige. Refus de la prostituée, craignant pour sa vie. Furieux, les deux hommes vont l’étrangler et la frapper avec la crosse de l’arme. Elle tentera de prendre la fuite mais sera rattrapée, battue avec un manche de pioche (de hache, en fait) et finalement, l’un des hommes lui tirera une balle dans la tête. Ils la laisseront pour morte, après l’avoir recouverte de neige à la hâte, et partiront.

Heureusement, l’ange gardien de la prostituée a fini par se réveiller : la balle n’a fait qu’effleurer sa tête. Elle a pu se relever, rejoindre la route et arrêter une voiture. La police arrivera très vite sur les lieux et retrouvera une douille, le manche de pioche, et le préservatif.

Quelques jours plus tard, lors d’une verbalisation banale pour usage intempestif des feux de route, un policier va arrêter et contrôler le véhicule de Dexter jackson. À l’intérieur, la police va découvrir un pistolet correspondant au calibre utilisé lors de l’agression de la prostituée, et divers objets personnels appartenant à celle-ci. La voiture correspond à la description faite par la victime. Très vite, Dexter Jackson va avouer être le conducteur lors de l’agression, et donnera le nom du coauteur : William Osborne, un militaire. L’enquête va retrouver des témoins affirmant avoir vu Osborne et Jackson monter ensemble dans la voiture peu avant le crime. Une perquisition au logement d’Osborne va permettre de trouver un manche de pioche identique à celui laissé sur les lieux du crime. La victime l’identifiera formellement au procès. Enfin, un test ADN va être effectué sur le sperme retrouvé dans le préservatif, selon une méthode dite DQ Alpha, méthode rudimentaire qui ne permettait pas une certitude très élevée (On peut dire que c’est une méthode traître génétique). Et de fait, le test sera positif, mais en retenant des caractéristiques communes à 16% des Noirs américains, dont Osborne fait partie. Enfin, des poils pubiens retrouvés n’ont pas permis de test DQ Alpha, mais l’examen microscopique concluait qu’ils correspondaient à ceux d’Osborne.

Sur ces preuves, Osborne, qui niait sa participation aux faits, a été reconnu coupable, mais tenez-vous bien : d’enlèvement, violences et agression sexuelle. Il a été acquitté pour la tentative de meurtre (oui, malgré le tir d’une balle dans la tête) et n’a même pas été poursuivi pour viol, la victime étant prostituée, Ah, le rude charme de l’Alaska, ou le droit de porter une arme est mieux protégé que le droit d’une prostituée de dire non.

Osborne a été condamné à 26 ans de prison.

Très vite après sa condamnation, il va faire appel et demander à bénéficier d’un nouveau test plus performant. Il va faire procéduralement des pieds et des mains pour obtenir la révision de son procès. Ses requêtes seront rejetées, car la cour d’appel d’Alaska estimera que le choix de son avocate de ne pas demander de tests plus précis lors du procès était un choix tactique de la défense (l’avocate pensait son client coupable et préférait plaider le doute avec une marge d’erreur de 16% plutôt que de se tirer une balle dans le pied en obtenant des résultats positifs plus fiables), et retiendra qu’Osborne a reconnu les faits devant le tribunal d’application des peines pour demander une libération conditionnelle, or mentir devant ce tribunal est un crime. Il ne peut invoquer sa propre turpitude.

Osborne ayant perdu en droit alaskain, il va donc jouer la carte fédérale : il va alléguer avoir un droit constitutionnel à l’accès à la contre-expertise génétique à ses frais, en raison du Due Process Clause, ce que nous appelons en droit européen le droit à un procès équitable. Le juge fédéral de première instance rejettera sa demande pour des motifs techniques : il estimera que sa demande relève de la procédure d’ habeas corpus puisqu’il prétend être détenu à tort. La cour d’appel fédérale va casser cette décision en estimant que le due process est le fondement correct de cetet action, sans trancher sur son bien fondé et va renvoyer devant le juge fédéral. Le juge va donc statuer à nouveau et va estimer qu’eu égard aux circonstances, il existe un droti constitutionnel limité pour fonder une demande de nouveau test[1]. La cour d’appel va confirmer cette décision, en estimant que le droit constitutionnel d’accès aux preuves, qui ne fait plus débat depuis longtemps (depuis Brady v. Maryland, 373 U. S. 83 (1963) exactement) s’applique également à l’accès post-condamnation, en vue d’une procédure de révision. C’était là une nouveauté qui a fait bondir le procureur fédéral sur le gros bouton rouge caché dans un tiroir de son bureau : le recours devant la cour suprême.

Et bien lui en a pris car la Cour suprême va casser cette décision (District Attorney’s Office for Third Judicial Dist. v. Osborne, 557 U. S. ____ (2009)”, pdf).

Il n’y a pas de droit constitutionnel à l’accès au test ADN dans un cadre post-condamnation, dit en substance la Cour. La Constitution protège les droits de toute personne accusée d’un crime. Pas condamnée pour un crime.

Entendons bien la Cour, dont l’opinion majoritaire est co-signée par les originalistes[2] de la cour ce qui ne surprendra personne. Elle ne dit pas qu’il est interdit à un condamné d’avoir accès à ces preuves. Au contraire, elle en rappelle l’efficacité en notant que 240 personnes ont ainsi été innocentées après avoir été condamnées. Elle dit que ce droit relève de la compétence du législateur des États fédérés, qui seul peut fixer les modalités et conditions d’exercice de ce droit. La cour relève d’ailleurs innocemment que 47 des 50 États ont d’ores et déjà adopté une telle législation, façon de pointer du doigt le législateur alaskain qui est en retard sur la question (mais comment lui en vouloir si ses électeurs considèrent qu’on ne peut violer une prostituée et que lui tirer une balle dans la tête avant de la recouvrir de neige n’est pas une tentative de meurtre…).

La Constitution ne doit pas tout faire à la place du législateur, quelque regrettable que soit sa carence.

Horatio Caine va donc continuer à s’occuper de cadavres encore chauds sous le soleil orange de Miami, laissant l’anoréxique Lilly Rush à ses hallucinations.

Et Osborne ? Libéré en conditionnelle en 2007, il a été arrêté peu de temps après pour avoir commis un délit pendant cette mesure et est à nouveau incarcéré. La libération conditionnelle est en cours de révocation. Il doit avoir ça dans le sang.

Prochain épisode : peut-on laisser les Blancs du Sud rédiger le Code électoral ?

Notes

[1] “there does exist, under the unique and specific facts presented, a very limited constitutional right to the testing sought.”Les italiques sont d’origine.

[2] Doctrine juridique voulant que la Constitution ne s’interprète qu’en référence à ce qu’ont voulu ses rédacteurs.

vendredi 7 août 2009

Anéanti

Je viens d’appren­dre la nou­velle de la mort de Cathe­rine Giu­di­celli, juge d’ins­truc­tion à Paris, ren­ver­sée aujourd’hui alors qu’elle cir­cu­lait à vélo.

Cette nou­velle me bou­le­verse au-delà des mots car je con­nais­sais pro­fes­sion­nel­le­ment cette magis­trate, et c’est peu dire que je l’appré­ciais.

Elle a été long­temps juge d’ins­truc­tion à Cré­teil, et c’est là que je l’ai con­nue. À son pro­fes­sion­na­lisme una­ni­me­ment reconnu s’ajou­tait une véri­ta­ble gen­tillesse, dou­blé d’un sens de l’humour extra­or­di­naire (Je l’ai vu faire le pitre sur scène lors d’une revue de l’UJA de Cré­teil). Être à son con­tact m’a tant appris.

Elle était la pré­si­dente de l’asso­cia­tion des magis­trats ins­truc­teurs, et s’est à plu­sieurs repri­ses expri­mée sur la ques­tion de la sup­pres­sion du juge d’ins­truc­tion. La voici au micro de Marc-Oli­vier Fogiel sur Europe 1 le 7 jan­vier der­nier.

Mise à jour : Voici un autre entre­tien avec Cathe­rine Giu­di­celli, dans son cabi­net, en mars der­nier.

Et voici un arti­cle d’elle publié sur le blog Dal­loz : l’ins­truc­tion idéale selon Cathe­rine Giu­di­celli.

Ce soir, je suis anéanti. Tou­tes mes pen­sées vont à ses pro­ches, mais aussi à ses col­lè­gues et aux gref­fiers et gref­fière de l’ins­truc­tion à Paris (tout par­ti­cu­liè­re­ment sa gref­fière). On ne tra­vaille pas au quo­ti­dien avec une per­sonne aussi extra­or­di­naire sans en être soi-même changé en mieux. Elle laisse un vide ver­ti­gi­neux.

Punaise, c’est la pre­mière fois qu’un juge d’ins­truc­tion me fait pleu­rer.

Sonia Sotomayor confirmée par le Sénat

C’est fait. Par 68 voix con­tre 31[1] (Majo­rité = 51 voix). Le séna­teur John McCain, rival mal­heu­reux du pré­si­dent Obama lors des der­niè­res élec­tions, a voté con­tre.

Sonia Soto­mayor devient donc le troi­sième Jus­tice femme et le pre­mier d’ori­gine his­pa­ni­que. Elle pren­dra ses fonc­tions offi­ciel­le­ment demain 8 août.

Let’s hope that this wise latina woman will help these white men to reach bet­ter con­clu­sions.

Notes

[1] Mes lec­teurs auront noté que le total est de 99 alors que le nom­bre de séna­teurs est de 100. Ted Ken­nedy, séna­teur du Mas­sa­chu­setts, n’a pu pren­dre part au vote pour des rai­sons de santé. Il n’y a pas qu’en ex-URSS que seule la mort fait lâcher son siège.

jeudi 6 août 2009

Horatio Caine va-t-il devoir s'acheter une cravate ?

Et la réponse est oui, car il va devoir aller témoi­gner au tri­bu­nal, nous dit la Cour Suprême dans un arrêt qui est comme un coup de ton­nerre dans un ciel bleu pour les experts scien­ti­fi­ques prê­tant leur con­cours à une enquête cri­mi­nelle.

Le sys­tème pénal anglo-saxon repose sur deux prin­ci­pes essen­tiels, qui sont inter­dé­pen­dants : sup­pri­mez-en un et tout l’édi­fice s’écroule.

Pre­mier prin­cipe : tout accusé, même d’un délit mineur, a le droit d’être con­fronté à son accu­sa­teur. C’est la Con­fron­ta­tion Clause, le Sixième Amen­de­ment à la Cons­ti­tu­tion des États-Unis.

Dans tou­tes pour­sui­tes cri­mi­nel­les, l’accusé aura le droit d’être jugé promp­te­ment et publi­que­ment par un jury impar­tial de l’État et du dis­trict où le crime aura été com­mis — le dis­trict ayant été préa­la­ble­ment déli­mité par la loi —, d’être ins­truit de la nature et de la cause de l’accu­sa­tion, d’être con­fronté avec les témoins à charge, de dis­po­ser de moyens légaux pour con­train­dre la com­pa­ru­tion des témoins à décharge, et d’être assisté d’un con­seil pour sa défense.

Ce Sixième amen­de­ment rap­pel­lera aux juris­tes l’arti­cle 6 de la Con­ven­tion euro­péenne des droits de l’homme. La dif­fé­rence est que l’arti­cle 6 a été adopté en 1950, et le Sixième Amen­de­ment en 1791.

On vous accuse d’avoir grillé un feu rouge en état d’ivresse ? Si vous allez au pro­cès (ce “si” est l’expres­sion du deuxième prin­cipe ci-des­sous), le poli­cier qui vous a ver­ba­lisé vien­dra au tri­bu­nal dépo­ser sous ser­ment que oui, il vous a vu griller le feu rouge, et que quand il vous a demandé si vous aviez bu, vous lui avez répondu : “Non, je vous jure, chuis pas bourr­glbl…” avant de lui vomir sur le pan­ta­lon. Et votre avo­cat aura le droit de le con­tre-inter­ro­ger pour ten­ter de démon­trer que ce témoi­gnage n’est pas pro­bant (Par exem­ple, de l’endroit où il était, le poli­cier pou­vait-il voir la cou­leur du feu ?) Et si le poli­cier (ou tout autre témoin) ne vient pas à l’audience, vous serez acquitté (d’où tous ces films et séries sur les témoins que la police cache et pro­tège et que le méchant cri­mi­nel cher­che à faire assas­si­ner par tous les moyens).

Le deuxième prin­cipe est le plea bar­gai­ning. Le pro­cès pénal com­mence par une audience pré­li­mi­naire (Pre­li­mi­nary hea­ring) où le juge vous deman­dera ce que vous plai­dez (What is your plea ?). Si vous plai­dez cou­pa­ble (guilty plea), le juge fixera direc­te­ment une audience de pro­noncé de peine. Si vous plai­dez non cou­pa­ble (not guilty), vous deman­dez à être con­fronté à vos accu­sa­teurs. Le juge sta­tuera alors sur votre sort : pla­ce­ment en déten­tion ou en liberté sous cau­tion (bail). Le sys­tème pénal amé­ri­cain ne pour­rait pas faire face à tous les pro­cès. La très grande majo­rité des cas sont réglés en amont par une négo­cia­tion : le par­quet mon­tre à votre avo­cat les preu­ves qu’il a réu­nies, et lui pro­pose une peine (voire une qua­li­fi­ca­tion) moin­dre. Si vous l’accep­tez, vous plai­dez cou­pa­ble et il n’y a pas d’audience sur la cul­pa­bi­lité, uni­que­ment sur la peine. Car les pei­nes pro­non­cées en audience sont par­ti­cu­liè­re­ment sévè­res : la pri­son ferme est fré­quente et le sur­sis inconnu (les États-Unis ont plus recours à la libé­ra­tion con­di­tion­nelle, appe­lée parole). Notons qu’il existe dans cer­tains endroit un troi­sième plea, le nolo con­ten­dere, ou no con­test, mais il est rare et com­pli­qué dans ses effets. Res­tons-en à la dicho­to­mie cou­pa­ble/non cou­pa­ble.

Par exem­ple, vous avez télé­chargé de la musi­que illé­ga­le­ment. C’est un délit fédé­ral, prévu par le code pénal amé­ri­cain, c’est à dire le titre 18 du Code des États-Unis (USC), sec­tion 2319, noté 18 U.S.C. §2319. Vous avez mis ces mor­ceaux à dis­po­si­tion (cir­cons­tance aggra­vante) par un acte de télé­char­ge­ment (uploa­ding), cir­cons­tance aggra­vante. Vous ris­quez une peine de 10 à 16 mois de pri­son. Le pro­cu­reur vous pro­pose d’oublier l‘upload (réduc­tion à 6-12 mois) et une peine de 3 à 6 mois, c’est à dire le mini­mum avec libé­ra­tion con­di­tion­nelle pos­si­ble dans trois mois, et une libé­ra­tion cer­taine au bout de six. Trois à six mois, ou dix à seize mois ? Fai­tes vos jeux.

Jusqu’à pré­sent tou­te­fois, une caté­go­rie de témoins échap­pait à cette obli­ga­tion de com­pa­raî­tre devant le tri­bu­nal : c’était les experts scien­ti­fi­ques de la police. Hora­tio Caine et ses hom­mes n’avaient pas à aller témoi­gner au tri­bu­nal : leur rap­port (affi­da­vit, attes­ta­tion) suf­fi­sait. Après tout, il s’agit d’emprein­tes digi­ta­les (en fait, on dit papil­lai­res), d’ADN, de rayu­res sur une balle : ça cor­res­pond, ça ne cor­res­pond pas, point. C’était ce que la jus­tice con­si­dé­rait une preuve prima facie (oui, c’est du latin) : une preuve suf­fi­sante en soi, incon­tes­ta­ble en ce qu’elle rap­porte.

Mais un dea­ler de Bos­ton va cham­bou­ler tout ça.

En 2001, Tho­mas Wright, un employé d’un super­mar­ché de la capi­tale du Mas­sa­chu­setts va être inter­pellé par la police après une sur­veillance (un infor­ma­teur ano­nyme avait informé la police qu’il s’absen­tait fré­quem­ment après avoir reçu des coups de fil), por­teur de sachets con­te­nant une pou­dre blan­che sem­blant être de la cocaïne. Dans la voi­ture qui venait de le dépo­ser se trou­vait Luis Melen­dez-Diaz, qui est éga­le­ment arrêté.

Au cours de leur trans­port vers le com­mis­sa­riat, les poli­ciers remar­quent que leurs deux pas­sa­gers sem­blent se tor­tiller dis­crè­te­ment. Arri­vés au poste, les poli­ciers exa­mi­nent la ban­quette et trou­vent un sac con­te­nant 19 sachets de pou­dre blan­che. La pou­dre fut ana­ly­sée par un labo­ra­toire de la police scien­ti­fi­que qui ren­dit un rap­port : c’était de la cocaïne.

Devant le tri­bu­nal, Luis Melen­dez-Diaz va con­tes­ter l’ana­lyse faite par le labo­ra­toire de la police scien­ti­fi­que et va deman­der à être con­fronté à l’ana­lyste. Refus du tri­bu­nal : ce rap­port est une preuve prima facie, con­for­mé­ment à la juris­pru­dence de la Cour Suprême du Mas­sa­chu­setts Com­mon­wealth v. Verde, 444 Mass. 279, 283–285, 827 N. E. 2d 701, 705–706 (2005)[1]. Son appel sera rejeté pour ce motif.

C’est cet arrêt que va con­tes­ter Melen­dez-Diaz devant la Cour Suprême, esti­mant que la juris­pru­dence Com­mon­wealth v. Verde viole le Sixième Amen­de­ment.

Et le requé­rant va trou­ver une oreille atten­tive en la per­sonne du jus­tice Sca­lia, farou­che par­ti­san de la Con­fron­ta­tion Clause. Il va donc s’allier avec les trois juges les plus à gau­che de la cour (les Jus­ti­ces Ruth Bader Gins­burg, David H. Sou­ter et John Paul Ste­vens) et sera ral­lié par un autre con­ser­va­teur, Cla­rence Tho­mas, ce qui est un peu con­tre nature pour ceux qui con­nais­sent Sca­lia et Tho­mas, tan­dis que les Jus­ti­ces con­ser­va­teurs John G. Roberts, Jr., et Samuel A. Alito, Jr., ainsi qu’un des juges mar­qué à gau­che, Ste­phen G. Breyer, vont écrire une opi­nion dis­si­dente rageuse expli­quant que cette déci­sion va allour­dir con­si­dé­ra­ble­ment la charge des par­quets.

Sca­lia leur répond avec un cer­tain à-pro­pos que d’une part, un petit nom­bre d’États a expres­sé­ment prévu cette pos­si­bi­lité de con­tre-inter­ro­ga­toire des experts, et que leur sys­tème pénal ne s’est pas écroulé, et que d’autre part, ce ne sera pas tou­jours dans l’inté­rêt de la défense de faire citer l’expert, qui ris­que de mar­quer des points pour l’accu­sa­tion. Son argu­ment déci­sif est que si la science est infailli­ble, les experts ne le sont pas, et qu’ils peu­vent com­met­tre des erreurs au cours de l’exa­men, ou attri­buer à un résul­tat des con­sé­quen­ces qu’il n’a pas. Une expé­rience scien­ti­fi­que est une chose, son inter­pré­ta­tion en est une autre, et seule la pré­sence phy­si­que de l’expert per­met cette con­tes­ta­tion. Par exem­ple, pour savoir si une sub­stance est de la cocaïne, on place un échan­tillon dans une éprou­vette et on le sou­met à du thio­cya­nate de cobalt ou du p-dimé­thyl­ben­zal­dé­hyde, qui don­nent une colo­ra­tion bleue ou rouge, res­pec­ti­ve­ment. cette colo­ra­tion indi­que la pré­sence de cocaïne. Mais il suf­fit que l’éprou­vette en ques­tion ait con­tenu de la cocaïne sans être cor­rec­te­ment net­toyée pour que du talc prenne une colo­ra­tion bleue ou rouge. Ce n’est pas le p-dimé­thyl­ben­zal­dé­hyde qui s’est trompé, c’est le mani­pu­la­teur. Sca­lia con­clut à la néces­sité d’écar­ter les experts frau­du­leux et les incom­pé­tents.

Et cette règle s’appli­que désor­mais sur tout le ter­ri­toire des États-Unis.

Source : ”Melen­dez-Diaz v. Mas­sa­chu­setts”, 557 U. S. ____ (2009) (pdf)


Pro­chain épi­sode : Hora­tio Caine va-t-il deve­nir un per­son­nage de la série Cold Case ?

Notes

[1] Le Mas­sa­chu­setts ne porte pas offi­ciel­le­ment le titre d’État mais de Com­mon­wealth, comme la Vir­gi­nie et la Penn­syl­va­nie.

samedi 1 août 2009

Francis Szpiner et moi devons-nous être poursuivis disciplinairement ?

C’est cette bonne ques­tion que relève mon excel­lent con­frère Fran­cis Szpi­ner, qui me donne l’occa­sion de vous faire un billet sur la pro­cé­dure dis­ci­pli­naire des avo­cats.

D’abord un peu de théo­rie, avant de voir un exem­ple pra­ti­que.

Les avo­cats dont Fran­cis Szpi­ner et moi fai­sons par­tie, prê­tons ser­ment au tout début de notre exer­cice, (Prê­tons seu­le­ment, car selon le mot de Tal­ley­rand, nous n’avons qu’une parole, c’est pour ça que nous som­mes obli­gés de la repren­dre), devant la cour d’appel (À Paris, c’est devant la 1e cham­bre, tous les mer­credi à 1 heu­res, au pied de l’esca­lier Z)..

Le texte de notre ser­ment est :

Je jure, comme avo­cat, d’exer­cer mes fonc­tions avec dignité, cons­cience, indé­pen­dance, pro­bité et huma­nité.

Arti­cle 3 de la loi n°71-1130 du 31 décem­bre 1971 por­tant réforme de cer­tai­nes pro­fes­sions judi­ciai­res et juri­di­ques.

Les avo­cats l’aiment, ce ser­ment, C’est notre devise, et il est rude­ment bien tourné. Il figure sur les pages d’accueil de pas mal de bar­reaux ; par exem­ple : Tours, Mont­pel­lier, Gap, Poi­tiers

Il est quand même plus classe que celui des magis­trats, sans vou­loir les vexer :

“Je jure de bien et fidè­le­ment rem­plir mes fonc­tions, de gar­der reli­gieu­se­ment le secret des déli­bé­ra­tions et de me con­duire en tout comme un digne et loyal magis­trat.”

Arti­cle 6 de l’ordon­nance n°58-1270 du 22 décem­bre 1958 por­tant loi orga­ni­que rela­tive au sta­tut de la magis­tra­ture.

Nous jurons d’être indé­pen­dants, ils jurent d’être fidè­les et loyaux. Tout un sym­bole de cette indes­truc­ti­ble méfiance des deux autres pou­voirs à l’égard du troi­sième qui fait tant de mal à la Répu­bli­que.

Nos obli­ga­tions déon­to­lo­gi­ques ne se résu­ment pas au “DCIPH”[1] de notre ser­ment. D’autres se trou­vent au décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 rela­tif aux règles de déon­to­lo­gie de la pro­fes­sion d’avo­cat qui fixe ce que nous appe­lons “les prin­ci­pes essen­tiels” de la pro­fes­sion.

L’avo­cat exerce ses fonc­tions avec dignité, cons­cience, indé­pen­dance, pro­bité et huma­nité, dans le res­pect des ter­mes de son ser­ment. Il res­pecte en outre, dans cet exer­cice, les prin­ci­pes d’hon­neur, de loyauté, de désin­té­res­se­ment, de con­fra­ter­nité, de déli­ca­tesse, de modé­ra­tion et de cour­toi­sie. Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de com­pé­tence, de dévoue­ment, de dili­gence et de pru­dence.

L’arti­cle 4 et 5 rap­pel­lent en outre que nous som­mes tenus au secret, sous réserve des droits de la défense (Le secret pro­fes­sion­nel ne peut nous inter­dire de révé­ler des élé­ments favo­ra­bles à notre client).

 ces règles s’en ajou­tent une pro­fu­sion d’autres, plus tech­ni­ques, sur la con­fi­den­tia­lité des cor­res­pon­dan­ces entre avo­cats, la prise de con­tact avec la par­tie adverse, les suc­ces­sions d’avo­cats, les con­flits d’inté­rêts, les hono­rai­res, les com­mis­sions d’office, etc. C’est une dis­ci­pline juri­di­que à part entière sur laquelle on écrit des codes et même des trai­tés.

Ces règles, sur­tout, sont sanc­tion­nées. L’avo­cat vio­lant une de ces règles peut être pour­suivi devant la juri­dic­tion dis­ci­pli­naire, sur laquelle je vais reve­nir, et être frappé d’une sanc­tion dis­ci­pli­naire. Ces sanc­tions sont, selon la gra­vité : 1° L’aver­tis­se­ment ; 2° Le blâme ; 3° L’inter­dic­tion tem­po­raire, qui ne peut excé­der trois années ; 4° La radia­tion du tableau des avo­cats, ou le retrait de l’hono­ra­riat (art. 184 du décret n°91-1197 du 27 novem­bre 1991 orga­ni­sant la pro­fes­sion d’avo­cat). L’aver­tis­se­ment, le blâme et l’inter­dic­tion tem­po­raire peu­vent com­por­ter la pri­va­tion, par la déci­sion qui pro­nonce la peine dis­ci­pli­naire, du droit de faire par­tie du con­seil de l’ordre, du Con­seil natio­nal des bar­reaux, des autres orga­nis­mes ou con­seils pro­fes­sion­nels ainsi que des fonc­tions de bâton­nier pen­dant une durée n’excé­dant pas dix ans. L’ins­tance dis­ci­pli­naire peut en outre, à titre de sanc­tion acces­soire, ordon­ner la publi­cité de toute peine dis­ci­pli­naire (même arti­cle).

À Paris, cette peine com­plé­men­taire de pri­va­tion du droit de faire par­tie du Con­seil de l’Ordre est qua­si­ment sys­té­ma­ti­que­ment pro­non­cée avec les sanc­tions autres que la radia­tion.

La pro­cé­dure dis­ci­pli­naire com­mence par une plainte auprès du Bâton­nier[2] dont relève l’avo­cat, qui est auto­rité de pour­suite. Il peut aussi de lui-même enga­ger des pour­sui­tes, sans plainte de qui­con­que. Le pro­cu­reur géné­ral peut sai­sir direc­te­ment le Con­seil de dis­ci­pline, mais l’usage est pour lui de pas­ser par une plainte auprès du bâton­nier, pour que celui-ci pro­cède à une enquête déon­to­lo­gi­que (art. 187 du décret n°91-1197 du 27 novem­bre 1991 orga­ni­sant la pro­fes­sion d’avo­cat). Cette enquête infor­melle vise á éta­blir les faits et à écar­ter les plain­tes infon­dées ou fan­tai­sis­tes (clas­se­ment sans suite), ou voir si une sim­ple admo­nes­ta­tion pater­nelle peut suf­fire si l’avo­cat répare promp­te­ment une erreur vénielle (art P72-2 du règle­ment inté­rieur du bar­reau de Paris). Si l’enquête éta­blit des faits sus­cep­ti­bles de cons­ti­tuer une faute carac­té­ri­sée, le con­seil de dis­ci­pline est saisi par le Bâton­nier. Si le bâton­nier ne sai­sit pas le con­seil de dis­ci­pline, le pro­cu­reur géné­ral peut pas­ser outre et le sai­sir lui-même. Pas de pro­tec­tion cor­po­ra­tiste donc. C’est pré­ci­sé­ment ce qui vient de se pas­ser pour les qua­tre défen­seurs d’Yvan Colonna et les six d’Anto­nio Fer­rara, qui avaient quitté le pro­cès en appel et refusé d’être com­mis d’office par le pré­si­dent de la cour. Les bâton­niers de Paris et de Bas­tia n’ayant pas donné suite, les pro­cu­reurs géné­raux de ces deux cours d’appel ont saisi le Con­seil de dis­ci­pline (J’en pro­fite pour signa­ler au Figaro que le Con­seil de dis­ci­pline de Paris n’est pas com­pé­tent pour tous “les avo­cats du con­ti­nent” mais seu­le­ment ceux de Paris, en l’espèce Patrick Casa­nova Mai­son­neuve et Pas­cal Gar­ba­rini, mes con­frè­res Antoine Sol­la­caro et Gil­les Simeoni étant avo­cats aux Bar­reaux d’Ajac­cio et Bas­tia res­pec­ti­ve­ment et rele­vant du Con­seil de dis­ci­pline de Bas­tia )

La juri­dic­tion dis­ci­pli­naire est le Con­seil de dis­ci­pline, sié­geant au niveau de la cour d’appel (Il doit sié­ger dans la même ville, mais pas for­cé­ment dans les locaux de la cour : art. 193 du décret du 27 novem­bre 1991 ; géné­ra­le­ment, c’est dans les locaux de l’Ordre), com­posé de repré­sen­tant des Con­seils de l’Ordre du res­sort de la cour (Sauf à Paris, vous allez voir), devant lequel le bâton­nier sou­tient l’accu­sa­tion. C’est notre pro­cu­reur, en somme, Il ne par­ti­cipe bien évi­dem­ment pas aux déli­bé­ra­tions. À Paris, les règles sont un peu dif­fé­ren­tes, pour tenir compte de la taille hors norme du bar­reau (la moi­tié des avo­cats fran­çais sont pari­siens). Nous avons notre pro­pre con­seil de dis­ci­pline, divisé en trois for­ma­tions, exclu­si­ve­ment com­po­sés d’avo­cats pari­siens (art. 22-2 de la loi du 31 décem­bre 1971).

L’avo­cat pour­suivi reçoit aus­si­tôt copie de la plainte, des piè­ces qui l’appuient, et du rap­port d’enquête déon­to­lo­gi­que s’il y en a eu une. Il peut se faire assis­ter d’un avo­cat et a accès à une copie du dos­sier,

Dans un pre­mier temps, le Con­seil dési­gne un de ses mem­bres pour ins­truire l’affaire : le rap­por­teur. Il a qua­tre mois pour ce faire, pou­vant être repoussé à six mois en cas de besoin, mais les par­ties doi­vent en être infor­mées.

Car le Con­seil de dis­ci­pline doit sta­tuer dans les 8 mois de sa sai­sine, délai pou­vant être repoussé à un an en cas de besoin. Passé ce délai, la plainte est répu­tée reje­tée, c’est à dire que l’avo­cat est auto­ma­ti­que­ment relaxé. Mais le pro­cu­reur peut faire appel, et c’est même dans le but de lui ouvrir ce droit d’appel que ce méca­nisme existe, pour évi­ter la ten­ta­tion de faire traî­ner un dos­sier embê­tant pour un con­frère (art. 195 du décret du 27 novem­bre 1991).

Il existe un cas de pro­cé­dure accé­lé­rée : lors­que la faute est com­mise à une audience et que le pro­cu­reur sai­sit le Con­seil de dis­ci­pline à la demande de la juri­dic­tion con­cer­née, le Con­seil doit sta­tuer dans les quinze jours (art. 25 de la loi de 1971 modi­fié par la loi du 15 juin 1982). C’est la pro­cé­dure qui a rem­placé les délits d’audience, Avant 1982, la juri­dic­tion pou­vait elle même sta­tuer sur le champ, étant à la fois juge et vic­time. Pour l’anec­dote, un avo­cat pari­sien a été vic­time de cette loi à une audience où il défen­dait un cient con­tre lequel la mort était requise. Il s’appe­lait Robert Badin­ter, et devenu Garde des Sceaux, il fit voter cette loi de 1982.

L’audience est publi­que, et le pro­cu­reur géné­ral peut y par­ti­ci­per s’il est le plai­gnant. La déci­sion est écrite.

Le droit d’appel d’une déci­sion du con­seil de dis­ci­pline appar­tient à l’avo­cat con­damné, au bâton­nier, et au pro­cu­reur géné­ral, qui est tenu informé de tou­tes les pour­sui­tes enga­gées et de la déci­sion ren­due (art. 196 du décret pré­cité).

Alors que l’audience du Con­seil de dis­ci­pline est en prin­cipe publi­que (art. 194 du décret), l’audience d’appel est en prin­cipe à huis clos (art. 16 du décret). Je n’ai pas d’expli­ca­tion de cette dis­po­si­tion qui fait le bon­heur des exa­mi­na­teurs de l’oral de déon­to­lo­gie du Cer­ti­fi­cat d’Apti­tude à la Pro­fes­sion d’Avo­cat (à bon enten­deur, votre bien dévoué).

L’audience d’appel se tient en audience solen­nelle : c’est le pre­mier pré­si­dent qui pré­side, les con­seillers vien­nent de deux cham­bres dif­fé­ren­tes et sont au nom­bre de qua­tre (art. R.312-9 du code de l’orga­ni­sa­tion judi­ciaire) et c’est la robe rouge qui est de rigueur, et à Paris l’épi­toge her­mi­née pour les avo­cats. La pres­ta­tion de ser­ment a d’ailleurs lieu en audience solen­nelle.


Main­te­nant, la pra­ti­que : reve­nons en à Fran­cis et moi.

À tout sei­gneur, tout hon­neur : Fran­cis. Mon excel­lent con­frère, à la suite d’un ver­dict déce­vant à ses yeux, a étalé son blues dans la presse et a tenu des pro­pos déso­bli­geants con­tre, ma foi, un peu tout le monde, votre ser­vi­teur y com­pris, qui ne méri­tait pas cet hon­neur.

Fran­cis Szpi­ner recon­naît avoir usé dans le Nou­vel Obser­va­teur, du doux voca­ble de “con­nards” con­tre des blo­gueurs tenant des pro­pos qu’il a esti­més “effrayants” au cours du pro­cès (ce qui ne me vise mani­fes­te­ment pas puis­que je n’ai parlé de ce pro­cès qu’une fois le ver­dict connu), et ses con­tra­dic­teurs de “bobos de gau­che”, le choix du Nou­vel Obs’ visant sans doute à s’assu­rer que ses cibles le liraient.

La prin­ci­pale cible de l’acri­mo­nie de mon con­frère a été l’avo­cat géné­ral, à qui il repro­che d’avoir “failli à sa mis­sion”, ce qui est mani­fes­te­ment un malen­tendu puis­que cette mis­sion serait, aux yeux de mon con­frère, de sui­vre aveu­glé­ment la posi­tion de la par­tie civile et de requé­rir le maxi­mum pour tout le monde, alors qu’il n’en est rien puis­que la mis­sion de l’avo­cat géné­ral était de requé­rir libre­ment ce que sa cons­cience lui dic­tait après avoir étu­dié le dos­sier et assisté à l’audience. Ce que Phi­lippe Bil­ger fait depuis plus de dix ans à la cour d’assi­ses de Paris.

Emporté par son erreur, mon con­frère a qua­li­fié cet avo­cat géné­ral de “traî­tre géné­ti­que”, pro­pos qu’il a con­fir­més, en pré­ci­sant tou­te­fois qu’ils ne fai­saient nul­le­ment allu­sion à un dou­lou­reux épi­sode fami­lial dont le magis­trat avait déjà parlé, ce que tout le monde avait cru com­pren­dre, mais aux “tra­hi­sons à répé­ti­tion” de ce magis­trat, qui aurait trahi dns un pre­mier temps la par­tie civile, puis son pro­cu­reur géné­ral en décla­rant ce ver­dict “satis­fai­sant” à ses yeux, ce qui aurait mis son supé­rieur en dif­fi­culté lorsqu’il a décidé de faire appel. À ceci près que ce n’est pas son supé­rieur qui a décidé de faire appel, et je doute que cela ait pu échap­per à mon con­frère.

À la suite de ces décla­ra­tions (du moins de leur pre­mière mou­ture, celle du Nou­vel Obs’), le pro­cu­reur géné­ral de Paris a décidé de don­ner à mon con­frère une leçon de loyauté en dépo­sant une plainte con­tre lui auprès du bâton­nier de Paris. Celui-ci a aus­si­tôt fait savoir qu’il avait déjà décidé de l’ouver­ture d’une enquête déon­to­lo­gi­que du fait de ces pro­pos, qui pou­vaient de prime abord sem­bler dif­fi­ci­le­ment con­for­mes aux prin­ci­pes essen­tiels de dignité, de con­fra­ter­nité, de déli­ca­tesse, de modé­ra­tion et de cour­toi­sie.

Nous en som­mes au stade de cette enquête (qui sera essen­tiel­le­ment une audi­tion de mon con­frère pour savoir ce qu’il recon­naît voir dit). Vous savez désor­mais la suite : le bâton­nier ren­dra un rap­port com­mu­ni­qué au pro­cu­reur géné­ral puisqu’il est plai­gnant. Si le bâton­nier devait déci­der de clas­ser sans suite ou d’admo­nes­ter pater­nel­le­ment mon con­frère, le pro­cu­reur géné­ral pourra sai­sir direc­te­ment le con­seil de dis­ci­pline. Ce ne sera pas avant sep­tem­bre. Le Con­seil serait-il saisi qu’un rap­por­teur sera nommé et devra ren­dre son rap­port sous qua­tre mois, pro­lon­gea­bles à six, le Con­seil devant sta­tuer sous huit mois, pro­lon­gea­bles à douze. Ce qui fait qu’une éven­tuelle déci­sion tom­bera à peu près au moment du pro­cès en appel.

Pour ma part, je sou­haite à mon con­frère que cette pro­cé­dure dis­ci­pli­naire n’aille pas jusqu’à une sanc­tion. L’amer­tume de la défaite est une épreuve dou­lou­reuse, sur­tout quand elle est média­ti­sée. En effet, mon con­frère espé­rait des pei­nes très sévè­res pour tous les accu­sés, pro­ches du maxi­mum ; ce ne fut pas le cas. L’avo­cat géné­ral a obtenu les pei­nes qu’il avait requi­ses dans la moi­tié des cas, et des pei­nes à peine infé­rieu­res pour l’autre moi­tié, cet écart s’expli­quant notam­ment par le tra­vail de fond des avo­cats de la défense. Qui donc a failli à sa mis­sion, en l’espèce ?

Avoir le sen­ti­ment de ne pas avoir été entendu, alors que le par­quet a eu l’oreille du juge, est hor­ri­pi­lant, je le sais, même quand in fine c’est le par­quet qui avait rai­son. Cela excuse beau­coup à mes yeux les excès ver­baux de mon con­frère à qui j’exprime ma soli­da­rité. D’ailleurs, lui même le dit :

Non, je n’ai rien à me repro­cher. Je regrette en revan­che l’inter­pré­ta­tion qui en a été faite.

C’est déjà assez vexant pour un avo­cat de ne pas être com­pris par qui que ce soit quand il s’exprime pour en plus lui rajou­ter des sou­cis déon­to­lo­gi­ques.

Enfin, quid de votre ser­vi­teur ?

Mon excel­lent con­frère Szpi­ner me fait l’hon­neur de s’inté­res­ser à mon cas. Sou­cieux de l’éga­lité devant la jus­tice dis­ci­pli­naire, il se demande si je ne devrais pas moi-même faire l’objet des mêmes tra­cas du fait de mes pro­pos où je par­lais de “valet des vic­ti­mes” s’agis­sant du Garde des Sceaux et de “lar­bins” pour deux dépu­tés.

En droit, rien ne s’y oppose. Je m’exprime ici en tant qu’avo­cat, et je ne con­teste abso­lu­ment pas être tenu de ce fait à mes obli­ga­tions déon­to­lo­gi­ques, qui me sui­vent jus­que dans ma vie pri­vée.

C’est en fait que l’accu­sa­tion ne tient pas.

Je n’ai pas traité le garde des sceaux de valet des vic­ti­mes. Mes lec­teurs savent qu’en ces lieux, la plus pro­fonde défé­rence envers le garde des Sceaux en exer­cice est de mise. J’ai dit qu’en agis­sant comme elle l’a fait, c’est à dire en s’empres­sant de défé­rer à l’injonc­tion de l’avo­cat de la vic­time d’ordon­ner un appel sans réflé­chir aux con­sé­quen­ces poten­tiel­les, elle s’est com­por­tée en valet des vic­ti­mes. Ce repro­che n’a de sens que si on sai­sit le corol­laire : c’est que pré­ci­sé­ment, le garde des sceaux n’est PAS le valet des vic­ti­mes et ne doit pas l’être.

Quant aux dépu­tés Baroin et Lang, je ne les ai pas traité de lar­bins : j’ai dit : “Si le légis­la­tif aussi se met à jouer les lar­bins des vic­ti­mes, il ne reste que le judi­ciaire pour gar­der la tête froide.”

Cela étant, la lec­ture du Nou­vel Obs m’appre­nant que

Dès le début du pro­cès, Fran­cis Szpi­ner a demandé à son ami[3] le député UMP Fran­çois Baroin de rédi­ger une pro­po­si­tion de loi pour modi­fier la pro­cé­dure (voir enca­dré). «Il me fal­lait une per­son­na­lité de gau­che esti­ma­ble pour que cela n’appa­raisse pas comme une opé­ra­tion par­ti­sane, j’ai pensé à Jack Lang» Ce der­nier a con­senti ;

je cons­tate que si c’était eux que j’avais effec­ti­ve­ment traité de lar­bins, je n’aurais pas for­cé­ment mis à côté.

Je réa­lise cepen­dant avec hor­reur que mes pro­pos à moi aussi peu­vent être mal inter­pré­tés, même par un grand esprit comme mon con­frère. ce qui est signe de grande fati­gue.

Selon la for­mule con­sa­crée, je ne regrette pas ce que j’ai dit mais je regrette l’inter­pré­ta­tion qui en a été faite par mon con­frère, et je retourne vite à mes vacan­ces.

Notes

[1] C’est notre moyen mné­mo­tech­ni­que pour appren­dre la for­mule du ser­ment.

[2] Rap­pe­lons que le bâton­nier est le pré­si­dent du Con­seil de l’Ordre des avo­cats, élu par ses pairs pour une durée de deux ans.

[3] Et ancien col­la­bo­ra­teur.NdA.

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