Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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samedi 22 août 2009

samedi 22 août 2009

Prix Busiris pour Franck Louvrier

Décidément, pour être récipiendaire du prestigeux prix, il y a mieux qu’être ministre, il y a conseiller du président. Franck Louvrier, rosissant de l'honneur qui lui est fait, prend la pose, après avoir, pour se faire remarquer, mis une cravate à pois avec un costume à rayures. Le photographe a été admis à l'Hôtel Dieu pour d'importants saignements oculaires.

Et aujourd’hui, c’est le conseiller à la présidence de la République pour la communication et la presse qui est récompensé, pour cette tribune dans Le Monde, intitulée Internet et son potentiel démocratique

Le conseiller commence son propos par une présentation de l’importance prise par l’internet dans le débat démocratique. Dans les démocraties d’abord, comme aux États-Unis, où le président Obama a mené une formidable campagne sur le net qui a été déterminante dans son succès lors des primaires démocrates, et dans les dictatures ensuite, où Twitter a été l’outil avec lequel les opposants à Ahmadinedjad ont dénoncé les fraudes et raconté ce qui se passait malgré le blocus médiatique de l’État (avec moins de succès, hélas). 

Jusque là, on ne sort pas du niveau de la banalité : le conseiller dit ce que tout le monde sait déjà. Au moins peut-on se réjouir de ce que la nouvelle semble arrivée à l’Élysée. 

Le conseiller va ajouter deux arguments : d’une part, le niveau de contrôle de l’État sur le contenu et l’accès de l’internet est un étalon de son niveau démocratique (retenez bien cet argument, il va devenir particulièrement savoureux et a été déterminant pour l’attribution du Busiris). D’autre part, le danger principal contre ce phénomène de communication libre et directe est la manipuation, le mensonge, et la désinformation. Que des séides des États dictatorieux se fassent passer pour des citoyens de leur pays et fassent circuler des fausses informations.  

Sur ce dernier point, si en effet l’impossibilité de vérifier la source peut donner libre cours à des rumeurs, il y a des limites : si un compte twitter ThanShweRules publie un tweet disant qu’Aung San Suu Kyi est très contente d’être assignée à résidence et que la vie au Myanmar, c’est trop LOL, personne ne le prendra au sérieux. Mais bon, pointer les faiblesses d’un service qui peut provoquer un enthousiasme excessif est toujours très sain. Jusque là, tout va bien. 

Et puis brutalement, on bascule. Et on comprend que le conseiller de l’Élysée n’est pas venu nous faire partager ses réflexions sur l’internet mais faire l’article pour un produit avarié qu’on veut à toute force nous faire avaler. 

Ce qui menace Twitter, c’est moins la censure que la contrefaçon, la copie, en somme, le faux. Ainsi,  face à l’émergence de ces nouveaux outils de communication, l’enjeu central pour nos démocraties est de savoir protéger l’authenticité de ce lien numérique entre les citoyens du monde. L’enjeu est la vérification des sources, dont la responsabilité repose sur la vigilance des professionnels de l’information.  

Admirez le glissement sémantique en jouant sur le double sens du mot faux. Est faux le mensonge, et est faux le tableau qui n’est que la copie de l’original. Faux témoignage, faux Picasso : même combat. Et plus dangereux encore que la censure, arme de l’État - et en France l’État est votre ami-, il y a la contrefaçon, la copie, qui est synonyme du faux.  

On devine la suite : puisqu’il y a plus dangereux encore que la censure par l’État, qui est tout désigné pour vous protéger ? Réponse : l’État, avec comme arme… la censure. 

Cette grande menace nous concerne tous. Et si c’est grâce aux actualités américaine et iranienne que nous sommes sensibilisés au potentiel démocratique de ces nouveaux médias, c’est bien la France qui est à l’avant-garde. Plus que tout autre débat sur la planète, c’est le cas Hadopi qui pose aujourd’hui les questions auxquelles nos sociétés devront répondre demain sur le terrain de la démocratie. 

Là, le lecteur ne peut que se dire qu’HADOPI et la démocratie sur l’internet n’ont aucun rapport. La parade de Franck Louvrier est rudimentaire mais efficace : puisqu’il n’y a aucun rapport, il faut affirmer qu’il y en a bien un, mais c’est juste qu’il est bizarre. 

Le parallélisme des deux débats fait apparaître de curieuses similarités. Sur le pouvoir multiplicateur d’Internet, il en est de même pour la viralité des contenus sur Twitter que pour la circulation des oeuvres musicales : les mécanismes de la censure sont incomplets.  

On sent une pointe de regret sur ce dernier point : l’État a ceci de commun avec les acheteurs de viagra qu’il redoute plus que tout l’impuissance. Mais admirez surtout l’assimilation de la viralité des contenus de Twitter au piratage. Qui retwitte télecharge un film. 

Telle l’éclaircie dans la tempête arrive un moment de lucidité :

Aucune solution technologique ne peut vraiment mettre fin à la copie, et le Conseil constitutionnel a reconnu définitivement l’accès à Internet comme un droit fondamental des Français.

Mais cent fois sur le métier Louvrier remet remet son ouvrage, et c’est reparti  pour le délire :  

La question de la protection des oeuvres se joue donc ailleurs, dans la nécessité de protéger le caractère personnel des messages : l’oeuvre d’art a cela de commun avec le témoignage sur Twitter  qu’elle exprime le point de vue sur le monde d’une individualité originale.  

Je pense que Franck Louvrier devait penser à ce tweet en écrivant cela.  

Son sens et sa valeur reposent sur le caractère singulier et inaliénable d’un témoignage personnel mis à la disposition de tous. Ainsi il en va de même pour l’étudiant révolté des rues de Téhéran que pour l’artiste qui enregistre sa chanson à Paris : l’enjeu est de s’assurer que la vaste diffusion de son message n’étouffe jamais le lien qui l’unit à chacun de ses destinataires.  

Bon, là, on bascule juste dans l’indécence. Si Franck Louvrier demandait à son collègue Jen-David Lévitte ce qui se passe à Téhéran, il réaliserait que les préoccupations des étudiants iraniens ne sont pas exactement les mêmes que celles de René la Taupe.  

Et au cas où une personne arriverait à suivre et réalise que c’est du grand n’importe quoi, arrive la conclusion-mystère pour clouer le bec :  

Que la reconnaissance de la source soit partie intégrante de la construction du sens. 

Et toc. Même Frédéric Mitterrand ne l’a pas comprise celle-là.  

La conclusion se veut lyrique :  

Notre société doit reconnaître la dette que nous avons tous envers celui qui a la générosité de partager avec nous son témoignage le plus précieux - quel que soit son support. Faire comme si celui-ci n’existait pas reviendrait à briser le sens du partage, qui est au coeur de l’expérience artistique comme de la vie démocratique. Reconnaître le caractère inaliénable d’un témoignage personnel, tel est le sens profond de la réflexion en cours dans Hadopi, qui rayonne bien au-delà de l’industrie du disque, jusqu’au sens de notre vie en commun dans une démocratie. 

Ce qui au passage nous livre un scoop : la HADOPI sera compétente pour la contrefaçon des tweets. Et ça, c’est une bonne nouvelle. 

Mais redevenons sérieux un moment, l’heure est grave. J’ai annoncé un prix Busiris ; il faut y mettre les formes. 

L’affirmation juridiquement aberrante consiste à assimiler le mensonge à la contrefaçon en jouant sur l’ambiguïté du mot faux. La contrefaçon est une copie ou une représentation d’une oeuvre ou d’une marque sans l’accord du titulaire des droits. On ne parle de faux en propriété intelectuelle que quand l’oeuvre a un seul original ou un nombre déterminé de copies officielles (un faux Picasso, un faux Chanel). De fait, si un morceau protégé récupéré illégalement sur internet est une contrefaçon, ce n’est certainement pas un faux. C’est une copie, exactement comme le fichier qu’on télécharge légalement sur un site payant. Le morceau est le même. Il y aurait faux et mensonge au sens où le dénonce Franck Louvrier si un site proposait en télechargement un fichier RenéLaTaupe.mp3 qui s’avérait en fait être le Dardanus de Rameau. Mais je ne crois pas que Franck Louvrier milite pour la transparence des noms de fichiers sur les réseaux P2P.  

La mauvaise foi consiste d’une part dans l’assimilation du combat des opposants iraniens à la protection des intérêts pécuniaires des artistes français. Non que cette cause soit méprisable ; mais ce n’est décidément pas la même. Et d’autre part dans le rappel grandiloquent de l’importance de l’internet dans la vie démocratique et de la protection que le Conseil constitutionnel lui a donné en oubliant que c’est précisément contrele projet HADOPI que ce droit a été proclamé. Lire dans cet article que le niveau de contrôle de l’accès à l’internet est un étalon du niveau démocratique pour promouvoir un projet de loi visant à priver en masse de l’accès à l’internet pour protéger des intérêts privés expose au lumbago intelelctuel, tant le lecteur n’a pas l’habitude de tordre la logique avec cette rapidité.

L’opportunité politique est caractérisée par l’objet de cet article, qui est de faire une nouvelle tentative de promotion d’un projet de loi voulu à toute force par le gouvernement, à portée purement interne, et qui porte atteinte à tous les principes vantés par cet article.  

L’Académie en formation restreinte décerne donc ce prix avec mention très déshonorable et adresse ses félicitations au récipiendaire.  

Quand la Justice n'exécute plus

Par Gascogne


Pour ceux à qui cela aurait échappé, la justice va mal. Non pas à cause du corporatisme, du conservatisme et de l’irresponsabilité de ses juges (je sais, j’ai déjà fait plus léger comme appeau à troll, mais je sors d’une semaine agitée), mais par manque de moyens. J’entends déjà les contempteurs de notre système judiciaire crier qu’il y en a assez de ces magistrats qui se plaignent tout le temps du manque de moyens. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui râlent contre l’absence de sanctions sévères contre les délinquants, surtout ceux des banlieues, les délinquants financiers devant visiblement subir un sort moins funeste.

Alors je ne doute pas de leur soutien plein et entier s’agissant de la mise à exécution de peines d’emprisonnement ferme, qui ne peut se faire sans un nombre minimum de greffiers et autres travailleurs sociaux. Et pourtant, on apprend par la presse que le manque de personnel entraîne une impossibilité de mettre à exécution des peines d’emprisonnement dans la cour d’appel de Versailles.

Même si le journaliste semble quelque peu confondre en fin d’article ce qu’il souhaite constater et ce qui se déroule dans le cadre d’un délibéré (un sursis simple en lieu et place d’une peine d’emprisonnement ferme réclamée par la Parquet, quelle honte), il n’en demeure pas moins que les juges, lorsqu’ils condamnent, prennent souvent en compte les moyens matériels dont dispose la juridiction. A quoi bon prononcer des TIG si l’on sait qu’aucune association ne peut accueillir les condamnés ? Pourquoi prononcer des sursis avec mise à l’épreuve si l’on sait pertinemment qu’aucun suivi ne sera mis en place, faute de travailleurs sociaux (que l’on appelle des conseillers d’insertion et de probation) ? Quand on vous annonce qu’aucun dossier de sursis avec mise à l’épreuve n’est suivi plus de deux ans, faute de moyens, pourquoi prononcer des SME durant trois ans, voire plus en cas de récidive ? Pourtant, le législateur, sans doute à juste titre, a bien prévu que pour les récidivistes, une suivi pouvant aller jusqu’à 7 ans était envisageable. Juridiquement, c’est certain. Matériellement, c’est une douce plaisanterie. D’aucuns parleraient de loi de pure annonce.

Et je ne vous parle même pas de ces juges d’instruction qui reçoivent un courrier très poli du directeur de la protection judiciaire de la jeunesse qui leur annonce que les contrôles judiciaires des petits Kevin et Dylan ne seront pas suivis faute d’éducateurs (ah, ben si, je vous en parle…Peut-être parce que cela m’est personnellement arrivé).

L’absence de moyens concernant l’exécution des peines pousse souvent les juges à des décisions la plupart du temps dans l’intérêt des justiciables, c’est à dire vers une diminution de la sévérité. Ceci étant, la facilité peut aussi vouloir que l’on prononce une peine ferme. Il y aura toujours de la place en détention. Au moins avec un matelas au sol (à tous membres de l’OIP qui me liraient, il s’agit bien évidemment d’ironie)…

Les politiques vont une fois de plus découvrir la lune, eux qui ne regardaient jusqu’alors que le doigt. Ce n’est pourtant pas faute de les avoir alertés. L’Union Syndicale des Magistrats a déjà signalé les difficultés liées à l’exécution des peines, dans un “livre blanc” que l’on peut trouver ici (je sais, Me Eolas vous dirait, “attention, site moche”, mais bon, c’est mon syndicat, quand même…). Il en ressortait que près d’un tiers des peines d’emprisonnement ferme n’était jamais ramené à exécution, faute de moyens. On imagine dés lors facilement le peu d’impact de ces décisions sur les personnes condamnées…

Et qu’a-t-on fait depuis ? Rien, si ce n’est diminuer en douce les effectifs, réforme de l’État oblige. Le gouvernement a eu beau indiquer que les ministères de l’intérieur et de la justice ne seraient pas touchés par les non-remplacements de départs en retraite, les effectifs de l’Ecole Nationale de la Magistrature ne remplaceront pas les départs (de l’ordre, dans les années à venir, d’environ 300 départs en retraite pour une petite centaine d’entrées en école). Faites vos comptes. Et je ne vous parle même pas des greffes, dont la situation en terme de personnel est encore plus catastrophique.

Concernant les effectifs de police, le récent cafouillage au plus haut niveau de l’Etat au sujet des “cadets de la République” (institution que, personnellement, je trouve plutôt positive, même si elle vient de N. Sarkozy, c’est pour dire…) n’est pas fait pour me rassurer.

Après “Police partout, Justice nulle part”, va-t-on assister à un “Police nulle part, Justice nulle part” ? Cerise libertaire en sera sûrement ravie, mais en ce qui me concerne, vous aurez deviné que ce n’est pas la conception d’une société civilisée que je peux me faire.

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