Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 11 septembre 2009

vendredi 11 septembre 2009

Saine colère

Mon confrère Mô n’est pas content. Et comme je partage cette colère tous les jours, et que je n’aurais pas mieux dit, je vous invite à aller planter son serveur aller le lire.

Car moi aussi, j’en ai marre et archi-marre d’être sans cesse considéré à la fois comme un alibi et un indésirable par le code de procédure pénale. Moi aussi, je refuse de dire merci quand le législateur me permet de picorer des miettes de droit de la défense qui tombent de sa table, le plus souvent par accident, ou parce que la cour européenne des droits de l’homme souffle dessus. Moi aussi, je ne supporte plus cette impuissance de la défense organisée méticuleusement par le législateur, avec le soutien bienveillant de la cour de cassation. Moi aussi, je suis outré de lire que le rapport Léger ne sort de l’enfilage de perles et l’alignement des platitudes sans originalité que pour insulter ma profession[1].

Allez donc lire chez Mô ce que ça donne concrètement. « Maître, mon fils est en garde à vue, qu’est ce que vous pouvez faire ? — Rien. Ça fera 1000 euros hors taxe pour la consultation. »

Chaque année, plus de 500.000 personnes connaissent cela. Moins de 400.000 seront finalement jugées. Ça fait 170.000 personnes gardées à vue pour finalement rien qui en valait la peine. Si on prend une moyenne de 12 heures de privation de liberté par garde à vue inutile (ce qui est généreux, elles peuvent durer 48 heures, voire 96 heures, quand ce n’est pas 144 heures), ça fait chaque année l’équivalent de 160 ans de liberté jetés à la poubelle. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

Et encore, mon septentrional confrère a de la chance. Il peut téléphoner à la permanence du parquet, il connait et est connu de ses 11 juges d’instruction (je doute qu’un seul des 73 juges d’instruction parisien pourrait dire mon nom en me voyant). Il bénéficie aisément de ces “off”, qu’on appelle aussi la foi du palais, et qui est le plus heureux des tempéraments à notre procédure pénale archaïque. Illégal, mais heureux.

Bientôt, je vais être à nouveau de permanence mise en examen. Je vais à nouveau servir essentiellement d’alibi en assistant une personne sur le point d’être mise en examen après avoir eu royalement trente minutes pour lire le dossier (qui fait parfois plusieurs centaines de pages, non indexées bien sûr, à moi de trouver les PV d’audition de mon client en tournant les pages une par une), expliquer ce qui va se passer à mon client et tenter de le rassurer et choisir avec lui s’il doit se taire, parler ou répondre, sachant que tout cela peut ou non, selon l’état d’esprit du juge vis à vis du dossier, le conduire devant le juge des libertés et de la détention, ou flinguer sa défense, mon client ayant la lucidité de quelqu’un qui n’a pas dormi ou si peu depuis 48 heures. Le tout sous la pression du juge venant toquer à la porte de mon minuscule bureau, en me faisant remarquer qu’il ne reste plus grand’chose du délai de 20 heures pour l’interroger. Car oui, c’est quand on n’aura plus de temps qu’on me laissera enfin faire mon travail. On me laissera au mieux le temps de jouer à la roulette russe procédurale sur mon client pour pouvoir inscrire avec satisfaction sur le procès verbal d’interrogatoire de première de comparution “Monsieur Tartempion est assisté de Me Eolas, avocat au Barreau de Paris, qui a eu accès au dossier”. De toutes façon, en sortant du palais, ce ne sera plus mon client, un autre avocat sera désigné à ma place.

Franchement, de quoi se plaint-il ? Il a eu un avocat, et on va supprimer le juge d’instruction, dont l’apparition était synonyme du début des droits de la défense (même si on fait en sorte de les saboter d’entrée, au nom de, comment dit-on déjà ? Ah, oui, l’efficacité de l’enquête, et la manifestation de la vérité).

Bon, excusez-moi, je suis grognon, je le suis toujours à l’approche d’une permanence “MEX”. Et plus encore en sortant. Mais comptez sur moi, ils seront défendus, ces gaillards, et bec et ongles.

Bravo confrère, mes amitiés à Michel et Rachida, quand vous aurez enfin le droit de les voir.

Notes

[1] Page 18 du rapport, on peut lire ces lignes : ””…afin de protéger efficacement les droits du gardé à vue, certains membres (comprendre les quatre avocats, NdEolas) estiment nécessaire que l’avocat soit présent dès la première heure et puisse assister à l’ensemble des auditions du gardé à vue. Il a été indiqué lors des débats que cette mesure permettrait de conforter la valeur des déclarations faites durant la garde à vue et désamorcerait les discussions sur les condition dans lesquelles peuvent intervenir les aveux du mis en cause. Toutefois, la majorité des membres s’oppose à cette proposition car elle considère qu’il convient de préserver l’efficacité de l’enquête et que les premières investigations s’avèrent souvent déterminantes pour la manifestation de la vérité.

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