Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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samedi 10 octobre 2009

samedi 10 octobre 2009

Justice à Vegas (3) : une balle, des vies perdues

Juste un petit billet pour créer un espace de commentaire pour discuter de l’épisode d’hier de Justice à Vegas (visible ici en VOST). Je n’ai pas fini de les regarder mais d’ores et déjà, un point m’a fait bondir : c’est l’entretien du procureur et de son substitut avec un juré du premier procès (qui a été annulé par la cour suprême du Nevada), qui révèle tout de l’état d’esprit des jurés et ce qui a conduit à leur verdict.

Le procédé, aussi sidérant soit-il pour un juriste français (ce serait absolument illégal en France, et une faute disciplinaire grave pour le parquetier) semble légal puisque les jurés, on l’entend à 08:46, jurent uniquement de juger sincèrement cette affaire et de rendre un verdict juste avec l’aide de Dieu (je doute pourtant qu’il soit citoyen américain et résident fiscal du Comté de Clark, Nevada, ce qui le prive du droit d’être juré), mais pas de garder le secret des délibérations. Je doute que le procureur du Comté recourrait à un moyen illégal en présence d’une équipe de reporters. Mais je m’étonne qu’un entretien identique n’ait pas lieu avec les avocats de la défense, au nom de l’égalité des armes. 

L’épisode s’ouvre par une scène délicate : il faut informer le client, qui clame son innocence, d’une offre du procureur qui semble digne d’intérêt aux avocats (pourtant, c’est un simple right to argue, c’est-à-dire de plaider sur la peine). C’est un moment infiniment difficile à gérer car ils sont tenus d’informer leur client de cette offre et de donner leur avis dessus, mais cela fait douter le client de leur conviction de son innocence (dont je suis de fait assez vite convaincu du moins dans la première partie de l’épisode). 

Ah ,et pour les anglophiles, un point de vocabulaire : la citation en justice que remet l’enquêteur du procureur à 31:03 s’appelle un subpœna, ce qui réjouira Sub Lege Libertas, carc’est du latin (prononcé avec l’accent névadais, certes) : cela signifie sous peine de…. L’acte vous cite à comparaître sous peine de poursuites pour obstruction à la justice. 

La partie “chasse au témoin” est aussi assez hallucinante. Un petit côté cour de récré, où le procureur fait la nique à la défense en trouvant le premier son témoin. Sauf que c’est la vie d’un homme qui est en jeu. 

Les commentaires sont à vous.

Nouveau prix Busiris pour Rachida Dati

L’Académie Busiris, siégeant en formation plénière, et après en avoir délibéré conformément à ses statuts a décerné, au premier tour de scrutin et à l’unanimité, son huitième prix Busiris à madame Rachida Dati, dépitée européenne et maire du 7e arrondissement de Paris, ci-devant Garde des Sceaux. Les Académiciens debouts saluent l’exploit consistant à repousser plus loin les frontières de l’audace médiatique et de l’irrespect élémentaire du droit, doublé de celui d’en récolter un nouveau avant même que son successeur à la Chancellerie n’ait glané son premier.

Voici tout d’abord les propos primés, captés pour l’histoire par les caméras de l’émission de France 2 “13:15 dimanche”. Ils portent sur la fameux lapsus présidentiel : « Des juges indépendants ont estimé que les coupables devaient être renvoyés devant le tribunal ». Rappelons que conformément aux statuts de l’Académie, le président de la République en exercice jouit d’une immunité au prix Busiris jusqu’à un mois après la cessation de ses fonctions, en vertu de l’article 67 de la Constitution.


Reprenons le verbatim.

Il y a eu une enquête par des juges indépendants. Ce sont des juges indépendants qui ont fait une enquête.

On sent le Busiris approcher : il baille et s’étire. 

On se demande pourquoi cette répétition en changeant juste l’ordre des mots pour insister sur un pléonasme : des juges indépendants. N’est-ce pas consubstantiel à un juge d’être indépendant ? Ou alors, il y aurait des juges dépendants en France, que le pouvoir aurait volontairement tenu à distance de ce dossier pour montrer sa probité ? Curieuse insistance. Je suppose pour ma part que le fait que l’un des juges d’instruction de cette affaire ait bénéficié d’une promotion à l’issue de cette instruction, dont le décret a été signé par une partie civile à l’instruction, partie civile qui a repoussé in extremis de quelques jours cette promotion pour lui permettre de signer l’ordonnance de renvoi devant le tribunal est une preuve de cette indépendance que l’on ne proclame jamais tant qu’au moment de la piétiner. 

L’enquête est terminée, l’instruction est terminée, que décident les juges ? C’est de renvoyer cette affaire devant le tribunal correctionnel. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’il existe des charges suffisantes pour dire qu’il y a des coupables dans cette affaire. 

Ah ? Le Busiris se recouche et semble fermer les yeux. Fausse alerte ? En effet, rien à redire à cette phrase. Quand un juge d’instruction estime avoir terminé son travail d’enquête, il ouvre la phase dite de règlement de l’instruction. Chaque partie est amenée à donner son avis, c’est obligatoire pour le parquet, facultatif pour les autres parties, puis le juge rend une ordonnance de règlement qui peut être un non lieu à suivre (il n’y a rien à juger, art. 177 du CPP), de renvoi devant le tribunal correctionnel (il existe des charges suffisantes contre tel mis en examen d’avoir commis un délit, art. 179 du CPP) ou de mise en accusation devant la cour d’assises (il existe des charges suffisantes contre tel mis en examen d’avoir commis un crime, art. 181 du CPP). Il peut aussi renvoyer devant le tribunal de police ou la juridiction de proximité si c’est une contravention (art. 178 du CPP)

Mais ce n’était qu’une ruse : en fait le Busiris bondit soudainement, toutes griffes dehors.

Et donc les coupables sont forcément renvoyés devant le tribunal correctionnel parce qu’il existe des charges suffisantes. [Le président de la République] n’a rien dit de plus ni de moins. Des juges considèrent en toute indépendance qu’il y a des charges. Et donc s’il y a des charges, il y a des auteurs.

Notez encore une fois la méthode consistant à redire à peu près la même chose en changeant l’ordre des mots pour faire comme si la deuxième phrase démontrait la justesse de la première. L’aberrance consiste à dire que les coupables sont forcément renvoyés devant le tribunal correctionnel, qu’ils se trouvent nécessairement parmi les prévenus. 

Cela n’a pas échappé à Laurent Delahousse qui objecte à juste titre : 

Il y a parfois des procès où les coupables ne sont pas obligatoirement dans le box des prévenus.

Réponse magnifique de rachida Dati : 

Il [le président de la République] n’a pas dit “dans le box des prévenus”. 

C’est vrai, mais il ne pensait pas non plus à la salle des témoins.

Il a dit “la justice renvoie devant le tribunal pour que les coupables puissent être condamnés. Mais s’il y a des charges, il y a des coupables, sinon la justice aurait dit “il n’y a pas assez de charges, ou il n’y a pas de coupable, ou il n’y a pas d’auteur : il n’y a pas d’audience”. 

Et le Busiris se repaît du droit déchiqueté en lambeau.

Le critère légal du renvoi devant le tribunal est qu’il existe contre tel mis en examen (il est impératif que la personne concernée ait été préalablement mise en examen dans les formes) des charges suffisantes d’avoir commis tel délit ou tel crime. Cela ne préjuge en rien de la culpabilité, j’ai obtenu assez de relaxes après instruction pour le savoir.

Quelques exemples simples pour vous faire comprendre. 

Plusieurs personnes sont soupçonnées d’avoir commis le même délit (au hasard : une dénonciation calomnieuse sur la base de listings falsifiées ; toute ressemblance avec des faits réels blah blah blah). Chacune d’entre elles accuse les autres en affirmant n’y être pour rien. L’instruction ne permet pas de savoir lequel est à l’origine de la dénonciation mais établit que chacun savait que les listings étaient faux. Il existe contre chacun des charges suffisantes d’avoir commis le délit pour aller s’en expliquer devant le tribunal. Ces charges sont : la connaissance de la fausseté du listing ET les témoignages accusateurs des autres mis en cause. Cela ne veut pas dire que tous sont coupables (on est même dans l’exemple certain du contraire) ni même que c’est l’un d’entre eux qui est coupable. Peut être est-ce un autre larron auquel personne n’a pensé, nos mis en examens étant trop enthousiastes à s’accuser mutuellement. Ou peut être que cet autre larron, lui, ignorait que les listings étaient faux et les a transmis de bonne foi à la police, puis, découvrant sa bévue, préfère se taire en raison d’une violente allergie aux crocs de boucher. Auquel cas, tous les prévenus sont innocents.  

Et même dans l’hypothèse où un des prévenus est le coupable, mais que chacun s’en tenant à sa version, le tribunal ne parvient pas à y voir plus clair, on devra alors aboutir à une relaxe générale au bénéfice du doute. 

Un autre exemple : une jeune fille accuse un cinéaste franco-moldave de l’avoir violée quand elle avait treize ans. Le cinéaste nie. Les faits sont anciens, donc aucune expertise médicale n’a pu être faite pour constater des lésions confirmant le viol. Mais une expertise déclare que la victime est crédible dans ses propos, que son traumatisme semble réel. D’interrogatoires en confrontations, sa version ne varie pas, tandis que les propos du cinéaste sur la soirée s’embrouillent, qu’il reconnaît être attirée par les très jeunes filles mais précise qu’il entend par là “de son âge ou ayant cinq ans de moins, à condition qu’elles pratiquent la boxe”. Le juge d’instruction estime qu’il y a des charges suffisantes. Mais devant la cour, la victime s’effondre : elle a tout inventé pour qu’on s’intéresse à elle. On a eu une ordonnance de mise en accusation alors qu’il n’y avait pas de faits, pas de coupable, ni d’auteur (ces deux derniers termes étant rigoureusement synonymes).

Pour ceux qui pensaient que les politiques avaient, eux, tiré les leçons de l’affaire d’Outreau, dans laquelle il n’y avait ni faits ni coupables, les voici fixés. Et Mme Dati a été magistrate. 

C’est là qu’on voit l’intérêt du mot indépendant accolé frénétiquement au mot juge : cela signifie “si les choses tournent mal, ce sera de sa seule faute”.

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