Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 12 avril 2010

lundi 12 avril 2010

Détention illégale

Le tribunal de grande instance d’Épinal nous offre, à son corps défendant, une magnifique illustration du danger que constitue un code de procédure pénale délabré, fonctionnant par des renvois multiples avec à chaque fois un risque de mauvaise application pour peu qu’on aille pas lire les textes auxquels il est renvoyé.

Tout commence mardi dernier à Thaon Les Vosges, riante bourgade bâtie sur les rives de la Moselle et du Canal de l’Est. Un automobiliste y fut interpellé manœuvrant un véhicule sur le parking d’un supermarché alors qu’il n’était point titulaire du permis y afférant. Ce qui n’est pas bien, convenons-en, mais vous savez que le droit n’est pas la morale. C’est surtout illégal.

Premier détail amusant, ce qui n’était qu’une contravention autrefois est devenu un délit en 2004 (Loi Perben II du 9 mars 2004, art. 57 modifiant l’article L.221-2 du Code de la route). Puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende.

Deuxième détail amusant, le délit est commis en état récidive légale, ce qui met le procureur de permanence en grand courroux, et double la peine encourue, soit 2 ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende. Retenez bien ce quantum, il a son importance.

Il décide donc de se faire déférer l’impénitent, et conformément à l’article 395 du code de procédure pénale (CPP), de le faire juger en comparution immédiate.

Fatalitas. Le Vosgien est benoît, et des comparutions immédiates, à Épinal, il n’y en a pas tous les jours, et en tout cas point le mardi. Peu importe, le même code prévoit, en son article 396 la possibilité pour le procureur de saisir le juge des libertés et de la détention pour un placement en détention provisoire jusqu’à la prochaine audience utile du tribunal correctionnel. Dans notre cas, la prochaine audience utile était le vendredi suivant, soit à la limite des trois jours ouvrables que permet l’article 396.

Attachez vos ceintures, le grand flipper juridique commence.

L’article 396 dispose que :

Dans le cas prévu par l’article précédent, si la réunion du tribunal est impossible le jour même et si les éléments de l’espèce lui paraissent exiger une mesure de détention provisoire, le procureur de la République peut traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention, statuant en chambre du conseil avec l’assistance d’un greffier.

Le juge, après avoir fait procéder, sauf si elles ont déjà été effectuées, aux vérifications prévues par le sixième alinéa de l’article 41, statue sur les réquisitions du ministère public aux fins de détention provisoire, après avoir recueilli les observations éventuelles du prévenu ou de son avocat ; l’ordonnance rendue n’est pas susceptible d’appel.

L’article 41 vise ce qu’on appelle l’enquête de personnalité.

Il peut placer le prévenu en détention provisoire jusqu’à sa comparution devant le tribunal. L’ordonnance prescrivant la détention est rendue suivant les modalités prévues par l’article 137-3, premier alinéa, et doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision par référence aux dispositions des 1° à 6° de l’article 144. Cette décision énonce les faits retenus et saisit le tribunal ; elle est notifiée verbalement au prévenu et mentionnée au procès-verbal dont copie lui est remise sur-le-champ. Le prévenu doit comparaître devant le tribunal au plus tard le troisième jour ouvrable suivant. A défaut, il est mis d’office en liberté.

Ah. L’ordonnance est rendue suivant les modalités de l’article 137-3 du CPP. Allons donc voir ce qu’il raconte.

Article 137-3 :

Le juge des libertés et de la détention statue par ordonnance motivée. Lorsqu’il ordonne ou prolonge une détention provisoire ou qu’il rejette une demande de mise en liberté, l’ordonnance doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait sur le caractère insuffisant des obligations du contrôle judiciaire et le motif de la détention par référence aux seules dispositions des articles 143-1 et 144.

Dans tous les cas, l’ordonnance est notifiée à la personne mise en examen qui en reçoit copie intégrale contre émargement au dossier de la procédure.

Fort bien. Le juge des libertés et de la détention (JLD) doit motiver, c’est à dire donner les raisons de droit et de fait qui fondent sa décision, mais uniquement par référence aux seules dispositions des articles 143-1 et 144. Laissons de côté l’article 144 pour aujourd’hui. Mes lecteurs le connaissent bien, c’est l’article qui précise que la détention provisoire ne peut être prononcée que quand elle est l’unique moyen de prévenir la réitération des faits, la collusion entre accusés, les pressions sur les témoins et victimes, la conservation des preuves et de s’assurer que le prévenu ne prendra pas la fuite.

Certains de mes lecteurs pourraient à la lecture de cet article froncer leurs sourcils et se dire qu’il ne semble point avoir été écrit pour s’appliquer à une conduite sans permis, fût-elle commise en récidive. À ceux-là je répondrai l’adage plein de sagesse des JLD parisiens : “Plaidez moins fort, maître, je n’arrive pas à rédiger le mandat de dépôt”.

Voilà pour le 144. Allons plutôt voir le 143-1, il est bigrement intéressant.

Art. 143-1 du CPP :

Sous réserve des dispositions de l’article 137 (qui rappellent que la détention provisoire doit être exceptionnelle, NdEolas), la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que dans l’un des cas ci-après énumérés :

1° La personne mise en examen encourt une peine criminelle ;

2° La personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d’une durée égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement.

La détention provisoire peut également être ordonnée dans les conditions prévues à l’article 141-2 lorsque la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec surveillance électronique.

Et c’est là que le bât blesse. Notre conducteur sans permis encourait, du fait de la récidive, un maximum de deux ans de prison. Le seuil des trois ans n’était pas atteint, et cette dernière trace de la sagesse d’un législateur des temps anciens qui croyait encore à la nécessité de limiter la détention aux cas où elle s’imposait vraiment faisait obstacle juridiquement à ce que notre cancre des auto-écoles croupît en prison.

Et il y croupit pourtant, jusqu’au vendredi suivant où la présidente du tribunal devant le juger, qui connaissait mieux son CPP que les autres, s’émût de la situation et annula la procédure, invitant de plus le prévenu à demander à être indemnisé pour cette détention illégale.

L’affaire s’envenime néanmoins, car le parquet général (le parquet de la cour d’appel donc) de Nancy envisage de faire appel de la décision. Un porte parole du parquet général précise au Figaro que :

“La possibilité de placer (ce prévenu) en détention provisoire ne paraît pas à première vue illégale” et le juge des libertés et de la détention (JLD) qui avait pris cette mesure sur réquisition du parquet était saisi “tout à fait régulièrement”, a indiqué Jacques Nicolle, magistrat chargé de la communication à la Cour d’appel de Nancy, dont dépend Epinal.

Selon M. Nicolle, le JLD s’est basé sur les articles 395 et 396 du code de procédure pénale qui autorisent la détention provisoire dès l’instant où le prévenu encourt deux ans de prison, comme c’était le cas à Epinal. La magistrate semble pour sa part s’être basée sur les articles 137-3, 143-1 et 144-2 selon lesquels la détention provisoire n’est possible que lorsque la peine maximale encourue est de trois ans, selon M. Nicolle.

“Il y a un débat juridique qui peut se faire entre les conditions d’application de la détention provisoire telles qu’elles ont été vues par” le JLD et par la juge, a reconnu M. Nicolle, évoquant des textes “d’une mise en oeuvre complexe” et pouvant “laisser place à une interprétation divergente”. Le parquet d’Epinal envisage de faire appel de la décision de nullité “de manière à permettre un second regard sur cette difficulté de texte”, a-t-il ajouté.

Sur ce blog, la com’ comme la morale n’ont pas leur place. On fait du droit. Et en droit, la position du parquet général paraît difficilement tenable.

Sa thèse est que les articles 395 et 396 du CPP seraient une exception à la règle de l’article 143-1 du CPP qui exige un minimum encouru de trois ans. 143-1 ne s’appliquerait qu’à l’instruction judiciaire, tandis que 395 et 396 permettraient une détention provisoire sans autre limite de peine encourue que celles posées pour recourir à la procédure de comparution immédiate, soit un minimum de deux ans, et six mois en cas de flagrant délit.

Outre qu’aucune décision de la cour de cassation ne valide ce point de vue, la loi est claire, même si elle procède par renvois successifs. C’est l’article 396, celui-là même qu’invoque le parquet général, qui renvoie pour le placement en détention provisoire à l’article 137-3, sans aucune réserve. Ledit article 137-3 renvoie à son tour à 143-1, sans réserve non plus, et cet article impose un minimum de trois ans encourus, ce qui entre nous soit dit n’a rien d’extravagant dans une société démocratique. Ite missa est. J’ai pour ma part déjà obtenu devant un JLD, et un JLD parisien qui plus est, un refus de détention provisoire pour quantum encouru insuffisant.

Reste un bien triste bilan : un parquetier qui a requis une violation de la loi, qui lui a été accordée par un JLD, dans une décision non susceptible de recours (art. 396 du CPP). J’ignore si l’avocat de la défense l’avait vu lors de ce débat, je crains que non puisque le problème semble avoir été soulevé lors de l’audience du vendredi.

Et surtout, un homme détenu illégalement pendant trois jours.

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