Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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samedi 2 janvier 2010

samedi 2 janvier 2010

Audience de rentrée 2010

par Sub lege libertas


La parole est au représentant du Ministère Public :

Au commencement de cette nouvelle année, conformément à l’article R111-2 du code de l’organisation judiciaire, les procureurs s’en vont requérir la clôture de l’année judiciaire 2009 en audience solennelle devant leur juridiction. Aussi,

Chers lecteurs justiciables virtuels,

Mes chers maîtres, leurs auxiliaires en justice, au premier rang desquels je salue Eolas comme Bâtonnier virtuel désigné,

Mes chers collègues magistrats du siège et du parquet,

Moi Sub lege libertas, je me lève pour rêver à voix haute, c’est à dire selon la définition d’Eolas requérir, l’ouverture de l’année judiciaire 2010. Il n’est plus temps de dresser le bilan de l’an passé, sauf à rappeler la litanie des turpitudes qui firent tanguer la nef judiciaire, liste noire oublieuse de petits moments de justice silencieux : tous nous eûmes alors, fugacement peut-être, le sentiment malgré tout que si la justice est hélas un ministère, elle reste une vertu républicaine.

Mais de la vertu, on ne perçoit la nécessité que dans l’outrage qui lui est fait. Les bons juges à la Paul Magnaud sont plus nombreux qu’il n’y paraît, mais il manque aujourd’hui un Clémenceau pour les louer. Le temps est à la fustigation, on préfère chasser le petit juge. Maître Eolas a justement rappelé qu’au fond, la seule exigence dont est comptable l’agent de justice c’est la motivation rigoureuse des ses actes dans le respect de la procédure. Maudire le juge ou le procureur soulage, mais ne répare pas l’outrage qui peut avoir été fait à la justice. Comme le disait un vieux président de Cour d’assises au condamné après le prononcé de sa condamnation : “Monsieur vous avez la nuit pour maudire cette cour ; mais à compter de demain il vous reste cinq jours francs pour vous pourvoir en cassation. Passé ce délai, vous n’y serez plus recevable” [1]

Certes la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration, comme le rappelle l’article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Mais en justice, ce compte rendu l’est sur le fond des dossiers par l’exercice des voies de recours (appel, cassation, saisine de la Cour européenne des droits de l’homme) ; et au delà, si le comportement du magistrat se fait oublieux des devoirs de son état, par la voie disciplinaire. Formons donc le voeux, puisque l’heure est à ce rituel propitiatoire, que 2010 voit s’éloigner l’usage du pilori médiatique à l’encontre des gens de justice, magistrats ou avocats, qui ont l’heur de déplaire. Souhaitons si leur actes suscitent mécontentement ou réprobation, qu’on s’en remette aux voies de droit pour les contester ; mieux même, qu’on attende pour critiquer, au moins le temps de la réponse apportée au recours formé.

Que de publicité donnée à telle décision - sans doute critiquable - mais quel silence sur l’absence de recours exercé ou sur son infirmation par les juridictions de contrôle. Mais me direz vous, le contrôle est parfois défaillant . Oui, la justice non seulement est un ministère, mais c’est aussi une institution humaine, donc faillible, ce qui n’échappe pas même aux papes de la chronique judiciaire. Formons donc le voeu secondaire que ceux qui déterminent au nom de la Nation les principes et les moyens du fonctionnement de la justice, au lieu de participer parfois à la curée contre les magistrats ou les avocats, rendent eux aussi compte publiquement de la sincérité des budgets votés, des besoins réels de la justice, de l’évaluation des textes votés à la hâte, empilés sans logique ni décret d’application... Les juges, leur cul sur les lys effilochés des tapisseries leurs altiers fauteuils vermoulus, ne font qu’appliquer la loi sans la maudire, ni rêver du temps jadis où il parlementait pour l’enregistrer ou régler par arrêt pour l’avenir. En apostrophant vertement leur misère, la Nation et ses représentants ne font que détourner la tête de leur propres inconséquences.

Cessons la mercuriale, de peur que l’agronome nous rappelle que la mercuriale annuelle est une mauvaise herbe à retrancher et semons les bons grains de voeux judiciaires pour 2010 pour nous garder de l’ivraie.

Que 2010 soit donc d’abord l’année judiciaires des Libertés, étrangement accrochées en appendice au Ministère de la Justice par son nouveau Garde. Liberté par exemple de ne pas être suspect, c’est à dire suspecté pour ce qu’on est (par son vêtement, par sa religion, par son langage, par ses idées, par ses pulsions etc.) et non pour ce qu’on fait de répréhensible parce qu’on aurait retrouvé l’esprit de Saint Just qui voulut au comble de la Terreur et jusqu’à en perdre la tête qu’on jugeât suspects “ceux qui n’ayant rien fait contre la Liberté, n’ont rien fait pour elle !”. Liberté pour la justice donc de peser sereinement les charges et leurs preuves.

Que 2010 soit aussi une année de l’égalité en justice. Egalité par exemple de tous devant son juge ou son procureur, non parce qu’on les morigénerait encore pour qu’ils y fussent plus attentifs; mais parce qu’on assurerait à tous que les choix de procédure ne relèvent pas d’une politique de juridiction, mot nouveau de la langue de chêne pour désigner la gestion comptable des flux de dossiers ; parce que tous saurait qu’une libre défense en justice a un coût et que l’on ne devrait y renoncer faute que ce coût réel soit assuré par la société quand le justiciable ne peut le faire.

Que 2010 soit enfin une année de fraternité judiciaire. Fraternité par exemple des citoyens libres et égaux en droit qui ne doivent pas être sommés d’aller demander à un juge de vérifier leur nationalité quand il n’ont jamais pensé en avoir une autre que celle de France, quoique leurs aïeux n’y soient pas nés. Fraternité qui fait que l’identité française ne doit être qu’une notion juridique qui se conjugue harmonieusement avec l’article 371 du Code civil qui impose aux enfants honneur et respect à l’égard de leur parents, de sorte qu’il n’y a pas à renoncer à la fierté de ses origines familiales pour avoir le droit d’être regardé comme français.

La déclinaison républicaine de voeux pour une justice libre, égale et fraternelle n’est pas un simple exercice de style convenu pour requérir que l’année judiciaire 2009 soit déclarée close, que l’exercice 2010 soit ouvert, qu’il soit donné acte qu’il a été procédé conformément à la loi, procès verbal étant dressé pour être versé au rang des minutes du Tribunal. C’est un appel, loin du tumulte de l’opinion, pour que tous les gens de justice continuent un peu à oublier que la justice est une administration, pour mieux espérer avoir les moyens d’en approcher les vertus de concorde civique.

Bonne année à tous.

Notes

[1] (à l’époque, il n’y avait pas l’appel et son délai de dix jours).

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