Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 14 septembre 2009

lundi 14 septembre 2009

Commentaire de texte

Ce billet est un bon entraînement pour les étudiants en droit qui reprennent les cours aujourd’hui, mais vous aussi pouvez jouer chez vous en famille.

Que vous inspire la comparaison de ces deux textes ?

Texte 1 : Eric Besson bloque l’adoption des tests ADN pour les immigrants
(Reuters)

Le ministre de l’Immigration Eric Besson a annoncé qu’il refuserait de signer les décrets d’application de la loi permettant le recours à des tests ADN pour vérifier la filiation de candidats à l’immigration au titre du regroupement familial.

Texte 2 : Code pénal, article 432-1 :

Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende.

Question subsidiaire : que pensez-vous que risque ce ministre délinquant ?

Pas désintérêt : désintéressement

Audience ordinaire d’une chambre pénale d’un tribunal de la région parisienne, affectée au «service général», c’est-à-dire le tout-venant des délits. Plusieurs avocats négocient ferme leur ordre de passage avec l’huissier : c’est la veille des vacances, tout le monde a un train, un avion, une voiture chargée de mômes et de parasols garée en double file. Un avocat a même une audience de référé administratif à quinze heures. Il négocie un passage en troisième position, sous le regard chargé de commisération de ses confrères habitués des audiences pénales. Il n’a aucune chance d’être à temps à son audience au TA mais il ne le sait pas encore.

Les affaires sont appelées. D’abord, des délibérés à rendre. Puis les demandes de renvoi[1]. Refus. Refus. Refus. La chambre a décidé d’écluser du stock avant les vacances. Ah, un renvoi est accepté. À mi avril 2010. On comprend la réticence du tribunal à renvoyer.

Il est déjà 14h15 quand la première affaire commence à être jugée. L’avocat au référé administratif jure entre ses dents. Tous les avocats regardent frénétiquement leurs montres.

16h00. L’avocat au référé administratif plaide son affaire. Il a pleuré au téléphone et a obtenu que son référé administratif soit décalé de deux heures. Dieu bénisse les juges compréhensifs.

16h30. Le tribunal a à peine eu le temps de dire que le jugement sera rendu en fin d’audience que la porte de la salle claque sur les talons de l’avocat qui file vers le tribunal administratif à une vitesse qui lui vaudrait le respect d’Usain Bolt (qui n’a pas l’habitude de courir en robe, ce frimeur).

Affaire suivante. Une jeune avocate se lève.

— “Votre client est présent, maître ?” demande le président.
— “Non, monsieur le président, je suis sans nouvelle de lui.”
— “Donc pas de lettre de représentation ?” demande le président d’un ton agacé.
— “Non”.

Pas de lettre de représentation, ça veut dire que le jugement sera contradictoire à signifier. Il ne sera pas exécutoire tant que le jugement n’aura pas été signifié par huissier au prévenu. Ce qui peut vouloir dire des années, voire jamais, outre que les frais sont à la charge du ministère public. Si le prévenu était présent ou avait donné une lettre de représentation, le jugement aurait été contradictoire : le délai d’appel aurait pu courir dès le prononcé et le jugement être définitif dix jours plus tard, sans un centime de frais pour la Justice.

Avant 2004, le code de procédure pénale prévoyait (art. 411 ancien du CPP, a contrario) que si un prévenu régulièrement cité à compraître ne venait pas sans donner de raison valable ou sans donner de lettre de représentation à un avocat, son avocat ne pouvait être entendu par le tribunal. Oui, chers amis. Je vous parle bien de la procédure française.

Cette magnifique disposition a valu naturellement à la France une condamnation par la cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 23 mai 2000, Van Pelt c. France, n°31070/96) pour atteinte au procès équitable. Eh bien vous me croirez si vous le voulez, mais il nous a fallu pendant des mois aller aux audiences avec une copie de cet arrêt en main au cas où notre client n’oserait pas venir, pour exiger du tribunal qu’il nous entende. Très souvent en vain. Il faudra attendre le 2 mars 2001 pour que la cour de cassation, et en assemblée plénière s’il vous plaît, dise enfin très clairement cette évidence : 

Attendu que le droit au procès équitable et le droit de tout accusé à l’assistance d’un défenseur s’opposent à ce que la juridiction juge un prévenu non comparant et non excusé sans entendre l’avocat présent à l’audience pour assurer sa défense ;…

Et encore, je me souviens d’avoir du me bagarrer en avril 2001 avec un tribunal pour qu’il m’entende en l’absence de mon client, en lui mettant cet arrêt sous les yeux. J’entends encore le président me répondre que cet arrêt n’était pas encore publié au bulletin, et qu’une impression issue du site de la cour de cassation ne lui suffisait pas. Les droits de la défense sont un perpétuel combat.

La loi Perben II du 9 mars 2004 a inséré cette règle dans la loi (62 ans après la promulgation du Code de procédure pénale) qui est désormais à l’article 410

Aujourd’hui encore, bien des tribunaux, qui n’apprécient pas qu’un prévenu se défile, ce que l’on peut comprendre[2], ne manquent jamais une occasion de marquer leur mécontentement et de faire sentir qu’entendre l’avocat est une obligation de la loi et non un mouvement spontané.

Revenons-en à ma consœur. Le tribunal n’est pas content. Ce dossier était une comparution immédiate du dimanche, mais le juge des libertés et de la détention (JLD) avait refusé le mandat de dépôt de 24 h jusqu’à la première audience suivante, soit celle du lundi, contraignant le parquet à remettre le prévenu en liberté. Ce sont des violences aggravées en récidive, un vol et un séjour irrégulier. Le prévenu encourt six ans ans (ce sont des violences avec arme n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail : trois ans encourus, fois deux pour la récidive), un an de peine plancher et le tribunal doit prononcer un mandat de dépôt, c’est obligatoire (art. 465-1 du CPP). À se demander pourquoi le JLD a remis cet homme en liberté qui, vu ce qu’il risque, a décidé de se faire rare.

— “À ce propos, monsieur le président…”
— “Oui, maître ?”
— “Il s’agit d’une citation après tentative de comparution immédiate. J’étais de permanence ce dimanche-là, et c’est moi qui l’ai assisté devant le JLD. Il m’a demandé de l’assister pour la suite de la procédure, ce que j’ai accepté, car il y a dans le dossier des éléments sur lesquels je crois nécessaire d’attirer l’attention du tribunal. J’ai déposé la semaine dernière des conclusions au fond reprenant ces arguments. Mon client n’ayant pas répondu à mes appels n’a pas demandé au bâtonnier ma commission d’office. Pourriez-vous me commettre d’office à l’audience comme le code de procédure pénale le permet ?” (Art. 417 du CPP).
— “Ah non : vous n’avez pas de lettre de représentation, je n’ai rien au dossier où il demande un avocat d’office.”
— “Cela vous a échappé : c’est sur le procès verbal de citation. Il a déclaré : «je demande que maître Caumy d’Aufyce (c’est moi) me défende». C’est juste à côté de la signature du procureur.”
Après un silence, le président qui a pris connaissance du document reprend : 
—”L’article 417 exige que le prévenu comparaisse pour que le président puisse accéder à sa demande. Votre client n’est pas là et il n’a pas fait de lettre de représentation. Il ne demande pas à être jugé en son absence dans le procès-verbal. Je refuse votre commission d’office.”
—”Fort bien, monsieur le président”, répond-elle d’un ton glacial. Elle reste debout sans bouger. Le président avait sorti ses conclusions du dossier pour les lui rendre. Il est interloqué de la voir rester à sa place.
—”Vous… vous allez soutenir vos conclusions ?”
—”Oui monsieur le président.”
—”Vous avez bien compris que vous ne serez pas payée ?”
—”J’ai bien compris. Le plaisir de plaider devant vous me paiera de ma peine” conclut-elle les yeux rivés dans ceux du président.

L’audience commence. Morne et sommaire rappel des faits, expédié en cinq minutes. Personne ne demande à l’avocate si elle a quelque chose à dire. Le procureur requiert et résume sa démonstration à : «les faits sont manifestement constitués» et demande un an de prison ferme avec mandat de dépôt. 

L’avocate se lève. Visiblement, regrette-t-elle, le tribunal n’a pas plus que le parquet pris la peine de lire les conclusions qu’elle a déposée il y a une semaine. Et elle reprend les procès-verbaux de police, et montre que rien ne prouve la réalité du vol : la prétendue victime n’a pas confirmé qu’on avait tenté de lui voler son sac et n’a jamais répondu aux appels de la police. Quant aux violences, le récit des faits décrits par la police ne correspond absolument pas aux déclarations faites par la victime trente minutes après les faits. On a deux récits divergents, trois avec celui du prévenu en garde à vue (qui ne reconnaît pas les violences). Enfin sur le séjour irrégulier, la citation ne précise pas quelle serait la nationalité du prévenu, né à Dijon il y a quarante ans, c’est écrit sur la citation. C’est d’ailleurs sur la base de ces éléments que le JLD a refusé la comparution immédiate : il le dit clairement dans son ordonnance qui est au dossier et qui semble avoir bénéficié de la même attention que ses conclusions. 

Au fil de la plaidoirie, le président consulte les procès verbaux et l’ordonnance de son collègue, et les passe à ses assesseurs. 

Elle conclut en disant non sans ironie qu’elle prie le tribunal de l’excuser si elle ne sera pas là lorsque le délibéré sera rendu, elle doit prendre un train, puisqu’elle a repoussé son départ en vacances pour pouvoir défendre son client.

Pendant la plaidoirie, je fais un rapide calcul. Elle a assisté le prévenu devant le JLD, un dimanche. Elle a demandé une copie du dossier, qu’elle a potassé. Elle a rédigé des conclusions d’une demi douzaine de pages. Elle a passé quatre heures en audience. C’est au minimum une douzaine d’heures de travail consacrées au dossier, non compris la permanence du dimanche. Le président ayant refusé de la commettre d’office, elle sera donc payée en tout et pour tout les deux UV du débat devant le JLD, soit 51 euros HT. Le président en la commettant lui aurait permis d’en toucher 203 de plus, HT. 254 euros pour tout ce travail n’aurait pas été volé : un avocat choisi aurait facturé au moins cinq fois cette somme à son client.

En la regardant sortir après avoir serré la main d’un procureur un peu penaud, je repense à un texte que les élèves avocats de Paris doivent potasser en ces jours d’épreuve de déontologie. C’est l’article 3 du décret du 17 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat.

L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.

Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

Superbe démonstration, confrère.


PS : Je suis repassé au greffe quelques semaines plus tard. Le tribunal a relaxé sur les trois préventions. Le parquet n’a pas fait appel.

Notes

[1] Demande par laquelle une partie demande au tribunal de ne pas juger cette affaire à cette audience et de la renvoyer à une date ultérieure. C’est une mesure d’administration, non susceptible de recours. Elle est sollicitée quand une partie n’est pas, pour des circonstances idnépendantes de sa volonté, en état de présenter correctement sa défense : l’avocat a une autre audience, ou a la grippe A, etc.

[2] L’ambiguïté de la formulation est voulue. On peut comprendre l’agacement du tribunal comme on peut comprendre la peur du prévenu.

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