Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 29 septembre 2009

mardi 29 septembre 2009

Quelques mots sur l'affaire Polanski

Les plus attentifs de mes lecteurs auront peut-être entendu parler de cette affaire dont les médias se sont discrètement fait l’écho : un cinéaste français a été interpellé en Suisse et placé en détention, à la demande des États-Unis d’Amérique, en raison d’une affaire de mœurs remontant à la fin des années 70.

Un petit point juridique sur la question s’impose pour mes lecteurs qui n’étant pas ministre de la culture désireraient avoir un point de vue éclairé sur la question.

Roman Polanski a été arrêté en vertu d’un mandat d’arrêt international délivré par la justice américaine. Un mandat d’arrêt international est une demande émanant forcément d’une autorité judiciaire (en France, un juge d’instruction ou une juridiction répressive) et relayée par voie diplomatique, s’adressant à tous les autres États, d’interpeller telle personne et de la lui remettre. Le vocabulaire juridique parle d’État requérant et d’État requis.

En principe, un mandat d’arrêt international, restant un acte interne à l’État requérant, ne lie pas les autres États requis. Mais de nombreuses conventions internationales, bilatérales (liant deux États entre eux) ou multilatérales (liant plusieurs États : il y en a une en vigueur en Europe, en Afrique de l’Ouest, au sein de la Ligue Arabe, en Amérique du Nord, etc…), dites de coopération judiciaire, sont intervenues pour rendre obligatoire l’exécution de ce mandat par l’État requis. Ces conventions ne sont pas signées avec n’importe quel État : la France n’a par exemple pas de convention d’extradition avec l’Iran ou avec la Corée du Nord. Dans notre affaire, il s’agit du Traité d’extradition entre les États-Unis d’Amérique et la Confédération Helvétique signée à Washington le 14 novembre 1990 (pdf).

Concrètement, le mandat est notifié aux autorités du pays où se trouve la personne visée, ou enregistrée dans une base de données internationale, la plus connue étant celle de l’Organisation Internationale de police Criminelle, plus connue sous le nom d’Interpol. Quand une personne se présente à la frontière, la police vérifie sur la base de son passeport si la personne est recherchée (les passeports actuels permettent une lecture optique, le contrôle ne prend que quelques secondes). En cas de réponse positive, la personne doit être interpellée, la police n’a pas le choix.

Le droit interne s’applique alors. Je ne connais pas le droit suisse en la matière, mais on peut supposer qu’il est proche du droit français en la matière. Le mandat d’arrêt vaut titre provisoire d’incarcération, généralement de quelques jours, le temps pour les autorités de notifier à la personne le mandat d’arrêt dont elle fait l’objet, qu’elle sache qui a ordonné son arrestation et pourquoi. C’est capital pour les droits de la défense et le non respect de ce délai entraîne la remise en liberté immédiate. Le détenu a naturellement droit à l’assistance d’un avocat. 

Le détenu est ensuite présenté à un juge qui va s’assurer que la notification a été faite et demander à l’intéressé s’il accepte d’être remis à l’État requérant (auquel cas son transfèrement est organisé dans les délais prévus par la loi, là aussi sous peine de remise en liberté immédiate. S’il refuse, le juge statue sur une éventuelle remise en liberté surveillée, et l’intéressé peut contester le mandat d’arrêt. 

Les arguments que l’on peut soulever sont divers. La régularité de forme, tout d’abord : le mandat d’arrêt international doit être conforme à la convention internationale liant l’État requérant à l’État requis, sinon ce n’est pas un mandat d’arrêt international. Classiquement, il doit indiquer l’autorité émettrice, la date d’émission, la nature des faits qui le fondent, et les textes de loi interne réprimant ces faits. Un État requis peut refuser une extradition pour certains motifs, qui généralement figurent dans la convention d’exclusion. Classiquement, ce sont les délits politiques (terrorisme exclu) et les faits qui ne constituent pas une infraction dans la loi de l’État requis, ainsi que le fait pour le détenu d’avoir déjà été jugé par un autre État pour ces mêmes faits : c’est la règle non bis in idem : on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits (l’appel n’est pas un deuxième jugement mais une voie de recours). L’intéressé peut également soulever que le châtiment auquel il est exposé est illégal. L’Europe n’extrade pas quelqu’un exposé à la peine de mort, mais elle extrade si l’État requérant fournit des garanties que cette peine ne sera pas prononcée ou exécutée. Et oui, les États requérants (vous vous doutez que je parle surtout des États-Unis) tiennent parole, sous peine de se voir refuser toutes leurs futures demandes d’extradition.

Je passe sur le droit français qui est encore plus compliqué puisqu’il connait une phase judiciaire et une phase administrative, la cour de cassation et le Conseil d’État pouvant connaître du même dossier d’extradition (Cesare Battisti a fait le tour des juridictions françaises avant de faire le tour du monde).

Enfin, il existe un principe fondamental : un État n’extrade jamais ses ressortissants. C’est contraire à la protection qu’il doit à ses citoyens. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont l’abri de poursuites dans leur État d’origine.

J’ajoute que depuis 2004, le droit européen (de l’UE s’entend) a créé le mandat d’arrêt européen, qui exclut toutes les règles de l’extradition, notamment l’interdiction d’extrader un national. Il est de fait plus proche du mandat d’arrêt interne que du mandat d’arrêt international. Ce qui est conforme à la logique d’intégration européenne. Je me méfie autant des juges espagnols et allemands que Français, mais pas plus (c’est assez suffisant comme ça).

Et je crois nécessaire d’ajouter qu’aucune loi ni convention internationale ne prévoit d’immunité pour les artistes, oscarisés ou non.

Ah, une dernière précision ,décidément, on n’en a jamais fini : l’extradition ne se confond pas avec le transfèrement : ce terme concerne des personnes purgeant une peine dans un État autre que le leur, et prononcé par cet État. Le transfèrement vise à permettre au condamné d’être rapatrié dans son pays pour y purger sa peine. C’était le cas des condamnés de l’Arche de Zoé.

Revenons-en à notre cinéaste.

Il est de nationalité française (et polonaise, mais ici cela n’a aucune incidence). Il est visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice de l’État de Californie pour une affaire remontant à 1977. Il a à l’époque eu des relations sexuelles avec une mineure âgée de treize ans après lui avoir fait boire de l’alcool et consommer des stupéfiants. Si mon confrère Dominique de Villepin me lit, qu’il ne s’étouffe pas d’indignation en invoquant la présomption d’innocence : celle-ci a expiré peu de temps après les illusions de cette jeune fille, puisque Roman Polanski a reconnu les faits en plaidant coupable. La culpabilité au sens juridique de Roman Polanski ne fait plus débat. Roman Polanski, après quelques jours en prison, a été remis en liberté dans l’attente de l’audience sur la peine. Il en a profité pour déguerpir et a soigneusement évité le territoire américain pendant trente ans.

Au départ, l’accusation contenait cinq chefs d’accusation, dont une qualification de viol. À la suite d’un accord passé avec le parquet, comme la loi californienne le permet, Roman Polanski a plaidé coupable pour un chef unique d’abus sexuel sur mineur (unlawful sexual intercourse with a minor), code pénal californien section 261.5., délit puni de 4 ans de prison maximum. 

Le mandat d’arrêt vise à le faire comparaître pour prononcer la peine, la comparution personnelle du condamné étant obligatoire pour la loi californienne. 

La victime a été indemnisée et a retiré sa plainte. Cela faisait partie probablement de l’accord passé avec le parquet (la victime n’est pas partie au procès pénal en droit américain). Cela ne fait pas obstacle à la poursuite de l’action publique.

Tant qu’il résidait en France, il était tranquille : la France n’extrade pas ses nationaux. Et il ne pouvait être poursuivi en France, bien que de nationalité française, les faits ayant déjà été jugés aux États-Unis. C’est la règle non bis in idem dont je vous parlais plus haut.

C’est la vanité qui a piégé notre cinéaste : invité en Suisse pour y recevoir une récompense pour l’ensemble de son œuvre (il ne se doutait pas qu’en effet, c’est bien l’ensemble de son œuvre qui allait recevoir ce qui lui revenait), il s’est rendu dans la sympathique confédération fédérale. Fatalitas : à l’aéroport, le contrôle de son passeport donne un ping Mise à jour : D’après la presse suisse, ce serait le cinéaste qui a donné l’alarme lui-même en demandant à la police suisse une protection, attirant ainsi l’attention des autorités sur sa venue : elles ont constaté que ce monsieur était l’objet d’un mandat d’arrêt international émis en 2005 (je vais revenir sur cette date curieuse de prime abord), il n’était pas suisse, il pouvait être arrêté. Et le voici qui goûte la paille humide des cachots helvètes, où il est en cellule individuelle, confiné 23 heures par jour. Ça vous choque ? À la bonne heure. Les prisonniers en France sont traités de la même façon en maison d’arrêt, sauf qu’en plus, ils sont dans une cellule surpeuplée. Pensez-y aux prochaines élections.

La Suisse va notifier par voie diplomatique l’arrestation de Roman Polanski. Les États-Unis ont 40 jours pour demander officiellement l’extradition à compter de l’arrestation (article 13§4 de la convention de 1990), soit jusqu’au 5 novembre 2009 à 24 heures, faute de quoi Roman Polanski sera remis en liberté. Ce dernier a indiqué qu’il refusait l’extradition et compte porter l’affaire devant le Tribunal pénal Fédéral (Bundesstrafgericht) et le Tribunal fédéral (Bundesgericht), la cour suprême suisse, le cas échéant. L’affaire est désormais dans les mains de la justice suisse et de mon excellent confrère Lorenz Erni.

Enfin, dernier point, sur l’ancienneté de cette affaire. Tous les soutiens au cinéaste invoquent à l’unisson l’argument que cette affaire est ancienne (à l’exception de Costa Gavras, qui lui soulève que cette jeune fille de 13 ans en faisait 25 ; il est vrai que 13 minutes d’un de ses films en paraissent 25, mais je doute de la pertinence juridique de l’argument). Se pose en effet la question de la prescription.

Je ne reviendrai pas sur le magistral exposé des règles en la matière (sans oublier la deuxième partie) par Sub lege libertas, règles qui sont à l’origine d’une grande partie de la consommation de paracétamol par les juristes. J’ajouterai simplement une précision : la loi californienne prévoit une prescription de 6 10 ans pour des faits de la nature de ceux reprochés à Roman Polanski (Code pénal de Californie, section 801.1). Cela dit sous toutes réserves, je n’ai pas accès à l’évolution du droit pénal californien depuis 1977.

Mais il faut garder à l’esprit que la prescription n’est pas un laps de temps intangible qui une fois qu’il est écoulé fait obstacle aux poursuites. Il peut être interrompu, et repart dans ce cas à zéro. Il faut six ans d’inaction des autorités judiciaires pour acquérir la prescription. Or les autorités judiciaires californiennes ne sont pas restées inactives depuis trente ans et ont toujours interrompu la prescription. La preuve ? En 2005, elles ont délivré un nouveau mandat d’arrêt international, acte qui interrompt la prescription : ce n’était en l’état actuel des choses qu’en 2011 que la prescription aurait éventuellement pu être acquise (sauf éléments du dossier que j’ignore, bien sûr).

Enfin et j’en terminerai là-dessus, je trouve choquant deux choses dans le tir de barrage du monde artistique. 

Je trouve honteux d’entendre des artistes qui il y a quelques semaines vouaient aux gémonies les téléchargeurs et approuvaient toute législation répressive et faisant bon cas de droits constitutionnels pour sanctionner le téléchargement illégal de leurs œuvres crier au scandale quand c’est à un des leurs qu’on entend appliquer la loi dans toute sa rigueur. Quand on sait que pas mal de téléchargeurs ont dans les treize ans, on en tire l’impression que les mineurs ne sont bons à leurs yeux qu’à cracher leur argent de poche et leur servir d’objet sexuel. Comme si leur image avait besoin de ça. Et après ça, on traitera les magistrats de corporatistes.

Et je bondis en entendant le ministre de la culture parler de « cette amérique qui fait peur ». Ah, comme on la connait mal, cette amérique.

Tocqueville avait déjà relevé il y a 170 ans, la passion pour l’égalité de ce pays. Elle n’a pas changé. Il est inconcevable là-bas de traiter différemment un justiciable parce qu’il appartiendrait à une aristocratie, fut-elle artistique. Il y a dix ans, l’Amérique a sérieusement envisagé de renverser le président en exercice parce qu’il avait menti sous serment devant un Grand Jury. Quitte à affaiblir durablement l’Exécutif.

Une justice qui n’épargne pas les puissants et les protégés des puissants ? On comprend qu’un ministre de la République française, qui a soigneusement mis son président et ses ministres à l’abri de Thémis, trouve que cette Amérique fait peur.

PS : billet mis à jour, merci à nemo pour ses lumières sur le droit du Golden State.

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