Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mercredi 9 septembre 2009

mercredi 9 septembre 2009

Vous avez dit grippée ?

par Dadouche



Je n’ai pas la voix de stentor de Gascogne.

Ni le lyrisme de Sub Lege Libertas

Et je n’ai vraiment pas beaucoup d’humour en ce moment, contrairement à Eolas.

Juste l’incrédulité narquoise de celle qui apprend qu’il est indispensable, si les magistrats et greffiers venaient à tomber malades en trop grand nombre pour assurer le fonctionnement des juridictions, de prendre des mesures d’exception qui permettraient, par la simple grâce d’une série d’ordonnance, de voyager gratis en Corée du Nord.
Un genre de téléportation juridique.

Quatre magistrats absents en même temps sur un effectif de vingt ? J’ai connu. Et les prolongations de détention, les audiences collégiales etc.. on se les est tapées.
C’est tellement “normal” que ça n’est venu à l’idée de personne de nous en remercier.

Pas suffisamment de greffiers pour tenir les audiences ? C’est mon quotidien de juge des enfants.

Des dossiers renvoyés parce qu’on ne peut pas les juger ? Ca arrive tous les jours dans beaucoup de juridictions. Pas parce que les magistrats ou les greffiers sont malades. Parce qu’il est 22 heures et que vraiment, avec la meilleure volonté du monde, on n’arrivera pas à passer trois dossiers de plus.

Du retard dans le traitement des procédures ? Je connais plusieurs juridictions où le délai d’enregistrement d’une procédure au bureau d’ordre se chiffre en mois. Avant même qu’un magistrat du parquet jette un coup d’oeil dessus.

Des piles de jugements à taper qui ne sont pas exécutés ? Allez faire un tour dans un greffe correctionnel.

Des sursis avec mise à l’épreuve “mis en oeuvre plus”[1] de six mois après leur prononcé ? Bienvenue au SPIP.

La Justice française est grippée du 1er janvier au 31 décembre, et depuis longtemps. Le diagnostic est posé par tous les praticiens.

Certes, il était temps que ça affole quelqu’un.

Mais c’est plutôt la loi de finances qui a besoin d’un plan pandémie.

Notes

[1] enfin, mis en oeuvre, au rythme d’un rendez-vous tous les 4 mois hein

Scrofules judiciaires.

par Sub lege libertas


Je tousse, je crache, je me gratte. Non, je n’ai pas la grippe A, B, C, ad libitum, ni porcine, ni aviaire, ni espagnole, ni saisonnière. Je suis seulement magistrat, au Parquet il est vrai, et j’éructe de colère - je n'ai plus la faconde méridionale de Gascogne - quand je vois que la prophylaxie est un argument d’atteinte grave aux libertés, même à celles de détenus, de prévenus, de va-nu-pieds ou suspects quelconquement.

De qui se moque t-on pour me faire craindre la grippe ? Tous les jours, je défère ou je requiers face à, oui face à face, à portée de postillons ou de crachats, de pauvres hères crasseux, édentés à l’haleine fétide, qui sont tour à tour porteurs contagieux du virus HIV, de l’hépatite C, B, de la gale, de la teigne, de la tuberculose, etc. Toutes les écrouelles vont à l’écrou : point de roi qui les touche, juste un avocat pour crier grâce touchant le procureur, les juges.

Non je ne travaille pas dans un camp de réfugiés au Darfour pour une ONG. Je rends la justice à ces gens de peu, de rien, riches de leur incapacité à se soigner, fût-ce avec des sigles propitiatoires A.M.E., C.M.U., U.C.S.A., etc. Des gens tellement abîmés par leurs turpitudes que le mot santé les ferait rire, s’ils ne devaient pleurer de m’entendre rêver à haute voix, cela s’appelle requérir (Eolas D.R.) ; m’entendre leur dire que malgré leurs misères que je ne soulagerai pas, je regarde en eux l’homme, failli, déchu, mais l’homme encore, celui que l’on doit appeler à répondre de ses actes.

Ma robe, la noire, sans oripeau ni moire pourpre, celle du quotidien du prétoire, pue ma sueur, leur humanité. Non, je ne cherche pas mon Mont-Blanc dans la poche de la veste de mon costume Cerruti super 150, je leur reprends mon Bic administratif après qu’ils ont signé leur dénégations coupables - je n’ai pas la religion de l’aveux des innocents, pour apposer ma griffe. Leurs mains écorchées aux ongles en deuil valent les miennes.

Madame le Garde des Sceaux, Ministre de la justice et des libertés, chère Maître (vous avez - rappelez-vous dans votre biographie officielle - le diplôme d'avocat), pitié ! Ne pensez pas à me protéger, pour mieux les priver de leur dernier bien, le droit d’être entendu en temps et heure par un tribunal de droit commun. Les tribunaux d'exception exceptent la justice. Avec l’assurance de mon très fidèle dévouement, laissez-moi crever de justice, ce n’est pas contagieux.

Suites de la mobilisation générale : mesures concernant le législatif et l'exécutif

Bonjour à tous.

Gascogne ayant été interné d’office dans un des sanatoriums d’urgence ouverts par le gouvernement à titre préventif (son discours fiévreux ayant été interprété comme un signe avant coureur de la maladie), je prends le relai pour vous exposer de la suite des opérations.

Car principe de précaution oblige, on ne va pas laisser des droits fondamentaux décider de ce qu’on peut faire ou non pour lutter contre la maladie. La Justice doit donner l’exemple de la docilité et de la collaboration.

C’est pourquoi, maintenant que j’ai plein de temps libre, mes clients étant incarcérés d’office sans condamnation, j’ai concocté la suite du plan d’urgence pour les deux autres branches de la République.

- Pour le législatif : il serait irresponsable de laisser 577 députés, qui pour la plupart passent les deux tiers de la semaine dans leurs mairies, leur conseil régional ou général des quatre coins de l’hexagone[1] (sans parler des DOM), s’entasser dans un hémicycle ouvert aux quatre vents. Je ne vous parle même pas des sénateurs : à leur âge, un simple coryza peut libérer un siège. On se croirait au politburo de l’ex-URSS dans les années 80.

Je note avec satisfaction que l’absentésime en séance permet déjà une bienheureuse prophylaxie, mais ça ne saurait être suffisant à l’heure ou un éternuement de bambin ferme des écoles maternelles.

En conséquence, les travaux des assemblées sont suspendus sine die : le gouvernement rayera désormais les mots “projet de” avant le mot “loi” dans ses textes avant de les publier directement au Journal Officiel. Tout parlementaire approchant du siège des assemblées sera abattu à vue par principe de précaution.

- Pour l’exécutif : Je tremble encore en pensant à ces images du président de la République entouré de plébéiens d’une taille égale ou inférieure à la sienne. Cela implique que leurs méphitiques voies respitatoires sont au même niveau que les siennes. Et que dire de ce ministre de l’éducation, confronté aux pestilenciels postillons de militants UMP en embuscade dans un supermarché ? C’est la mort du Gouvernement que l’on veut.

Les déplacements sur le terrain sont donc désormais interdits. Ça libérera du temps dans les journaux télévisés, qui pourront en profiter pour faire de la vraie information (par exemple pour nous parler des catastrophiques inondations au Burkina Faso qui ont tout fait perdre à 160.000 personnes pendant que les télés française égrainent la liste des écoles qui ferment).

De même que le Conseil des ministres, de toutes façon, il n’en sort jamais rien de bon. Les ministres seront placés à l’isolement dans le centre de rétention administrative d’Hendaye, qui est tout neuf et vide. Leurs ministères seront désinfectés au napalm. On réfléchit à la nécessité d’évacuer ou non le personnel avant les opérations (c’est d’ores et déjà non pour la Chancellerie).

Quant au Président de la République, une grippe A pourrait lui être fatale, son malaise vagal a créé un terrain favorable. Il sera enfermé dans l’abri anti-atomique de l’Élysée, jusqu’à ce que plus aucun virus ne circule sur la planète. Principe de précaution. Et comme les virus peuvent aussi être informatiques, toute voie de communication électronique vers l’extérieur sera coupée. La HADOPI sera en charge de l’exécution de cette mesure, prise sans intervention du juge au nom de la séparation des pouvoirs.

Que diable : la Belgique nous démontre depuis deux ans qu’un pays peut très bien fonctionner sans gouvernement,

Pour ma part, je vais m’enfermer dans le cellier jusqu’à ce que l’alerte soit passée. Ne vous en faites pas pour moi, je ne risque pas de mourir de soif.

Adieu, et que votre agonie soit brève.

Notes

[1] J’ai toujours été une bille en géométrie.

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.

Calendrier

« septembre 2009 »
lun.mar.mer.jeu.ven.sam.dim.
123456
78910111213
14151617181920
21222324252627
282930

Contact