Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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janvier 2010

dimanche 31 janvier 2010

Rejetons toute instrumentalisation pour des questions politiques ou syndicales

Par Gascogne


Comme le garde des sceaux a raison…,(oui, je me bilgiérise, je sais). Il est hors de question qu’il y ait dans le cadre de l’affaire dite Clearstream la moindre manipulation politique ou syndicale, puisque cette affaire n’était pas, à la base, une affaire de manipulation politique (oui, je sais encore, des fois, mon mode “ironic on ” va trop loin, mais c’est plus fort que moi).

Et pour être un membre du parquet, hiérarchiquement soumis à Mme le garde des sceaux, il est bien évident que j’acquiesce (presque) totalement à son analyse. Je ne puis qu’être d’accord lorsqu’elle annonce qu’elle a “été informée quelque temps avant que le procureur n’annonce sa décision. Ça devait être la veille au soir, par les services de la Chancellerie”. Je ne m’attendais pas à autre chose, les service d’un parquet de Tribunal de Grande Instance étant en liaison directe avec les services du parquet général, qui relèvent de la cour d’appel, eux-mêmes en liaison directe avec la chancellerie, c’est à dire avec le ministère de la justice.

Et je suis encore une fois en parfaite adéquation avec ma ministre lorsqu’elle affirme qu’elle n’accepte pas “que l’on instrumentalise à des fins politiciennes ou pour des raisons de revendications syndicales la décision du procureur”. Bon, pour le “revendications syndicales”, il s’agit visiblement d’une pierre dans le jardin de l’Union Syndicale des Magistrats, dont je suis membre (attention : site internet qui n’est plus aussi moche que le maître de céans a bien voulu le dire, mais qui, il faut bien l’avouer, a changé l’image de son site suite à ses critiques, ses chevilles vont encore en souffrir…). Mais là, je dois bien reconnaître un léger désaccord avec ma “chef des procureurs”. Comment peut-t-on faire croire que si le parquet général informe la chancellerie, c’est dans l’optique de ne pas attendre la moindre instruction d’icelle ?

Alors bien sûr, MAM anticipe la critique (elle n’est pas une excellente politique pour rien) : “Si j’avais eu des instructions à donner”, elles auraient été “écrites et motivées”, a ajouté la Garde des Sceaux.” Oui, oui, et encore oui, et dix mille fois oui. On ne peut qu’être d’accord avec elle.

Si ce n’est, en tout respect de la hiérarchie que ma position de magistrat du parquet m’impose, que tout ordre n’est pas nécessairement écrit, comme l’imposent d’ailleurs les récentes réformes du code de procédure pénale. Un coup de fil de la hiérarchie est bien plus efficace qu’un ordre écrit.

Me voilà donc rassuré, et en complète osmose avec ma hiérarchie, au plus haut niveau. Rien ne vient empêcher la prise de décision totalement indépendante d’un magistrat du parquet, bientôt maître de l’ensemble des procédures pénales, affaires politico-financières comprises.

Et ainsi, la marmotte met le chocolat dans le papier allu…Mais bien sûr

vendredi 29 janvier 2010

Quelques mots sur le jugement Clearstream

Le jugement dans l’affaire dite “Clearstream” (alors qu’elle ne concerne que très incidemment la société luxembourgeoise) a été rendu aujourd’hui.

Quelques réponses à des questions qui m’ont été posées à plusieurs reprises.

Qui peut faire appel du jugement ?

C’est l’article 497 du CPP qui donne la réponse. Chaque prévenu condamné, pour sa propre condamnation pénale (l’action publique, menée par le parquet) et la condamnation à indemniser la victime (l’action civile, menée par la partie civile), ou une seule de ces condamnations.

Le parquet, pour la seule action publique.

La partie civile, pour la seule action civile.

Monsieur Galouzeau de Villepin, relaxé, n’est pas recevable à faire appel : il n’a rien à demander de plus.

Le Président de la République a annoncé son intention de ne pas faire appel. Je ne partage toutefois pas l’analyse de mon excellent (quoique provincial) confrère Gilles Devers qui estime qu’en tout état de cause, le Président de la République serait irrecevable puisqu’il a été rempli de ses demandes (c’est comme ça que l’on dit qu’il a obtenu l’intégralité des sommes demandées soit 1 euro). Sa demande visait à la condamnation solidaire de MM. Gergorin, Lahoud et Galouzeau de Villepin. Il n’a pas obtenu cette condamnation en ce qui concerne ce dernier. Cela suffit à mon sens à rendre l’appel recevable, car la partie civile a un intérêt à agir pour faire constater que l’un des prévenus avait bel et bien commis l’infraction dont il a été victime, quand bien même il aurait déjà été indemnisé par les autres condamnés. Après tout, il s’agit d’une demande d’un euro symbolique. Cela signifie que le but de l’action n’est pas financier mais symbolique. Et savoir si tel prévenu était coupable ou innocent, c’est un symbole plutôt important. Je vais faire des recherches de jurisprudence voir si la Cour de cassation a tranché ce point, mais tout coup de main sera le bienvenu.

Et j’apprends en écrivant ces lignes que Jean-Claude Marin, animateur intermittent de la matinale d’Europe 1, est allé y annoncer qu’il allait faire appel. Un moment de distraction sans doute car c’est au greffe correctionnel qu’on fait fait sa déclaration d’appel (escalier H, 2e étage, porte 160, monsieur le procureur).

Cela signifie que Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa aurait pu faire appel mais pas le parquet ? Quelle conséquence cela aurait-il eu ?

Oui, c’eût été parfaitement possible. Dans ce cas, l’action publique s’éteint : le prévenu ne peut plus être pénalement condamné. Pas de prison, pas de casier. Mais la cour reste saisie des faits et peut, sur les seuls intérêts civils, constater que les éléments constitutifs de l’infraction étaient bien réunis, et, sans déclarer le prévenu coupable (elle outrepasserait ses pouvoirs et s’exposerait à cassation), le condamner à indemniser la victime.

C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à un célèbre humoriste forain. C’est aussi pour cela que dans l’affaire Ilan Halimi, la partie civile a fait des pieds et des mains pour que le parquet fasse appel de la peine ayant frappé le principal accusé, qu’elle jugeait insuffisante. Elle ne pouvait le faire elle même que sur les dommages intérêts.

Ainsi, la cour de cassation a estimé qu’une chambre des appels correctionnels saisie du seul appel de la partie civile et qui estimerait que les faits n’étaient pas un délit mais un crime (devant être jugée par la cour d’assises) ne peut se déclarer incompétente puisque l’action publique est éteinte. Crim., 17 fév. 1960, bull. crim. n°92.

Quelles sont les conséquences de cet appel du parquet pour les autres prévenus ?

Tout dépend de la déclaration d’appel. L’appelant peut préciser sur quelles dispositions du jugement il entend limiter son appel. La cour d’appel est saisie dans ces limites. Faute de précision dans l’acte d’appel, la cour est saisie de l’ensemble du dossier. Donc si le parquet se contente de dire qu’il fait appel, ce pauvre Denis Robert est bon pour rempiler alors même que le parquet ne semble pas trouver à redire à sa relaxe.

S’agissant de MM. Gergorin et Lahoud, qui ont déjà déclaré leur intention de faire appel (rappel : escalier H, 2e étage, porte 160), le parquet aurait de toutes façon formé un appel incident en réponse à leur recours.

Gné ?

On distingue appel principal et appel incident, quelle que soit la partie qui fait appel. L’appel principal est formé dans le délai de dix jours à compter du jugement ou de sa signification par huissier si le prévenu était absent à l’audience. L’appel incident est un appel en riposte : “ha, tu fais appel ? Alors moi aussi.” L’effet est le même, la différence est procédurale. D’abord, un appel incident peut être formé dans le délai de dix jours ou dans un délai de cinq jours qui court à compter de la déclaration d’appel, afin d’éviter que des petits malins fassent appel le 10e jour à une minute de la fermeture du greffe pour jouer de l’effet de surprise. Ensuite, l’appel incident, contrairement à l’appel principal qui est définitif, tombe automatiquement si l’appelant principal se désiste dans les trente jours : art. 500-1 du CPP.

Pourquoi tous ces appels dans tous les sens ? Un appel est un appel, non ?

Non. La cour d’appel voit ses pouvoirs limités par les appels dont elle est saisie.

Ainsi, sur le seul appel du parquet, la cour ne peut que confirmer la peine ou l’aggraver dans la limite du maximum légal, ou relaxer (art. 515 du CPP), mais pas modifier les dommages-intérêts. (paragraphe mis à jour, merci JP Ribaut-Pasqualini).

Sur l’appel du seul prévenu, la cour ne peut que confirmer la peine, la diminuer, ou bien sûr relaxer. On parle d’appel a minima

J’ai traité plus haut de l’appel de la seule partie civile.

Donc quand des prévenus font appel, le parquet fait toujours un appel incident pour que la cour soit pleinement saisie de l’action publique et puisse le cas échéant aggraver.

Dans notre hypothèse, la cour pourra confirmer la relaxe, ou déclarer M. Galouzeau de Villepin coupable et prononcer une peine. En revanche, M. Sarközy de Nagy-Bocsa ne sera pas partie au procès, ne pourra s’y faire représenter par un avocat, ni le cas échéant former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel.

Jean-Claude Marin affirme que cet appel est conforme au protocole du parquet en matière d’appel. Est-ce exact ?

Si un procureur le dit, c’est forcément vrai (cette phrase n’étant toutefois pas applicable aux réquisitions de condamnation de mes clients). J’ignore quel est ce protocole, mais force m’est de constater qu’il est rare que le parquet fasse appel d’une relaxe, même quand il concluait à la condamnation. Le parquet est par principe respectueux des décisions du tribunal. Ce n’est donc pas systématique. Quels sont les critères généralement retenus, et s’appliquaient-ils au cas d’espèce ? Je ne puis répondre. Il est en revanche certain que dans cette affaire, le parquet a rappelé qu’il n’était pas indépendant du pouvoir exécutif, ce qui jette de toute façon une ombre de suspicion sur cette décision.

Le meilleur argument qu’il soulève est celui de l’appel de cohérence. Puisqu’il y aura un deuxième procès concernant MM. Gergorin et Lahoud, il estime nécessaire que M. Galouzeau de Villepin soit partie au procès au cas où les prévenus changeraient leurs déclarations et accablaient ce dernier. Cela évite la tentation de tout mettre sur le dos de l’absent, et le risque que l’audience d’appel démontre la culpabilité de celui-ci mais que sa condamnation soit impossible.

Frédéric Lefebvre prétend que le jugement n’a condamné que les exécutants mais pas les commanditaires, laissant entendre que son confrère Galouzeau de Villepin serait l’un d’iceux. Ce n’est pas très confraternel, non ?

Frédéric Lefebvre débute dans la profession, laissons-lui le temps d’assimiler les concepts de dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, que ses fonctions de porte-parole d’un parti politique ont peu sollicité. En attendant, faisons-lui remarquer qu’en dernière analyse, le parquet invoquait une simple complicité par abstention, théorie pernicieuse que j’abhorre et qui à mon sens est contraire à la loi, et qui revenait à dire qu’il serait coupable de n’avoir pas empêché la réitération de la dénonciation calomnieuse une fois qu’il a eu connaissance de sa fausseté. Il y a un gouffre entre être le commanditaire d’une infraction et ne pas empêcher son renouvellement.

En quoi cette théorie serait-elle pernicieuse et contraire à la loi ?

L’article 121-7 du Code pénal définit le complice comme la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation, ou qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre. J’ai beau faire montre parfois d’une certaine imagination, voire d’une créativité juridique reconnue qui ravit les tribunaux au moment de mes plaidoiries, et leur fait laisser poindre une once de regret dans leur jugement au moment de me débouter. Mais je ne parviens pas à faire dire à ce texte qu’une personne qui ne fait rien, qui s’abstient d’intervenir et dont l’inaction facilite effectivement la commission de l’infraction (comme le gardien de musée payé pour ne pas donner l’alarme quand des voleurs dérobent des oeuvres) pour empêcher autrui de réitérer une infraction (sauf l’hypothèse de celui qui a l’obligation d’intervenir), facilite la préparation ou la consommation d’une infraction, ou que cela s’assimile à un don, une promesse, un ordre, un abus d’autorité ou de pouvoir. Le silence ne peut être un abus d’autorité. Mon adjudant m’a démontré, au cours de mon service militaire, que l’abus d’autorité suppose un niveau sonore plutôt élevé. Elle est donc contraire à la lettre de la loi qui exige un acte positif, pas une omission. La loi punit spécifiquement certaines abstentions : la non assistance à personne en danger, la non dénonciation de crime. Ce n’est pas pour faire de tout citoyen passif un complice de tous les délits qui se commettent à portée de sa main. Ne pas agir quand on peut empêcher une infraction est être un mauvais citoyen. Pas un délinquant. Voilà en quoi elle est pernicieuse : elle assimile celui qui commet le délit à celui qui ne fait rien pour l’empêcher.

Je regrette donc que le tribunal ne rejette pas la théorie mais estime que cette complicité n’est pas établie.

Pour en savoir plus : Pascale Robert-Diard publie les principaux passages du jugement.

L’intégralité du jugement, non anonymisé.

jeudi 28 janvier 2010

Profession chroniqueur judiciaire

Mes lecteurs le connaissent, c’est un habitué des commentaires, et les siens apportent toujours quelque chose au débat.

Didier Specq est chroniqueur judiciaire à Nord Éclair, et pour une fois, il se retrouve de l’autre côté du carnet et du stylo, interviewé par Aliocha.

Je ne saurais trop vous recommander de lire ce très intéressant entretien.

Profession : chroniqueur judiciaire, chez Aliocha.

mercredi 27 janvier 2010

Prix Busiris pour Éric Besson

Je serais Rachida Dati, je me ferais du souci pour mon record (et accessoirement, pour ma prestation de serment, mais passons) car nous avons avec Éric Besson de la graine de champion.

Portrait d'Éric Besson, dont la tête penche légèrement à droite. Photo ministère de l'Oriflamme et des Sarrasins.

C’est par une ordonnance rendue ce jour que le président de l’Académie a décerné le prix sans qu’il soit besoin de réunir une formation de jugement, tant il était manifestement mérité.

Les propos primés ont été tenus à Libération (papier signé “service Société”). Chaque réponse est un véritable bijou. Je vais donc devoir citer la totalité de l’article, je compte sur la compréhension du Service Société de Libération.

Les questions de Libération sont en caractères gras.

Début de citation.

Pour la première fois, le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) vous met en garde et exige que les réfugiés kurdes puissent bénéficier d’un examen complet de leur situation.

Le HCR n’a pas mis en garde la France. Il lui a demandé que chacune de ces personnes puisse bénéficier d’un examen individuel de sa situation, ce qui est le cas. La France respecte l’ensemble des demandes du HCR.

Mes lecteurs reconnaîtront d’entrée de jeu la technique dite de la négation des faits qui dérangent.

Voyons le communiqué du HCR (je graisse) :

Le HCR appelle les autorités françaises à s’assurer que toutes les personnes sollicitant la protection de la France puissent accéder à une procédure d’asile leur permettant de bénéficier d’un examen complet et équitable de leur demande assorti de la possibilité de présenter un recours suspensif en cas de décision négative. (…)

Tout en reconnaissant que les contrôles aux frontières sont essentiels pour combattre, notamment, la criminalité internationale, y compris la traîte d’êtres humains, le HCR souligne combien il est important que des mesures pratiques soient adoptées et mises en oeuvre permettant d’identifier les personnes ayant besoin d’une protection internationale afin que ces contrôles n’aboutissent pas à l’expulsion de réfugiés vers leur pays d’origine où leur vie ou leur liberté, pourraient être en danger.

Comme le soulève à juste titre Libé, ce communiqué est une première. Le HCR n’a pas l’habitude de publier des communiqués édictant des évidences. Et il y a bien mise en garde dans le second paragraphe : “Attention à ne pas prendre de décision d’expulsion à la légère”. Éric Besson dit que c’est ce qu’a fait la France : mes lecteurs supputent aussitôt qu’il n’en est donc rien. Ils ont raison, bien sûr.

En les orientant en rétention, l’examen de leur situation sera fait en urgence dans un délai de cinq jours au lieu de vingt et un…

Petite erreur de Libé : pas cinq jours, quatre, au lieu de quinze et non vingt et un. Et pas quatre jours, mais 96 heures exactement (ça ne se compute pas de la même façon). Pour les autres demandeurs, il n’y a pas de délai, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) traite le dossier en 3-4 mois (source : rapport d’activité 2008 de l’OFPRA, p. 32); toutefois le préfet qui reçoit la demande peut décider que le dossier devra être traité prioritairement en 15 jours. L’OFPRA n’a pas son mot à dire. Art. R. 723-3 du Code de l’Entrée et du Séjour et du Droit d’Asile (CESEDA). L’abus de ces procédures prioritaires est une plaie, mais le juge administratif y a récemment mis le hola. On y reviendra. Écoutons le lauréat.

L’examen de chaque situation individuelle a commencé dès le début de la procédure, à Bonifacio, puis dans les centres de rétention administrative. Par ailleurs, les personnes qui déposeront une demande d’asile en préfecture verront cette demande instruite par l’Ofpra en procédure normale, et non en procédure accélérée comme le prétendent certains.

Voici le cœur des propos qui entraînent le Busiris.

C’est extraordinaire. Éric Besson ose affirmer que, conformément à la demande du HCR, chaque situation individuelle sera examinée alors que les 147 kurdes ont été placés en centre de rétention.

Or pour entrer en centre de rétention, il faut obligatoirement un sésame préalable dont la liste est à l’article L.551-1 du CESEDA : ici c’est le 3° : un arrêté de reconduite frappant un étranger ne pouvant quitter le territoire immédiatement. Donc face au HCR qui lui dit : “attention, examinez bien chaque situation individuelle, de peur de renvoyer à la mort un vrai réfugié”, Éric Besson répond : “mais bien sûr, à présent que j’ai ordonné qu’ils soient renvoyés dans leur pays d’origine, on va pouvoir examiner chaque situation individuelle”. Et il le fait sans se marrer, notez bien.

Franchement, je vous le demande, contre quoi le HCR pourrait-il avoir envie de mettre en garde la France ?

Le festival continue.

Pourquoi ne pas avoir dirigé les réfugiés vers un centre d’accueil plutôt qu’en rétention ?

La loi prévoit en effet que les demandeurs d’asile peuvent être accueillis dans des Cendre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA, prononcer kada), gérés par des associations agréées.

Nous ne disposions pas immédiatement de 124 places adaptées dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile. Il n’était pas possible de faire attendre ces 124 personnes, avec des familles, des femmes enceintes et des enfants en bas âge, dans un gymnase.

Ben oui, les gymnases, c’est fait pour vacciner. Là attention, on touche au pinacle :

Et en les accueillant dans les centres de rétention, ces personnes ont pu immédiatement bénéficier d’un examen médical complet, des services d’un interprète, d’un accompagnement dans l’exercice de leurs droits et d’un hébergement adapté. Ce placement a aussi permis aux services de police et de gendarmerie de poursuivre leurs auditions dans le cadre de l’enquête judiciaire contre la filière clandestine.

J’adore le “en les accueillant dans les centres de rétention”. Ou comment faire passer une prison pour un hôtel. Un centre de rétention n’est qu’une chose : une salle d’attente avant l’embarquement. Certainement pas un point d’accueil. C’est la police aux frontières qui les garde, et les gentils membres n’ont pas le droit de sortir. Et on apprend au passage que “l’examen individuel” de chaque situation est en réalité une audition comme témoin dans une enquête judiciaire contre un réseau de passeurs.

Le placement en rétention d’enfants a été plusieurs fois sanctionné par la justice.

Aucun enfant n’a jamais été placé seul en centre de rétention.

C’est plus un festival, c’est une bacchanale ! Encore heureux qu’aucun enfant n’ait jamais été placé seul en centre de rétention, puisque seul un étranger en situation irrégulière peut être placé en centre de rétention ; or un mineur ne peut pas être en situation irrégulière, seuls les majeurs étant tenus d’avoir une autorisation de séjour. Placer un mineur seul en centre de rétention constituerait le crime de séquestration arbitraire.

Le placement de familles est en revanche parfaitement autorisé, en application de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui prévoit que l’intérêt supérieur de l’enfant est de rester avec sa famille.

Un groupe de policier escorte une famille avec trois enfants après une audience de reconduite à la frontière au tribunal administratif de Cergy Pontoise. Photo :  AFP/Jack Guez Absolument. C’est l’argument invoqué par l’administration pour placer des enfants, parfois des nouveaux nés en centre de rétention : ce serait inhumain de séparer les familles. En négligeant le fait que les familles n’ont rien demandé et ne font de tort à personne, et qu’on pourrait leur foutre la paix, ce qui est une solution économique et respectueuse de la Convention internationale des droits de l’enfant. Malheureusement, le juge administratif valide ce point de vue.

Et une pierre dans le jardin de la gauche :

C’est pourquoi le gouvernement de Lionel Jospin a décidé d’aménager des espaces dédiés aux familles dans les centres de rétention. Et il a bien fait.

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Si les juges des libertés et de la détention décident de libérer tous les Kurdes, les orienterez-vous vers un centre d’accueil ? (C’était avant que les JLD ne libèrent TOUS les Kurdes en constatant l’illégalité de la procédure, NDLR)

Les dispositions ont été prises pour que les migrants amenés à quitter les centres de rétention soient immédiatement pris en charge par les services de l’Etat et qu’un hébergement leur soit proposé, en partenariat avec la Croix-Rouge.

Ah, donc une solution alternative au placement en centre de rétention était possible, finalement ?

Dans l’affaire des Afghans de Calais, le Conseil d’Etat a estimé que vous aviez porté une atteinte illégale et grave au droit d’asile.

Il y a des moments où Éric Besson ne peut plus nier la réalité.

Le Conseil d’Etat a effectivement jugé que pour les personnes interpellées lors du démantèlement de la «jungle» en septembre 2009, les demandes d’asile ne pouvaient pas être traitées selon la procédure accélérée. C’est pourquoi j’ai indiqué que les personnes interpellées en Corse, le 23 janvier, qui déposeront une demande d’asile en préfecture verront cette demande instruite en procédure normale, et non en procédure accélérée.

On dit prioritaire, pas accélérée. Mais là encore, c’est superbe : ceux qui déposeront une demande en préfecture verront leur dossier examiné selon la procédure de droit commun comme l’exige la loi. L’homme qui vous dit ça a juste avant pris la décision de placer en centre de rétention TOUS les demandeurs d’asile potentiel, s’assurant ainsi qu’aucun ne pourra déposer sa demande en préfecture. Ainsi, leur éventuelle demande ne sera pas traitée en 15 jours, selon la procédure prioritaire qui serait illégale, mais en… 96 heures, selon la procédure applicable en rétention. Elle est pas belle, la vie ?

Rappelons le piteux épilogue à cette ignominie nationale : les juges des libertés et de la détention ont découvert avec stupeur que les arrêtés de reconduite à la frontière ont été notifiés sans placement préalable en garde à vue, ce qui est complètement illégal, et ont remis en liberté tous les Kurdes concernés. Afin d’éviter de se faire bananer autant e fois devant le tribunal administratif (avec à chaque fois au moins 500 euros à payer en frais d’avocat), le ministre de l’immigration et de l’incompétence a rapporté, c’est à dire abrogé rétroactivement ses cent vint et quelques arrêtés. Sa tentative de les renvoyer vite fait en Syrie a avorté. Tiens ? C’était pas contre cette tentative éventuelle que le HCR avait mis la France en garde ?

L’ensemble de ces propos est donc logiquement récompensé d’un troisième prix Busiris, sous les yeux abondamment mouillés de larmes de Marianne.

Je vous laisse, je vais débattre de l’identité nationale avec mon préfet.

samedi 23 janvier 2010

Française un jour, Française toujours ?

par Sub lege libertas


Notre Maître de céans a réagi plus vite que moi aux propos de Jean-Luc Mélenchon sur l’impossibilité pour Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa, d’être français si on lui appliquait les lois actuelles. Outre l’erreur démontrée par Eolas, l’idiotie juridique de l’affirmation de Jean-Luc Mélenchon est totale puisque bien sûr, si vous devez prouver votre nationalité française en analysant celle de vos aïeux, il vous faut leur appliquer la loi en vigueur alors et non l’actuelle. Et Eolas nous boucle la question pour notre Nicolas Sarközy de Nagy-Bosca en deux coups de cuillère à pot en concluant : “Nicolas Sarkozy est donc Français de naissance, étant fils d’une mère française.”

Je le dis d’emblée pour tuer tout suspens et dispenser de la lecture de ce qui suit les gens pressés de certitude, la conclusion est bonne mais le parcours pour y parvenir est plus distrayant. Faisons donc un peu d’histoire et de droit.

L’article 19 du Code Civil des Français disposait :

Une femme française qui épousera un étranger, suivra la condition de son mari.

L’article 12 du même code édictait :

L’étrangère qui aura épousé un Français suivra la condition de son mari.

L’article 9 précisait :

Tout individu né en France d’un étranger, pourra dans l’année qui suivra l’époque de sa majorité réclamer la qualité de Français ; pourvu que dans le cas où il résiderait en France, il déclare que son intention est d’y fixer son domicile (...)

Cet état du droit perdura jusqu’en 1927. Et alors ?

Et bien, intéressons-nous - même si vous ne le voulez pas - à la situation de Caroline Rosset-Billoux, née le 1er novembre 1858 à Traize. Cette Caroline Rosset-Billoux est née en Savoie avant son rattachement à la France par le Traité de Turin du 24 mars 1860, ratifié par le plébiscite du 22 avril 1860 ! Oui, Eric Besson aime à n’en pas douter que l’on rappelle aux savoyards et aux niçois qu’ils sont des Français très récents... Et encore on ne fera pas l’affront aux habitants de Tende et La Brigue de leur rappeler qu’ils attendirent la loi du 15 septembre 1947 pour devenir communes françaises de l’arrière-pays niçois et non “territoires de chasse personnelle du Roi d’Italie” (il est vrai chassé...du trône) !

Mais revenons à Caroline Rosset-Billoux. Cette étrangère de naissance épouse en 1890, un nommé Henri Bouvier, négociant grainetier, né le 10 mai 1853 à Sermérieu (Isère), lui même fils de Anthelme Bouvier et Marguerite Poizat nés, mariés et morts à Sermérieu, au XIXe siècle. Notre Henri est Français de naissance.

Sans même s’interroger sur les effets du Traité de Turin en matière de nationalité pour les natifs de Savoie ou du Comté de Nice avant 1860, observons que par son mariage avec un Français, Caroline Rosset-Billoux est pleinement devenue une Française, par application de l’article 12 du Code civil des Français. Comme cela vous indiffère totalement, mentionnons juste que le couple marié, devenu lyonnais, donne naissance à Adèle Bouvier, née le 5 mars 1891 à Lyon 4e.

Un blanc sec plus tard, retrouvons Adèle fraîche et jeune infirmière de 26 ans qui convole en justes noces le 16 octobre 1917 à Sainte-Foy lez Lyon avec Bénédict Mallah, médecin. Certes le docteur est joli garçon, a fait profession de foi catholique pour les beaux yeux de sa belle, mais... il est né Aaron Beniko Mallah le 8 juin 1890 à Salonique. Il est ottoman issu de la communauté juive de Salonique qui représente plus de la moitié de la population de cette ville, qui ne devint grecque qu’en 1913 par le Traité de Bucarest. D’ailleurs deux des cousins de Aaron Mallah, Asher et Peppo Mallah furent sénateurs grecs !

Sans faire de salade, Adèle est-elle devenue grecque ? La loi française d’alors l’oblige à suivre la condition de son mari, article 19 du Code Civil des Français. Mais ce mari, est-il ottoman, turc, grec... ou français ? Et bien, rien n’est simple et je n’ai pas de renseignements certains. Aaron Beniko est venu s’installer en France avec sa mère Madame Reyna Magriso veuve, semble-t-il alors, de Mardochai Mallah, artisan bijoutier. Quand ? Selon certains en 1904, selon d’autres en 1913. Il fit des études de médecine. Il est donné pour avoir servi comme médecin dans l’armée française de 1914 à 1918. Alors, a-t-il demandé sa naturalisation ?

Depuis les lois du 28 mars 1848 et du 26 juin 1889, l’étranger ayant déclaré en mairie sa résidence en France peut solliciter sa naturalisation après trois années de présence sur le sol national. Je ne sais pas si Aaron Beniko Mallah a fait cette démarche. Mais si l’on tient pour sûr qu’il servit dans l’armée française durant la Grande Guerre, alors il est français. Car il faut rappeler deux faits non discutables ; d'une part, seul un citoyen français peut être appelé à servir dans les corps réguliers de l'armée française.

“Loi du 27 juillet 1872, article 7, premier alinéa : nul n'est admis dans les troupes françaises s'il n'est Français”.

D’autre part, la loi du 21 mars 1905 qui institue le service militaire obligatoire pour tous prescrit dans son article 3 :

“Nul n'est admis dans les troupes françaises, s'il n'est Français ou naturalisé”.

Et me direz-vous, s’il a été enrôlé, cela suffit ? Et bien oui car l'article 9 de cette loi du 26 juin 1889 dispose que :

«il deviendra également français si, ayant été porté sur le tableau de recensement, il prend part aux opérations de recrutement sans opposer son étrangéité». (sic!)

Le seul document faisant foi de la nationalité française d’Aaron Beniko Mallah est donc la page qui le concerne du registre de recrutement de sa classe et de son canton.

Je vous sens agacé, mais vous avez tort car quel gars c’est, ce Aaron Beniko usant de son prénom de baptême Bénédict ? Et bien, c’est le papa de deux filles formidables dont Andrée Mallah, née à Paris 9e le 12 octobre 1925, la maman de notre vénéré Président, Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa. Il est essentiel que sa nationalité française soit établie.

Or vous l’avez compris, elle ne peut l’être (avant 1927) que si elle est née en France d’un père français, mais son père était de naissance ottoman... devenu donc (ouf ! murmure Besson soulagé) français avant son mariage. Lorsque Andrée Mallah épouse le 8 février 1950 à Paris 17e le nommé Paul Sarközy de Nagy-Bocsa, celui-ci n’est pas français. Il est né hongrois en Hongrie le 5 mai 1928. Il arrive en France en 1944. Il est engagé volontaire dans la Légion Etrangère, mais démobilisé en 1948, ayant été déclaré inapte pour partir en Indochine.

A-t-il été alors naturalisé français? Il est souvent mentionné qu’il francise alors son nom en Paul Sarközy de Nagy-Bocsa. Mais il ne s’agit pas d’une francisation liée à une naturalisation par décret. Comment peut-il avoir un nom francisé? Et bien par l’usage, lors de son enrôlement à la Légion, qui vous donne le droit à des papiers d’identité militaire. C’est ainsi qu’il fut inscrit au rôle. De la sorte, démobilisé avec ses papiers militaires, vraisemblablement sans papier (eh oui !) de sa Hongrie natale, il s’identifie comme il y est orthographié (ce qui est une autre histoire).

Un mékeskidi, qui suit depuis le début, murmure malin : “mais si Andrée, française, épouse un étranger en 1950, elle ne perd plus sa nationalité comme le disait l’article 19 du Code civil des Français ?" - Et bien non ! Car la loi du 10 août 1927 dispose qu’ une Française qui épouse un étranger a la possibilité de conserver sa nationalité d'origine ; une étrangère épousant un Français peut acquérir la nationalité française par simple déclaration devant l'officier d'état civil au moment du mariage. Et depuis l’ordonnance n̊ 45-2447 du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité française en vigueur alors, la Française le reste si elle épouse un étranger. La possibilité qui lui est offerte désormais n’est pas de le demander mais de décliner cette nationalité au profit de celle de son époux.

Article 94 de l’ordonnance n̊ 45-2447 du 19 octobre 1945 : La femme française qui épouse un étranger conserve la nationalité française, à moins qu'elle ne déclare expressément avait la célébration du mariage, dans les conditions et dans les formalités prévues aux articles 101 et suivants, qu'elle répudie cette nationalité. La déclaration peut être faite sans autorisation, même si la femme est mineure. Cette déclaration n'est valable que lorsque la femme acquiert ou peut acquérir la nationalité du mari, par application de la loi nationale de celui-ci. La femme est, dans ce cas, libérée de son allégeance à l'égard de la France a la date de la célébration du mariage.

Donc, lorsque naît le 28 janvier 1955 à Paris 17e Nicolas Paul Stéphane, il n’est français que parce que né sur le sol de France d’une mère qui peut affirmer sa nationalité française, mais vous l’aviez compris.

Postlude,

En guise de voeux judiciaires, je vous disais souhaiter plus de Fraternité, par exemple pour “des citoyens libres et égaux en droit qui ne doivent pas être sommés d’aller demander à un juge de vérifier leur nationalité quand il n’ont jamais pensé en avoir une autre que celle de France, quoique leurs aïeux n’y soient pas nés.” Quelque jours plus tard une pétition reprenait l’idée pour contester l’application du décret n°2005-1726 sur la délivrance des passeports. Et je m’imagine un instant, greffier en chef du tribunal d’instance de Paris 17e (lieu de naissance), ou de Paris 8e (résidence), recevant la demande de délivrance d’un certificat de nationalité française émanant de Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa et lui faisant réclamer :

  • - les références exactes du décret de naturalisation de son père, pour vérifier qu’il est postérieur à sa naissance,
  • - l’acte de naissance de sa mère, née d’un père né à l’étranger
  • - la preuve de la nationalité de son grand-père maternelle pouvant être :
  • - les références de son décret de naturalisation
  • - ou la copie de la page du registre de recrutement de sa classe et de son canton ou son livret militaire !
  • - l’acte de mariage de sa mère pour vérifier qu’elle n'a pas répudié sa nationalité française

Alors cher Président, vous dont les aïeux paternels hongrois protestants ont été anoblis au XVIIe siècle pour avoir aidé à bouter l’ottoman musulman hors de Hongrie, cet ottoman qui protégea malgré tout par le statut de dhimmi vos aïeux maternels juifs de Salonique, chassés du Royaume d’Espagne en 1492, vous qui n’avez que Sermérieu comme Roche de Solutré pour votre pèlerinage identitaire, à moins que vous ne vous attachiez à Marcillac - La Croisille, vous souvenant de la protection que ses habitants leur offrirent durant la période de l’Etat Français où votre mère et son père étaient déchus de leur nationalité, car regardés comme juifs qu’ils n’étaient pas de confession, j’aimerai vous entendre évoquer par ces racines ce que vous apportez à la France par votre nationalité, et je ne parle pas de la possibilité votre élection à la Présidence de la République ? Faut-il donc au lieu de cela que je n’ai à écouter que Besson ? Triste époque.

En plus du collier pour la soupe, rajoutons la muselière

Par Gascogne


J’apprends ce matin en faisant le tour du web comme à mon habitude une bien mauvaise nouvelle. Le blog de “Justicier Ordinaire” risque fort de fermer ses portes, qui n’étaient pourtant pas ouvertes depuis bien longtemps.

Le collègue ne s’exprime pas en détail sur les pressions qu’il subit pour l’empêcher de s’exprimer. Tout au plus sait-on qu’il a été rapidement identifié par ses écrits, et que visiblement, quelques cibles de ses critiques n’ont pas franchement apprécié le ton de ses billets (à la lecture de ses billets, j’ai bien une vague idée de la personne en cause, mais en l’absence de plus de détails, je m’abstiendrai de tous commentaires…).

Tout comme j’ai pu le lui indiquer en commentaire, il n’a aucune raison de fermer son blog. Les magistrats ne sont pas des sous-citoyens dont le droit d’expression serait limité. Bien entendu, comme tout autre justiciable, les magistrats dans cet exercice d’ordre privé qu’est la communication sur internet, relèvent de l’application de la loi du 21 juillet 1881 sur la presse, qui prévoit notamment la procédure en matière de diffamation ou d’insultes par voie de presse. Mais je serais particulièrement curieux de savoir dans quel billet il a pu se montrer insultant envers qui que ce soit.

En outre, l’article 10 de l’ordonnance du 23 décembre 1958 portant statut des magistrats prévoit des restrictions supplémentaires dans l’exercice de la liberté d’expression des magistrats :

Toute délibération politique est interdite au corps judiciaire. Toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. Est également interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions.

Mais il s’agit bien de proscrire les mouvements généraux de nature politique dans la magistrature, et sûrement pas l’engagement politique à titre individuel, faute de quoi il conviendrait de priver les magistrats du droit de vote, ou même de toute adhésion au sein d’un parti politique.

Quant à la réserve qu’impose la fonction de magistrat, il s’agit à mon sens surtout de ne pas commenter autrement que par les voies légales des décisions de justice. Pour le reste, il convient de se référer à la jurisprudence du Conseil Supérieur de la Magistrature, seule instance habilitée à statuer en matière disciplinaire, pour s’en rendre compte. J’ai eu beau éplucher les décisions disciplinaires du CSM en la matière, tout au plus ai-je trouvé une interdiction de l’excès en matière d’expression politique, que je comprends parfaitement. Mais je n’ai pas lu le moindre excès sur le site de mon collègue, sauf à considérer que toute expression de pensée contraire à la hiérarchie ou au pouvoir en place est excessive. Bienvenue en 1984

Je veux bien en discuter, sous réserve de connaître les motifs de mise en cause (mais je ne suis que procureur, je n’ai pas accès au dossier en l’état).

Comme je l’avais déjà dit dans d’autres billets, un membre politique du Conseil Supérieur de la Magistrature avait pu indiquer que tant que les magistrats n’accepteraient pas le collier, ils n’auraient pas la soupe, la misère budgétaire étant encore le meilleur moyen de maintenir la justice dans un état de dépendance. Je me rends compte aujourd’hui que beaucoup, et à l’intérieur même de la magistrature, aimeraient que les magistrats soient en plus du collier et de la laisse équipés d’une muselière.

Que Justicier Ordinaire soit assuré de tout mon soutien, et de toute mon aide s’il le souhaite.

Nicolas Sarkozy pourrait-il être Français si on lui appliquait ses lois ?

Le député européen (enfin, européen, je me comprends) Jean-Luc Mélenchon a affirmé dans Le Parisien - Dimanche (et donc dans Aujourd’hui en France - Dimanche) que ” si on lui appliquait ses lois, Nicolas Sarkozy ne pourrait pas être français”. Admettons-le, ce serait symbolique des dérives de notre droit de la nationalité et du statut des étrangers en France. Mais le fait que ce soit M. Mélenchon qui l’affirme doit pousser à la circonspection. Les textes juridiques, c’est pas son truc, comme il l’a démontré en 2005.

Et en effet, c’est faux, vous allez le voir.

Le raisonnement repose sur le père de Nicolas Sarkozy, Nagybócsai Sárközy Pál, né à Budapest le 5 mai 1928, et de nationalité hongroise. Si à son arrivée en France, l’actuel Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA) était en vigueur, aurait-il pu rester, avoir trois fils, et leur transmettre la nationalité française ? La réponse à la première question est oui ; la seconde ne regarde que la nature et non le droit, et la réponse à la troisième question est non mais cela n’a pas d’importance.

L’arrivée du père

Nagybócsai Sárközy Pál a fui son pays avec sa famille en 1944 devant l’avancée des troupes soviétiques (la Hongrie avait rejont l’Axe pendant la Guerre). À son retour en 1945, elle a découvert que ses biens (la famille Nagybócsai Sárközy était d’une petite aristocratie terrienne) avaient été saisis, et a craint que le jeune Pàl ne soit enrôlé de force dans l’Armée Populaire, voire déporté en Sibérie en raison de ses origines. Sa mère a prétendu que son fils était mort noyé, et lui a dit de partir en France, terre d’asile. Pàl traversa l’Autriche et arriva à Baden Baden, où il s’engagea pour 5 ans dans la légion étrangère mais fut démobilisé en 1948, année où il s’installa définitivement en France (d’abord à Marseille, puis Paris).

Ceci posé, qu’est-ce que cela donnerait aujourd’hui ?

Eh bien Nagybócsai Sárközy Pál aurait l’embarras du choix pour le fondement de son séjour en France.

Tout d’abord, il pourrait demander à bénéficier du statut de réfugié : il fait état de craintes (risque de déportation) liées à son appartenance à un groupe social (l’ancienne aristocratie terrienne) : art. L. 711-1 du CESEDA, Convention de Genève du 28 juillet 1951. l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides lui reconnaitrait ce statut sans trop de difficulté à mon avis.

Même s’il ne souhaitait pas passer par là, ayant compté trois années de service actif dans la Légion Étrangère (1945-1948), il pourrait bénéficier d’une carte de résident de plein droit : art. L.314-11 du même Code.

En tout état de cause, les anciens pays du bloc de l’Est déchoyaient les émigrés ayant fui le paradis socialiste de leur nationalité, et Pàl ne fut pas une exception. Son statut d’apatride (une fois reconnu par l’OFPRA) lui donnerait un droit au séjour, et rendrait impossible toute expulsion (art. L.721-2 du CESEDA, convention de New York du 28 septembre 1954.

À terme, il aurait vocation à obtenir la nationalité française par naturalisation, ce qu’a fait le vrai Pàl au début des années 1970, c’est à cette occasion qu’il a officiellement francisé son nom en Paul Sarközy de Nagy-Bocsa, nom sous lequel il avait été inscrit à la Légion,

En somme, pas de changement entre ce qui s’est passé il y a 60 ans et aujourd’hui.

La nationalité du fils

Le fait que le président de la République ait un père hongrois n’ayant acquis la nationalité française que postérieurement à la naissance de son fils fait que certaines personnes, que je présume bien intentionnées se demandent si cela n’aurait pas des incidences sur sa nationalité française.

La réponse est : aucune.

Car à se focaliser sur son père, on oublie celle qui a joué un rôle bien plus important dans la vie de son fils : sa mère.

Nicolas Sarkozy est le fils d’Andrée Jeanne Mallah, elle même née à Paris le 12 octobre d’une année que ma galanterie m’interdit de me souvenir. Elle même est la fille de Benoît Mallah, médecin réputé tenant sa pratique dans le 17e arrondissement de Paris, né en 1890 à Thessalonique en Grèce (mais qui à l’époque était en Turquie ottomane…), et d’Adèle Bouvier, fille d’une famille de la bourgeoisie lyonnaise, d’origine savoyarde, étant de ce fait devenue française lors du rattachement de cette province à la France en 1860 (Traité de Turin).

Nicolas Sarkozy est donc Français de naissance, étant fils d’une mère française : art. 18 du Code civil.

La question de la preuve de la nationalité française de sa mère ne se pose même pas, puisqu’il est né en France (à Paris 17e) d’une mère elle même née en France (à Paris, 17e aussi je crois) : art. 19-3 du Code civil. Il lui suffit de produire une copie de son acte de naissance et de celui de sa mère pour établir sa nationalité de manière irréfutable.

Ainsi, même en appliquant les lois en vigueur en janvier 2010 à des événements survenus en 1955, tant le séjour du père du président que la nationalité de celui-ci ne seraient nullement remis en cause.

Ceux qui souhaitent critiquer les absurdités des lois actuelles en matière d’étrangers, qui poussent un ministre à nier contre toute évidence l’état réel de ce droit plutôt que de devoir le justifier, ou de nationalité, qui a obligé l’éditeur et chroniqueur Éric Naulleau, né à Baden Baden en Allemagne, incapable de prouver sa nationalité de naissance, à invoquer quatre années de mariage avec une Bulgare naturalisée Française par décret pour récupérer sa nationalité française, ont assez de grain à moudre pour avoir besoin d’en inventer.

mercredi 20 janvier 2010

Avis de Berryer : Frédéric Beigbeder

La Conférence Berryer reprend ses travaux là où la promotion 2009 les avait laissé.

Elle recevra donc le mercredi 27 janvier 2010 à 21heures, en la première chambre du tribunal (c’est juste àcôté de la salle des Criées, et là où siégeait le tribunal révolutionnaire ; Marie-Antoinette y fut condamnée à mort) monsieur Frédéric Beigbeder, écrivain.

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Monsieur Thomas Heintz, 4e secrétaire, sera en charge de dresser un portrait approximatif de l’invité.

Les sujets seront les suivants:

Premier sujet : « Le roman français est-il sur de bons rails ? »
Second sujet : « Le marin est-il l’ami de l’écrivain ? »

Les éventuels candidats pourront contacter l’amphitryon au 01.42.27.33.82 ou par mail (theintz[at]fleurymares.com).

L’entrée et la sortie sont libres dans la limite du nombre de places.

mardi 19 janvier 2010

Du rififi à la cour de cassation

La semaine dernière s’est tenue la rentrée solennelle de la cour de cassation. Sub lege libertas a expliqué en quoi consiste cette formalité obligatoire, celle de la cour de cassation étant bien entendue la plus importante par son prestige : le président de la République y est invité et vient de temps en temps annoncer au Parlement les réformes qu’il va décider de voter, et le garde des Sceaux est presque toujours présent. Cette année, le premier ministre avait fait le déplacement.

C’est d’ordinaire un moment ronronnant d’amabilités consensuelles et de congratulations co-respectives, où la Cour accueille ses nouveaux membres (on dit “les installe”) et fait le bilan de l’année écoulée. On s’y ennuie ferme (c’est à l’occasion d’une telle audience solennelle que le président de la République a lancé sa formule des “petits pois”), et le président de Harlay aurait pu lancer sa célèbre formule : “Si ces messieurs qui parlent voulaient bien ne pas faire plus de bruit que ces messieurs qui dorment, cela permettrait peut-être à ces messieurs qui écoutent d’entendre”.

Mais cette année, le mécanisme a connu des couinements inattendus et de ce fait réjouissants.

L’audience commence par un discours du premier président, qui après une brève introduction, cède la parole au procureur général, qui demande au premier président d’installer les nouveaux venus, ce qu’il fait après avoir vanté leurs mérites, puis reprend la parole pour son bilan de l’année passée. Le premier président reprend la parole et termine ensuite son discours.

Cette année, la cour accueillait trois nouveaux présidents de chambres nommés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Si le Conseil nomme au rang de président de chambre, c’est le premier président qui décide qui va où. Mais le premier président siégeant au CSM, il n’y a pas de suspens. Ainsi, Jacques Mouton, avocat général à la cour de cassation depuis sept ans, affecté au parquet de la chambre criminelle, après toute une carrière passée au parquet, était censé prendre la présidence de la chambre criminelle de la cour, celle qui juge les pourvois en matière pénale. À tel point que le procureur général s’est permis dans son discours de féliciter par avance ses futurs collègues.

M. Jacques Mouton, M. Christian Charruault, M. Dominique Loriferne, si nos usages et nos traditions confient à Monsieur le Premier président, le soin de rappeler vos mérites éminents que le Conseil supérieur de la magistrature a distingués, je tiens toutefois ici à vous adresser, avec le parquet général de cette Cour, mes plus chaleureuses félicitations pour votre nomination aux prestigieuses fonctions de président de Chambre. Vos parcours, marqués par l’excellence, sont différents. Pour vous, Christian Charruault et Dominique Loriferne, ils sont enracinés dans la fonction de juge, que vous incarnez avec éclat. Pour vous, Jacques Mouton, c’est dans l’exigente culture parquetière, jusqu’au ministère public de cette Cour, que vous avez forgé votre identité de magistrat, votre science du droit et de la procédure pénale. Nul ne doute que vous réussirez, chacun, pleinement, dans l’exercice de ces belles et passionnantes fonctions de président, menée avant vous, avec talent, par Messieurs Pierre Bargue, Jean-Louis Gillet et Hervé Pelletier, qui cèdent aujourd’hui leur place et à qui je rends également hommage en cet instant.

Mal lui en prit.

Car, si le premier président rappela bien les mérites des nouveaux présidents, après avoir fait lire le décret de nomination par le directeur de greffe de la Cour, il annonça :

Par ordonnance de ce jour :
- M. Christian Charruault est affecté à la présidence de la Première chambre ;
- M. Dominique Loriferne, à celle de la 2e chambre ;
- M. Jacques Mouton, à la direction du service de documentation, des études et du rapport, M. Bertrand Louvel prenant la présidence de la chambre criminelle.

Petit tour de passe-passe : le presidentus designatus de la chambre criminelle va à la Documentation, et le directeur de la documentation devient président de la chambre criminelle. D’après mes taupes, personne ou presque n’était au courant.

Pourquoi ce pronunciamiento ? Il ne saurait s’agir d’une sanction pour Jacques Mouton, magistrat très estimé par ailleurs, et aux mérites certains. La seule explication qui me vienne est que Jacques Mouton est un pur parquetier : il n’a jamais occupé de fonction de juge (on dit “au siège”, les juges étant assis quand ils parlent), et cette fonction de président de la chambre criminelle aurait été ses premières fonctions à ce poste. Tandis que Bertrand Louvel, lui, est au contraire un pur magistrat du siège, très réputé pour son indépendance d’esprit. D’un côté, un magistrat qui n’a jamais été indépendant dans ses fonctions de par leur nature, de l’autre, un électron libre. C’est le second qui va présider la chambre criminelle. Sans exagérer l’influence d’un président sur l’orientation de la jurisprudence (elle existe mais le président ne fait pas la pluie et le beau temps Quai de l’Horloge), il y a là un message, peut-être un avant-goût des conséquences de l’arrêt Medvedyev de la grande chambre de la cour européenne des droits de l’homme (mais si, vous savez, l’affaire du ”Winner”) attendu dans les semaines qui viennent ? En tout cas, un coup de théâtre à la cour de cassation étant aussi rare qu’un visage sans Botox dans le 16e arrondissement, je me réjouis de ce petit vent de liberté qui a soufflé quai de l’Horloge.

Mais ce ne fut pas le seul.

Remis de sa surprise, le procureur général reprit le fil de son discours. Et il ne fut pas en reste. C’est à la réforme de la procédure pénale en cours qu’il s’en prit. Annoncée dans le même lieux un an plus tôt devant le premier président par le président premier, les hauts magistrats n’avaient pas pu réagir. Mais telle la mule du pape qui retient son coup (avec cette précaution de ne pas attendre sept ans, louable prudence quand on a l’âge d’être à la cour de cassation) pour mieux le donner, le procureur général a illustré que même aux audiences solennelles, la parole du ministère public est libre. Il parla ainsi du projet de suppression du juge d’instruction (comme il le rappelle trèsjudicieusement : du juge d’instruction et non de l’instruction elle même, confiée au parquet.

Rappelons d’abord qu’au soutien de la suppression de la juridiction d’instruction, le principal argument, depuis longtemps présenté comme irréfutable, est qu’on ne saurait, comme la loi l’impose actuellement, instruire à charge et à décharge. Cet argument, la Commission Léger l’a repris à son compte en soulignant que le juge d’instruction, depuis sa naissance, vit toujours dans l’ambiguïté de sa double fonction. Mais elle a aussi balayé cet argument pour faire peser sur le parquet cette même obligation d’instruire à charge et à décharge. Ne faut-il donc pas craindre que l’ambiguïté, si elle existe, ne soit simplement transférée ?

Loin de moi cependant l’idée que l’institution ne doit pas évoluer. Je crois pour ma part, avec la Commission Léger, que le juge d’instruction du XXIème siècle n’a plus rien de commun avec le magistrat né, voici deux siècles, du code d’instruction criminelle, au point qu’il est légitime de reconsidérer la fonction. Je dis bien la fonction puisque c’est du juge qu’il s’agit et non de l’instruction dont personne n’envisage la disparition. Or, comparé à son lointain collègue du début du XIXème siècle, ce juge qui était peut-être, selon Balzac, l’homme le plus puissant de France, n’est-il pas aujourd’hui surtout le plus seul, voire le plus isolé ?

Solitude face à la complexité d’un code de procédure pénale toujours plus dense, au point qu’il réunit plusieurs codes en un seul, au point aussi qu’il génère la crainte récurrente de commettre une nullité à chaque pas et, partant, expose le juge au risque de détourner son attention vers des exigences purement formelles. Solitude face à une défense parfaitement en droit de s’organiser collégialement avec le souci légitime de ne laisser passer aucune des erreurs de procédure que le juge pourrait commettre ou laisser passer.

Solitude face aux médias dont l’irruption dans le procès pénal, aussi sacrée que soit la liberté d’informer, n’est pas toujours sans incidence sur le déroulement d’une procédure. Solitude face à l’opinion, curieuse et prompte à s’émouvoir, voire à s’enflammer, mais peu à même de comprendre la chose juridique. Solitude enfin, il faut bien le dire, face au ministère public, maître de la saisine du juge, au point que celle-ci est devenue résiduelle. Si la collégialité est une force, nul doute que celle-ci se trouve aujourd’hui du côté des parquets, structurellement organisés pour répondre aux pressions que je viens d’évoquer.

Et même si la qualité, la compétence et le dévouement des juges d’instruction ne sont pas en cause, n’est-il pas temps de considérer les mesures à envisager pour que soit toujours assurée la qualité de la justice à laquelle sont en droit de prétendre nos concitoyens ? Et si cette qualité exige maintenant une répartition différente des responsabilités, si elle se trouve du côté d’un élargissement des pouvoirs du parquet et d’un renforcement du contrôle par le juge, alors pourquoi ne pas l’envisager ? C’est ce qui me conduit à dire que le rapport Léger va dans la bonne direction.

in cauda venenum :

Encore faut-il être certain que la réforme, dont ne sont actuellement dessinés que les contours, franchira les obstacles dressés sur un parcours loin d’être achevé. Je veux parler, bien sûr, d’obstacles juridiques, même si le premier d’entre eux est aussi de nature politique, puisqu’il s’agit du statut du ministère public.

Je me garderai bien évidemment, depuis ce siège, de porter la moindre appréciation à cet égard. Ce n’est pas mon domaine. Mais si l’on regarde la chose d’un point de vue strictement juridique, ne faut-il pas s’inquiéter de la conformité aux principes constitutionnels qui nous gouvernent des pouvoirs nécessairement renforcés d’un parquet en charge de l’instruction des affaires pénales?

C’est que, contrairement à bien des idées reçues, la Constitution ne place pas explicitement, en son article 64, le ministère public parmi les composantes de l’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle. C’est une difficulté que le Conseil constitutionnel a heureusement résolue par une jurisprudence jamais démentie jusqu’à ce jour, en jugeant le 11 août 1993 que “l’autorité judiciaire qui, en vertu de l’article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet”.

Mais que savons nous de la pérennité de cette analyse appliquée à un parquet en charge exclusive de l’instruction des affaires pénales ?

Le Conseil constitutionnel se montre en effet plus que vigilant à l’égard du contrôle et de la direction d’actes susceptibles d’entraîner des atteintes excessives à la liberté individuelle, actes dont l’initiative pourrait revenir au seul parquet. Et ne faut-il pas aussi s’attendre, dans cette nouvelle configuration, à voir se durcir la jurisprudence, certes indirecte et non définitive, par laquelle le juge de Strasbourg en vient à contester au parquet actuel le statut d’autorité judiciaire?

À ce stade du discours, le président du Conseil constitutionnel, présent dans la salle, a redemandé un verre de petit lait.

L’obstacle ici, n’est plus politique mais bien juridique et, pour ce qui me concerne, sauf à éloigner le ministère public du statut de la magistrature, ce que ne propose heureusement pas le rapport Léger, je ne vois pas comment il sera franchi sans que soit, tôt ou tard, reconsidéré le statut du parquet, sous peine de laisser perdurer une contradiction majeure dont la validation constitutionnelle et européenne paraît bien problématique.

L’arrêt Medvedev, toujours, qui annonce un coup de tonnerre dans le ciel juridictionnel français.

Mon souhait est que les paroles du Premier président Aydalot ne prennent pas une dimension prophétique quand, il y a maintenant quarante années, il s’inquiétait ici même de voir “le parquet rejeté dans les ténèbres extérieures”.

Un second obstacle se dessine, tout aussi difficile. Notre pays a connu, depuis le plus que centenaire arrêt Laurent-Athalin[1] jusqu’aux dernières lois renforçant les droits des victimes, une évolution favorable à ces dernières, dont la place dans le procès pénal, il faut bien le dire, n’a pas toujours été à la hauteur de leurs légitimes aspirations. Nul ne sait vraiment par quelle institution, par quelle procédure, ce droit ne subira aucune régression dès lors que, par définition, avec la suppression du juge d’instruction, disparaîtra la possibilité de mettre en mouvement l’action publique par le moyen d’une constitution de partie civile devant lui.

Le rapport Léger propose que le juge de l’enquête et des libertés ordonne au parquet d’enquêter sur les faits que lui dénoncerait une victime mais dont il aurait refusé de se saisir. Je ne vois pas comment ce dispositif pourrait, ne serait-ce qu’en termes d’apparence, constituer un substitut valable à l’actuelle constitution de partie civile devant le juge d’instruction.

Et voici le moment de la charge sabre au clair :

L’injonction de faire donnée par le juge au parquet qui ne voudrait pas faire paraît à cet égard bien illusoire. Quels seront les droits effectifs de la victime face à un refus de déférer à une telle injonction ? Et surtout, ce qui est pire, quels seront ses droits face à un parquet qui, sans opposer de refus explicite d’instruire, pourra, même sans faire volontairement preuve d’inertie, opposer qu’il est saisi de quelques dizaines ou centaines de milliers d’affaires ? Je suis en tout cas bien obligé de dire, sur ce point, ma totale incapacité, aujourd’hui, à suggérer le dispositif qui pourrait constituer ce substitut valable sans recourir à ce qui ressemblerait à un rétablissement de la juridiction d’instruction, sauf à amoindrir les droits des victimes, ce que personne n’envisage.

Admirez l’habileté consistant à dire “je suis d’accord avec le rapport léger qui reprend servilement la pensée présidentielle va dans la bonne direction ; mais le fait est qu’il dit n’importe quoi”.

Ce n’est pas encore la révolte des petits pois, mais après les récits désabusés de magistrats de province racontant comment les chefs de juridiction ont souvent tout fait pour neutraliser les velléités de protestation des magistrats à l’occasion des audiences solennelles (voir ce billet de Justicier Ordinaire par exemple), le fait que les plus hauts magistrats montrent l’exemple de l’indocilité, même si ça reste mesuré et que parvenu à ce niveau, ils ne risquent plus rien, permettez-moi de trouver une petite odeur de printemps dans cette brise qui souffle sur les bords de Seine.


Le discours du premier président Lamanda. Le discours du procureur général Nadal.

Notes

[1] Crim. 8 déc. 1906, Bull. n° 443 : c’est l’arrêt qui, bien avant la loi, a consacré le droit de la victime de mettre en mouvement l’action publique en saisissant elle même le juge d’instruction. C’est l’acte de naissance du droit des victimes, qui jusqu’à présent étaient soumises au bon vouloir du parquet.

samedi 16 janvier 2010

Le dilemme 2, le retour

Par Gascogne


D’un débat théorique sur la garantie des libertés individuelles dans une démocratie, qui peut amener à bien des commentaires plus ou moins savants, à une application pratique telle que les professionnels du droit peuvent en vivre, peut-être pas tous les jours, mais au moins assez fréquemment, il n’y a souvent qu’un pas, que je ne peux que vous convier à franchir.

Les dilemmes se posent souvent à différents stades de la procédure pénale (je ne vous parle que d’elle, c’est la seule que j’ai la prétention de connaître un peu). J’ai donc choisi de vous conter une histoire, fort peu probable, bien sûr, mais qui peut poser quelques questions :

Soit une personne interpellée pour une cause que je vous laisse libre (et quand un procureur vous laisse libre, profitez-en…) d’imaginer (une conduite en état alcoolique, un vol, un outrage à magistrat, un meurtre, ou même, mais cela est fort heureusement très improbable, des violences sur avocat précédées d’un enlèvement : j’en profite pour mettre le mode ironie en off, et adresser à Me Saint-Arroman Petroff tout mon soutien dans cette terrible épreuve).

Soit plusieurs coups de fils de l’officier de police judiciaire, pour avertir l’avocat de permanence, ainsi que la famille de l’intéressé et le médecin de garde.

Il s’avère très rapidement que la police a mis la main sur un gros poisson. Les déclarations du mis en cause ne font guère de doutes sur le fait que le motif de placement en garde à vue ne l’intéresse guère, et qu’il souhaite surtout, peut-être de manière un peu perverse, raconter son parcours criminel, qui n’a finalement pas grand chose à voir avec les motifs d’interpellation.

Le laboratoire du Pr D., interrogé en urgence sur le temps de la garde à vue, confirme les premiers doutes, et indique qu’il n’y a pas d’erreur possible : le gardé à vue est le tueur en série de vieilles dames, recherché depuis de nombreux mois. Et si la combinaison de son prénom avec son nom peut prêter à rire, les faits qui lui sont reprochés n’ont rien d’amusant. Meurtre de plusieurs personnes âgées, assortis de quelques actes de torture et de barbarie[1]

Les enquêteurs sont d’autant plus contents que le mis en cause ne fait aucune difficulté pour reconnaître les faits. Ils les assument pleinement, et affirme même qu’il recommencera dés qu’il sortira, pour toutes sortes de justifications (voix le lui ordonnant, besoin irrépressible, rejet de toutes règles de vie en société, ou psychopathie, fait qu’il est condamné par sa maladie, et que dés lors rien ne saurait l’arrêter…).

Un expert psychiatre passe voir le mis en cause sur le temps de la garde à vue, et confirme ce que tout le monde pensait déjà : il est particulièrement dangereux, au moins d’un point de vue criminologique. Les risques de récidive sont extrêmement élevés.

L’OPJ appelle le procureur de permanence pour un énième compte rendu. L’ouverture d’information se précise, feu le juge d’instruction est déjà dans les starting-blocks, le Juge des Libertés et de la Détention frétille d’avance à l’idée d’être confronté à ce tueur dont les médias parlent tant.

Seulement voilà : le procureur de permanence se rend compte qu’il n’a reçu l’avis de garde à vue par fax qu’au bout d’une heure quinze minutes, l’interpellation ayant pris un peu de temps. En outre, il n’a pas été appelé sur la ligne de permanence ou sur son portable au début de la mesure.

Or, si l’on s’en réfère à la Cour de Cassation (par exemple : Crim. 31 mai 2007), avec le peu de confiance que l’on peut lui faire en matière de droits de l’homme, il s’avère que cet avis est bien trop tardif et entraîne la nullité de la mesure de garde à vue.

Pour ceux qui pensent que la présence de l’avocat aurait été indispensable durant la garde à vue, même si notre mis en cause n’en veut pas, l’exercice est tout aussi possible.

Vient la fin de la garde à vue, et le moment du défèrement. C’est le moment de la prise de décision.

En tant que PR de permanence, faites vous lever la garde à vue purement et simplement, en remettant notre individu en liberté (si je puis me permettre un conseil, parlez-en tout de même avant à votre procureur général…) ?

En tant qu’avocat de permanence, soulevez vous la nullité ?

En tant que juge d’instruction, décidez vous de ne pas saisir le JLD ?

En tant que JLD, vous remettez dehors ?

En tant que greffier du juge d’instruction ou du JLD, parlez-vous de cette nullité à “votre” juge, qui ne l’a pas vue ?

En admettant qu’un tel dossier se traite devant le tribunal correctionnel, en tant que juge, et alors que vous savez que vous n’avez pas le droit de soulever d’office ce genre de nullité, vous le faites quand même, puisque constitutionnellement garant des libertés ? Vous en parlez “en off” au parquetier ? Vous appelez discrètement l’avocat ?

Ou finalement, et quel que soit l’intervenant que vous êtes dans cette longue chaîne qu’est le processus pénal, choisissez-vous de ne pas jouer votre rôle de défenseur des libertés publiques, et de laisser notre homme en détention ?

En plus théorique, et de manière peut-être un peu plus polémique, où placez-vous le curseur entre la défense des libertés individuelles et la défense de l’intérêt social ?

Notes

[1] ça fonctionne aussi avec des faits plus récents et du coup plus en adéquation avec les connaissances en matière d’acide désoxyribonucléique…

jeudi 14 janvier 2010

Piqûre de rappel en droit des obligations

— Bonjour maître.

— Ah ! Malika, ma nouvelle stagiaire. Entre, mon petit.

— Merci. C’est un honneur pour moi que d’avoir été acceptée dans votre prestigieux cabinet.

— Mais de rien, Miss ; c’est moi qui suis ravi de recevoir en stage une étudiante en droit qui se destine au journalisme. Avec Aliocha, vous illuminerez les conférences de presse rien qu’en entrant dans la salle. En quoi puis-je t’être utile et surtout agréable ?

— Eh bien je me posais quelques questions sur la campagne de vaccination contre la grippe porcine, ou A, ou H1N1 menée par le Gouvernement…

— Et tu n’es pas la seule. Mais souffre que je te reprenne.

— Faites, je suis ici pour apprendre.

— Le nom de cette grippe a muté plus vite que son ARN, et c’est heureux. On a d’abord parlé de grippe mexicaine car elle est apparue au Mexique. Ce qui a vexé les Mexicains. On l’a ensuite appelée porcine car ce type de virus est présent chez le porc (des séquences d’ARN communes facilitent l’infection) mais le terme est impropre car le porc n’est pas porteur ni transmetteur de la maladie. Ce qui n’a pas empêché l’Égypte de procéder à l’abattage massif des porcs élevés par les chrétiens coptes, une occasion d’opprimer cette minorité étant toujours bonne à prendre. On l’a alors appelée grippe A, mais on s’est avisé que ce nom était trop large : la grippe aviaire de 2008 était aussi de type A. On a fini par l’appeler du nom du type de virus qui en est à l’origine, déterminé par les type d’antigènes et d’enzyme dont il s’entoure : virus à hémagglutinine (l’antigène qui permet au virus de s’arrimer à la cellule qu’il infecte) de type 1 (sur 16) et neuraminidase (enzyme permettant au virus de sortir de la cellule infectée) de type 1 (sur 9). La grippe aviaire était ainsi un virus de sous-type H5N1.

— Merci mais je me destine à des études de journaliste, pas de médecine.

— Tu as raison. Je m’égare. Revenons en à notre sujet.

— J’ai entendu la ministre à qui l’on reprochait d’avoir vu un peu large sur les quantités expliquer de manière catégorique que 50 millions de doses de vaccins commandées n’étant ni livrées ni payées, cet achat était résilié.

— Et ?

— Outre le fait qu’en vertu de la Lex Bessonica, un ministre acculé niera jusqu’à sa propre existence plutôt que de reconnaître une erreur, ces propos ne me semblent pas conformes à ce qu’on m’expliquait en amphi.

— Ah, un stagiaire qui allait en cours, ça me change du précédent. Ta mémoire ne te trompe pas, Malika. Sers-toi une tasse de thé. C’est un Assam Mangalam SFTGFOP : il nous faut un thé corsé pour décortiquer les nombreuses monstruosités juridiques que contiennent ces quelques mots. Tu sais combien les politiques adorent user et abuser des termes juridiques pour embrouiller leur auditoire.

— Oui, un prix a même été créé pour récompenser les cas les plus méritants.

— Absolument. Et la ministre n’a pas hésité à recourir à cette recette. Commençons par le commencement. Te souviens-tu de ce qu’est un contrat ?

— Oui. C’est un accord de volonté qui fait naître des obligations.

— Exactement. Rappelons qu‘obligation vient du latin lier, attacher, qui a donné aussi ligature. Notre droit des obligations vient du droit romain, et les juristes ont depuis toujours, et contrairement à une idée reçue, été attachés à la clarté et à la facile compréhension de leur matière. Pour cela, ils avaient recours à des images fortes qui marquent l’esprit. Une obligation est un lien de droit qui ligote une personne, en fait un prisonnier juridique. Il doit faire ce qu’il a promis, ce à quoi il s’est engagé. Une fois cela fait, il sera délié de son obligation, et redeviendra un homme libre… de s’engager à nouveau. Cette exécution de l’obligation s’appelle le paiement, même quand l’obligation ne porte pas sur une somme d’argent.

— Ah ?

— Oui. Par exemple, quand je t’ai appelé sur ton mobile ce matin pour te signaler que tu étais en retard, j’ai exigé le paiement de ton obligation de mettre ta force de travail au service de mon cabinet. Je tirais sur ta laisse, juridiquement s’entend.

— Heu… Continuez, je vous en prie.

— Une obligation oblige l’un à donner (transférer la propriété), faire ou ne pas faire quelque chose de déterminé au profit de l’autre. Celui qui doit la prestation est le débiteur de l’obligation, celui qui peut réclamer la prestation est le créancier de l’obligation. Là encore, même si le contrat porte sur autre chose qu’une somme d’argent. Sur cette base simple, le droit des obligations a bâti des distinctions selon les types de contrat avec des règles adaptées à chaque cas.

— Quels sont ces différents types de contrats ?

— la première distinction est le contrat synallagmatique, ou chaque cocontractant est à la fois créancier et débiteur vis à vis de l’autre, du fait que chacun s’engage en considération de la contrepartie promise par l’autre ; on l’oppose au contrat unilatéral ou un des cocontractants est uniquement débiteur et l’autre uniquement créancier.

— Vous avez un exemple ?

— Oui. La vente, de vaccins par exemple, est un contrat synallagmatique : l’acheteur est créancier de 50 millions de doses et débiteur de leur prix. Le vendeur est créancier du prix de vente et débiteur de 50 millions de doses. Une donation est un contrat unilatéral : le donateur s’engage à transférer la propriété d’un bien ou d’une somme d’argent au donataire, sans contrepartie. C’est un contrat car le donataire doit accepter la donation. Le contrat de prêt est aussi un contrat unilatéral, c’est une question piège classique aux examens, car le contrat se forme par la remise de la chose à l’emprunteur. Le prêteur n’est donc débiteur de rien, juste créancier de la restitution de sa chose.

— Vous pouvez donner une autre distinction ?

— Oui : le contrat à durée déterminée, qui inclut le contrat instantané, qui s’exécute en une fois, opposé au contrat à durée indéterminée, qui s’exécute par des périodes successives se reproduisant jusqu’à ce qu’un événement vienne l’interrompre. Par exemple, une vente est un contrat instantané : dès qu’il y a accord sur la chose et sur le prix, la vente est parfaite, et la propriété est transmise immédiatement, avant même que la chose ne change de main. Un contrat de travail, ou un abonnement, est un contrat à exécution successive. Il se renouvelle par périodes, généralement d’un mois, jusqu’à une manifestation de volonté de mettre fin au contrat (qu’on appelle résiliation, j’y reviens), ou tout autre événement prévu par le contrat ou la loi (le décès du salarié met fin au contrat de travail par exemple).

— Vous voulez dire qu’on peut décider de mettre fin à un contrat à durée indéterminée mais pas à un contrat à durée déterminée ou instantané ?

— C’est exactement ce que je veux dire. La révolution a supprimé toute possibilité d’engagement perpétuel, y voyant une façon de rétablir la servitude abolie la nuit du 4 août 1789. Pour un contrat instantané, pas de problème. Il suffit de l’exécuter, de payer l’obligation dit-on en droit, et on est délié. Pour un contrat à exécution successive, qui a une durée indéterminée, la loi permet à chacun des cocontractants d’y mettre fin, à condition de prévenir l’autre suffisamment à l’avance de façon à ne pas lui causer un préjudice du fait de cette rupture. La loi a précisé expressément certains délais : le préavis lors d’un licenciement, le congé pour une location. Pour les autres cas, il faut un délai raisonnable. Au juge de trancher les litiges. Que se passe-t-il, Malika ? Pourquoi regardes-tu ton téléphone mobile ?

— Je crains de comprendre maintenant pourquoi mon opérateur m’a vendu mon téléphone Hello Kitty pour 1 euro en échange d’un engagement sur deux ans…

— Eh oui ! Il a transformé ton contrat à durée indéterminée en contrat à durée déterminée interdisant toute résiliation pendant cette période. Assuré de toucher 24 fois le prix de ton forfait, il t’a vendu un mobile à vil prix, certains de s’y retrouver au final. Il existe d’autres distinctions de contrats (par exemple : contrat commutatif, ou les prestations sont connues à l’avance, comme la vente, où on connaît la chose et le prix, et contrat aléatoire, ou on ne le sait pas, comme le contrat d’assurance, mais restons en à ces deux distinctions qui vont nous être utiles.

— Si j’ai bien compris, le contrat de vente des vaccins était un contrat instantané, commutatif et synallagmatique.

— Excellent ! Reprends donc du thé, tu l’as bien mérité.

— Mais dans ce cas, une vente ne peut être résiliée ?

— Effectivement, et tout juriste n’a pu que bondir en entendant le ministre de la santé proférer cette énormité juridique.

— Mais ne pinaillons pas : Mme Bachelot n’est pas juriste. Elle a pu employer le mot résilier dans un sens plus large. Il doit bien être possible de renoncer à une vente ?

— En principe, non, c’est une pierre angulaire du droit. Pacta sunt servanda, comme crie Sub lege libertas à la machine à café de son tribunal qui a avalé sa pièce mais refuse de lui donner son gobelet. En français, le contrat fait la loi des parties. On ne peut s’en dégager qu’en payant son obligation, ou en obtenant l’accord du vendeur (c’est le mutuus dissensus en latin, le renoncement mutuel), ou encore en obtenant du juge la mise à néant du contrat du fait du refus d’une partie d’exécuter ses obligations, cette faute donnant droit à indemnisation. Cette mise à néant s’appelle la résolution du contrat, qui est rétroactive et donne droit à restitution au profit de celui qui a payé, par opposition à la résiliation, qui ne s’applique qu’aux contrats à exécution successives et ne vaut que pour l’avenir.

— En principe dites vous. Il y a donc des exceptions.

— En droit, toujours. le Code de la consommation permet de dénoncer un contrat en cas de non respect du délai de livraison, par exemple. Le contrat peut aussi prévoir une clause dite résolutoire, qui sera soit liée aux circonstances (évolution du prix d’une matière première ou du taux de change d’une devise), ce qui crée un aléa, soit contre paiement d’une somme déterminée : c’est la clause de dédit. Mais là, on est toujours dans l’exécution du contrat : la clause de dédit n’est qu’une modalité alternative de paiement de l’obligation. Par exemple : je m’engage à vous donner 50 millions de doses avant le 1er février, mais vous avez jusqu’au 1er décembre pour renoncer à votre commande contre paiement de 50% du prix de vente.

— Les contrats passés avec la laboratoires contenaient-ils une telle clause ?

— Non.

— N’était-ce pas imprudent ?

— Vous l’avez dit vous même : Mme Bachelot n’est pas juriste. Plus sérieusement (la ministre n’ayant certainement pas négocié les contrats elle même) je suppose que face à l’impossibilité de fournir toute l’humanité en vaccins, la France a tout fait pour être servie en priorité : les laboratoires ont donc pu imposer leurs conditions comme un dealer face à un junky en manque.

— Mais l’État est cocontractant mais aussi législateur. Il me semble qu’il peut s’affranchir des règles de droit civil pour les contrats le concernant.

— Pas tout à fait. Les contrats passés par l’État sont en effet des contrats qualifiés d’administratifs, mais la conséquence essentielle est que seul le juge administratif est compétent pour connaître du contentieux lié à ces contrats en conséquence du Grand Divorce. Le juge administratif n’hésite pas à imposer à l’État le respect du droit et à indemniser ceux qui ont eu le malheur de contracter avec l’État quand celui-ci décide de ne plus exécuter le contrat. Donc à défaut de solution amiable, les laboratoires iront chanter pouilles à Mme Bachelot devant le tribunal administratif et non devant le tribunal de grande instance ; mais à la fin, il faudra payer.

— L’État est-il donc obligé de prendre livraison de ces 50 millions de doses ?

— Non : il peut renoncer à sa créance. Mais pas à sa dette. Donc il est tenu de les payer. Cela dit, nous sommes entre gens de bonne société. L’État français est un bon client, il faut le soigner. Il va falloir négocier les conditions financières, sans insulter l’avenir, le Gouvernement pouvant avoir vraiment besoin de vaccins face à une maladie réellement létale. Mais dire comme l’a dit Mme Bachelot que cette rupture portant sur la moitié de la commande entraîne ipso facto une économie de la moitié des 712 millions d’euros engagés est absolument faux.

— Qu’aurait-elle dû dire ? Que la vente était résolue ?

— Non car elle ne l’est pas. La résolution a lieu en application d’une clause du contrat ou est prononcée par le juge saisi par une partie si l’autre refuse d’exécuter ses obligations. Ici, il n’y a ni clause ni procès. Donc la France renonce à se faire livrer ces millions de doses et va négocier avec les laboratoires le montant de l’indemnité de rupture de contrat à leur verser. Dans l’hypothèse du pire, qui n’est pas avérée, cela pourrait coûter 712 millions d’euros, le prix prévu départ.

— Pas avérée ? Pourquoi ?

— La commande est répartie ainsi : le britannique Glaxo Smith Kline : 50 millions de doses, le français Sanofi-Aventis : 28 millions de doses, le Suisse Novartis : 16 millions de doses. Sanofi Aventis a renoncé à demander des indemnités pour les 9 millions de doses restant à livrer, car il peut les vendre à des pays d’Asie (et on ne se fâche pas avec l’État en France). Pour Novartis, c’est la moitié de sa commande qui lui reste sur les bras, et pour GSK, les deux tiers. Eux par contre ne vont pas passer ça par pertes et profit. Le montant de ces indemnités devra être publié et connu du grand public, car c’est de la gestion des deniers de l’État dont il s’agit. En tout cas, faire croire que la dette disparaît d’un coup de baguette magique est du mensonge pur et simple.

— 712 millions d’euros, cela donne le tournis, quand je pense à mes indemnités de stage.

— Et encore, c’est oublier la commande massive de Tamiflu®, médicament antiviral dont l’efficacité sur le H1N1 est douteuse, et dont certains stocks vendus expirent dans quelques mois (source : Europe 1). La France a acheté 10% du stock mondial de vaccin mais 30% du stock mondial Tamiflu®. Le coût total de l’opération vaccination dans les gymnases, avec le coût des personnels de santé, est de 2,2 milliards d’euros, soit à titre indicatif trois fois le déficit 2008 des hôpitaux publics, où on supprime un fonctionnaire sur deux pour faire des économies (et 30% du budget de la justice, prisons comprises). Je sais qu’une opération de com’ n’a pas de prix, surtout si c’est pour dire qu’on a sauvé la vie de ses électeurs, mais tout ça pour 4,5 millions de personnes vaccinées (7% de la population), ça fait tout de même 488 euros par personne vaccinée. On a vu meilleure gestion des deniers publics.

— Oui, mais on apprend de ses erreurs.

— Jamais en politique, puisque Mme Bachelot ne cesse de claironner que si c’était à refaire, elle referait exactement la même chose. Au moins, j’espère que la prochaine fois, elle emploiera un vocabulaire juridique plus adéquat. À ce prix là, c’est le moins qu’on puisse exiger.

mardi 12 janvier 2010

Le nom dit s’écrit.

par Sub lege libertas


L’article premier de la loi du 6 fructidor an II (23 août 1794) pose le principe de l’immutabilité des noms de famille. On ne peut donc rien ajouter ou retrancher à son nom complet sous peine de prison et d’amende. Cette même loi interdit également sous peine de sanction pénale à tous fonctionnaires publics de désigner les citoyens dans les actes autrement que par le nom de famille. Tout cela est encore parfaitement en vigueur, y compris la répression pénale qui est désormais précisée dans le code pénal (article 433-19).

On ne plaisante donc pas avec l’application de loi en matière de nom. Les ajouts même pata-typographiques sont prohibés, fussent-ils introduit par une comique circulaire créant le double tiret. Le Conseil d’Etat appela le Garde des Sceaux à tirer un trait dessus dans un arrêt comme nous le narra Maître Eolas il y a peu.

Grâce à ce billet, je me remémorai donc cette loi de la Convention, dont l’actualité quotidienne ne peut échapper à un magistrat du Parquet. En effet depuis 1803, l’article 53 du code civil confie au procureur de la République la surveillance de l’Etat civil et c’est à lui que l’officier d’état civil doit soumettre les questions qui se posent quant aux mentions à porter, par exemple, dans un acte de naissance, ainsi que le rappelle l’article 57 du même code.

- Quand je serai grand, je serai président ! - Mais, c'est quoi ton nom ?

Je suis sans doute un diptéro-sodomite aérien, mais je constate, comme l’eût fait le procureur de Paris d’alors, que l’officier d’Etat civil du 17e arrondissement de la ville de Paris, le 28 janvier 1955, a très scrupuleusement respecté cette grande loi révolutionnaire sur l’immutabilité du nom de famille. Il a ainsi enregistré la naissance, ce jour-là, de Nicolas, Paul, Stéphane, fils de Paul Sarközy de Nagy-Bocsa et Andrée Mallah, son épouse.

Le père est né à Budapest le 5 mai 1928. Son nom est alors nagybócsai Sárközy Pál, car en hongrois le prénom (Pál) est postposé et nagybócsai est un adjectif nobiliaire antéposé qui se traduit par “de Nagy-Bocsa”. Son père réfugié en France après 1944 fut naturalisé français et choisi à cette occasion de franciser son nom et son prénom en Paul Sarközy de Nagy-Bocsa. Etant né fils légitime d’un français en France, le nouveau né de 1955 est français de naissance et porte selon la loi alors en vigueur le nom de son père. Le nom, tout le nom et rien que le nom.

Or la lecture du journal officiel me conduit à penser que je suis toujours destinataire d’une version sans cesse remplie de coquilles, puisqu’il semble que le bambin né le 28 janvier 1955 a certes un peu grandi, mais voit son nom toujours raccourci. A moins que le Nicolas Sarkozy (sans tréma) qui y est très régulièrement mentionné comme signataire de nombreux actes ne soit pas le même... Mais qui avons nous élu alors à la Présidence de la République ?

La guillotine n'égalise plus les citoyens, mais le Journal des lois peut encore les raccourcir, nominativement.

Nonobstant la prohibition pénale de noms incomplets ou rallongés dans les actes officiels ou administratifs, certains ne manquent pas de me faire observer que les usages font que l’on appelle courtoisement par une partie de leur nom, les titulaires d’un nom à rallonges : “D’Ormesson” et non “Le Fèvre d’Ormesson”. L’us oral - et je ne parle pas de ceux qui apostrophe notre doyen de l’Académie Française d’un familier “Jean d’O” le faisant cousiner avec l’héroïne de Pauline Réage - m’importe peu, vous l’avez compris, puisque ma raideur judiciaire commande l’application des verges légales pour corriger les rédactions inexactes dans les actes officiels.

Alors faisons un petit tour de quelques corrections nécessaires au Journal officiel qui devrait recruter des spécialistes de la rectitude orthographique, ce d’autant que la profession de correcteur typographique semble en péril.

Philippe de Villiers, ancien secrétaire d'État chargé de la Communication (20 mars 1986 - 26 juin 1987), ancien député, devrait y être nommé Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon, comme son frère Pierre, le général chef du cabinet militaire du Premier Ministre François Fillon. Cet exemple permet de rappeler, comme l’indique un avocat blogueur septentrional facétieux bien renseigné, comment par une adoption très républicaine, les enfants de son feu aïeul Louis Le Jolis de Villiers et de sa veuve née Jeanne de Saintignon devinrent des Le Jolis de Villiers de Saintignon. Cela vous pose certes son homme comme être de garenne, vous pose un alpin selon Alphonse Allais, mais rappelons pour éclairer ce mystère, les effets de l’article 363 du Code civil qui dispose que l'adoption simple confère le nom de l'adoptant à l'adopté en l'ajoutant au nom de ce dernier.

Et comme l’agité du bocage (copyright Canard Enchaîné) me fait penser à un authentique vendéen, peut-on me dire pourquoi l’ancien Ministre des Affaires étrangères (18 mai 1995 - 2 juin 1997) Hervé de Charette n’est pas nommé à ce ministère sous son nom Hervé de Charette de La Contrie, comme son parent anti-révolutionnaire François Anasthase ? Observons d’ailleurs que ce raccourcissement n’est pas opéré dans les actes de nomination de son cousin Patrice de Charette de La Contrie, actuel président de chambre à la cour d’appel de Toulouse. Ce dernier fut dans les années 1975, avec son complet patronyme chouan, surnommé le “juge rouge” pour avoir, juge d’instruction à Béthune, incarcéré un patron responsable pénal d’un accident mortel du travail !

J’attendrai le 28 janvier 2010 pour souhaiter un bon cinquante cinquième anniversaire au noble Nicolas Sarközy de Nagy Bocsa ; ou, me souvenant qu’il y sera mentionné comme partie civile sous ce nom-là, lire le jugement de affaire dite Clearstream rendu à cette date. Je ne doute pas que dans la liste des prévenus, figurera par ordre alphabétique à la lettre G : Galouzeau de Villepin, Dominique. Je rassure mes lecteurs distraits, je cesse ici la liste des Galouzeau de Villepin, Sarközy de Nagy Bocsa et autres qui, par aphérèse ou apocope, se taillent un nom.

lundi 11 janvier 2010

Schadenfreude

C’est par dizaines que vous me l’avez signalé ; donc, ne serait-ce que pour mettre fin au flux, j’en prends acte officiellement.

L’un des objectifs de ce blog depuis son ouverture a été de créer un espace de dialogue, particulièrement entre avocats et magistrats, tant nos deux professions se connaissent mal (j’espère pouvoir un jour employer l’imparfait pour écrire cette phrase), ce qui est source de malentendus dans les deux sens, tant les préjugés et idées reçues sont promptes à se glisser dans les places laissées vides par l’ignorance.

De ce point de vue, je ne puis que me réjouir que des membres de nos deux professions passent un jour de l’une à l’autre. Mme Michèle Bernard-Requin, que l’on voit dans le documentaire de Raymond Depardon “10e chambre”, est une ancienne avocate devenue magistrate. Bruno Thouzellier, ancien président de l’Union Syndicale des Magistrats (USM) en 2006, organisation majoritaire chez les petits pois, honore à présent le barreau de Paris de sa présence. Ca ne peut être qu’une bonne nouvelle.

Puisque ça ne peut être qu’une bonne nouvelle, je n’ai donc d’autre choix que de me réjouir de l’annonce de l’arrivée prochaine au sein de notre barreau de madame Rachida Dati, magistrate détachée (poste qu’elle occupe avec talent), maire du 7e arrondissement de Paris, et député européen, du moins quand la presse est là. A ce propos, on me demande régulièrement comment je fais pour mener de front mon activité d’avocat et ce blog, pour ma part, je me trouve limite fainéant comparé à mon futur confrère ou à mon autre confrère Jean-François Copé, qui à côté de son activité d’avocat, trouve aussi le temps d’être maire de Meaux, président de la communauté de communes du pays de Meaux, député, président du groupe UMP à l’assemblée, et qui a même réussi à caser dans son agenda la rédaction d’un rapport sur l’audiovisuel public. En fait, on ne devrait pas me demander comment je trouve le temps de tenir mon blog mais pourquoi je ne fais que tenir un blog en plus de mon activité d’avocat.

Je n’ose me lancer dans un panégyrique des mérites de ma future consœur, car pour être fidèle à ma réputation, je dois faire un billet long. Son arrivée au sein de notre grande famille confraternelle me permet toutefois d’aborder une question qu’en plus de cinq ans, je n’ai jamais traitée : comment devient on avocat, et pourquoi autant d’hommes et de femmes politiques de tous bord choisissent-elle d’embrasser cette belle carrière ?

Comment ?

La voie normale pour accéder à la profession est de passer l’examen d’accès aux Centres Régionaux de Formation Professionnelle des Avocats (CRFPA), au nombre de 15 pour toute la France[1]. C’est cet examen, qui s’apparente à un concours du fait que chaque fac a un numerus clausus d’étudiants à y envoyer, est la vraie sélection. Il est ouvert aux étudiants en droit titulaires d’un master I en droit (diplôme sanctionnant quatre années d’étude) ou d’un diplôme reconnu comme équivalent ; à ma connaissance, il n’y en a qu’un, le diplôme de Science Po Paris mention “carrières judiciaires et juridiques et droit économique”.

Cet examen se divise en deux parties : l’admissibilité, qui est le gros écrémage, est la partie écrite. Il y a une note de synthèse de cinq heures (vous avez un gros dossier documentaire, vous devez en faire une synthèse organisée sur quatre pages), deux compositions juridiques, une en droit des obligations (l‘alma mater du droit) et une dans une discipline au choix parmi les trois procédures civile, pénale et administrative, un cas pratique de trois heures sur une matière au choix[2].

Ceux qui ont la moyenne sur l’ensemble de ces épreuves passent l’admission, constitué d’épreuves orales, toutes publiques, au nombre de cinq : un oral sur une des matières non choisie pour la composition écrite, un oral de pocédure communautaire OU voies d’exécution (matière qui ne traite pas de fusillade, pendaison et guillotine mais de saisies et adjudications), un oral de comptabilité privée OU de finances publiques, un oral de langue étrangère et enfin le redoutable Grand Oral (Prononcer Grand Toral), ou grand O (prononcer Granto) : une demi heure face à un professeur de droit, un avocat et un magistrat, 15 minutes sur un sujet tié au sort que vous aurez préparé pendant une heure en bibliothèque avec accès à tous les codes et lois, et 15 minutes sous la mitraille des questions du jury qui vise non pas à voir l’étendue de vos connaissances mais à voir comment vous réagissez sous la pression, vous sortez des pièges qui vous sont tendus et comment vous réagissez face à une question dont vous ne connaissez pas la réponse — même si en ce qui me concerne, le jury n’a pas réussi à trouver cette question en une demi heure (sourire satisfait).

Source : Arrêté du 11 septembre 2003 fixant le programme et les modalités de l’examen d’accès au centre régional de formation professionnelle d’avocats.

Cet examen réussi, vous vous inscrivez à un Centre Régional de Formation professionnelle des Avocats où vous suivrez une scolarité de 18 mois (vous êtes élève avocat), divisée en trois parties : 6 mois de formation théorique portant notamment sur le statut et la déontologie professionnels, la rédaction des actes juridiques, la plaidoirie et le débat oral, les procédures, la gestion des cabinets d’avocats ainsi que sur une langue vivante étrangère. 6 mois de projet pédagogique individuel (PPI), pouvant être porté à 8 mois, qui doit être un stage extérieur au monde de la justice, et enfin six mois de stage en cabinet d’avocat, rémunéré entre 700 et 1000 euros par mois selon la taille du cabinet.

Au terme de cette formation, l’élève avocat passe le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA), et vous n’avez plus qu’à vous inscrire à un Barreau (ce qui au préalable impose de justifier d’un domicile professionnel dans le ressort du Barreau) et à prêter devant la première chambre de votre cour d’appel le magnifique serment des avocats : je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignitié, conscience, indépendance, probité et humanité.

L’avocat peut à présent faire connaissance de ses nouveaux amis toujours fauchés : l’URSSAF[3], le RSI[4], la CNBF[5], outre l’Ordre et sa RCP[6] et le Trésor Public[7].

Est-ce à dire que Mme Dati a brillamment réussi ce difficile examen a achevé en 6 mois une scolarité qui en dure 18 ? Naturellement, non.

Mme Dati a déjà démontré que les examens, elle aimait autant s’en passer. Après avoir évité de passer le concours d’accès à l’école nationale de la magistrature (ENM) grâce à son quasi-MBA, il était tout à fait naturel qu’elle prétât serment en empruntant un chemin de traverse, celui là même qu’ont suivi Noël Mamère, Christophe Caresche, Dominique de Villepin, Ségolène Royal, Frédéric Lefebvre, et Jean-François Copé entre autres : celui de la passerelle des art. 97 et 98 du décret du 27 novembre 1991 organisant la belle et noble profession d’avocat (titre approximatif). Sont en effet dispensés de tout examen et formation et peuvent directement prêter serment après accord du Conseil de l’Ordre toute une série de personnes, soit de par leur profession (art. 97) soit de par leur expérience (art. 98).

Et tel est le cas des magistrats de l’ordre judiciaire (art. 97, 3°), ce qu’est Madame Dati nonobstant son détachement en date du 21 août 2007, détachement qui à ma connaissance n’a pas pris fin ce qui peut d’ailleurs poser problème, puisque le détachement ne fait pas perdre la qualité de magistrat (la mise en disponibilité, si, provisoirement), les fonctions d’avocat et de magistrat étant incompatibles, mais cette question concerne le Conseil Supérieur de la Magistrature et non le Conseil de l’Ordre des avocats de Paris.

Pourquoi ?

Croyez-moi, je me la suis posé, cette question, en sanglotant d’abondance. Je n’ai aucune réponse définitive à apporter. J’aime à croire que le prestige de notre profession y est pour un peu. Plus prosaïquement, la carrière politique est soumise à certains aléas, qui relève selon la catégorie du politicien de la fidélité de ses électeurs ou de la disgrâce du Prince. Et si gouverner c’est prévoir, vouloir gouverner impose la même obligation. D’où le cumul des mandats, qui fait que quand l’un cesse, il reste l’autre pour se consoler. Il n’y a pas de statut de l’élu en France, et hormis pour les parlementaires, il n’existe pas de caisse de retraite ou de parachute doré (même si la République est bonne fille et est experte pour recaser les élus déchus). La profession d’avocat donne une perspective post-vie politique.

En outre, la profession d’avocat, ce n’est pas que la plaidoirie devant les juges. À Paris, et à Nanterre dans le ressort duquel se trouve la Défense, la majorité des avocats ne mettent jamais la robe et ne voient jamais le nez d’un juge. C’est l’activité de Conseil, ou juridique opposé au judiciaire (comme si le judiciaire n’était pas juridique !), ou encore les avocats d’affaire, qu’un dicton ancien et affectueux au sein du Barreau définissait comme “ceux qui n’en ont pas”, d’affaires. C’est cette activité que mes illustres nouveaux confrères entendent exercer, que les justiciables se rassurent. Car la profession d’avocat, dont l’exercice simultané avec des mandats politique n’est pas incompatible (j’y reviens), permet de monétiser tout à fait légalement l’actif le plus précieux d’un élu : ses connaissances du fonctionnement de la machine de l’État, et son carnet d’adresses. Souvent il faut négocier avec des administrations ou des établissements publics où la hiérarchie est hors d’atteinte (la seule fois que j’ai été face à un préfet, c’était le jour où il venait présenter ses compliments à la juridictions administrative qui allait lui pourrir la vie, , ayant pris son poste il y a peu. J’étais dans le hall, attendant le début de l’audience de reconduite à la frontière, et, après avoir serré la main des policiers de l’escorte dont il est le supérieur hiérarchique, il m’a salué d’un cordial “Puisque vous êtes là, il faut bien que je vous salue”. Authentique.

Les élus, eux, ont le numéro de portable du préfet qu’ils tutoient même peut-être. Ou de tel directeur du Trésor apte à négocier un redressement délicat. Ou même déjeunent avec le ministre en charge du dossier. Ou peuvent rapidement obtenir les coordonnées du conseiller en charge. Etc.

Je vous vois froncer les sourcils. Les plus pointus d’entre vous murmurent peut être même les mots “trafic d’influence”. Précisément, l’avocat est encadré par sa déontologie (qui est rigoureuse, vous allez voir) et sait jusqu’où il peut aller. Négocier directement avec les administrations, si possible en sautant par dessus l’agent de guichet, c’est aussi le travail de l’avocat. À Bercy, ça se fait au quotidien. Vous croyez que les contribuables figurant sur la fameuse liste des 3000 évadés fiscaux vont aller en personne voir leur percepteur leur carnet de chèque UBS à la main ? Une armée de fiscalistes s’occupe de leur cas pour négocier au mieux leur venue à Cannossa. C’est à dire le montant du chèque qu’ils signent pour qu’on leur fiche la paix : pas de redressement, pas de poursuites. C’est parfaitement légal. Et un élu ou ancien élu, pour ce genre de travail, c’est aussi utile qu’un juriste élevé au Code Général des Impôts (sous la réserve déontologique ci-dessous).

Voilà le genre d’activité auxquels ceux qui exerceront réellement la profession se livreront. Je ne pense pas voir Mme Dati dans les couloirs du palais, sauf si je la croise au sortir de sa prestation de serment.

Est-ce à dire que Mme Dati pourra être commise pour défendre un récidiviste contre une éventuelle peine plancher ?

Comme j’aimerais, même si je ne sais si je dois le souhaiter ! Hélas, c’est rigoureusement impossible. Je doute que le pénal intéresse Mme Dati, elle a passé ces dix dernières années à la démontrer, et à Paris, seuls les volontaires peuvent être commis d’office, et après avoir suivi une formation spécifique. De plus, le règlement intérieur du Barreau de Paris prévoit (art. P. 41.5) qu’un avocat ancien fonctionnaire ne peut conclure ni plaider contre les administrations ressortissant au département ministériel auquel il a appartenu, pendant un délai de cinq ans à dater de la cessation de ses fonctions. Et comme je l’ai déjà signalé, à ce jour, Mme Dati n’a pas officiellement cessé ses fonctions. Cependant, je ne sais pas si l’Ordre estime que plaider face au ministère public revient à plaider contre l’administration dont on relevait. Le ministère public n’est pas le ministère de la justice ; c’est le représentant de la société devant les tribunaux. C’est très différent. j’ajoute que mon confrère Bruno Thouzellier, qui n’a décousu ses simarres qu’en 2008 est en charge d’un département pénal des affaires dans son cabinet, ce qui le conduit à être opposé au ministère public. Cela semble donc possible. Si un membre du Conseil de l’Ordre passe par là, ses lumières seront les bienvenues.

S’agissant de ses mandats électifs de maire de Paris 7e et député européen, dont on sait le sérieux avec lequel elle les exerce, c’est l’article P.41.2 qui s’applique. Le cumul des mandats va ici sérieusement réduire le champ d’activité de ma future consœur : elle ne peut toucher à aucun dossier concernant l’État et ses émanations, les institutions européennes, les collectivités publiques que sont les régions, les départements, les communes, dont la ville de Paris et ses établissements. Ca fait du monde. Mais elle peut par exemple conseiller la maison Dior.

Mais je ne doute pas que le cabinet où elle va exercer, l’AARPI[8] Sarrau Thomas Couderc ai-je cru comprendre trouvera à l’occuper. Elle y retrouvera son ancien collègue Bruno Thouzellier, dont je vous parlais plus haut. Ils auront, j’en suis sûr, plein de choses à se dire.

Notes

[1] Ils se situent à Paris, Versailles, Lille, Strasbourg, Villeurbanne, Marseille, Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Poitiers, Rennes, Bastia, Sainte-Clotilde (La Réunion), Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) et Fort-de-France (Martinique).

[2] Choisie parmi les suivantes : - droit des personnes et de la famille ; - droit patrimonial ; - droit pénal général et spécial ; - droit commercial et des affaires ; - procédures collectives et sûretés ; - droit administratif ; - droit public des activités économiques ; - droit du travail ; - droit international privé ; - droit communautaire et européen ; - droit fiscal des affaires.

[3] Ce sont les allocations familiales que vous financez.

[4] Régime Social des Indépendants, l’assurance maladie.

[5] Caisse nationale des Barreaux Français, la caisse de retraite des avocats.

[6] Responsabilité Civile Professionnelle obligatoire, de l’ordre de 1200 euros par an à Paris.

[7] Impôt sur le Revenu, Taxe professionnelle, TVA.

[8] Association À Responsabilité Professionnelle Individuelle ; prononcer “Harpie”.

vendredi 8 janvier 2010

In memoriam Philippe Séguin

Je ne puis m’empêcher d’ajouter ma parole au flot de louanges qui accompagne l’annonce du décès brutal de Philippe Séguin, mais l’émotion que je ressens de ce fait est certaine. Et si un blog ne sert pas à exprimer ce qu’on ressent face à une telle perte et expliquer pourquoi, je me demande bien à quoi ça sert.

Je ne connaissais bien sûr pas Philippe Séguin personnellement, mais uniquement par sa carrière politique et professionnelle. Ceux qui l’ont connu sont ceux qui pleurent en parlant de lui, vous voyez à qui je fais allusion. Philippe Séguin

Philippe Séguin (crédit photo: cour des comptes ; sans jeu de mot, je compte sur sa compréhension, je trouve que cette photo est parfaite pour lui rendre hommage) était l’actuel premier président de la cour des comptes. C’était donc un magistrat, leur statut leur donne ce titre, mais d’un corps distinct des magistrats judiciaires (juges et procureurs, les magistrats stricto sensu) et administratifs (conseillers des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, Conseil d’État). C’est un ordre de juridiction spécifique, rattaché à l’ordre administratif, dont la fonction est de vérifier les comptes des fonctionnaires en charge de valider chaque dépense publique (qu’on appelle les comptables publics), et de manière plus générale de vérifier la gestion des administrations, organismes publics, établissements publics et privés recevant des subventions de l’État. Autant dire que le terrain d’action est vaste.

A côté de sa carrière à la Cour des comptes, il a eu une longue carrière politique, essentiellement parlementaire, commencée en 1978.

C’était un homme politique que je respectais beaucoup, et mes lecteurs savent qu’ils sont peu nombreux dans ce cas, malgré mes opinions divergentes sur l’Europe. Pour vous expliquer pourquoi, je voudrais vous inviter à lire le Journal Officiel des débats parlementaires, pour un moment d’éloquence parlementaire comme il n’y en que trop rarement.

Nous sommes le 17 septembre 1981. L’assemblée est saisie en première lecture du projet de loi porté par le Garde des Sceaux Robert Badinter portant abolition de la peine de mort. Robert Badinter vient de prononcer son discours entré dans l’histoire, qui s’est passé dans une ambiance électrique, les opposants à l’abolition jetant leurs dernières forces dans la bataille, parfois jusqu’à l’ignominie, comme quand Hyacinthe Santoni osera jeter à la figure de Robert Badinter le nom d’un de ses clients qu’il avait en vain défendu contre la peine de mort et avait accompagné jusqu’au supplice. Pascal Clément (oui, le Garde des Sceaux de 2005 à 2007) soutient la question préalable, qui vise, pour simplifier, à rejeter le texte sans débat. A la demande de Robert Badinter, c’est Philippe Séguin, député RPR et abolitionniste convaincu depuis longtemps (aux côtés de Jacques Chirac, qui s’était lui aussi prononcé pour l’abolition lors de la campagne présidentielle de 1981) qui va prendre la aprole contre la question préalable de Pascal Clément.

Beau geste et fine manoeuvre, les deux ne sont pas incompatibles. Beau geste car il permet à Philippe Séguin, qui avait déjà soutenu une proposition de loi portant abolition lors de la précédente législature, de prendre part au combat final. Fine manoeuvre car face à Philippe Séguin, les députés opposés à l’abolition vont être obligés d’écouter plus respectueusement.

Et ce qui va suivre est un des plus beaux moment d’éloquence parlementaire de l’histoire de la république. Une leçon de rhétorique pour tous les avocats, Et de respect de l’adversaire pour tout le monde. Voyez comment il va capter la bienveillance de l’auditoire, rejeter tout anathème à l’encontre de ses adversaires, réfuter leurs arguments tout en rappelant combien ils sont respectables. C’est ici.

C’est un .pdf, désolé, ça commence page 10 du document, milieu de la colonne de droite.

Mise à jour : Un administrateur de l’assemblée nationale m’informe qu’à la suite de mon billet, le site de l’assemblée a intégré ce discours au format html sur la page consacrée à Philippe Séguin ès qualité d’ancien président de l’assemblée. Merci mille fois, le confort de lecture est amélioré et ce discours sera désormais indexé par les moteurs de recherche taxés.

Voilà, c’était Philippe Séguin. Je suis sûr que même les magistrats financiers qui étaient en désaccord avec sa politique de réforme des chambres régionales des comptes, qu’il avait décidé de regrouper en structures interrégionales, sont eux aussi touchés par son décès. C’est au nombre de ses adversaires qui le pleurent qu’on juge le mérite d’un homme politique. Et Philippe Séguin était de ce point de vue extraordinaire.

lundi 4 janvier 2010

circulaire du double nom de famille : le Conseil d'État a décidé de tirer tirer un trait

Le Conseil d’État vient de sonner le glas d’une invention d’un patajuriste[1] qui a donné des coups de sang à bien des parents.

La solution donnée par le Conseil d’État (CE, 2e et 7e s.sections réunies, 4 décembre 2009, Mme D…, n°315818) ne surprendra aucun juriste ; tout au plus suis-je surpris que cela ait mis autant de temps. Mais néanmoins, tant la simplicité de la solution juridique que le mécanisme un peu plus subtil par lequel le juge administratif a fini par y arriver nous permettent un intéressant voyage dans le pays du droit administratif, qui est le pays du légalisme pointilleux, vous allez voir.

Tout commence avec la loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille. Cette loi change profondément les règles d’attribution du nom patronymique, qui devient désormais le nom de famille, l’étymologie de patronyme signifiant “nom du père” ayant été jugée trop sexiste.

L’apport esentiel de cette loi est qu’elle donne aux parents d’un premier enfant dont la filiation est établie à l’égard de ses deux parents au plus tard le jour de la déclaration de sa naissance ou par la suite mais simultanément, un choix : lui donner comme patronyme nom de famille le nom du père OU le nom de la mère OU le nom du père accolé à celui de la mère OU celui de la mère accolé à celui du père.

Exemple : Léon Pater et Alma Mater ont un enfant, Sganarelle. Ils peuvent au choix l’appeler Sganarelle Pater, Sganarelle Mater, Sganarelle Pater Mater ou Sganarelle Mater Pater. Platée, leur deuxième enfant, s’appellera obligatoirement comme son frère Sganarelle : ce choix est définitif et intangible. À défaut de choix exprimé, l’enfant prend le seul nom du père. C’est l’article 311-21 du Code civil.

Toutefois, quand Sganarelle et Platée enfanteront à leur tour, ils devront choisir lequel de leurs deux noms ils transmettront (ils ne peuvent trnasmettre qu’un seul des deux), s’ils ne transmettent pas celui de leur conjoint seul. Les deux choix sont en revanche autonomes : Sganarelle peut décider d’appeler son fils Géronte Pater Dupont, et Platée sa fille Célimène Mater Durand. La décision d’un frère ne lie pas la fratrie.

Une circulaire du 6 décembre 2004 avait donné aux officiers d’état civil les instructions d’application de cette loi.

Or une circulaire d’application ne peut être que cela : un mode d’emploi de la loi. Elle ne peut rien y rajouter ou y enlever, faute de quoi le ministre porterait atteinte à la loi, ce que la Constitution lui interdit.

Et dans le cas de la circulaire du 6 décembre 2004, les ministres concernés s’étaient lâchés.

En effet, notre patajuriste est entré un matin essouflé dans leur bureau, le journal officiel à la main, en criant “Ve ! Ve ! ve !”[2]. La loi est mal faite, il faut intervenir”. En effet, s’était-il avisé, il existe déjà des noms de famille composés de plusieurs mots. Par exemple : Giscard d’Estaing, Galouzeau de Villepin, ou Sarközy de Nagy Bocsa. Les noms qui le composent sont séparés d’une espace[3]. Depuis la loi du 23 décembre 1985 (art. 43 toujours en vigueur), il était loisible d’adjoindre à son nom de famille soit le nom de celui de ses deux parents qui n’a pas transmis le sien, soit celui de son époux si on est marié. Il est d’usage de séparer les deux noms par un tiret pour distinguer le nom d’usage du nom de famille. Exemple : Carla Bruni Tedeschi (notez l’espace) peut se faire appeler à titre de nom d’usage Carla Bruni-Sarkozy (notez le tiret).

Jusque là, les ministres concernés suivent mais ne voient pas de quoi fouetter un chat.

“Mais c’est pourtant diaphane, s’exclame notre patajuriste. Nom composé : une espace. Nom d’usage : un tiret. Et la loi vient de créer une troisième hypothèse : le nom de famille cumulé. Or il convient de distinguer puisqu’un seul des deux noms cumulés peut être transmis, tandis que le nom composé se transmet d’un bloc.”

Reprenons cette affirmation : Monsieur Casimir Giscard d’Estaing épouse Mme Diane Spencer. Elle peut se faire appeler Giscard d’Estaing-Spencer à titre de nom d’usage. Le tiret sépare les deux noms de famille (Giscard d’Estaing et Spencer) tandis que les composantes du nom de famille de l’époux, Giscard, la particule De et Estaing, sont séparés par une espace.

“Il faut donc décider d’un moyen typographique de distinguer le nouveau nom de famille cumulé, intransmissible d’un bloc”, affirme notre patajuriste. Et puisque l’espace est prise, puisque le tiret est pris, la logique est donc de prendre… deux tirets.

Ainsi, Sganarelle s’appellera Sganarelle Pater—Mater.

Éblouis par le génie patajuridique de leur serviteur au point d’oublier qu’il est facile de faire la différence puisque le fait que le nom résulte d’une déclaration commune est tout simplement inscrite dans l’acte de naissance (art. 57 du Code civil), les ministres signent la circulaire du 6 décembre 2004, qui va imposer aux officiers d’état-civil de séparer les deux noms de famille par un double tiret.

Mais que faire si un citoyen irascible s’avise que la loi ne dit rien de tel, que la langue française comme la typographie mondiale ne connaissent rien de tel que le double tiret et estiment que cette disgracieuse graphie souille l’acte de naissance de leur enfant ? Une solution simple et républicaine a été trouvée : dans ce cas, l’officier d’état civil enregistrera d’office et contre la volonté exprimée des parents le seul nom du père. Là encore alors même que rien dans la loi ne permet à un simple officier d’état civil de passer outre ce droit qu’elle institue. Double illégalité.

Autant dire que les jours de cette circulaire étaient évidemment comptés.

Et pourtant elle a tenu cinq ans.

Des parents procéduriers et accessoirement juristes d’une école allergique au patadroit (on l’appelle la Faculté de droit) ont commencé à exercer des actions en rectification d’acte d’état civil de leur chérubin. Cette action consiste à saisir le tribunal de grande instance, seul compétent en matière d’état civil, lui demandant de constater que ce double tiret, qui n’a aucun fondement légal, ne peut être qu’une erreur et doit être ôté. Les tribunaux ont fait droit à toutes ces requêtes à ma connaissance. Bien obligé, puisque la circulaire du 6 décembre 2004 ne pourrait être invoquée par le parquet quand bien même le voudrait-il, puisqu’une circulaire n’est pas source du droit. Peu importe les élucubrations d’un ministre, dans les palais de justice, la loi seule est la loi, telle que votée par les assemblées.

Néanmoins, une personne a voulu quant à elle la peau de cette circulaire et l’a obtenue. C’est maintenant que nous entrons dans les abysses du droit administratif. Mettez votre scaphandre et suivez-moi.

S’agissant d’une demande visant à annuler un acte par lequel un ministre donne des instruction à son administration, nous sommes dans le cas d’un recours en excès de pouvoir, domaine de compétence du juge administratif. S’agissant d’un acte d’un ministre, c’est le Conseil d’État qui est directement compétent (je ne retrouve plus le texte pertinent… un petit pois sans robe pour me souffler ?).

Mais le recours en excès de pouvoir est enfermé dans un délai de deux mois. Il fallait saisir le juge administratif dans les deux mois de la publication de la circulaire, soit aux alentours du 6 février 2005 au plus tard. Or notre requérant, qui est une requérante, a sonné l’hallali en mars 2008. Elle est hors délai.

Mais le droit administratif est subtil. Il permet de contourner cette fin de non recevoir. La requérante va d’abord adresser au premier ministre une lettre recommandée avec accusé de réception lui demandant de retirer ou à défaut d’abroger cette circulaire.

Le retrait d’un acte administratif consiste à l’abroger rétroactivement. Ce retrait n’est possible que dans le délai du recours de deux mois. L’abrogation ordinaire, elle, ne vaut que pour l’avenir.

Le premier ministre ne va rien faire, ce qui résume assez bien ses fonctions depuis juin 2007.

Peu importe : la loi considère qu’un silence de deux mois gardé par l’administration à qui une demande a été faite vaut décision implicite de rejet. Et cette décision nouvelle peut être attaquée dans un délai de deux mois. Ce que va faire notre requérante.

Le Conseil d’État ne va donc pas directement examiner la légalité de la circulaire du 6 décembre 2004, horresco referens, ça lui est interdit car le délai de recours de deux mois a expiré. Mais il va se demander si le ministre compétent n’aurait pas dû faire droit à cette demande d’abrogation d’une circulaire illégale. Car pour le juge administratif, l’administration a l’obligation d’abroger tout acte illégal qu’on lui signale. Il va donc devoir examiner la légalité de la circulaire du 6 décembre 204, mais uniquement parce qu’il est obligé, hein… Ce genre d’acrobaties juridiques fait la joie des étudiants en droit public et leur donne auprès de leurs camarades de droit privé une réputation de geek du droit qui n’est pas forcément usurpée.

Le Conseil d’État va estimer d’abord que le ministre compétent, le ministre de la Justice, a bien été saisi de la question par la lettre adressée au premier ministre. C’est lui le chef, il était tenu de transmettre la demande au ministre de la justice voire lui ordonner d’y faire droit.

Il va ensuite estimer que la demande de retrait est infondée, car présentée bien au-delà du délai de recours de deux mois.

Mais il va estimer que la demande d’abrogation, elle, devait être examinée.

Or le Conseil d’État va constater que la circulaire impose un signe typographique que la loi ne mentionne nulle part, et en cas de contestation du parent déclarant, obligera l’officier d’état civil à inscrire un autre nom que celui choisi par les deux parent,s ce que la loi ne prévoyait pas non plus.

En ajoutant à la loi, alors qu’il n’est pas titulaire du pouvoir législatif, le ministre a excédé ses pouvoirs, entâchant ainsi cette circulaire du vice d’incompétence. Et ça, c’est mal.

Le refus d’abroger la circulaire illégale est donc lui-même illégal et est annulé. Le Conseil d’État n’annule pas la circulaire (puisque je vous dis qu’il n’en avait pas le droit) mais concrètement, met le garde des sceaux dans une situation où elle n’a pas d’autre choix que de le faire. En attendant, les officiers d’état civil continueront à inscrire les ignobles —. Ne protestez pas, la solution est ci-dessous.

Concrètement, pour les enfants à double tiret, ça change quoi ?

Rien. Un acte d’état civil, fut-il erronné, fait foi jusqu’à sa rectification par un jugement. Il faut donc que la justice ordonne cette rectification.

Mais l’illégalité de cette circulaire, seule base juridique, ou patajuridique en l’espèce, à la scarification du nom de famille, étant à présent consacrée, les parquets n’ont d’autre choix que de soutenir ces démarches.

Donc vous avez le choix, l’option lente et gratuite et la rapide et payante.

La lente, vous écrivez au procureur de la République du lieu où est enregistré l’acte de naissance de votre enfant bafoué, et vous lui demandez de faire rectifier l’acte d’état civil (art. 99 du Code civil : une erreur dans la graphie du nom est essentielle). Il est obligé de le faire mais le fera quand il aura le temps. Et il n’en n’a pas beaucoup, le législateur y veille.

La rapide, vous chargez un avocat de saisir le tribunal de grande instance d’une requête en rectification (le ministère d’avocat est obligatoire). En quelques mois, ce sera chose faite. Cette dernière solution a évidemment ma préférence…

Si vous ne faites rien, votre enfant continuera à porter les deux tirets.

Maintenant, croisons les doigts que le législateur docile ne vote pas au pif dans un texte de clarification et simplification du droit dont l’intitulé me semble constituer le délit de faux, un article validant rétroactivement cette honteuse pratique.

Dans le doute, à vos requêtes. Et pardon à mes amis procureurs qui me lisent. Une fois de plus vous allez payer l’incurie de nos gouvernants. Mais c’est de nos enfants qu’il s’agit.

Notes

[1] Le patadroit est la science des solutions juridiques imaginaires qui accordent aux droits suggestifs des usucapions d’antichrèses emphythéotiques. Le patadroit entretient des liens certains mais obscurs avec la pataphysique.

[2] Malheur ! malheur ! Malheur. Le patadroit adore le latin.

[3] Notre patajuriste était typographe à ses heures perdues, il emploie donc le mot espace au féminin.

samedi 2 janvier 2010

Audience de rentrée 2010

par Sub lege libertas


La parole est au représentant du Ministère Public :

Au commencement de cette nouvelle année, conformément à l’article R111-2 du code de l’organisation judiciaire, les procureurs s’en vont requérir la clôture de l’année judiciaire 2009 en audience solennelle devant leur juridiction. Aussi,

Chers lecteurs justiciables virtuels,

Mes chers maîtres, leurs auxiliaires en justice, au premier rang desquels je salue Eolas comme Bâtonnier virtuel désigné,

Mes chers collègues magistrats du siège et du parquet,

Moi Sub lege libertas, je me lève pour rêver à voix haute, c’est à dire selon la définition d’Eolas requérir, l’ouverture de l’année judiciaire 2010. Il n’est plus temps de dresser le bilan de l’an passé, sauf à rappeler la litanie des turpitudes qui firent tanguer la nef judiciaire, liste noire oublieuse de petits moments de justice silencieux : tous nous eûmes alors, fugacement peut-être, le sentiment malgré tout que si la justice est hélas un ministère, elle reste une vertu républicaine.

Mais de la vertu, on ne perçoit la nécessité que dans l’outrage qui lui est fait. Les bons juges à la Paul Magnaud sont plus nombreux qu’il n’y paraît, mais il manque aujourd’hui un Clémenceau pour les louer. Le temps est à la fustigation, on préfère chasser le petit juge. Maître Eolas a justement rappelé qu’au fond, la seule exigence dont est comptable l’agent de justice c’est la motivation rigoureuse des ses actes dans le respect de la procédure. Maudire le juge ou le procureur soulage, mais ne répare pas l’outrage qui peut avoir été fait à la justice. Comme le disait un vieux président de Cour d’assises au condamné après le prononcé de sa condamnation : “Monsieur vous avez la nuit pour maudire cette cour ; mais à compter de demain il vous reste cinq jours francs pour vous pourvoir en cassation. Passé ce délai, vous n’y serez plus recevable” [1]

Certes la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration, comme le rappelle l’article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Mais en justice, ce compte rendu l’est sur le fond des dossiers par l’exercice des voies de recours (appel, cassation, saisine de la Cour européenne des droits de l’homme) ; et au delà, si le comportement du magistrat se fait oublieux des devoirs de son état, par la voie disciplinaire. Formons donc le voeux, puisque l’heure est à ce rituel propitiatoire, que 2010 voit s’éloigner l’usage du pilori médiatique à l’encontre des gens de justice, magistrats ou avocats, qui ont l’heur de déplaire. Souhaitons si leur actes suscitent mécontentement ou réprobation, qu’on s’en remette aux voies de droit pour les contester ; mieux même, qu’on attende pour critiquer, au moins le temps de la réponse apportée au recours formé.

Que de publicité donnée à telle décision - sans doute critiquable - mais quel silence sur l’absence de recours exercé ou sur son infirmation par les juridictions de contrôle. Mais me direz vous, le contrôle est parfois défaillant . Oui, la justice non seulement est un ministère, mais c’est aussi une institution humaine, donc faillible, ce qui n’échappe pas même aux papes de la chronique judiciaire. Formons donc le voeu secondaire que ceux qui déterminent au nom de la Nation les principes et les moyens du fonctionnement de la justice, au lieu de participer parfois à la curée contre les magistrats ou les avocats, rendent eux aussi compte publiquement de la sincérité des budgets votés, des besoins réels de la justice, de l’évaluation des textes votés à la hâte, empilés sans logique ni décret d’application... Les juges, leur cul sur les lys effilochés des tapisseries leurs altiers fauteuils vermoulus, ne font qu’appliquer la loi sans la maudire, ni rêver du temps jadis où il parlementait pour l’enregistrer ou régler par arrêt pour l’avenir. En apostrophant vertement leur misère, la Nation et ses représentants ne font que détourner la tête de leur propres inconséquences.

Cessons la mercuriale, de peur que l’agronome nous rappelle que la mercuriale annuelle est une mauvaise herbe à retrancher et semons les bons grains de voeux judiciaires pour 2010 pour nous garder de l’ivraie.

Que 2010 soit donc d’abord l’année judiciaires des Libertés, étrangement accrochées en appendice au Ministère de la Justice par son nouveau Garde. Liberté par exemple de ne pas être suspect, c’est à dire suspecté pour ce qu’on est (par son vêtement, par sa religion, par son langage, par ses idées, par ses pulsions etc.) et non pour ce qu’on fait de répréhensible parce qu’on aurait retrouvé l’esprit de Saint Just qui voulut au comble de la Terreur et jusqu’à en perdre la tête qu’on jugeât suspects “ceux qui n’ayant rien fait contre la Liberté, n’ont rien fait pour elle !”. Liberté pour la justice donc de peser sereinement les charges et leurs preuves.

Que 2010 soit aussi une année de l’égalité en justice. Egalité par exemple de tous devant son juge ou son procureur, non parce qu’on les morigénerait encore pour qu’ils y fussent plus attentifs; mais parce qu’on assurerait à tous que les choix de procédure ne relèvent pas d’une politique de juridiction, mot nouveau de la langue de chêne pour désigner la gestion comptable des flux de dossiers ; parce que tous saurait qu’une libre défense en justice a un coût et que l’on ne devrait y renoncer faute que ce coût réel soit assuré par la société quand le justiciable ne peut le faire.

Que 2010 soit enfin une année de fraternité judiciaire. Fraternité par exemple des citoyens libres et égaux en droit qui ne doivent pas être sommés d’aller demander à un juge de vérifier leur nationalité quand il n’ont jamais pensé en avoir une autre que celle de France, quoique leurs aïeux n’y soient pas nés. Fraternité qui fait que l’identité française ne doit être qu’une notion juridique qui se conjugue harmonieusement avec l’article 371 du Code civil qui impose aux enfants honneur et respect à l’égard de leur parents, de sorte qu’il n’y a pas à renoncer à la fierté de ses origines familiales pour avoir le droit d’être regardé comme français.

La déclinaison républicaine de voeux pour une justice libre, égale et fraternelle n’est pas un simple exercice de style convenu pour requérir que l’année judiciaire 2009 soit déclarée close, que l’exercice 2010 soit ouvert, qu’il soit donné acte qu’il a été procédé conformément à la loi, procès verbal étant dressé pour être versé au rang des minutes du Tribunal. C’est un appel, loin du tumulte de l’opinion, pour que tous les gens de justice continuent un peu à oublier que la justice est une administration, pour mieux espérer avoir les moyens d’en approcher les vertus de concorde civique.

Bonne année à tous.

Notes

[1] (à l’époque, il n’y avait pas l’appel et son délai de dix jours).

vendredi 1 janvier 2010

Bonne année à tous

Bonne année à tous mes lecteurs, les anciens comme les nouveaux, qui me font l’honneur de venir me lire et pour certains de commenter.

2010 commence mal pour la justice, avec 178 tribunaux qui disparaîtront au douzième coup de minuit telle le carrosse de Cendrillon. 23 autres suivront dans un an. Je salue au passage mon ami Guillaume Didier, porte-parole du Garde des Sceaux, qui déclarait à ce sujet sur France Info que la justice de proximité, c’est important, mais il ne faut pas la confondre avec la proximité géographique : que la vraie proximité, c’est l’efficacité. La novlangue est entrée en vigueur avec 25 ans de retard, mais ça y est : la guerre, c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force, et la proximité c’est l’éloignement.

Pour ma part, j’ai une pensée pour le tribunal d’instance de Vincennes, où a eu lieu cette scène cocasse qui m’a inspiré un billet. J’ai une pensée pour Forbach (22 000 hab.), sous préfecture de la Moselle, qui perd son tribunal d’instance au profit de celui de Saint-Avold (16 000 hab.) à 20 km de là. Ca vous apprendra à avoir un maire PS. Saint Avold, mairie UMP, garde son tribunal.

Les avoués sont les prochains sur la liste des suppressions, la date restant à déterminer (le projet de loi est en attente de discussion en 2e lecture à l’assemblée). Survivront-ils à l’année 2010 ?

Et la garde à vue ? Les avocats ne lâchent pas le combat, et je piaffe d’impatience en attendant ma prochaine commission aux comparutions immédiates en janvier pour aller ferrailler avec le parquet.

Les juges d’instruction aussi sont sur la sellette, mais leur suppression n’est pas attendue avant deux ans. La réforme de la procédure pénale sera un gros morceau pour cette année. On en parlera ici, évidemment.

Je salue les secrétaires de la conférence 2009, qui vont rendre leur mandat sans avoir à rougir, et ceux de la promo 2010 qui leur succèdent. Soyez en forme, on aura besoin de vous.

Je salue également nos nouveaux bâtonniers, Jean Castelain et Jean-Yves Le Borgne, vice-bâtonnier, une nouveauté que nous inaugurons. Je me réjouis de savoir qu’un des meilleurs pénalistes de Paris veillera sur nos destinées pendant deux ans. Ceux qui l’auront vu faire une contre-correction à une conférence Berryer sauront pourquoi.

Je présente mes meilleurs voeux à mes colocataires, qui je l’espère vont à nouveau nous régaler de billets, tant ils ont eu l’occasion de se reposer de leurs activités bloguesques pour certain(e)s.

Je ne saurais commencer cette nouvelle année sans avoir une pensée pour tous les confrères et magistrats de permanence cette nuit, qui vont devoir gérer les débordements de certains de nos concitoyens. Une autre, naturellement, pour tous les policiers et gendarmes qui vont être en première ligne. L’année 2009 a mal fini pour eux, avec la mort du brigadier-major Patrice Point, 51 ans, mort au service en tentant d’arrêter des cambrioleurs. Ce n’est pas parce que je fais annuler leurs procédures que je ne respecte pas leur travail.

Bonne année 2010 à tous, et courage : plus qu’un an avant la coupe du monde de rugby.

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