Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 25 septembre 2009

vendredi 25 septembre 2009

Peut-on twitter un procès ?

C’est une question qui semble agiter le Landernau de la presse ces jours-ci.

En effet, deux journalistes, Amaury Guibert pour France Télévision et Olivier Toscer pour le Nouvel Obs suivent le procès Clearstream et publient régulièrement des tweets (ici et ), ces messages de 140 caractères maximum publié sous forme de fil sur la plate forme twitter, et qui peuvent être envoyés depuis un téléphone mobile ou assimilé (iPhone, Blackberry, etc…) Plusieurs de leurs confrères se sont demandés (et certains m’ont demandé) si c’était conforme à la loi, et si on pouvait le faire depuis le prétoire (Amaury Guibert sortant lui de la salle pour taper son message).

Dadouche avait merveilleusement anticipé (qu’on ne vienne plus me parler de lenteur de la justice) en publiant son devoir de vacances en juillet dernier sur les nouvelles technologies et le cadre légal d’enregistrement des audiences. Je n’aurai pas la prétention de faire mieux qu’elle : allez-y, tout y est dit ou presque.

Presque car elle n’a pas abordé pas la question des tweets qui ne s’était pas encore posée.

Voici donc le complément.

Tout d’abord, je froncerai les sourcils, amis journalistes, envers ceux d’entre vous qui ont cru cela illégal. Aucune loi n’autorise expressément de tweetter depuis un prétoire, mais aucune loi ne l’interdit, donc c’est autorisé.

Ce que la loi interdit, c’est de fixer une image ou un son. L’écrit, et le tweet est un écrit, n’est pas concerné, il est même couvert par la liberté d’informer. La technologie et une couverture 3G sur le palais permettent de tweeter depuis un prétoire. Gaudeamus : la liberté d’informer progresse.

Certes, il est écrit, sur une feuille format A4 scotché aux portes, que les téléphones doivent être éteints. En fait, ce qu’on vise à prévenir, ce sont les sonneries intempestives et la tentation de retransmettre le son d’une audience, ce qui serait une captation prohibée par la loi.

L’essentiel est que l’assistance, journalistes compris, ne trouble pas le cours de l’audience. Veillez à mettre votre téléphone sur vibreur voire à couper la sonnerie, ne passez aucun coup de fil et ne répondez à aucun appel, et tweetez à l’envie. Somme toute, c’est comme prendre des notes publiées au fur et à mesure.

Qu’en pensent les présidents de correctionnelle qui me lisent ? (Les parquetiers peuvent aussi donner leur avis, bien sûr).

La difficulté va résider dans le fait d’arriver à rendre intelligible une audience à coup de messages brefs. Nos deux journalistes s’en sortent pas trop mal mais ils ont des progrès à faire. C’est normal, c’est un nouvel exercice, qui doit s’apprendre.

Enfin, nouveau… Pas tant que ça. Ce qui est nouveau, c’est la publication instantannée. Mais ça fait longtemps que la concision est un art pour les journalistes (très mal maîtrisé par les avocats, d’ailleurs).

Aliocha cite un exemple en la personne de leur confrère Félix Fénéon (1861-1944), qui a inventé l’art du tweet avant l’heure, en publiant dans le Matin des brèves remarquables par leur concision. Témoin ces deux exemples :

“M.X…, de Montauban, nettoyait son fusil. On l’enterre demain”. (63 caractères)

Le bateau de pêche la Marie-Jeanne, dix hommes dessus. Une lame de fond, dix hommes dessous”. (92 caractères)

Magnifique, non ?

Et pour tout vous dire, un jour que je m’ennuyais à une audience, je me suis prêté à l’exercice en juillet dernier. Voici mon modeste essai. Je dois avouer que je me suis bien amusé et que c’est une façon plaisante d’attendre son tour.

En espérant que je ne vais pas me faire radier pour ça…

Voilà ce que ça a donné.


12h56 : S’en va défendre un innocent. Trouillomètre à zéro, cœur à cent à l’heure.

14h03 : #miseredelajustice Le tribunal renvoie les affaires au mois de janvier 2010.

14h05 : “non Monsieur, vous étiez convoqué hier. Désolé. La décision ? 4 mois ferme.”

14h32 : Non, les 4 mois, ce n’est pas mon client. J’attends toujours mon tour.

15h02 : C’est la guerre autour de l’huissier. Une consœur me passe devant. P… de galanterie.

15h05 : Un prévenu de 19 ans se prend 18 mois ferme pour stups. Quand il comprend il crie : “maman ! Maman !” Sa mère est dans la salle.

15h12 : Affaire de violences avec armes (coups de couteau). La prévenue a 72 ans. Faut pas toucher à ses pigeons.

15h14 : La victime demande une expertise psy de Mamie Danièle. Ha bon ?

15h20 : Mamie Danièle dit que c’est elle la victime. Le proc : “c’est vous qui avez reçu le coup de couteau au sternum ?” Attention! Question piège.

15h24 : Mamie Danièle démontre brillamment à la barre que se taire n’est pas un si mauvais système de défense.

15h27 : “Je n’ai pas porté de coups de couteau. Je l’ai agité devant moi pour créer une zone de dissuasion”. Mamie Danièle rules !

15h29 : Plaidoirie de la partie civile : ” ce qu’a fait Mamie Danièle est parfaitement interdit”. C’est parfaitement exact.

15h34 : La partie civile a fini. Le juge : “heu alors vous demandez quoi au juste ?”

15h37 : Gros fail de la partie civile. Pas de mise en cause de la CPAM.

15h43 : Réquisitions du parquet : elle n’a pas de casier, mais comportement dangereux. 1 an sursis mise a l’épreuve.

15h44 : La défense n’est pas d’accord avec le parquet et la partie civile. Ça alors ?

15h45 : “Mamie Daniele est connue pour sa gentillesse et sa courtoisie”. Et sa zone de dissuasion.

15h48 : La défense s’échine à montrer que Mamie Daniele a toute sa tête. Pas sûr que ce soit une bonne défense.

15h50 : Ça y est le tribunal n’écoute plus.

15h51 : Un juge lit le dossier suivant, un autre se cure les ongles, le troisième discute avec lui. C’est le signe qu’il faut conclure.

15h57 : “vous relaxerez car vous n’avez pas de preuve objective hormis les blessures”. QUOI ??? 

16h00 : Affaire suivante : agression sexuelle dans le métro.

16h02 : Un type filé par la police ferroviaire qui soupçonnait un pickpocket se masturbe sur une jeune fille. #fail

16h06 : Arrêté par la police, il déclare grand seigneur : vous vous êtes trompés mais l’erreur est humaine. Pb: son sexe sortait encore du pantalon

16h10 : Au casier : une condamnation pour exhibition. “c’était un accident”. L’erreur est humaine.

16h12 : Il plaide coupable sur le fait qu’il n’avait pas de ticket. On salue l’honnêteté.

16h13 : L’expert diagnostique “des pulsions sexuelles mal contrôlées”. Il a bien gagné ses honoraires.

16h17 : Réquisitions : la victime est une touriste, elle va ramener une mauvaise image de la France. L’office du tourisme partie civile ?

16h18 : Requis 4 mois sursis mise a l’épreuve de deux ans, obligation de soin.

16h21 : La défense : “mon client voyageait sans ticket, il guettait les contrôleurs, ça l’a stressé”. Ah, l’érotisme des contrôleurs RATP.

16h22 : “L’incarceration que vous demandez serait dramatique” : c’est du sursis qui est requis !

16h22 : Je vous laisse, c’est à moi. Wish me luck !

16h32 : Fini. Épuisé. Bouche sèche. Peux pas rester au delibéré. 5 mois sursis et interdiction du territoire requis.

Les délibérés ont été rendus plus tard : Mamie Danièle a été reconnue coupable, condamnée à 4 mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve pendant deux ans, avec une obligation de soins. Pervers Pépère a été reconnu coupable et condamné à  4 mois de prison avec sursis mise a l’épreuve pendant 2 ans : obligations de travail et de soins, le tribunal a ordonné son inscription au FIJAIS. Quant à mon client… Secret professionnel.

Il n’est pas dit que je ne me prête pas à nouveau à l’exercice. Et mon compte twitter, c’est celui-là.

Allez et tweettez en paix, et surtout, n’ayez pas peur d’être libres.

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

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