Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 29 janvier 2010

vendredi 29 janvier 2010

Quelques mots sur le jugement Clearstream

Le jugement dans l’affaire dite “Clearstream” (alors qu’elle ne concerne que très incidemment la société luxembourgeoise) a été rendu aujourd’hui.

Quelques réponses à des questions qui m’ont été posées à plusieurs reprises.

Qui peut faire appel du jugement ?

C’est l’article 497 du CPP qui donne la réponse. Chaque prévenu condamné, pour sa propre condamnation pénale (l’action publique, menée par le parquet) et la condamnation à indemniser la victime (l’action civile, menée par la partie civile), ou une seule de ces condamnations.

Le parquet, pour la seule action publique.

La partie civile, pour la seule action civile.

Monsieur Galouzeau de Villepin, relaxé, n’est pas recevable à faire appel : il n’a rien à demander de plus.

Le Président de la République a annoncé son intention de ne pas faire appel. Je ne partage toutefois pas l’analyse de mon excellent (quoique provincial) confrère Gilles Devers qui estime qu’en tout état de cause, le Président de la République serait irrecevable puisqu’il a été rempli de ses demandes (c’est comme ça que l’on dit qu’il a obtenu l’intégralité des sommes demandées soit 1 euro). Sa demande visait à la condamnation solidaire de MM. Gergorin, Lahoud et Galouzeau de Villepin. Il n’a pas obtenu cette condamnation en ce qui concerne ce dernier. Cela suffit à mon sens à rendre l’appel recevable, car la partie civile a un intérêt à agir pour faire constater que l’un des prévenus avait bel et bien commis l’infraction dont il a été victime, quand bien même il aurait déjà été indemnisé par les autres condamnés. Après tout, il s’agit d’une demande d’un euro symbolique. Cela signifie que le but de l’action n’est pas financier mais symbolique. Et savoir si tel prévenu était coupable ou innocent, c’est un symbole plutôt important. Je vais faire des recherches de jurisprudence voir si la Cour de cassation a tranché ce point, mais tout coup de main sera le bienvenu.

Et j’apprends en écrivant ces lignes que Jean-Claude Marin, animateur intermittent de la matinale d’Europe 1, est allé y annoncer qu’il allait faire appel. Un moment de distraction sans doute car c’est au greffe correctionnel qu’on fait fait sa déclaration d’appel (escalier H, 2e étage, porte 160, monsieur le procureur).

Cela signifie que Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa aurait pu faire appel mais pas le parquet ? Quelle conséquence cela aurait-il eu ?

Oui, c’eût été parfaitement possible. Dans ce cas, l’action publique s’éteint : le prévenu ne peut plus être pénalement condamné. Pas de prison, pas de casier. Mais la cour reste saisie des faits et peut, sur les seuls intérêts civils, constater que les éléments constitutifs de l’infraction étaient bien réunis, et, sans déclarer le prévenu coupable (elle outrepasserait ses pouvoirs et s’exposerait à cassation), le condamner à indemniser la victime.

C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à un célèbre humoriste forain. C’est aussi pour cela que dans l’affaire Ilan Halimi, la partie civile a fait des pieds et des mains pour que le parquet fasse appel de la peine ayant frappé le principal accusé, qu’elle jugeait insuffisante. Elle ne pouvait le faire elle même que sur les dommages intérêts.

Ainsi, la cour de cassation a estimé qu’une chambre des appels correctionnels saisie du seul appel de la partie civile et qui estimerait que les faits n’étaient pas un délit mais un crime (devant être jugée par la cour d’assises) ne peut se déclarer incompétente puisque l’action publique est éteinte. Crim., 17 fév. 1960, bull. crim. n°92.

Quelles sont les conséquences de cet appel du parquet pour les autres prévenus ?

Tout dépend de la déclaration d’appel. L’appelant peut préciser sur quelles dispositions du jugement il entend limiter son appel. La cour d’appel est saisie dans ces limites. Faute de précision dans l’acte d’appel, la cour est saisie de l’ensemble du dossier. Donc si le parquet se contente de dire qu’il fait appel, ce pauvre Denis Robert est bon pour rempiler alors même que le parquet ne semble pas trouver à redire à sa relaxe.

S’agissant de MM. Gergorin et Lahoud, qui ont déjà déclaré leur intention de faire appel (rappel : escalier H, 2e étage, porte 160), le parquet aurait de toutes façon formé un appel incident en réponse à leur recours.

Gné ?

On distingue appel principal et appel incident, quelle que soit la partie qui fait appel. L’appel principal est formé dans le délai de dix jours à compter du jugement ou de sa signification par huissier si le prévenu était absent à l’audience. L’appel incident est un appel en riposte : “ha, tu fais appel ? Alors moi aussi.” L’effet est le même, la différence est procédurale. D’abord, un appel incident peut être formé dans le délai de dix jours ou dans un délai de cinq jours qui court à compter de la déclaration d’appel, afin d’éviter que des petits malins fassent appel le 10e jour à une minute de la fermeture du greffe pour jouer de l’effet de surprise. Ensuite, l’appel incident, contrairement à l’appel principal qui est définitif, tombe automatiquement si l’appelant principal se désiste dans les trente jours : art. 500-1 du CPP.

Pourquoi tous ces appels dans tous les sens ? Un appel est un appel, non ?

Non. La cour d’appel voit ses pouvoirs limités par les appels dont elle est saisie.

Ainsi, sur le seul appel du parquet, la cour ne peut que confirmer la peine ou l’aggraver dans la limite du maximum légal, ou relaxer (art. 515 du CPP), mais pas modifier les dommages-intérêts. (paragraphe mis à jour, merci JP Ribaut-Pasqualini).

Sur l’appel du seul prévenu, la cour ne peut que confirmer la peine, la diminuer, ou bien sûr relaxer. On parle d’appel a minima

J’ai traité plus haut de l’appel de la seule partie civile.

Donc quand des prévenus font appel, le parquet fait toujours un appel incident pour que la cour soit pleinement saisie de l’action publique et puisse le cas échéant aggraver.

Dans notre hypothèse, la cour pourra confirmer la relaxe, ou déclarer M. Galouzeau de Villepin coupable et prononcer une peine. En revanche, M. Sarközy de Nagy-Bocsa ne sera pas partie au procès, ne pourra s’y faire représenter par un avocat, ni le cas échéant former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel.

Jean-Claude Marin affirme que cet appel est conforme au protocole du parquet en matière d’appel. Est-ce exact ?

Si un procureur le dit, c’est forcément vrai (cette phrase n’étant toutefois pas applicable aux réquisitions de condamnation de mes clients). J’ignore quel est ce protocole, mais force m’est de constater qu’il est rare que le parquet fasse appel d’une relaxe, même quand il concluait à la condamnation. Le parquet est par principe respectueux des décisions du tribunal. Ce n’est donc pas systématique. Quels sont les critères généralement retenus, et s’appliquaient-ils au cas d’espèce ? Je ne puis répondre. Il est en revanche certain que dans cette affaire, le parquet a rappelé qu’il n’était pas indépendant du pouvoir exécutif, ce qui jette de toute façon une ombre de suspicion sur cette décision.

Le meilleur argument qu’il soulève est celui de l’appel de cohérence. Puisqu’il y aura un deuxième procès concernant MM. Gergorin et Lahoud, il estime nécessaire que M. Galouzeau de Villepin soit partie au procès au cas où les prévenus changeraient leurs déclarations et accablaient ce dernier. Cela évite la tentation de tout mettre sur le dos de l’absent, et le risque que l’audience d’appel démontre la culpabilité de celui-ci mais que sa condamnation soit impossible.

Frédéric Lefebvre prétend que le jugement n’a condamné que les exécutants mais pas les commanditaires, laissant entendre que son confrère Galouzeau de Villepin serait l’un d’iceux. Ce n’est pas très confraternel, non ?

Frédéric Lefebvre débute dans la profession, laissons-lui le temps d’assimiler les concepts de dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, que ses fonctions de porte-parole d’un parti politique ont peu sollicité. En attendant, faisons-lui remarquer qu’en dernière analyse, le parquet invoquait une simple complicité par abstention, théorie pernicieuse que j’abhorre et qui à mon sens est contraire à la loi, et qui revenait à dire qu’il serait coupable de n’avoir pas empêché la réitération de la dénonciation calomnieuse une fois qu’il a eu connaissance de sa fausseté. Il y a un gouffre entre être le commanditaire d’une infraction et ne pas empêcher son renouvellement.

En quoi cette théorie serait-elle pernicieuse et contraire à la loi ?

L’article 121-7 du Code pénal définit le complice comme la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation, ou qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre. J’ai beau faire montre parfois d’une certaine imagination, voire d’une créativité juridique reconnue qui ravit les tribunaux au moment de mes plaidoiries, et leur fait laisser poindre une once de regret dans leur jugement au moment de me débouter. Mais je ne parviens pas à faire dire à ce texte qu’une personne qui ne fait rien, qui s’abstient d’intervenir et dont l’inaction facilite effectivement la commission de l’infraction (comme le gardien de musée payé pour ne pas donner l’alarme quand des voleurs dérobent des oeuvres) pour empêcher autrui de réitérer une infraction (sauf l’hypothèse de celui qui a l’obligation d’intervenir), facilite la préparation ou la consommation d’une infraction, ou que cela s’assimile à un don, une promesse, un ordre, un abus d’autorité ou de pouvoir. Le silence ne peut être un abus d’autorité. Mon adjudant m’a démontré, au cours de mon service militaire, que l’abus d’autorité suppose un niveau sonore plutôt élevé. Elle est donc contraire à la lettre de la loi qui exige un acte positif, pas une omission. La loi punit spécifiquement certaines abstentions : la non assistance à personne en danger, la non dénonciation de crime. Ce n’est pas pour faire de tout citoyen passif un complice de tous les délits qui se commettent à portée de sa main. Ne pas agir quand on peut empêcher une infraction est être un mauvais citoyen. Pas un délinquant. Voilà en quoi elle est pernicieuse : elle assimile celui qui commet le délit à celui qui ne fait rien pour l’empêcher.

Je regrette donc que le tribunal ne rejette pas la théorie mais estime que cette complicité n’est pas établie.

Pour en savoir plus : Pascale Robert-Diard publie les principaux passages du jugement.

L’intégralité du jugement, non anonymisé.

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